Say on Pay - LexisNexis

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Say on Pay - LexisNexis
LA SEMAINE DE LA DOCTRINE LA VIE DES IDÉES
LE MOT DE LA SEMAINE
Say on pay à la française
91
Quelles leçons tirer du droit comparé ?
JACQUES BUHART, avocat
associé McDermott Will & Emery,
expert du Club des juristes
NICOLAS LAFONT, avocat
associé McDermott Will & Emery
D
ans de nombreux pays, la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de sociétés cotées fait
l’objet d’un mécanisme de consultation des actionnaires, couramment appelé say on pay. Ainsi, le
Royaume-Uni (2003), les Pays-Bas (2004), l’Allemagne (2009), la Belgique (2010) ou les États-Unis (2010) ont
adopté des règles donnant aux assemblées générales la possibilité
de se prononcer sur la politique de rémunération ou les rémunérations individuelles des dirigeants.
Pour autant, les effets des mécanismes de say on pay restent discutés. Ainsi, alors que le Royaume-Uni en a été l’un des précurseurs,
une proposition de loi a été récemment présentée pour remplacer
le mécanisme actuel prévoyant un vote consultatif des actionnaires par un vote contraignant.
Dans ce contexte, la France doit-elle adopter un tel mécanisme ?
Il paraît difficile d’y échapper au vu du contexte international, la
France ne pouvant rester à la traîne en matière de transparence.
D’ailleurs, un membre emblématique du CAC 40, la société Publicis, a annoncé fin novembre qu’elle comptait anticiper une telle
législation en instaurant dès 2013 un système de vote consultatif de
ses actionnaires sur la rémunération des membres du directoire.
Les exemples étrangers permettent en tout cas de cerner les possibilités qui s’offrent au législateur français.
La plupart des pays développés ont choisi un système de vote
consultatif plutôt qu’un vote contraignant. Sur le plan juridique,
un vote contraignant des actionnaires risque de s’apparenter à une
désignation indirecte du dirigeant par les actionnaires. Un tel mécanisme serait en contradiction avec le droit français en vigueur,
qui prévoit que le conseil d’administration nomme les dirigeants
et fixe leurs rémunérations. En pratique, il compliquerait également les négociations entre une société et un candidat à un poste
de dirigeant, puisque la rémunération de ce dernier dépend d’un
vote futur des actionnaires.
Une alternative pratiquée dans certains pays prévoit un vote
contraignant des actionnaires sur la politique de rémunération
en vigueur. La question se poserait en droit français de la modi-
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fication des rémunérations déjà allouées aux dirigeants. La Cour
de cassation a reconnu que la part fixe de la rémunération d’un
dirigeant fixée par le conseil d’administration pouvait en principe
être modifiée par une nouvelle décision du conseil d’administration si elle a une nature unilatérale plutôt que contractuelle. En revanche, en ce qui concerne les indemnités de départ, les actions de
performance et autres stock-options, le conseil d’administration
n’aurait pas la possibilité de les réduire unilatéralement compte
tenu de leur nature contractuelle.
Si le vote consultatif semble offrir plus de souplesse, il peut produire en pratique des effets quasi-similaires à ceux d’un vote
contraignant. Bien souvent, en cas de vote consultatif négatif des
actionnaires, les dirigeants, sous pression, acceptent une réduction de leur rémunération ou vont jusqu’à démissionner. Ainsi,
le CEO d’Aviva a démissionné dans la foulée du vote négatif de
l’assemblée générale, alors que le CEO de Citigroup a été contraint
à une réduction de sa rémunération pour l’exercice à venir.
Le vote consultatif laisse également planer un risque de mise en
jeu de la responsabilité des administrateurs. Aux États-Unis, dans
environ la moitié des cas de vote négatif, des actionnaires ont intenté des recours contre les administrateurs, leur reprochant une
décision contraire aux intérêts de la société. En France, on pourrait imaginer qu’un vote négatif de l’assemblée générale incite des
actionnaires à mettre en jeu la responsabilité des administrateurs,
sur la base d’une faute de gestion, pour avoir alloué une rémunération abusive aux dirigeants.
Qu’il soit consultatif ou contraignant, le mécanisme français du
say on pay impliquera, directement ou indirectement, un transfert de responsabilité du conseil d’administration vers l’assemblée
générale. Le risque est de voir lentement basculer d’autres prérogatives du conseil vers l’assemblée générale, remettant en cause
l’équilibre des pouvoirs tel qu’il est prévu par la loi.
En tout état de cause, quel que soit le mécanisme retenu, les
émetteurs français chercheront à sécuriser au maximum le
soutien de leurs principaux actionnaires, notamment institutionnels, à leur politique de rémunération. À titre d’exemple,
les émetteurs cotés aux États-Unis adoptent des stratégies de
communication de plus en plus sophistiquées et instaurent
un dialogue en amont avec les actionnaires clés et les agences
de conseil de vote, afin d’obtenir la meilleure note say on pay
possible. Ainsi, le say on pay à la française aura probablement
au moins une vertu : celle de stimuler la communication entre
actionnaires et direction sur la gestion des sociétés.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 4 - 21 JANVIER 2013