Drones : la menace fantôme

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Drones : la menace fantôme
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1 mai 2015 - 15:32
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Drones : la menace fantôme
Centrales nucléaires, palais de l’Elysée… Après des dizaines de
survols de sites sensibles, les risques sont pris très au sérieux au
sommet de l’Etat. Défis de bidouilleurs passionnés, espionnage ou
attaque terroriste? L’analyse des experts. Et leurs parades.
En cette douce soirée de septembre, un étrange bourdonnement rompt la tranquillité de
Fessenheim. En quelques secondes, un essaim de drones a franchi la clôture de sécurité et attaqué
les installations de la doyenne des centrales nucléaires françaises. Un premier appareil dépose de
l’explosif sur la porte du bâtiment abritant les piscines de stockage du combustible usé. Un autre
s’engouffre dans la brèche et lâche une charge qui neutralise le système de refroidissement. Une
deuxième vague d’aéronefs fait exploser le toit au C4, laissant la place à un engin plus lourd, à
huit hélices, qui largue une dernière charge d’explosifs dans le bassin. La suite a un faux air de
Fukushima : les parois du bassin se fissurent, l’eau contaminée se répand dans les installations,
exposant à l’air libre le combustible radioactif.
Crise de paranoïa
Récit de science-fiction ? Pas pour John Large. Cette attaque de drones, schémas détaillés à
l’appui, est l’un des cinq scénarios détaillés par le consultant britannique mandaté par
Greenpeace, dans une étude confidentielle de 26 pages dont Challenges a obtenu copie. Le
document, distribué à neuf exemplaires – dont un adressé à Matignon – et dévoilé fin novembre
dernier par L’Express, évoque aussi le transfert par drone d’armes automatiques M 27 ou de gaz
sarin à des complices à l’intérieur des centrales, l’attaque sur les générateurs électriques, ou la
chute d’un conteneur de combustible usagé suite au sectionnement de câbles de manutention par
des drones. "Chacun de ces scénarios pourrait entraîner des rejets radioactifs et des conséquences
radiologiques intolérables", prévenait John Large le 24 novembre, lors de son audition à
l’Assemblée nationale par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques (OPECST).
Depuis huit mois, les autorités françaises ont enregistré une soixantaine de survols de sites
sensibles : les centrales de Fessenheim et Penly, l’usine de retraitement d’Areva à la Hague, mais
aussi l’Elysée et la base des sous-marins nucléaires de l’île Longue. Il n’en fallait pas plus pour
déclencher une crise de paranoïa. Bernard Bigot, alors administrateur général du Commissariat à
l’énergie atomique (CEA), évoque des survols opérés par "une puissance étrangère", avant de
préciser que ses propos concernaient des "organisations antinucléaires internationales", et non des
Etats.
L’armée de l’air, appelée à la rescousse, installe d’impressionnants radars de basse altitude
ANGD près des centrales. Un salarié de la Cnil est arrêté mi-mars pour avoir fait voler un drone
de 400 grammes avenue de Breteuil à Paris.
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Tout cela est-il bien sérieux ? "Il ne faudrait pas que quelques survols conduisent à revoir
drastiquement la réglementation de 2012, qui a permis à la France d’être un leader mondial des
drones civils", avertit Emmanuel de Maistre, fondateur de l’opérateur de drones Redbird. Le
portrait-robot des engins utilisés lors des survols de sites sensibles relativise la menace : "Ce ne
sont probablement pas des drones militaires, mais des drones civils hors la loi, dont la charge utile
peut atteindre 5 kilos au maximum", estime Patrick Oswald, directeur commercial air et sécurité à
Airbus Defence & Space.
Pas de quoi menacer les centrales, assure EDF : "La conception des bâtiments importants pour la
sûreté, en particulier ceux contenant le combustible, prend en compte des séismes de grande
ampleur et des chutes accidentelles d’avions, expliquait en novembre Philippe Sasseigne,
directeur de la production nucléaire du groupe. Ces survols ne représentent pas un risque nouveau
ou supplémentaire."
Les as de la bidouille aux commandes
Le fameux rapport de John Large est d’ailleurs éreinté par la communauté du nucléaire. Un ponte
de l’atome, consulté par le président de l’OPECST Jean-Yves Le Déaut, évoque carrément "une
manipulation éhontée", assurant que les performances techniques des drones sont "surévaluées",
que les scénarios d’attaque sont d’une "très improbable complexité".
Enfin, le statut d’expert du nucléaire dont se prévaut John Large est "sujet à caution". Chez les
industriels du secteur aussi, on dégaine : "La partie drones du rapport relève du travail d’élève de
troisième, avec des liens YouTube comme seul fondement, assène Francis Duruflé, directeur
commercial à ECA Robotics (Groupe Gorgé), fabricant du drone IT 180. Quant à la possibilité
d’un essaim coordonné, c’est techniquement envisageable, mais cela nécessiterait un
développement énorme, au moins dix ingénieurs pendant dix-huit mois."
Pas vraiment à la portée des auteurs des survols récents, qui semblent plus relever des as de la
bidouille que de l’armée de barbus de Daech ou d’agents de puissances étrangères. Pascal,
spécialiste de l’électronique de 36 ans, développe des drones faits maison depuis le début des
années 2000. En mai 2013, cet ingénieur avait longuement survolé les tours de la Défense avec un
engin de 300 grammes, une splendide vidéo à la clé, consultable sur son site Serveurperso.com.
Pour lui, guère de doute : "Ces survols sont un défi entre passionnés qui bricolent des drones
achetés dans le commerce, ou plus probablement qui fabriquent leurs propres engins, estime-t-il.
Pour un technicien ou aéromodéliste de bon niveau, c’est simple : il faut une structure en croix,
quatre moteurs, quatre hélices, une batterie, un capteur GPS et un contrôleur de vol, une carte qui
est un peu le cerveau du drone. Pour 150 à 200 euros, vous avez une machine moche, mais qui
vole."
Les drones utilisés au-dessus des centrales, assure l’ingénieur, ne sont probablement pas pilotés à
distance, mais programmés pour suivre un itinéraire constitué de points de navigation GPS. "Il y a
beaucoup de logiciels libres, comme MultiWii, Pixhawk ou OpenPilot, qui permettent de
paramétrer le vol, pointe Pascal. La machine est ainsi autonome, il n’y a pas d’émissions d’ondes
qui permettraient de localiser les auteurs. Ils peuvent récupérer tranquillement leur drone au point
d’arrivée."
Le témoignage cadre parfaitement avec celui d’un élève d’école d’ingénieurs, recueilli en mars
par Le Journal du dimanche, qui revendiquait deux survols de centrales nucléaires "en PVPP"
(pas vu, pas pris). "Je suis parti d’un vieux quadracoptère, expliquait-il. Ce qui compte, c’est de
braver l’interdit, de montrer aux autres qu’on a conçu une machine performante qui se joue des
défenses."
Alors simple monôme estudiantin ? D’aucuns évoquent plutôt des actes motivés par un message
politique. "La vraie question est de savoir à qui profitent ces survols ultramédiatisés, avance
Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, qui a piloté toutes les auditions de
l’OPECST en novembre. Pour moi, tout cela ressemble fort à une opération de communication
dans le but de montrer que le nucléaire n’est pas sûr, que les piscines ou les générateurs peuvent
être attaqués." Si Greenpeace a assuré ne pas être à l’origine des survols, la piste de groupes
écologistes allemands est évoquée.
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La menace drone est-elle pour autant à jeter aux oubliettes ? Loin de là. Thierry Michal, directeur
technique de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera), met en garde
contre le "risque de prolifération de véhicules dotés de plus grandes capacités au fil du temps".
Même à court terme, le danger est bien présent, avec des "drones kamikazes qui s’écraseraient sur
une foule, ou des nuées d’engins qui s’attaqueraient aux réacteurs des avions", pointe un expert.
