Je suis le ver solitaire

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Je suis le ver solitaire
Je suis le ver solitaire
Gratuitement dédié à la fraternité des banquiers internationaux
Je suis le Ver Solitaire. C’est du moins le nom
sous lequel on me désigne communément. Les
savants me classent dans l’ordre des Coestodes,
genre de Plathelminthes et me nomment plus explicitement Taenia solium.
Mon cycle vital est assez complexe. Je ne nais
pas dans le temple où je coule en seigneur ma vie
d’adulte. Je subis diverses métamorphoses, mais je
ne reçois mon plein épanouissement que dans les
intestins d’un vertébré, surtout si ce vertébré est un
homme. J’entre là sous un déguisement, mais une
fois installé, je renonce à sortir. Mes forces suprêmes se concentrent sur le maintien
de ma position. Et le jeu en vaut la
chandelle, je vous assure. Jugez
un peu:
Ne suis-je pas, en effet, le roi des parasites
entretenu par le roi de
la création ? Je reçois
de l’homme, mon hôte,
nourriture et logement,
sans qu’il m’en coûte
rien, pas même la peine
de mastiquer.
Et n’allez pas croire
que je me contente des
miettes. A moi le meilleur de
la nourriture avalée, digérée,
toute prête pour l’assimilation.
Mon hôte, en se nourrissant, croit
travailler à sa conservation; au fait, il
réussit plus ou moins, mais seulement sur
ce qui reste après que je me suis servi le premier. Je
ne mendie pas ma part, remarquez bien, je la prends.
Aussi, comme je prospère ! Moi qui n’étais
qu’un être minuscule, imparfait, enkysté dans un
vulgaire morceau de chair de porc, voici que je me
développe, mon corps rubanné s’allonge, atteint
des vingt, trente pieds, et plus, multiplie et grossit
ses segments aux dépens de l’homme qui m’héberge et me soutient.
Il est vrai qu’à force de prendre le meilleur de
mon hôte, j’appauvris son organisme et mon régime en est affecté. Mon hôte a moins, j’ai moins,
mais je prends quand même le meilleur. Oh ! je ne
désire pas sa mort, bien au contraire, j’ai besoin de
lui. Je ne désire pas non plus sa maladie, puisqu’elle
se reflète sur mon propre bien-être. C’est mon inté-
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rêt seul qui me guide. Si mon hôte en souffre, je ne
suis pas sans en ressentir les effets. Affaibli de son
affaiblissement, je fais, si nécessaire, le sacrifice de
quelques anneaux, d’un grand nombre même, mais
de ma tête jamais.
Et lorsque j’ai perdu une partie de mon corps
rubanné et annelé, l’homme, moins épuisé par son
parasite raccourci, reprend ses forces, son appétit, son alimentation. J’en profite le premier, car je
m’attribue toujours le meilleur. Mon corps se refait,
le cycle recommence.
A cause de moi, mon hôte passe ainsi par
une succession de dépressions et de
convalescences; mon état fluctue
avec le sien — prospérant avec
lui, mais plus que lui; faiblissant
avec lui, mais moins que lui.
La plupart du temps,
mon hôte ne se rend pas
compte de ma présence,
car j’opère dans le silence et bien caché dans
son sein. Il attribue ses
malaises à d’autres causes, s’en prend à d’autres
agents. Son ignorance est
ma sauvegarde. Si parfois
quelqu’un me dénonce, je
surveille. Travaille-t-on à mon
expulsion, je choisis le moment
opportun, le moment psychologique pour influencer favorablement
mon hôte par la cession généreuse de plusieurs pieds de segments.
L’effet est immanquable; on cesse de m’assaillir,
mon hôte se réjouit du retour à la santé, et je me
réjouis bien plus que lui. Dès lors qu’il n’a pas touché à ma tête.
Ah ! cette tête... peu de gens la connaissent,
Dieu merci, car ils s’acharneraient après elle. Petite,
mais puissante, ma tête ! Tête spéciale, que les savants appellent scolex. Pas de bouche, je n’en ai pas
besoin; j’assimile immédiatement la nourriture que,
j’absorbe par ma méthode à moi. Quatre ventouses
et trois paires de crochets: voilà mon plus grand
bien, dont je ne veux pas me départir. Adviennent
tous les malheurs, il faut à tout prix que je reste bien
ancré, fortement accroché aux intestins de mon
hôte. Malheur à moi si je lâche prise !
BA N Q UIE
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Qu’ajouterai-je ? Mon empire s’affermit-il ou
tire-t-il à sa fin ? Une chose m’inquiète et m’attriste.
Un médecin — ah ! le charlatan ! — s’est mis en tête
de chercher une arme, pour ma destruction, dans
un végétal sans noblesse. Et il a produit l’extrait
éthéré de fougère mâle. C’est mon arrêt de mort.
Mais n’en parlons pas, ce serait une publicité désastreuse pour moi.
* * *
Je suis le Ver Solitaire et —honneur insigne — je
suis la parfaite image du système bancaire implanté
dans le sein de l’humanité civilisée.
Lui aussi opère dans le silence, exploite l’ignorance de son hôte, s’attribue les premiers fruits de
la production humaine; il conduit les nations dans
des ères de dépressions, cède alors un peu la corde,
baisse les taux d’intérêt, facilite l’octroi de crédits, se
fait complimenter par ceux qu’il a dépouillés, parce
qu’il les dépouille un peu moins. Lui aussi acceptera
des sacrifices passagers, choisissant le moment psychologique pour leur assurer des effets qui satisfassent son hôte tout en fortifiant ses propres positions.
Car le système bancaire, comme moi, tient surtout à maintenir sa prise. Bien armé de ventouses
et de crochets, il ne veut pas démordre. Il sacrifiera
bien des choses si nécessaire, mais jamais le monopole du crédit. C’est sa tête. Et lui, comme moi, bénéficie de ce que peu nombreux sont les hommes
qui connaissent la force de cette tête.
Pour comble de similitude, voilà que le système
bancaire a, lui aussi, à craindre le charlatanisme
d’un chercheur qui s’est mis en tête de lui opposer
un ennemi bien modeste, bien simple, mais d’une
efficacité terrible pour assurer la disparition de la
tête invisible qui fait la pluie et le beau temps éco-
nomiques. Aussi, avec quelle attention le système
bancaire surveille soigneusement les voies de la publicité qu’il contrôle pour qu’on taise même le nom
de ce remède de charlatan, de ce simpliste Crédit
Social qui menace son empire. Parlez socialisme ou
capitalisme, communisme ou fascisme, dictature
ou démocratie, religion ou matérialisme, réforme
sociale ou politique, corporatisme ou libéralisme
économique — tout cela le laisse assez indifférent.
Mais Crédit Social: c’est le danger du jour !
Je ne suis qu’un Ver Solitaire; ma famille avance peut-être vers le royaume de la faune à jamais
disparue. Si j’ai un désir suprême à exprimer, c’est
qu’on illustre notre nom dans les archives des hommes dont nous nous sommes si bien repus. Ne serait-il pas à propos, par exemple, que l’Association
des Banquiers, à la prochaine réunion de ses membres, disons rue Saint-Jacques, Montréal, décide
l’adoption, d’un écusson bien représentatif, dans
lequel figurerait distinctement le roi des parasites,
le Ver Solitaire avec sa tête armée de ventouses et
de crochets ?
Taenia Solium
(pour copie conforme — Louis Even)
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