Portrait, Sébastien Repond, Le Matin Bleu ALAIN LEVY, LE
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Portrait, Sébastien Repond, Le Matin Bleu ALAIN LEVY, LE
Portrait, Sébastien Repond, Le Matin Bleu ALAIN LEVY, LE DANSEUR BLANC CONGOLAIS Depuis plus de 20 ans, ce Français remporte des concours de danse dans les festivals de Brazzaville et de Kinshasa. Blanc, juif, 46 ans, cadre dans une entreprise de matériel médical, à chaque apparition sur scène il laisse les spectateurs stupéfaits par sa maîtrise du ndombolo et de ses multiples variantes. Yaya Loketo est le nom de scène d’Alain Lévy. En lingala, yaya signifie «grand frère» et loketo «hanches». Pour comprendre cet étonnant surnom il faut voir le quadragénaire blanc bouger en rythme, au milieu de danseuses et musiciens congolais. Le principe de son spectacle est très simple: son costume d’or et son masque ne laissant voir aucune surface de peau, il entame des pas de soukouss, de kwassa kwassa, de souléma ou d’autres variations de danse congolaise. Et lorsqu’il tombe le masque, c’est l’«électrochoc positif». Attablé dans un café de Genève, il raconte que «cet été au Festival panafricain de musique à Brazzaville, les gens n’y croyaient pas. Ils disaient «C’est de la folie, il danse tellement bien qu’on n’aurait jamais cru que c’était un Blanc!» Des spectateurs sont venus me voir après, certains étaient très émus.» Quand il raconte cela, on croirait qu’il va s’envoler. Il a l’allure d’un cadre commercial. Front dégarni, il manque d’épaisseur mais on sent tout de suite qu’il avance dans la vie le cœur léger. Qu’il aime parler. «Il faudra m’arrêter parce que sinon ça va durer des heures!» Mais ça glisse, ça avance sans effort. Cette capacité de danser, de «résonner», qui lui est venue «de nulle part», il insiste, il en a fait un moyen de lutte contre les préjugés. Parce que «l’idée que les Noirs ont le rythme dans le sang est raciste». Il accélère encore, monte le ton. «Je fais éclater les barrières noir/blanc. C’est tellement bon de faire des projets entre humains! Dans les concours, le jury et tous les danseurs sont Noirs. En Afrique du Sud, j’étais le seul Blanc de tout le stade! Vous vous rendez compte? Dans le pays de l’Apartheid, ce n’est pas anodin. Et cet été, le gouvernement congolais m’a invité, tout frais payés, comme «danseur congolais». Mais pourquoi les médias français n’ont-ils pas plus parlé de son projet? Tout juste trouvé un texte sur le blog Bondy, cet ovni journalistique du nom de la cité parisienne, lancé lors des émeutes de novembre dans «les banlieues» comme ils disent. On s’interroge sur l’écart entre la culture populaire en Europe et en Afrique. Quelque chose au fond de nous murmure que son enthousiasme béat, sa joie de parler de ce talent qui lui est «tombé dessus», que tout ça est vain. «Je ne corresponds pas à l’image que les médias veulent donner. Je ne rentre dans aucun cadre. Et il n’y a pas d’explication rationnelle à ma capacité de danser.» Mais comment les gens réagissent-ils en France, l’électrochoc positif ne marche-t-il pas que dans un sens finalement? «Avec mon groupe on était allé à l’anniversaire d’une amie. Je leur avais dit que l’ambiance serait sans doute assez calme, parce que personne n’avait jamais vu de spectacle de danse congolaise. Qu’il fallait prendre ça comme une répétition… Mais ça a mis une ambiance incroyable!» Ses yeux se rallument «J’ai un copain qui fait des petits paris avec les gens qui voient le spectacle pour la première fois. Ils mettent par exemple 5 francs sur la couleur de ma peau. Et ils perdent bien sûr.» Cette tromperie, ce bon tour joué au hasard de notre arrivée sur Terre, lui apportent une joie enfantine. Est-ce un rêve ou la radio du café rediffuse-t-elle à ce moment-là «Né quelque part» de Maxime Le Forestier? «On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille, on choisit pas non plus les trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger pour apprendre à marcher». Lui, il continue, inépuisable. «Il n’y a pas d’explication à ma capacité, c’est ce qui déstabilise. S’il y en avait une ce serait peut-être trop facile de dire: «Oui c’est parce qu’il a grandi en Afrique c’est normal.» Mais j’ai toujours vécu en France, je suis nul en sport, je n’ai jamais joué d’instrument, ma femme n’est pas Africaine. J’ai des potes congolais qui ne savent absolument pas danser. On plaisante ensemble sur le fait que je n’ai jamais demandé à pouvoir danser comme ça, que rester un simple Blanc était plus confortable… Bref, encore une fois c’est une imbécillité de dire que les Noirs ont ça dans le sang. Une fois j’avais fait un passage sur France 2. David Douillet, ancien champion du monde de judo, était invité lui aussi ce jour-là. Mais il n’avait rien compris. Il disait «Lui il danse bien mais sinon les Noirs dansent mieux que les Blancs.» Je sais pas s’il a pris trop de coups dans son sport ou quoi… J’ai essayé de comparer ça au fait que le judo est une tradition japonaise et que lui en tant que «Normand» comme il disait, avait dû ressentir un plaisir particulier à s’imposer malgré tout. Mais rien à faire il ne comprenait pas. Il faudrait penser à faire des tapis de judo plus épais pour limiter les dégâts au cerveau.» Il rit de bon cœur. Pas fâché par ce souvenir, par l’échec de sa démonstration. Aucune amertume chez lui, il croit en la force de son exemple. «Ce qui est intéressant, c’est le message de tolérance de mon projet. Parce que le racisme se porte toujours bien en Europe. La France se sclérose. Les tests ADN, le discours sur l’Afrique de Nicolas Sarkozy, ça fait peur.» Mais comment un commercial peut-il avoir une telle conscience politique, pense-t-on spontanément? S’il n’y a pas d’explication pour la danse, y en aurait-il une pour ce discours militant? «Je suis un Juif d’Algérie. Mon père s’est fait virer de l’école avant de venir en France. Un cousin qui avait eu la mauvaise idée de déménager à Paris avant la guerre est mort à Auschwitz. Aujourd’hui on refuse l’intégration à des millions de Musulmans mais il faudrait que les Juifs se rappellent qu’il n’y a pas si longtemps c’était eux qu’on refusait. Certains ont la mémoire courte il me semble.» Tout à coup il est moins léger. Pas grave non plus. Mais sérieux. «Il y a tellement de peurs et de frayeurs chez les gens. Mais je ne peux pas tout faire hein? Alors je m’en tiens à la danse. Ce que je souhaite avec mon spectacle, c’est que les gens vivent l’expérience d’un partage. Après je les laisse arriver à leur propre conclusion.» © Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux, réalisés dans le cadre de la formation, ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion.