Lova Rajaobelina* École des Sciences de la Gestion (ESG), UQAM

Transcription

Lova Rajaobelina* École des Sciences de la Gestion (ESG), UQAM
L’IMPACT DE L’EXPERIENCE CLIENT SUR LA QUALITE DE LA RELATION DANS UN CONTEXTE
MOBILE : UNE QUESTION DE SEXE?1
Lova Rajaobelina*
École des Sciences de la Gestion (ESG), UQAM
[email protected]
Isabelle Brun
Département d’administration, Université de Moncton
[email protected]
* Département de marketing, École des Sciences de la Gestion (ESG), Université du Québec à
Montréal (UQAM), Case postale 8888, succursale centre-ville, Montréal (Québec), H3C 3P8,
Canada, 514 987-3000 (#5268).
Résumé : Ce papier a pour objectif d’examiner l’impact de l’expérience client mobile (les
dimensions « affective/sensorielle », « sociale », « cognitive » et « comportementale »
perçues) sur la qualité de la relation et de voir si le sexe de la personne y joue un rôle
modérateur. Un questionnaire auto-administré sur Internet a été rempli par 396 panélistes
canadiens. Une modélisation par équations structurelles et une analyse multi-groupe avec le
logiciel EQS 6.2 ont été réalisées. Les résultats montrent que l’expérience client mobile
influence significativement la qualité de la relation et que cet impact est modéré par le sexe de
l’individu. L’impact de la dimension « sociale » sur la qualité de la relation est
significativement plus élevé chez les femmes (impact négatif) et celui de la dimension
« comportementale » chez les hommes (impact positif).
Mots clef : mobile ; expérience client; qualité de la relation; sexe; bancaire
THE IMPACT OF CUSTOMER EXPERIENCE ON RELATIONSHIP QUALITY IN A MOBILE
CONTEXT: IS THIS A GENDER MATTER?
Abstract : This paper aims to examine the impact of the mobile customer experience
(perceived " affective/ sensorial ", " social ", " cognitive " and " behavioral " dimensions) on
relationship quality and see if gender plays a moderating role. A web-based self-administered
questionnaire was completed by 396 Canadian panelists. A structural equation modeling and
multi-group analysis with EQS 6.2 software were performed. The results show that mobile
customer experience significantly influences relationship quality and that this impact is
moderated by gender. The impact of the " social " dimension on relationship quality is
significantly higher for women (negative impact) and the " behavioral " dimension is
significantly greater for men (positive impact).
Keywords : mobile ; customer experience; relationship quality; gender; banking
1
Les auteurs remercient la Chaire RBC en management des services financiers (ESG UQAM)
pour le financement de cette étude.
L’IMPACT DE L’EXPERIENCE CLIENT SUR LA QUALITE DE LA RELATION DANS UN CONTEXTE
MOBILE : UNE QUESTION DE SEXE?
Introduction
Depuis les dernières années, le marketing a évolué en privilégiant notamment les
approches expérientielles et relationnelles (Brun, Rajaobelina et Ricard, 2014 ; Pine et
Gilmore, 1998 ; Schmitt, 1999). Cette évolution s’est produite en même temps que l’arrivée
de l’Internet et plus récemment du mobile, modifiant la manière dont les entreprises et les
consommateurs interagissent (Ha et al., 2012).
À ce jour, la littérature en marketing sur le mobile s’est surtout focalisée sur les facteurs
qui influencent son adoption (Ha et al., 2012 ; Shaikh et Karjaluoto, 2015). De plus, les études
liées au genre sur le mobile se sont également attardées sur les différences liées aux facteurs
influençant l’adoption (ex. : Riquielme et Rios, 2010; Yang et Lee, 2010). À notre
connaissance, aucune étude n’a examiné l’impact de l’expérience client sur les relations dans
un contexte mobile tout en considérant le sexe de la personne comme variable modératrice.
Ce papier a ainsi pour objectif d’examiner l’impact de l’expérience client (les
dimensions « affective/sensorielle », « sociale », « cognitive », comportementale ») sur la
qualité de la relation dans un contexte mobile et de voir si le sexe de la personne y joue un
rôle modérateur.
