La diffusion de la littérature espagnole en France à l`époque du

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La diffusion de la littérature espagnole en France à l`époque du
Frédérique Muscinési
La diffusion de la littérature espagnole en France
à l’époque du franquisme
.
Introduction :
La littérature espagnole en France a souffert d’une ignorance dont elle a peine aujourd’hui
encore à sortir. Il suffit de se balader entre les rayons d’un libraire française pour confirmer le
constat que Donato Pelayo dès 19631, Aline Angoustures en 19882, ou Juan Goytisolo en 20013
faisaient au sujet de son évidente absence. Attachée personnellement à l’Espagne et à sa littérature,
je voulais trouver les raisons de cette méconnaissance. Je mobilisais mes outils de chercheur, mes
connaissances du pays, et plongeais dans l’histoire de l’édition et de la littérature espagnole. Il y
avait sûrement un moment historique capable d’expliquer, ou de cristalliser particulièrement les
raisons de cette durable absence à peine nuancée pendant quelques années.
J’avais parié dès les prémices de mon questionnement, que la réponse se trouvait en partie dans
l’exploration du franquisme. Car cette époque constitue le point de départ indépassable de l’histoire
contemporaine espagnole. Et par conséquent, celui de l’histoire du roman espagnol contemporain,
du moins celle de sa diffusion en France.
L’histoire de l’édition française fournissait naturellement d’autres éléments de réponse. L’évolution
des enjeux commerciaux, celle des entreprises, et la croissance du secteur éditorial français éclairent
partiellement la transformation de la diffusion de la littérature espagnole en France. Ces facteurs
explicatifs toutefois peuvent s’appliquer à toute autre littérature. L’intérêt de l’analyse du cas
espagnol procède donc de sa spécificité.
L’histoire politique de l’Espagne au XX ème siècle se cristallise autour de la période du
franquisme. Le livre espagnol, depuis son élaboration jusqu’à sa diffusion, s’inscrit dans le cadre
d’un régime politique dictatorial. Les règles et le contrôle imposés par le régime deviennent donc
des paramètres indispensables pour conduire une réflexion. Dans l’histoire de l’évolution de la
diffusion de la littérature espagnole, la période franquiste complexifie le phénomène éditorial et
procure à l’édition un sens politique accru. C’est pourquoi la dictature est peut-être une période
intéressante pour comprendre l’ignorance prolongée de la littérature espagnole en France. Le
régime l’aurait-il occultée ? Ou bien l’aurait-il promue ? Est-il responsable de son absence dans le
paysage éditorial français ?
Plusieurs études ont déjà été faites sur la littérature espagnole sous le franquisme4, mais aucune
selon la perspective transnationale, et éditoriale. Il n’empêche que l’ensemble des ces ouvrages
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“Un lyrsime qui accuse”, Donato Pelayo, Actuelles, 1963.
Angoustures, Aline, L’opinion publique française et l’Espagne, 1945/1976, 1988. (thèse)
Goytisolo, Juan, Memorias, Península, Barcelona, 2002, p. 410.
Pour ne citer que des oeuvres majeures : Abellán, Manuel, El exilio español, deux vol., Biblioteca política, Taurus,
Barcelona, 1976. Abellán, Manuel L., Censura y creación literaria en España, 1939/1976, Península, Barcelona,
1980. Mainer, José Carlos, Falange y literatura, colección textos hispánicos modernos, Labor S.A., vol 14,
Barcelona, 1971. Gracia, Jordi, La resistencia silenciosa, fascismo y cultura en España, Anagrama, colección
argumentos, Barcelona, 2004.
laissent transparaître le même triste constat, celui d’une culture appauvrie par un Etat autoritaire.
Cette étude se propose donc, en mettant en relation les deux espaces que sont la France et
l’Espagne, et leur régime politique respectif, d’approcher autrement l’histoire du livre espagnol. Car
dans cette perspective se rencontrent ainsi des éditeurs espagnols et d’autres français aux objectifs
peut-être différents, des textes espagnols et des lecteurs français, des intérêts politiques et d’autres
commerciaux.
La mise en branle de ces divers agents s’effectue au cours des années 1950 alors qu’un courant
littéraire, celui du roman dit « réaliste » s’affirme en Espagne. L’étude spécifique de ce phénomène
rend évidente cette « rencontre » éditoriale qui favorisa la diffusion de la littérature espagnole. Elle
permet aussi d’analyser les conditions de son développement, et de mesurer enfin la réussite ou
l’échec de cette diffusion littéraire qui fut en même temps diffusion d’une certaine image de
l’Espagne et de la nouvelle génération d’écrivains espagnols. Et ce changement s’inscrit dans une
évolution générale de la société espagnole et du régime franquiste.
