La Tribune de l`Art - Lundi 18 novembre 2013

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La Tribune de l`Art - Lundi 18 novembre 2013
La Tribune de l’Art - Lundi 18 novembre 2013
Incohérence municipale : Le Crotoy toujours menacé
1. Le terrain de l’ancienne poste détruite sur
la rue de la Porte du pont à l’angle de la rue
de la Prison Jeanne d’Arc
Photo : Carole Koempgen
17/11/13 - Patrimoine - Le Crotoy - Dans un précédent article, nous alertions sur les menaces
pesant sur le cœur ancien du Crotoy, petit port de pêche et pittoresque station balnéaire, qui
borde la baie de Somme aujourd’hui classée « grand site de France ». Huit mois plus tard, les
menaces pèsent toujours, alors que paradoxalement toutes les conditions semblent réunies
pour que le projet funeste soit définitivement abandonné.
Rappelons brièvement les faits. Le Crotoy conserve aujourd’hui encore, de façon
exceptionnelle pour la région, sa structure urbaine du XVIIIe siècle. Or le maire de la ville
avait cru bon d’accorder, le 22 décembre 2009, un permis de construire, sur le terrain de
l’ancienne poste, pour un immeuble de 16 m. de hauteur, hors d’échelle avec son
environnement constitué de maisons de pêcheurs en rez-de-chaussée et de maisons
bourgeoises et villas balnéaires d’un étage1 (ill. 1 et 2).
2. Elévation prospective de l’immeuble projeté
sur la rue de la Prison Jeanne d’Arc
Document établi pour LCPA
Cette erreur d’appréciation initiale avait été validée, de manière incompréhensible et
coupable, par Serge Lifchitz, alors adjoint de Marianne Sauvage, l’architecte des Bâtiments de
France de la Somme, qui devait être consulté puisque le site est classé.
1
Un premier recours a donc été engagé par des riverains pour « erreur manifeste
d’appréciation », ainsi que pour l’absence des parkings réglementaires, mais les tribunaux
administratifs, saisis en première instance comme en appel, n’ont cassé le permis de
construire que partiellement, pour son manque de parkings.
Le maire du Crotoy, Jean-Louis Wadoux, a alors accordé un permis modificatif, concédant à
la société immobilière 11 places de parking en juillet 2012, puis 14 places supplémentaires le
13 février 2013.
Un nouveau recours, qui reste à juger, a été engagé contre cette cession gratuite du domaine
public, mais on ne peut que se désoler que les tribunaux administratifs semblent refuser de
juger au fond, et de condamner des erreurs manifestes d’appréciation, donnant une impunité
totale à l’ABF alors en charge et à son erreur de jugement.
On peut espérer que le nouveau recours, fondé sur des faits objectifs, permettra d’annuler le
permis de construire modificatif et de bloquer ainsi ce projet funeste ; cependant le débat
public et contradictoire qui s’est engagé depuis plus de quatre ans a conduit les uns et les
autres à prendre des positions qui pourraient ouvrir la voie à une issue consensuelle.
Les menaces pesant sur le patrimoine architectural du Crotoy a en effet conduit à la création
d’un collectif (PARA : « Pour une Architecture Respectueuse de l’Ancien »), puis d’une
association (LCPA : « Le Crotoy, Préservé et Authentique2 »), contestant les premières
décisions de la Mairie, ce qui a conduit le maire à prendre des positions patrimoniales de plus
en plus affirmées.
Dans une interview accordée à FR 3 Picardie le 3 octobre 2012, celui-ci déclarait : « Nous
tenons absolument à préserver l’authenticité de cette cité qui est faite de maisons bourgeoises
du XIXe siècle et également de maisons de pêcheurs. Nous tenons absolument à conserver son
style et son architecture et ne pas trop bétonner le Crotoy, comme nous l’avons vu
malheureusement ailleurs. » Nous ne saurions mieux dire.
Mieux encore, cet engagement public s’est concrétisé dans un document conséquent, le PLU
(plan local d’urbanisme), approuvé par le Conseil municipal le 13 juillet 2013 3. Le document,
de grande qualité, établit un diagnostic et des règles garantissant la pérennité du centre ancien.
En effet, comme le constate le PLU : « Chose rare dans une région sinistrée par les guerres,
le bâti lui-même est encore en place. On peut considérer que ces constructions détiennent
donc l’essentiel de l’identité architecturale et urbaine de la commune. Il ne faut donc pas que
les développements futurs, aussi nécessaires et légitimes soient-ils, conduisent à une perte de
la lisibilité de ces éléments structurants et identifiants. » (p. 11). On ne saurait, là encore,
mieux dire.
Deux articles du PLU sont particulièrement décisifs :
« La hauteur des constructions ne devra pas excéder 10 mètres au faîtage » (Article UA 10) ;
« L’autorisation d’occupation du sol peut être refusée ou n’être accordée que sous réserve de
l’observation de prescriptions spéciales, si par leur situation, leur architecture, leurs
dimensions ou l’aspect extérieur, les bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de
nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux
paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales »
(Article UA 11).
2
D’autre part une AVAP (Aire de mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine), qui
correspond aux ex-ZPPAUP, est en cours de finalisation. Ce texte extrêmement protecteur
pour le centre ancien du village constituera l’une des servitudes du PLU.
Enfin, mieux encore que ces paroles et ces documents d’orientation, le maire vient de
s’appuyer sur le PLU, qui n’attend plus que sa validation administrative, pour refuser à un
promoteur le permis de construire un immeuble de 14 m de haut sur la digue promenade 4.
Après l’affirmation devant les caméras de ses bonnes intentions patrimoniales, après
l’adoption d’un PLU interdisant en centre ville des bâtiments de plus de 10 m. de haut
(« aussi nécessaires et légitimes soient-ils », précise le document, comme pour écarter la mise
en avant du caractère social des logements pour maintenir le projet), après le refus, qui fait
d’une certaine manière jurisprudence, d’un permis de construire un immeuble contrevenant
aux règles du PLU, le soutien apporté par le maire à ce projet destructeur n’est plus
compréhensible5.
Il doit donc mettre en accord ses paroles et ses actes en annulant son offre contestée de
parkings, ce qui suffirait, sans autre forme de procès, à faire avorter le projet dans sa forme
actuelle.
Et Le Crotoy pourra ainsi rester la charmante petite ville qu’il est, ouvrant sur une des plus
belles baies du monde6.
Claude Mignot, dimanche 17 novembre 2013
Notes
1. Voir les simulations illustrant notre précédent article.
2. Voir le site LCPA - Le Crotoy préservé et authentique, qui fait l’historique de l’association
et de l’affaire.
3. Le PLU est consultable sur le site de la Mairie du Crotoy. Il a été transmis aux services de
la Préfecture, qui doivent vérifier sa conformité aux règles générales d’urbanisme, mais qui ne
toucheront pas aux gabarits de hauteur.
4. Journal d’Abbeville, 13 octobre 2013.
5. Cette configuration patrimoniale, où un maire veut imposer sa volonté contre ses propres
professions de foi et les règles qu’il a fait lui même adopter, n’est pas sans rappeler l’affaire
de la rue des Carmes à Orléans, dont La Tribune de l’Art a largement rendu compte
6. La baie de Somme a été admise comme membre du « Club des plus belles baies du
Monde ».
Vous pouvez retrouver l’intégrale de l’article sur le site de la Tribune de l’Art suivant :
http://www.latribunedelart.com/incoherence-municipale-le-crotoy-toujours-menace
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