Revue de la littérature et hypothèses
Qualité de la relation. Elle représente une évaluation globale de la force de la relation
(Palmatier et al., 2006) et reflète la capacité de celle-ci à répondre aux besoins de la clientèle
(Hennig-Thureau et Klee, 1997). Elle est composée de trois facettes: la confiance, se référant
à l’intégrité et la fiabilité (Morgan et Hunt, 1994) ; la satisfaction, un état affectif résultant de
l’appréciation globale du client (Crosby, Evans, et Cowles, 1990) ; et enfin, l’engagement
affectif, l’attachement émotionnel positif envers l’entreprise (Allen et Meyer, 1990). Pour
cette étude, nous examinerons les trois facettes, mais en lien avec l’utilisation des services
mobiles de l’entreprise.
Expérience. L’expérience client correspond aux réponses des consommateurs émanant
de leurs interactions avec les canaux de l’entreprise (Gentile, Spiller, et Noci, 2007). Nous
parlerons de l’ « expérience client mobile » puisque c’est le canal ici étudié. Cinq principales
dimensions, définies par Schmitt (1999), permettent de l’appréhender. La dimension cognitive
(Think) est associée à la réflexion et aux structures cognitives. La dimension affective (Feel)
est liée aux sentiments et émotions ressentis. La dimension sensorielle (Sense) fait référence à
la stimulation des cinq sens. Dans le cadre de cette étude, les dimensions affective et
sensorielle forment une seule dimension puisque les deux composantes sont souvent très
corrélées (Schmitt, 1999). La dimension comportementale (Act) englobe les aspects
comportementaux de consommation. Enfin, la dimension sociale (Relate) est associée à
l’identification sociale et aux relations avec autrui.
Dans un contexte de marque, l’expérience influence positivement la qualité de la
relation (Brakus, Schmitt, et Zarantonello, 2009; Ha et Perks, 2005) de même que dans un
environnement en ligne (tourisme) (Lee et Jeong, 2014). En extrapolant aux services mobiles:
H1. La dimension « affective/sensorielle » influence positivement la qualité de la
relation
H2. La dimension « sociale » influence positivement la qualité de la relation
1
H3. La dimension « cognitive » influence positivement la qualité de la relation
H4. La dimension « comportementale » influence positivement la qualité de la relation
L’importance des dimensions de l’expérience semble varier selon le genre. Par exemple,
en ce qui a trait à l’utilisation/l’adoption des services mobiles, les hommes sont davantage
orientés vers la tâche (dimension comportementale) (Yang et Lee, 2010) tandis que les
femmes recherchent plus de divertissement (dimension affective) (Nysveen et al., 2005). Les
femmes accordent plus d’importance à la dimension sensorielle sur Internet (Garg, Rahman et
Qureshi, 2014). Elles sont davantage influencées par les autres (dimension sociale) en
magasin (Wu et Tseng, 2015; Garg, Rahman et Qureshi, 2014) et par les normes sociales
telles l’image perçue et l’approbation des autres (Riquielme et Rios, 2010) ou par le maintien
des réseaux sociaux (Yang et Lee, 2010) lors de l’utilisation/l’adoption des services mobiles.
D’où :
H5. L’impact de l’expérience client mobile sur la qualité de la relation varie selon le
sexe.
Méthodologie
Le secteur bancaire a été choisi comme secteur de validation empirique. En effet, les
services bancaires mobiles sont de plus en plus utilisés. À titre d’exemple, aux États-Unis,
72% des internautes ont téléchargé en 2015 l’application mobile de leur principale banque (vs
65% en 2014) (Market Force Information, 2015). Un questionnaire (en anglais) autoadministré via le Web a été répondu par 396 panélistes adultes canadiens. Plus précisément,
l’échantillon est composé de 50,5% d’hommes, l’âge médian est entre 45 et 54 ans, 37,1% des
répondants ont fini leurs études universitaires de 1er cycle et 67,5% d’entre eux ont utilisé
leurs téléphones intelligents (32,5% leurs tablettes) pour effectuer leurs transactions
financières mobiles.
La qualité de la relation a été mesurée en s’inspirant de l’échelle de Brun, Rajaobelina
et Ricard (2014). Les mesures de l’expérience ont été adaptées de Richins (1997), de Brakus,
Schmitt et Zarantonello (2009) et de Brocato et al. (2012). Tous les items sont mesurés à
l’aide d’une échelle de Likert à 7 points. Une analyse factorielle confirmatoire (CFA) ainsi
qu’une analyse multi-groupe ont été réalisées grâce à EQS 6.2 afin de tester les hypothèses.
Résultats et Discussion
Fidélité et validité. Le tableau 1 indique que les indices de fidélité (alphas et indices de
fiabilité composite) sont très bons (supérieurs à 0,70). La validité convergente est confirmée
puisque tous les poids factoriels sont supérieurs à 0,70 et les variances moyennes extraites
(VME) supérieures à 0,50 (Fornell et Larcker, 1981). La validité discriminante est également
assurée puisqu’aucune corrélation élevée au carré entre chaque paire de construits ne dépasse
l’indicateur de VME par construit (cf. Tableau 2).