La relative ampleur de ce sujet tient donc au choix d’imbriquer deux espaces autour d’un
objet : le livre. Or, ce dernier est complexe car il est à la fois un produit commercial, esthétique et,
dans ce cas présent, politique. Par conséquent, il a fallu commencer la recherche par une mise au
point sur l’historiographie relative au monde de l’édition et à la diffusion du livre. Ce premier
travail a abouti à l’élaboration d’une bibliographie bilingue. Une autre étape importante a concerné
la recherche de sources disponibles sur la question, dont la consultation s’est avérée difficile.
J’ai donc choisi d’exposer d’abord les conditions éditoriales espagnoles et les cadres de
l’élaboration du livre en Espagne, sous le franquisme, afin de percevoir les enjeux qui pouvaient
résider dans l’écriture, la publication et la diffusion d’un roman espagnol à l’étranger.
Ensuite, j’ai voulu rendre compte de l’état de la diffusion du roman espagnol en France au début de
la période étudiée afin de détacher l’ampleur de l’émergence du roman réaliste. Ce courant nouveau
a ainsi mérité toute mon attention et je me suis efforcée de faire surgir son sens à travers une
recherche précise sur les acteurs de sa diffusion.
Enfin, puisque tout paraissait indiquer que le roman espagnol avait été diffusé à partir des années
1950 assez abondamment, il fallait cherché à mesurer sa part dans l’édition française, son impact
sur le public français, et à terme, son succès.
Ainsi, par cette étude, me suis-je d’abord attachée à comprendre l’absence du roman espagnol dans
le paysage éditorial français avant et après le franquisme. Puis, le but fut de restituer le plus
objectivement possible le rôle et le sens du livre qui passa la frontière française à cette époque. Car
il ne peut jamais être simple véhicule d’une idée politique, ni chef-d’œuvre incommunicable, encore
moins symbole pur de l’engagement de l’écrivain. La nécessité de ce travail fut de faire apparaître
un livre vrai, produit d’un commerce, d’un art, et d’un engagement.
Chapitre 1 : Mise au point méthodologique
La recherche documentaire entreprise a révélé que ce sujet ne se rattachait pas à une
tradition historiographique ancienne.
Comme le mentionne l’introduction, je me suis efforcée dans cette étude de considérer le
livre comme objet d’un commerce et messager d’un discours. Par conséquent, ce sont les maisons
d’édition, les réseaux internationaux, et les canaux de diffusion plus ou moins concrets, plus ou
moins licites, qui m’ont intéressés. Or, le propre d’une maison d’édition est de se cacher derrière
son catalogue, de vendre ses auteurs, d’exhiber une nouveauté, en occultant totalement les
processus éditoriaux qui ont mené à sa publication. Par conséquent, les historiens ont souvent fait
une histoire culturelle sans prendre en compte les maisons d’édition.
Il existe pourtant des ouvrages s’intéressant à ce monde. Ils ont trait à la Renaissance, quand
l’Humanisme rencontra l’imprimerie pour devenir un mouvement refondateur de l’ensemble de la
culture et de la pensée occidentales. On peut citer l’ouvrage de Martin Lowry sur l’éditeur par
excellence que fut Alde Manuce5, et qui suscita tant d’intérêt qu’un historien espagnol, Enric Satué,
lui consacra un autre ouvrage6. Bien d’autres encore parlent de ce personnage fondamental pour le
livre et l’édition.
Du côté français, un certain intérêt pour l’histoire de l’édition semble avoir commencé avec l’étude
de Pierre Assouline, journaliste et romancier, consacrée à Gaston Gallimard7. Récemment, grâce à
l’aide de l’IMEC8, quelques chercheurs français et étrangers ont fait paraître d’intéressantes études
sur des maisons oubliées. C’est le cas de Béatrice Mousli avec Les éditions du Sagittaire9, de
Bernard Gheebrant avec Le club des librairies de 1953 à 1966, de François Lachenal avec L’édition
des trois collines, Genève-Paris, ou encore Pierre Fouché avec Au sans pareil.
Mais, dès qu’il s’agit de travailler sur des maisons d’édition encore en fonctionnement les
difficultés se multiplient, ce qui n’encourage pas aux travaux de recherche.
De plus, la perception du livre s’est traditionnellement résumée à celle d’une œuvre d’art,
bénéficiant d’une forme d’admiration souvent stérile, ou étant disséquée par des critiques acharnés à
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Lowry, Martin, Le monde d’Alde Manuce : imprimeurs, hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la
Renaissance, Edition du Cercle de la librairie, Paris, 1989.
Satué, Enric, El diseño de libros del pasado, del presente, y tal vez del futuro : la huella de Aldo Manuzio, col.
Biblioteca del libro, Fundación Germán Sánchez Ruiperez, Madrid, 1998.
Assouline, Pierre, Gaston Gallimard, un demi-siècle d’édition française, Points, Seuil, Paris, 1984.
Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine fondé en 1988, il détient depuis 1996 un centre d’archives et un
service de publication. Il se trouve depuis 2004 à Caen et est ouvert aux chercheurs.
