Explications sur le texte de Joan W. Scott : « Gender

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Explications sur le texte de Joan W. Scott : « Gender
Explications sur le texte de Joan W. Scott : « Gender: A Useful Category of
Historical Analysis », 1986 (par De Ganck Julie)
Si le terme gender provient des études médicales sur mes hermaphrodites et les « transsexuels », les
sciences sociales ont remanié le concept pour en faire un outil théorique utile à la recherche. Ce travail fut
fait en histoire par Joan W. Scott en 1886 dans un article devenu classique : « Gender: A Useful Category of
Historical Analysis »1.
L'historienne américaine est partie d'un constat critique. Si les études féministes ont commencé à
utiliser le terme gender pour désigner l'organisation sociale régulant les relations entre les sexes, de
nombreuses recherches utilisaient le terme sans adopter la perspective d'analyse de cette régulation
inégalitaire et de ses modes de fonctionnement. Le concept avait certes été bénéfique. Il avait permis la mise
en évidence de la relativité des sexes, leur caractère construit l'un par rapport à l'autre, rendant visible la
construction historique du masculin. Il avait également permis de revisiter l'historiographie, transformant la
vision que l'on avait des « grands évènements » de l'histoire. L'objectif était donc d'intégrer l'analyse de
genre à l'écriture générale de l'histoire. Cependant Joan W. Scott constata que cet objectif n'était pas atteint,
que les stéréotypes sur la partition des rôles sociaux étaient reproduits au sein de la recherche : les études sur
les femmes étaient celles qui étaient liées aux espaces privés, à la famille ou à la sexualité tandis que peu
d'études sur la politique ou l'économie intégraient une analyse de genre. En outre, le genre était souvent
utilisé de façon fort descriptive et les recherches plus théoriques étaient limitatives par ce que trop générales
et peu à même d'exprimer la complexité des processus historiques. Pour toutes ces raisons, Joan W. Scott
développe dans son article une définition théorique du genre comme catégorie d'analyse des processus
historiques.
L'historienne définit son concept comme étant composé de deux parties distinctes mais liées entre
elles. Premièrement, le genre est un élément constitutif des relations sociales basées sur la perception des
différences entre les sexes. Deuxièmement, le genre est une façon primaire de signifier des relations de
pouvoir.2 Ces deux parties de la définition sont elles mêmes subdivisées.
Si l'on prend le genre comme rouage de l'organisation sociale, il fait fonctionner quatre éléments au
sein d'une mécanique qui reste à comprendre dans l'étude des processus historiques.
Le premier élément est la disponibilité en éléments symboliques évoquant des représentations
multiples et souvent contradictoires (tels que Ève et Marie pour représenter « la femme », fautive ou sainte).
Le second élément est la disponibilité en concepts normatifs qui enclenchent de façon restrictive
l'interprétation des symboles. La restriction est nécessaire car l'interprétation est toujours potentiellement
subversive par les jeux du langage (métaphore, glissement de sens, et cetera). C'est ce que ces concepts
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Joan W. Scott, « Gender: A Useful Category of Historical Analysis », dans The American Historical Review,
vol 91, n° 5, décembre 1986, pp. 1053 à 1075.
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Le terme primaire correspond au terme anglais primary, je l'ai traduit de la sorte, au lieu de premier, car je
trouve que le terme primaire permet d'exprimer plus fortement l'idée de Scott. Le terme primaire, contrairement au
terme premier, ne renvoie pas spécifiquement à une notion de temps, mais aussi à celle d'élémentarité, de
fondamentalité et finalement, péjorativement, à une élémentarité grossière. Les trois éléments ont leur place dans la
définition à mon sens. Je fais par la suite un résumé traduit de sa définition : Ibidem, pp. 1067 à 1075.