Une collision évitée de justesse entre un A 320 et un drone à l’aéroport d’Heathrow en juillet 2014
a d’ailleurs été classée par les autorités britanniques en risque très sérieux, de "classe A". L’autre
danger ? L’espionnage. "Il suffit d’envoyer sur le toit d’un siège social ou d’un centre de R&D des
engins dotés d’IMSI-Catcher, ces outils qui se font passer pour des antennes-relais, pour capter
des conversations téléphoniques, avance Boris Défréville, cofondateur d’Orelia, PME basée en
Seine-et-Marne, qui propose une technologie de détection acoustique de drones. Dès 2013, bien
avant les survols, nous avions envoyé une lettre à Manuel Valls, alors à l’Intérieur, à Arnaud
Montebourg, et contacté les industriels sur les menaces potentielles. A l’époque, les gens nous
rigolaient au nez."
La détection des drones, un défi ardu
Des dizaines de survols plus tard, les autorités prennent le sujet bien plus au sérieux. Le
secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), rattaché à Matignon, a été
chargé de plancher sur les pistes de détection et de neutralisation des drones. Un rapport, remis au
Premier ministre, évoque ainsi le "brouillage" et le "leurrage GPS" des aéronefs, voire des "jets de
matière", pour les mettre hors d’état de nuire. Des tests grandeur nature de technologies
disponibles, pilotés par l’Onera et le SGDSN, ont été effectués du 23 au 27 mars sur le camp
militaire de Captieux, en Gironde, et une seconde phase d’essais est prévue pour juin. Quant à
l’Agence nationale de la recherche (ANR), elle a sélectionné, à l’issue d’un appel d’offres
express, deux projets de démonstrateurs, dirigés respectivement par l’industriel CS et par l’Onera.
Le problème, c’est que le défi de la détection et de la neutralisation des drones est plus ardu qu’il
n’y paraît. Les radars ? Il leur est difficile de repérer ces objets peu métalliques, volant bas et à
vitesse réduite. Les capteurs optroniques (vidéo, infrarouge) ? Ils sont souvent onéreux. La
détection acoustique ? Elle est opérationnelle, mais sa portée est faible, et elle ne fonctionne guère
dans des environnements industriels bruyants. Les drones antidrones ? ECA Robotics propose une
version de son drone IT 180 dotée d’une charge utile qui détecte les ondes électromagnétiques
émises par le pilote. "On détecte ainsi l’auteur de survols interdits en moins d’une minute, le
drone fournissant même des images exploitables par la justice", détaille Guénaël Guillerme,
directeur général d’ECA. Problème : le système est inopérant en cas de vols par points GPS
préprogrammés.
La neutralisation est un autre casse-tête majeur. Il y a les solutions radicales, un peu rustres,
comme le drone de la start-up Malou Tech, qui intercepte les intrus à l’aide d’un filet, ou les
interceptions d’appareils… par des faucons. Il y a aussi les solutions high-tech, comme la
destruction de l’engin par un laser, déjà testée avec succès par la marine américaine et par la
Chine, mais avec des risques de dommages collatéraux.
Tous les experts en conviennent : il n’y a guère de solution miracle. "La détection et la
neutralisation passeront probablement par une panoplie de technologies radar, optroniques et
acoustiques, car on ne peut pas réagir de la même manière dans un site isolé et en plein
centre-ville", pointe Franck Lefèvre, directeur du département optronique à l’Onera, pour qui "le
grand défi est de développer des solutions accessibles financièrement".
Le brouillage GPS, par exemple, a ses adeptes, comme notre ingénieur qui a survolé la Défense,
Pascal : "Il est techniquement possible de brouiller les signaux réservés aux appareils civils sur la
bande dite "L1" sans impacter d’autres infrastructures qui utilisent d’autres fréquences." Mais il
sera toujours possible aux bidouilleurs de contourner cette défense avec des systèmes
Simultaneous Localization and Mapping (SLAM), qui se localisent et recalculent leur
environnement sans GPS. Au jeu du chat et de la souris, les auteurs des survols de drones ont
encore quelques parades en réserve.
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