Mousli, Béatrice, Les éditions du Sagittaire, publication de l’IMEC, Paris, 2003.
y confirmer leur thèse. La majorité des historiens y ont cherché et y cherchent encore des
témoignages vivants d’écrivains engagés, exilés, sûrs qu’ils sont de la sincérité de l’écriture,
établissant des liens directs inexistants entre littérature et expérience. C’est le cas de nombreux
ouvrages, souvent remarquables et fondamentaux, comme ceux de José Luis Abellán 10 et de José
Carlos Mainer11, tous deux à l’origine d’un véritable courant historiographique sur le thème de
l’engagement des écrivains espagnols, repris actuellement par Jordi Gracia dans La resistencia
silenciosa12. En Espagne, comme en France, le monde de l’édition a été progressivement découvert.
Xavier Moret13 a publié récemment une histoire de l’édition sous le franquisme, fort utile. Jordi
Gracia lui-même cite dans El País du 9 avril 200514 les mémoires d’Esther Tusquets comme dignes
d’un grand intérêt. Cependant, c’est sous forme de monographies ou bien de Mémoires que l’on
peut lire l’histoire de l’édition. Les autobiographies de Carlos Barral15 et de Juan Goytisolo16, par
exemple, donnent à cette histoire de l’édition des airs parfois anecdotiques, qu’il faut absolument
prendre en considération car c’est dans la « petite histoire » que se jouèrent les contrats d’édition
qui firent entrer dans la « grande» un nombre important de romans. Pour que l’édition devienne un
vrai domaine de l’histoire il faut encore exiger qu’on lui confère une problématique systématique, et
que l’on reconnaisse son rôle indispensable dans la création du livre, et dans l’ensemble de la
société. Le catalogue d’exposition Ruedo Ibérico, un desafío intelectual17 exhibe cette valeur-ci de
l’édition grâce à une étude véritablement historique, unique exemple d’un tel travail au sujet d’une
maison d’édition espagnole. Il faut d’ailleurs citer le remarquable site internet fait par Marianne
Brüll18 sur la maison, mine inestimable de documents.
Ainsi, l’histoire de l’édition au XX e siècle d’un côté et de l’autre des Pyrénées est en passe de
devenir un véritable domaine d’investigation.
Ceci étant dit, ce n’est pas de cette façon si apparemment méthodique que mon travail
commença. Ce fut beaucoup d’empirisme pour débuter un travail presque inédit. Pour pallier les
permanentes hésitations et déceptions inhérentes à tout travail de recherche, et particulièrement à
celui-ci, les chercheurs aiment à présenter systématiquement les évolutions apparemment logiques
des investigations, qui souvent n’avancent que par à-coups au gré de coups de chance. J’ai donc
voulu présenter par étapes les aspects bibliographiques les plus intéressants de ce travail, pour ce
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El exilio español, cf note 4.
Mainer, José Carlos, Falange y Literatura, Labor, Barcelona, 1971. Literatura y pequeña burgesía en España,
Cuadernos para el diálogo, Madrid, 1972. La doma de la quimera: ensayos sobre nacionalismo y cultura en España,
Prensas de la Universidad de Barcelona, Barcelona, 1988.
Gracia, Jordi, La resistencia silenciosa, Anagrama, colección argumentos, Barcelona, 2004.
Moret, Xavier, Tiempo de editores, Historia de la edición en España, 1939/1975, Destino, Barcelona, 2002.
El País, 9/04/2005, magazine Babelia, Rubrique “El libro de la semana”, “Un modo de hacer libros”, Jordi Gracia.
Barral, Carlos, Memorias, Años de penitencia, Los años sin excusa, Cuando las horas veloces, Península, Barcelona
2001.
Goytisolo, Juan, Memorias, Coto vedado, En los reinos de Taifa, Península, Barcelona, 2002.
Ruedo Ibérico, un desafío intelectual, Residencia de los Estudiantes, Madrid, 2004.
http://ruedoiberico.org
qui est du reste, on s’en remettra directement à la bibliographie.
En effet, pour commencer cette réflexion, il fallait pouvoir se mouvoir avec assurance dans le
contexte politique, social et culturel des deux pays. Ce fut chose faite avec les ouvrages de référence
à ce sujet, inscrits sans surprise dans cette bibliographie espagnole et française. Un gros plan sur la
culture, et l’industrie culturelle à cette époque fut nécessaire, ainsi que le traitement de sources
officielles qu’il fallait donc manier avec précaution. Une fois construite ma perception de la culture
sous le franquisme, je m’arrêtais au livre, le vrai objet. D’abord approchant simplement les courants
littéraires, et les œuvres majeures de la période, ensuite en les plongeant dans le contexte politique
lourd de leur création. Je devais étudier précisément la censure, ses rouages, ses perversions, et ses
contraintes.
Pour le moment, rien de très original.
Mais mon ambition de percer à jours les processus éditoriaux de l’époque, et surtout ceux qui
permettaient le passage de textes espagnols en France, me firent découvrir et mettre en scène le
monde de l’édition, constitué de réseaux et de rencontres passant outre les frontières, et les
instruments qu’il avait à sa disposition.