doivent permettre d'éviter pour que, par exemple, Ève et Marie renvoie toujours à l'idée de « la femme »,
fautive dans le cas d'Ève et sainte dans le cas de Marie. Ils prennent la forme d'oppositions binaires,
catégoriques et univoques, qui soutiennent et affirment la signification de mâle et femelle (extérieur /
intérieur, parfait / imparfait, domestique / politique). Mis en jeu et contestés au cours de l'histoire, les
concepts normatifs sont l'objet de luttes. Cependant ces luttes donnent lieu à de nouvelles configurations
conceptuelles qui s'imposent comme des évidences atemporelles en cachant leur origine conflictuelle. « The
point of new historical investigation », explique Joan W. Scott, « is to disrupt the notion of fixity, to discover
the nature of the debate or repression that leads of the appearance of timeless permanence in binary gender
representation ».3
Le troisième élément est la construction, la diffusion et la reproduction du système de genre à travers
des institutions. La plus évidente est celle de la famille avec son système de filiation, mais cela concerne
également l'économie et la politique.
Le dernier élément du genre comme élément constitutif des relations sociales, est le genre comme
identité sexuelle subjective construite concrètement par les personnes au travers d'activités sociales
intersubjectives, dans des organisations politiques et sociales ou dans des systèmes de représentations
culturels.
La seconde partie de la définition est la suivante : le genre est une façon primaire de signifier des
relations de pouvoir. Cela veut dire que le genre est un domaine dans lequel et à partir duquel le pouvoir est
articulé. En effet, le pouvoir est distribué, entre autre, sur base du système catégorique du genre qui divise et
permet de distinguer les détenteurs potentiellement légitimes du pouvoir des autres. Comme l'a étudié Pierre
Bourdieu et l'anthropologie en général, les catégories « di-visant » le monde s'appuient sur des références
biologiques, et notablement sur la division du travail de procréation et de reproduction (les femmes portent
les enfants, pas les hommes). Cette référence biologique sert de légitimation à la distribution asymétrique du
pouvoir dans l'organisation sociale. « Established as an objective set of references, concepts of gender
structure perception and the concrete and symbolic organization of all social life. To the extent that these
references establish distributions of power (differential control over or acces to material and symbolic
ressources), gender becomes implicated in the conception and construction of power itself ».4 En ce sens, la
différence sexuelle est l'archétype de la différence et de la division. Le pouvoir est genré et produit du
genre : il divise pour mieux régner. Le pouvoir et le genre se forment en s'appuyant l'un l'autre. Ceci a
comme conséquence que n'importe quel changement de la façon de signifier le pouvoir amène une
transformation de signifier le genre. La question que doit alors se poser l'historien/ne est de comment et
pourquoi se produisent ces changements ? Quels sont les processus à l'œuvre et dans quels contextes
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Ibidem, p. 1068. Les débats sur la détermination du sexe biologique sont un exemple type de la construction
et des luttes pour le maintient de ces concepts normatifs qui concerne alors le sexe lui-même, comme concept
opposant et séparant catégoriquement le mâle de la femelle. Il s'appuie sur d'autres oppositions censées en découler,
en être l'expression (fort/ faible, rude / doux). Contester les catégories et les concepts normatifs, c'est ce qu'on fait
les féministes en disant que le personnel est politique, car cela conteste une opposition catégorique renvoyant aux
catégories sexuelles (le personnel, le privé est féminin tandis que le politique, le public, est masculin).
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Ibidem, p. 1069.
particuliers ils s'inscrivent.5
Pour en terminer avec Joan W. Scott, je récapitule. Le genre est un ensemble de symboles évoquant
des représentations accouplées par paires. Les représentations sont constituées et fixées par des concepts
normatifs. Les concepts se traduisent dans le fonctionnement d'institutions qui les diffusent par ailleurs, et
notamment en encadrant les activités humaines et interpersonnelles à travers lesquelles les personnes
acquièrent leur identité subjective de genre. De plus, le genre est une légitimation du pouvoir car il sert de
référence biologique à l'organisation matérielle et symbolique du monde. C'est pourquoi le pouvoir utilise le
genre pour se renforcer. Tout changement dans le régime de pouvoir a une influence sur le genre et le
pouvoir est toujours mis en jeu dans les transformations du genre.
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Ibidem, p. 1073.

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