Modèle de mesure et résultats importants. La valeur du 2 est de 476,14 (p=0,00) avec
289 degrés de liberté. Le ratio 2/ddl est de 1,65 ( 3), ce qui signifie que le modèle est bon.
Les indices d’adéquation du modèle sont également satisfaisants (NNFI = 0,90 ; CFI = 0,90 ;
RMSEA= 0.04).
2
Tableau 1 : résultats du modèle de mesure
CONSTRUIT
Poids
factoriels
QUALITÉ DE LA RELATION
I think that the information presented on the financial institution's mobile banking is
reliable
My experience with the financial institution's mobile banking is very satisfactory
I am attached to this financial institution's mobile banking
EXPÉRIENCE CLIENT MOBILE
Affective/Sensorielle
I am sometimes surprised
I sometimes feel entertained
I sometimes feel enchanted
My senses are involved
My visual sense is stimulated
My sense of hearing is stimulated
My sense of touch is stimulated
Sociale
I live a pleasant social experience
I feel that I am a part of a community
I identify myself with the other customers
I develop relationships with the staff
I socialize
Cognitive
I have the impression that I am learning something
My curiosity is stimulated
I engage in a thinking process
My creativity (new accomplishments or ideas) is stimulated
I am really focused
My attention is captivated
Comportementale
I tend to conduct more bank transactions than planned
I tend to search for information about new products and services
I tend to review my bank accounts
I tend to take an active part in the management of my personal finances
I tend to compare the financial institution's products or services
a
Variance
moyenne
extraite (rvc)
0,57
Alphas/
IFCa
0,79/0,80
0,75
0,95/0,96
0,78
0,95/0,95
0,60
0,90/0,90
0,73
0,93/0,93
0,76
0,76
0,74
0,84
0,83
0,86
0,88
0,86
0,91
0,89
0,81
0,85
0,89
0,93
0,93
0,71
0,76
0,85
0,75
0,76
0,80
0,88
0,92
0,82
0,83
0,82
Le premier chiffre représente l’indice de l’alpha de Cronbach. Le second chiffre représente l’indice de fiabilité composite (IFC).
Tableau 2 : validité discriminante
CONSTRUITS
Qualité de la relation (1)
Affective/Sensorielle (2)
Sociale (3)
Cognitive (4)
Comportementale (5)
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
0,57
0,25
0,09
0,28
0,27
0,75
0,35
0,48
0,46
0,78
0,28
0,34
0,60
0,50
0,73
Variance moyenne extraite sur la diagonale et corrélations au carré entre les construits hors diagonale
La figure 1 présente les résultats standardisés des paramètres du modèle. Les hypothèses
H1, H3 et H4 sont confirmées, H2 infirmée et H5 partiellement acceptée. En effet, les
dimensions « affective/sensorielle », « cognitive » et « comportementale » impactent
positivement la qualité de la relation dans le cas des services mobiles. La dimension
« sociale » influence significativement la qualité de la relation; par contre, son impact négatif
est contraire à ce qui a été attendu. Il se pourrait que les consommateurs vivent moins
agréablement les interactions sociales concernant leurs finances personnelles par ce canal.
L’impact négatif de cette dimension est significativement plus élevé chez les femmes. Celles-
3
ci étant moins confiantes face à leurs décisions financières (Bach, 2000), les plateformes
mobiles ne leur offrent possiblement pas une expérience sociale suffisamment sécurisante.
Figure 1 : résultats
D’un autre point de vue, l’impact de la dimension « comportementale » est
significativement plus élevé chez les hommes. Mettant davantage l’accent sur la tâche (Yang
et Lee, 2010), les hommes sont plus enclins à considérer leur téléphone mobile comme un
appareil pratique favorisant leurs comportements en bancaire (Riquielme et Rios, 2010). Une
expérience client mobile favorisant ces comportements semblerait améliorer les relations.
Cette étude permet donc aux gestionnaires d’améliorer la qualité de la relation avec
leurs mobinautes. À titre d’exemple, chez les femmes, il faudrait humaniser ou personnaliser
les relations via le mobile (ex. : nom du conseiller, utilisation de Facetime) afin de les
rassurer. Chez les hommes, l’accent devrait être mis sur les bénéfices des services (ex. : outils
pratiques tels les outils de comparaison ou le dépôt de chèque en le prenant en photo) pour
une meilleure utilisation des services mobiles.