D’autre part, je m’appuyais sur de brillants ouvrages, que je renforçais par la lecture des œuvres
elles-mêmes, qui découvraient l’importance du roman réaliste comme forme d’opposition au
franquisme. Or, et c’était bien là la nouveauté, la découverte, le roman réaliste fut le type de roman
par excellence traduit en France.
Le sujet se définissait, mon questionnement faisait sens, précisément dans cette rencontre entre un
courant littéraire comme expression d’un refus politique publié hors de ses frontières.
Quelle véritable force de contestation portaient les mots de ces romans ? Geneviève Champeau,
spécialiste du roman réaliste, propose une interprétation très intéressante de l’importance de la
dissidence exprimée dans le roman réaliste avec Les enjeux du réalisme dans le roman sous le
franquisme19, qui sont encore explorés par cette historienne dans le Bulletin d’histoire
contemporaine n°24, et, dans ce même numéro, par Jean Pierre Rosso avec l’article « De La vida
nueva de Pedrito de Andía à Alfanhuí : l’impossible retour en arrière, un imaginaire partagé et
scindé ». Jordi Gracia enfin, utilise la même hypothèse pour aborder un autre aspect de la résistance
qui serait d’après lui le silence dans La resistencia silenciosa, fascismo y cultura en España20. Je me
suis donc servi de ces brillantes analyses pour aborder le plus justement possible les romans
réalistes dès leur première lecture.
Ces livres d’opposition furent publiés en France. Je me demandais comment la machinerie de
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20
Champeau, Geneviève, Les enjeux du roman sous le franquisme, bibliothèque de la Casa de Velzaquez, t.12, édition
Casa de Velazquez, Madrid, 1993.
Gracia, Jordi, La resistencia silenciosa, fascismo y cultura en España, Anagrama, colección argumentos, Barcelona
2004.
contrôle du régime permettait de telles publications à l’étranger, diffusant l’image antinomique
prônée par le régime. Je m’immergeais alors dans les papiers de l’époque pour retracer les
possibilités de l’édition espagnole de cette époque. J’ai d’abord consulté l’ouvrage enquête de
Fernando Cendán Pazos, Edición y comercio del libro español 1900/197221, riche de
renseignements utiles. De même la publication intitulée El contrato de edición o los derechos y
obligaciones de autor y editor22 n’est rien d’autre que le règlement des contrats d’édition déjà
présent dans la loi de 1938, les bilans dressés directement par l’INLE et publiés à Madrid. Puis je
recueillais de précieux renseignements dans Los libros y su exportación de 1973, Libro de Actas de
la asamblea general del libro, recopilación de los usos y costumbres observados en dicho comercio
de 1972, Comisión interministerial para el estudio de los problemas del libro español,
conclusiones, et Acción cultural y del libro23. Heureusement, que quelques articles scientifiques,
comme celui d’Irène da Silva, « Deux collections bréviaires de la Editora Nacional dans les années
40 »24, m’aidèrent à me faire une idée de l’édition espagnole de l’époque, encore peu explorée
historiquement. Seul Xavier Moret avec Tiempo de editores, Historia de la edición en España,
1939/197525, s’est préoccupé de cette histoire.
Il restait encore tout la part française à explorer pour embrasser complètement le sujet.
Comment les Français percevaient ils l’Espagne ? Et quels Français s’en préoccupaient ? La thèse
d’Aline Angoustures26, est l’unique travail, déjà un peu daté, qui permet de répondre en partie à
cette question, avec quelques rares articles comme ceux recueillis dans la revue Ayer n° 50 et 5427.
Grâce à La guerre civile espagnole et la littérature française, et à La guerra civil española en la
novela, bibliografía comentada28, travaux de Maryse Bertrand de Muñoz qui remontent aux années
1970, j’ai fait le tour des ouvrages espagnols, et français qui ont traité du thème de la guerre civile
et des différences chronologiques comme thématiques fort révélatrices de la perception de la guerre
civile en France, et chez les écrivains français.
21
Cendán Pazos, Fernando, Edición y comercio del libro español: 1900/1972, Editora nacional, Madrid, 1972.
Lasso de la Vega, Javier, El contrato de edición o los derechos y obligaciones de autor y editor, artes gráficas,
Madrid, 1949.
23
Ministerio de información y turismo, Comisión interministerial para el esutdio de los problemas del libro español,
conclusiones, Madrid, Mai 1968. Acción cultural y del libro, Madrid, 1970.
24
Bulletin d’histoire de l’Espagne contemporaine, n°24, Da Silva, Irène, “Deux collections bréviaires de la Editora
Nacional dans les années 40”.
25
Moret, Xavier, Tiempo de editores, Historia de la edición en España, 1939/1975, Destino, Barcelona, 2002.
26
Angoustures, Aline, L’opinion publique française et l’Espagne, 1988, (thèse).
27
Ayer, n°50, La guerra civil, Marcial Pons, Madrid, 2003.
