L`altérité dans les récits de famille
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L`altérité dans les récits de famille
L’altérité dans les récits de famille Nadja Djuric Sorbonne Nouvelle (Paris III) 434 Comme la notion d’altérité se trouve liée à la question d’identité, et que l’identité se construit dans un réseau complexe d’appartenances et de différences individuelles, cette altérité peut être envisagée sous des formes différentes, concernant des problématiques nationales, culturelles etc., mais aussi des relations beaucoup plus personnelles. Le problème essentiel qui se pose pour le sujet reste pourtant inchangé : comment se définir par rapport à l’autre, comment créer ou maintenir un sens dans un monde traversé de différences, comment approcher l’autre et faire face à l’autre que l’on découvre dans soi-même. Une possibilité de traiter cette question dans le cadre des recherches sur le roman contemporain serait justement d’analyser la notion d’autrui dans les récits de famille. Bien que les romans de ce type ne soient pas la toute première association à la question d’altérité, ils présentent des schémas narratifs et des enjeux d’écriture qui tiennent beaucoup de ce concept. Dans les romans qui racontent une histoire de famille, il s’agit d’abord d’une prise de conscience individuelle. Dans d’autres contextes, ceux où un groupe social ou national se trouve face à un autre qui lui sert d’opposant et de miroir, il est plus facile d’insister sur les différences (néanmoins, une telle approche facilite aussi la création de conflits). Dans le cadre d’une histoire familiale, cet autre est en même temps inévitablement une partie de moi-même, un autre visage de soi dont il est difficile de s’affranchir. Le lien du sang rend le rapport entre les générations plus complexe et souvent plus douloureux, même si le rapport n’est pas proprement dit conflictuel. La relation entre les deux générations au sein d’une même famille conduit chez les enfants à la découverte des différences essentielles qui proviennent de l’expérience vécue. L’accès au passé des parents n’est jamais direct et même ce qui a été un présent partagé, i.e. le présent de l’enfance pour la deuxième génération, n’est pas toujours Canadian Review of Comparative Literature / Revue Canadienne de Littérature Comparée crcl december 2009 décembre rclc 0319–051x/09/36.4/434 © Canadian Comparative Literature Association Nadja Djuric | L'altérité dans les récits de famille possible à comprendre en raison de la distance temporelle. Ainsi les notions de quête et d’héritage viennent se joindre à la réflexion sur le passé familial. Connaître le passé des parents, avoir accès à leur vérité, signifie pour les enfants devoir choisir une attitude qui fera partie de leur identité. Si dans les romans contemporains le parent est envisagé comme l’autre, la problématisation du passé familial ou la découverte du passé du parent peuvent acquérir des formes différentes: de la recherche menée de manière consciente (Bernhard Schlink, Die Heimkehr, 2006), à la découverte bouleversante (Pierre Péju, Le rire de l’ogre, 2005); de la possibilité de revivre le passé familial à travers l’écriture (Porodični cirkus—Le cirque de famille—de l’écrivain serbe Danilo Kiš, trilogie familiale dont les trois parties sont parues en 1965, 1970 et 1972) à l’autre possibilité fournie par l’écriture, celle de présenter justement le manque de relations et les liens brisés que le présent entretient avec le passé (Arno Geiger, Es geht uns gut, 2005). Ces récits de famille présentent la recherche identitaire et la rencontre de l’altérité sous un aspect double. Le plus souvent, le personnage du fils ou de la fille veut saisir 435 l’identité de la figure parentale justement pour gagner le savoir et la maturité, pour voir clair dans le passé et en même temps gagner une clarté intérieure. Pourtant, il ne s’agit pas d’un rapport uniquement personnel, puisqu’il ouvre aussi à l’Histoire, inscrit le passé familial dans le passé de l’époque et force à des prises de conscience ou de responsabilité. Nombreux sont des romans contemporains qui traitent de l’héritage de la Seconde guerre mondiale dans cette perspective—même si ce n’est certainement pas le seul événement de l’histoire récente à être abordé de telle manière, il reste toutefois l’événement de référence. Dans ces romans, l’histoire n’est pas décrite et présentée de façon objective et neutre. La connaissance de l’histoire est le fruit incertain d’un cheminement obscur, un savoir qu’il faut gagner ou mériter, que l’on veut saisir ou bien au contraire, fuir à tout prix. Le passé familial est individuel et collectif en même temps: individuel puisqu’il s’agit dans un premier temps de la volonté de s’approcher des individus concrets qui nous sont proches; collectif parce que ce rapprochement reste possible seulement dans le cadre d’une recherche sur l’époque et sur l’histoire. Ce passé double est aussi un lieu d’altérité, dans la mesure où il nous appartient tout en nous restant étrange, et s’inscrit dans un rapport à l’autre où la différence entre soi et l’autre n’est jamais sûre et décidée, alors qu’elle reste principale. Ouvrages Cités Geiger, Arno. Es geht uns gut. Carl Hanser Publishing, 2005. Kiš, Danilo. Porodični cirkus [Le cirque de famille]. 1965-72. Split: Feral Tribune, 1999. Péju, Pierre. Le rire de l'ogre. France Loisir, 2005. crcl december 2009 décembre rclc Schlink, Bernhard. Die Heimkehr. Diogenes Verlag, 2006. 436