Conclusion
Cette étude est, à notre connaissance, la première à examiner l’impact des dimensions
l’expérience client mobile sur la qualité de la relation. Par ailleurs, elle intègre l’effet
modérateur du sexe qui est rarement pris en compte au niveau de la littérature en expérientiel.
Elle ouvre donc la voie à d’autres études qui pourraient, par exemple, répliquer le modèle
dans des pays différents, prendre en compte des services mobiles autres que bancaires, et
intégrer d’autres variables modératrices tels l’âge ou l’origine ethnique des consommateurs.
Références
Brakus J. J., Schmitt B.H. et Zaranonello L. (2009), Brand experience: what is it? How
is it measured? Does it affect loyalty?, Journal of Marketing, 73, 3, 52-68.
Bach, D. (2000), Targeting investment wary women: Schwab and fidelity start-up
4
programs to counteract investment fear, American Banker, 165,194, 1.
Brocato D.E., Voorhees C.M. et Baker J. (2012), Understanding the influence of cues
from other customers in the service experience: a scale development and validation, Journal
of Retailing, 8, 3, 384-398.
Brun I., Rajaobelina L. et L. Ricard. (2014), Online relationship quality: scale
development and initial test, International Journal of Bank Marketing, 32, 1, 5-27.
Crosby L.A., Evans K.R. et Cowles D. (1990), Relationship quality in services selling:
an interpersonal influence perspective, Journal of Marketing, 54, 3, 68-81.
Fornell C. et Larcker D. (1981), Evaluating structural equations models with
unobservable variables and measurement error, Journal of Marketing Research, 18, 1, 39-50.
Garg R., Rahman Z. et Qureshi M.N. (2014), Measuring customer experience in banks:
scale development and validation, Journal of Modelling in Management, 9, 1, 87-117.
Gentile C., Spiller N. et Noci G. (2007). How to sustain the customer experience: an
overview of experience components that co-create value with the customer, European
Management Journal, 25, 5, 395-410.
Ha K.-H., Canedoli A., Baur, A.W. et Bick M. (2012), Mobile banking — insights on
its increasing relevance and most common drivers of adoption, Electronic Markets, 22, 4,
217-227.
Ha H. et Perks H. (2005), Effects of consumer perceptions of brand experience on the
web: Brand familiarity, satisfaction and brand trust, Journal of Consumer Behaviour, 4, 6,
438-452.
Hennig-Thurau T. et Klee A. (1997), The impact of customer satisfaction and
relationship quality on customer retention: a critical reassessment and model development,
Psychology & Marketing, 14, 8, 737-764.
Lee S.A. et Jeong M. (2014), Enhancing online brand experiences: An application of
congruity theory, International Journal of Hospitality Management, 40, 49-58.
Market Force Information, (2015), US banking: consumer experiences and competitive
benchmarks. Rapport du mois de novembre.
Morgan R. et Hunt S. (1994), The commitment-trust theory of relationship marketing,
Journal of Marketing, 58, 3, 20-38.
Nysveen H., Pedersen P.D. et Thorbjørnsen H. (2005), Explaining intention to use
mobile chat services: moderating effects of gender, Journal of Consumer Marketing, 22, 4/5,
247-257.
Palmatier, R. W., Dant, R. P., Grewal, D. et Evans, K. R. (2006), Factors influencing
the effectiveness of relationship marketing: a meta-Analysis, Journal of Marketing, 70, 4,
136-153.
Pine B. J. et Gilmore J.H. (1998), Welcome to the experience economy, Harvard
Business Review, 76, 4, 97-105.
Richins M.L. (1997), Measuring emotions in the consumption experience, Journal of
Consumer Research, 24, 2, 127-146.
Riquelme H.E. et Rios R.E. (2010), The moderating effect of gender in the adoption of
mobile banking, International Journal of Bank Marketing, 28, 5, 328 – 341.
5
Schmitt B.H. (1999), Experiential Marketing, New York, NY: Free Press.
Shaikh A. et Karjaluoto H. (2015), Mobile banking adoption: a literature review,
Telematics and Informatics, 32, 1, 129-142.
Wu M. et Tseng L. (2015), Customer satisfaction and loyalty in an online shop: an
experiential marketing perspective, International Journal of Business and Management, 10, 1,
104-114.
Yang K. et Lee H.-J. (2010), Gender differences in using mobile data services:
utilitarian and hedonic value approaches, Journal of Research in Interactive Marketing, 4, 2,
142-56.
6