Ayer, n°54, Las brigadas internacionales, Marcial Pons, Madrid, 2005.
28
Bertrand de Muñoz, Maryse, La guerre civile espagnole et la littérature française, bibliothèque nationale du
Québec, Didier, Québec, 1972.
Bertrand de Muñoz, Maryse, La guerra civil española en la novela, bibliografía comentada, Tome I et II, Ediciones
José Porrúa Turanzas, Madrid, 1982.
22
Une fois éclairée, la situation du livre et de l’édition en Espagne, il fallait consulter des
ouvrages sur la politique culturelle en France afin de savoir si la diffusion ou non diffusion du livre
espagnol pouvait procéder d’un choix ministériel. D’autant que Malraux, vétéran de la guerre
d’Espagne, fut ministre de la culture du général De Gaulle en 1959. Avec André Malraux Ministre29,
et Les affaires culturelles au temps d’André Malraux, 1959/196930, je me rendis vite compte de
l’absence totale de corrélation. Pour m’en assurer j’ajoutais la lecture de La politique culturelle en
France31. Les politiques culturelles françaises n’ont pas favorisé la diffusion du livre espagnol.
L’absence d’aide en direction des maisons d’édition en général, m’imposait d’aller directement voir
au sein des maisons d’édition. Sur l’édition française, de nombreux ouvrages, toujours un peu
éloignés de mon centre d’intérêt, servaient à poser les cadres fondamentaux de l’édition sans jamais
livrer véritablement les informations attendues. Les ellipses ou les allusions étant les modes les plus
employés pour parler de l’édition, il me fallut, à petit pas, croisant toutes les informations partielles
et ponctuelles recueillies, reconstruire une sorte de paysage de l’édition française de l’époque autour
de quelques grandes figures. D’où l’importance des biographies, comme Valéry Larbaud et la
littérature de son temps32, Valéry Larbaud33, Roger Caillois34, ou des ouvrages autobiographiques,
comme Les abeilles et la guêpe35. Enfin, je me reportais à des études monographiques des maisons
d’édition précises comme Gaston Gallimard, un demi-siècle d’édition de Pierre Assouline36, La
table ronde : une aventure singulière de Patrick Louis37, ou encore Les éditions du Sagittaire,
1919/1979, de Béatrice Mousli et François Laurent38.
Tout ce que je voyais c’était toujours cette étrange absence que je m’expliquais encore mal. La
littérature hispano-américaine avait-elle pu occulter la littérature espagnole ? J’étudiais donc le livre
de Claude Cymerman et de Claude Fell, Histoire de la littérature hispano-américaine de 1940 à
nos jours 39, et celui de Sylvie Morroy, La diffusion de la littérature Hispano-américaine en France
au XX e siècle40.
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Documentation française, André Malraux, Ministre, journées d’étude des 30 novembre et 1° décembre 1989, comité
d’histoire du ministère de la culture, Paris, 1996.
Girard, Augustin, Gentil, Geneviève, Les affaires culturelles au temps d’André Malraux, 1959/1969, comité
d’histoire du ministère de la culture, centre de la documentation française, Paris, 1996.
UNESCO, La politique culturelle en France, collection politiques culturelles : études et documentations, 1981.
Association internationale des amis de Valéry Larbaud, Valéry Larbaud et la littérature de son temps, actes du
colloque de Vichy (17-19 juin 1977), librairie C. Klincksieck, publié avec le concours du centre national des lettres,
1978.
Mousli, Béatrice, Valéry Larbaud, collection les grandes biographies, Flammarion, Paris, 1998.
Felgine, Odile, Roger Caillois, Stock, Paris, 1994.
Maspéro, François, Les abeilles et la guêpe, Points, Seuil, Paris, 2002.
Assouline, Pierre, Gaston Gallimard, un demi-siècle d’édition française, Points, Seuil, Paris, 1984.
Louis, Patrick, La table ronde : une aventure singulière, édition de la table ronde, Paris, 1992.
Mousli, Béatrice, Laurent, François, Les éditions du Sagittaire, 1919/1979, édition de l’institut de l’édition
contemporaine, Paris, 2003.
Cymerman, Claude, Fell, Claude, Histoire de la littérature hispano-américaine de 1940 à nos jours, collection fac.
Littératures étrangères, Nathan, Paris, 1997.
Morroy, Sylvie, La diffusion de la littérature hispano-américaine en France au XX e siècle, publication de la faculté
de Lettres et Sciences humaines de Paris Sorbonne, série “Recherches”, Tome 68, Paris, 1972.
Dans la même perspective, je me demandais si le film avait pu lui aussi être un concurrent de la
littérature et surtout sur quel mode il avait traité la politique et la guerre civile, afin de comprendre
les particularités de la diffusion romanesque. J’utilisais l’ouvrage Le cinéma espagnol des origines
à nos jours de Emmanuel Larraz41, pour avoir une perception générale de son évolution, complétée
par Histoire du cinéma espagnol de Jean Claude Seguin42 et La guerre d’Espagne au cinéma de
Marcel Oms43.
