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JOURNAL DU DIMANCHE du 30 mars 2008
L’ÉQUIPE MAGAZINE
PORTRAIT
Un destin foudroyé ?
THIERRY GILARDI. Le journaliste de TF1 est mort mardi, à quarante-neuf ans, d’une crise cardiaque. Il a consacré sa vie
professionnelle au sport, avec rigueur et enthousiasme.
C’est l’histoire d’un type normal. «C’est», parce
qu’il y a des moments où l’imparfait ne convient
pas. Où l’image figée d’un sourire ne peut suffire pour évoquer une boule de vie hyperactive.
Où les brassards noirs et la minute de silence de
France Angleterre, mercredi au Stade de France,
hommages sincères et dérisoires, ne disent rien
d’autre que l’absence, le vide sur un fauteuil de
commenta teur en tribune de presse.
Pour le grand public, Thierry Gilardi, c’est une
voix rocailleuse très appréciée, à en croire
l’abondant courrier reçu a? France Football, un
visage heureux, un regard bienveillant sur le
football. Mais, dans cet univers parfois en
trompe l’?il qu’est le monde de la télé vision,
une fois les caméras rangées, il reste le même,
affable, curieux, attentif aux autres. Comme en
"C’était
un travailleur,
il travaillait trop
à la limite, un
boulimique de
travail... J’espère
que ce n’est pas
ça qui l’a tué"
Jean-Claude
Dassier
témoigne son engagement contre le mal logement auprès de la fondation Abbé Pierre. Serein
? Content de lui ? Sûrement pas. N?ud d’angoisse, surnommé «la Bouillotte», travailleur
acharné, toujours inquiet sur la qualité de ses
passages à l’antenne, il débarque sou vent le
matin avec les cernes violets de celui qui n’a
guère dormi. Surtout pendant la période,
«éprouvante» selon ses propres mots, durant
laquelle il a présenté la matinale de I-télé au
printemps 2004. Un détour professionnel naturel pour lui, qui se veut «journaliste avant tout»,
ajoutant même : «Journaliste sportif, cela ne
veut rien dire, à part peut-être “ journaliste qui
pratique un sport ”.»
Amoureux du sport. Et pourtant, même s’il a
débuté en radio à France Inter, après être sorti
de Sciences Po, c’est au service des sports qu’il
fait ses premières armes sous la houlette de
Jacques Vendroux. Ce dernier lui cédera d’ailleurs quelquefois sa place comme gardien de but
du Variétés Club de France, la vaste et influente
équipe au sein de laquelle, en dehors du ter rain,
Gilardi occupa un temps le poste de trésorier,
s’y autorisant à fumer le cigare en compagnie
d’autres amoureux du ballon.
Authentique passionné de sport, Gilardi adore
le football et la F1, mais n’a véritablement joué
qu’au rugby, qu’il a pratiqué pendant des années
en région parisienne, incité par la harangue
Les obsèques de Thierry Gilardi auront lieu lundi à Mont-fort-l’Amaury (78). L’ensemble de la rédaction de France Football s’associe à la douleur de sa famille, de ses proches,
et leur présente ses plus sincères condoléances. (Photo : Fred Mons)
médiatique de Roger Couderc «Allez les petits
!», devenant même bien plus tard un vice-président très présent du Stade Français. Conscient
de ses lacunes balle au pied, après avoir rejoint
Canal + en 1987, il préfère potasser ses fiches
plutôt que de s’entraîner, comme Biétry aimait
à le faire, avec les joueurs du club visité. «Quand
j’ai quitté France Inter pour Canal +, j’étais venu
pour la Formule 1, racontait-il (maudit soit cet
imparfait qui s’immisce insidieusement). Il m’est
même arrivé de commenter le snooker ! »
Et puis, le foot s’est imposé comme l’une des
deux jambes de la chaîne cryptée. Il a fallu des
commenta teurs supplémentaires et, parfois,
puis régulièrement, remplacer Michel Denisot
qui formait avec Biétry le duo phare de Canal +
jusqu’en 1991.
Une fois Denisot devenu président délégué du
PSG en 1991, Thierry Gilardi lui suc cède au poste
de commentateur des grands matches de Canal +,
devenant également la figure de proue de Jour
de foot (1992-1995) et de L’Equipe du dimanche
(1995-2002) ainsi que directeur de la rédaction
des sports de Canal + (entre 1999 et 2001). Le
sourire facile, Gilardi a aussi un sang qui
s’échauffe facilement. Un peu de rose aux joues,
un ton qui grimpe vite et le compteur des tours
par minute qui s’emballe. Pour redescendre aussi
vite qu’il est monté. Sans rancune.
Passionné et généreux. Un type vrai, sympa, voilà
tout. Qui, fréquentant par profession des vedettes, reste à sa place : «Les stars, ce sont les
joueurs.» Il est ravi de remet tre, au côté de France
Football, plusieurs Ballons d’Or (Weah en 1995,
Sammer en 1996, Nedved en 1997, sur Canal + ;
Kaká en 2007, sur TF1), ainsi que le trophée du
Numéro 1 de l’année (Ribéry en 2007, sur TF1) .
Alors, forcément , l’hommage est unanime, tou
chant, surpris par la froide réalité de la mort
soudaine. Jean-Pierre Escalettes (président de
la Fédération française de football) : «Il incarnait la passion et le professionnalisme .» Bernard
Laporte, secrétaire d’Etat aux Sports : «C’était
un homme généreux, gentil, qui avait une très
forte humanité, et quelqu’un de passionnant.»
Michel Platini, qui a commenté avec lui les soirées de Ligue des champions : «Il y a des voix
et des gens qui ont marqué le sport, comme
Thierry Roland, Roger Couderc et Thierry Gilardi.
Thierry a fait beaucoup pour la promotion du
sport et il a contribué à populariser un peu plus
ce sport qu’est le football.» Michel Denisot,
ancien directeur des sports de Canal + : «Il avait
toujours beaucoup d’exigences. Il avait un côté
insatisfait. Il s’emportait beaucoup, mais unique ment pour faire avancer les choses. Il était
à la fois joueur et entraîneur.» Jean-Claude
Dassier, directeur général de LCI : «C’était de
très loin le meilleur commentateur de football.
C’était un travailleur, il travaillait trop à la
limite, un boulimique de travail ...
J’espère que ce n’est pas ça qui l’a tué, mais je
me le demande tout de même. C’était un grand
professionnel, très angoissé, toujours d’une
grande méti culosité.» ?
Jean-Philippe Bouchard