L’ensemble de ces ouvrages m’a permis de dresser la toile de fond de la recherche. Certains
constituèrent des références, d’autres n’apportaient que de légères précisions. La multiplication des
thèmes de cette bibliographie témoigne de la variété des pistes de recherche qu’il a fallu trouver
pour définir enfin les cadres du sujet. Certaines voies se soldèrent par un intérêt en réalité très
limité, quand d’autres furent les points de départ à partir desquels je pouvais affiner la
problématique de cette étude, comme la découverte du rôle de deux personnages fondamentaux
pour la diffusion de la littérature espagnole en France, Juan Goytisolo et Carlos Barral, dont les
Mémoires respectifs furent de précieuses et irremplaçables sources d’information.
Les domaines de la recherche ainsi établis, je me tournais vers la collecte infiniment plus difficile
des sources.
La difficulté était attendue en partie puisque le travail concernait deux espaces, et que
nécessairement certaines sources se trouvaient en France, d’autres en Espagne. Mais les difficultés
se sont accrues, sans que je m’en doute au début, simplement car je m’attaquais au monde éditorial.
Le secret est de mise dans ce type d’activité, et les archives ne sortent pas des maisons. J’ai donc
tenté d’établir des contacts et d’entrer dans les maisons d’édition. Ce fut beaucoup de temps
mobilisé souvent vainement, et de déplacements, Paris, Caen, Madrid, Marrakech, pour enfin
trouver quelque archive ou collecter un témoignage oral. Par chance, des hommes et femmes
compréhensifs ont permis l’avancée de cette recherche. Jean François Geze, directeur de la maison
d’édition La Découverte, ancienne maison François Maspéro, nous a procuré le catalogue de cette
dernière maison, et donné l’adresse de François Maspéro lui-même. Mais François Maspéro n’a
oeuvré que de loin pour le roman espagnol. Je complétais cependant ces informations par la
consultation à l’IMEC à Caen de certains dossiers de presse d’ouvrages publiés par cette maison 44.
Je pus aussi avoir une correspondance avec la traductrice Fanchita Gonzalez Battle et directrice de
collection de « Voix » chez Maspéro. Par le biais de l’association des amis de Roger Caillois, je
réussissais à joindre les descendants de Roger Caillois fort disposés à m’aider. Mais Roger Caillois
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44
Larraz, Emmanuel, Le cinéma espagnol des origines à nos jours, collection 7° art, les éditions du cerf, Paris, 1986.
Segun, Jean-Claude, Histoire du cinéma espagnol, collection 128, Nathan, Paris, 1994.
Oms, Marcel, La guerre d’Espagne au cinéma, collection 7° art, Les éditions du cerf, Paris, 1986.
Dossiers de presse, Fonds Maspéro/La découverte, DEC25Ndec2sl-B008.D3
n’était pas directement lié à la littérature espagnole. A Lille, je rencontrais Pierre Assouline, auteur
de Gaston Gallimard, un demi-siècle d’écriture qui m’encouragea dans cette recherche mais avoua
qu’il était incapable de faire ouvrir les archives des maisons d’édition, qui restaient en général
largement inaccessibles. Une correspondance par courrier électronique avec l’écrivain José Jimenez
Lozano a permis d’aborder son expérience de la censure des articles de journaux. En revanche, il ne
m’a apporté aucun témoignage pour la littérature, n’ayant jamais eu à subir les foudres de la
censure, mais ces quelques mots échangés donnèrent de nouvelles perspectives à mon travail, et une
résonance plus concrète.
Enfin, la seule maison d’édition de l’époque manifestant une réelle volonté de faire connaître ses
choix et son rôle à cette époque fut Ruedo Ibérico. Le site internet de Marianne Brüll45 est
exemplaire. On y trouve des documents bruts en très grande quantité. Cas particulier du monde
éditorial perturbé de l’Espagne, puisque cette maison espagnole était à Paris, elle ne relève toutefois
pas absolument du cœur du sujet.
Toutes ces difficultés montrent l’imperméabilité du monde de l’édition, et malgré de nombreux
contacts liés personne ne semblait vraiment avoir quelques chose à dire, personne ne semblait avoir
participé à la diffusion du roman espagnol en France. Fallait-il que mon sujet n’ait donc jamais
suscité d’intérêt, ou que la diffusion de la littérature espagnole soit extrêmement limitée ?
Puisque les témoignages directs ne portaient aucun fruit, puisqu’il était difficile de reconstituer
l’itinéraire du roman espagnol en France, j’entrepris de dépouiller des périodiques, comme Acento
cultural, Insula et La estafeta literaria46. C’est là qu’est apparu Juan Goytisolo et son rôle dans la
maison d’édition française Gallimard. Subitement émergea à ses côtés une autre figure
remarquable, celle de Carlos Barral, poète et surtout éditeur espagnol. Le numéro 100/111 de juillet/
août 1990 de Revista de Occidente lui est consacré. C’est dans leurs Mémoires47 que je trouvais le
maximum d’informations sur le passage du roman espagnol en France, et surtout sur la vague du
roman réaliste. Je pouvais enfin commencer à évaluer la réelle importance de ces deux hommes
Il me fallait savoir sur la publication de quels romans ils avaient eu une réelle influence. Pour
former le corpus d’auteurs et d’œuvres traduites en France et publiées par des maisons françaises
j’utilisais massivement le site internet de la Bibliothèque nationale de France48, celui de la
Bibliothèque nationale d’Espagne49, et celui du Ministère espagnol de la Culture50. Ayant besoin de
retracer le paysage éditorial de l’époque en Espagne comme en France, j’eus recours pour
45
http://ruedoibérico.org
Accento cultural, n°4, n°9/10, n°14.,
Insula, n°69, n°269, n°223, n°282.
La estafeta literaria, n°173, n°175, n°187, n°198, n°212.
47
Goytisolo, Juan, Memorias, Península, Barcelona, 2002.
Barral, Carlos, Memorias, Península, Barcelona, 2001.
48
http://catalogue.bnf.fr
49
http://www.bne
50
http://www.ucm.es
46
l’Espagne à l’Indice de la producción española de 1973, le Guía de los editores y librerías de 1952,
et au Guía de los editores de 1972 publiés par l’INLE, et au Censo de las publicaciones oficiales de
1966, publié par les Ministères du Travail, de l’Information, du Tourisme et de l’Habitat. Ces
sources m’ont permis de définir les maisons d’édition espagnoles qui avaient elles aussi œuvré à
l’exportation des romans espagnols. L’exportation fut évidemment un point primordial pour cette
étude. Aussi je consultais l’Informe sobre el comercio exterior del libro du Ministère de
l’information et du tourisme paru en 1963. Le livre étant régi par des droits d’auteur qui s’achètent
et se vendent dans le cas de la traduction et de l’exportation, je ne pouvais passer outre le Convenio
universal sobre el derecho de autor51, qui définit le respect des droits entre pays signataires, ni outre
la Ley de prensa de 1938 et celle de 196652. En ce qui concerne la France, je m’appuyais sur les
rapports du Syndicat National de l’Edition, Monographies de l’édition française, des années 1956,
1959, 1962, 1965, et 1970.
Enfin, c’est à travers des revues françaises, je cherchais l’impact et le succès de cette littérature. Je
dépouillais Les Cahiers du Sud de 1939 à 197553, Les Temps Modernes de 1955 à 197654, Le
Magazine littéraire de 1961 à 197055 et Les Lettres Nouvelles de 1953 à 196156, dont les limites
chronologiques furent imposées par les fonds lacunaires. Je visionnais aussi « La guerre est finie »
et « Mourir à Madrid ».
Il me manquait encore une source pour clore ma recherche. Puisque Juan Goytisolo avait été
l’artisan de la diffusion du roman réaliste en France, je voulais le rencontrer, connaître sa vision.
J’allais à Marrakech. Son témoignage apporta quelques précisions nouvelles, et vint surtout
confirmer, à mon soulagement, les conclusions de ce travail de recherche, qui s’est attaché à mettre
en lumière un phénomène parfaitement oublié.
51
52
53
54
55
56
Convenio universal sobre el derecho de autor, Ginebra, 6 de septiembre de 1952, Ministerio de Asuntos Exteriores,
Imprenta del Ministerio, Madrid, 1955.
Ley de prensa y de imprenta dans El nuevo derecho de prensa e imprenta, Ministerio de Información y turismo,
textos legales, 1966.
Les cahiers du sud, n°226/227, 231, 249, 251, 254, 271, 307, 315, 320, 325, 326, 329, 330, 336, 356, 368, 376, 381,
385, 387/388, 390/391.
Les Temps Modernes, n°146, 147/148, 156/157, 167/168, 169/170, 171, 172, 173/174, 175/176, 177, 179, 180 bis,
181, 182, 183, 184/185, 187, 194, 195, 200, 201, 202, 204, 211, 214, 225, 357 bis.
Le Magazine littéraire, n°20, 21, 25, 45, 48, 62, 71.
Les lettres nouvelles, de 1953 à 1961 : numérotation inutilisable.
I/ La littérature espagnole de 1939 à 1975 : une littérature sous
surveillance.
On peut trouver une littérature de qualité sous le franquisme, qui semble plus ou moins libre
selon les tendances à la fermeture ou à l’ouverture du régime. Mais, durant l’ensemble de la
période, elle reste soumise aux règles d’une dictature installée illégitimement après un soulèvement
militaire. Ces quarante ans sont habituellement divisés en trois époques : la première jusque vers
1950, la plus dure, la plus close, la plus noire, la deuxième jusque dans les années 1960, temps de
transition générationnelle et débuts de la dissidence, et enfin la dernière, correspondant à l’ultime
décennie, où le développement économique s’accompagne d’une plus forte contestation sociale.
La dictature personnelle de Franco fonde sa mission sur la régénération du peuple espagnol et de ses
valeurs traditionnelles, contre la menace paranoïaque du communisme. Mais la carence idéologique,
et la médiocrité du dictateur, rapidement perceptibles, sont palliées par un appareil répressif qui agit
sur l’ensemble de la vie sociale et politique. La liberté d’expression est génératrice de troubles, de
dissidences, et d’anarchie. L’élite agissante et pensante les redoute. La dictature devait les en
protéger. En résumé, la nature politique de ce régime lui enjoint d’en finir avec toutes formes de
liberté, de mettre à son service l’ensemble des moyens de propagande et d’empêcher toutes formes
d’expression libre. La littérature devient propagande ou doit se taire.
Chapitre 2 : Les conditions de la création sous le franquisme
Dans le cadre d’un régime dictatorial, la création ne peut être libre. La culture en général est
soumise au politique. Il est d’abord nécessaire d’expliquer les présupposés idéologiques qui
déterminent la politique culturelle du régime, afin de mieux appréhender par la suite les obstacles à
l’existence d’une littérature a peu près libre, plus ou moins valable.
Le régime franquiste est fondé sur un arsenal de valeurs traditionnelles qui en constitue le
cadre idéologique, et le fondement, du moins dans sa première phase. Ces valeurs apparaissent dans
le discours franquiste comme les conditions du retour à la grandeur espagnole. La quête du nouvel
Etat est de retrouver la vraie nature de l’Espagne éternelle, et donc de lutter contre les influences
étrangères toujours néfastes. Cette doctrine est celle d’une Espagne renfermée sur elle-même, qui
rejette toute appartenance européenne, et relit son histoire en faisant l’apologie de ses plus sombres
épisodes. Les idées traditionnelles de la droite conservatrice sont utilisées par le régime, soutenues
par l’église, et constituent le contexte mental imposé à la société espagnole, afin d’établir une fixité
sociale, sans menace, qui garantisse le pouvoir de Franco.
Ce pouvoir et ces valeurs se construisent avant tout dans le domaine du discours. C’est lui qui fait
croire ou impose de croire à la légitimité et à la force de la dictature. Or, l’affirmation du pouvoir
franquiste, dont l’idéologie est fondée sur le rejet de l’autre, et sur la notion d’ennemi, passe par la
formulation obsessionnelle d’un état de perpétuelle guerre. Dans son discours la notion d’ennemi
est structurante, tout comme dans son idéologie. L’étude de María Pilar Amador Carretero, Analisis
de los discursos de Franco, una aplicación metodológica57, a pour but de déconstruire le discours
franquiste pour montrer que la parole est un instrument de régulation sociale. Entre autres stratégies
discursives, elle détache celle de la Déviance et de la Peur. La déviance caractérise tout ce qui
n’appartient pas à l’idéologie dominante, tout ce qui se définit en négatif, affiché comme ennemi. Il
s’agit, selon l’analyse, de propulser un antagonisme interne, c'est-à-dire entre l’orateur et l’auditoire
pour le faire exister hors de cet ensemble. On tente par ce biais de former l’unité entre l’orateur et
l’auditoire afin qu’ils affrontent le danger extérieur. Cette forme de discours consiste à gagner les
auditeurs non par ce qu’ils partagent mais par ce qu’ils refusent. Dans le registre franquiste, les
ennemis principaux sont le communisme, les francs-maçons, la démocratie. Cette stratégie de la
déviance ne fonctionne qu’alliée avec celle de la peur. L’auteur, pour les besoins de son étude, les a
séparées, mais elles sont étroitement et nécessairement liées dans le discours. La stratégie de la peur
est la formulation de la menace que représente l’autre, forcément ennemi. Elle entretient une
atmosphère de peur et d’insécurité qui permet à l’Etat de s’affirmer en permanence comme le
57
Amador Carretero, María Pilar, Analisis de los discursos de Franco. Una aplicación metodológica, Cáceres, 1987.
salvateur indispensable. La fermeture et l’isolement passent ainsi pour un choix politique afin de
lutter contre le danger extérieur, le communisme, dont la capacité de nuisance mondiale semble être
justifiée par la guerre froide.
Ce discours omniprésent et répétitif alimente un état de fermeture, et de méfiance dans la société
espagnole qui empêche au début du régime toute velléité d’opposition ou de critique, ou même
d’expression. La diffusion du roman espagnol doit donc faire face au rejet psychologique de
l’extérieur que propage le discours franquiste. On a insisté particulièrement sur l’espace de pouvoir
que constitue le discours, car c’est dans ce domaine, et contre la parole du régime, que s’est élaboré
la contestation qui s’exprime par le biais de la littérature.
Ainsi, fondamentalement, le régime franquiste se définit par le refus de l’autre, et la fermeture.
Les conséquences économiques de cette idéologie sont évidemment graves. Les conditions
de vie matérielles des Espagnols jusqu’à la fin des années 40 sont misérables, à cause de la phase
dite « autarcique » que Franco, dès 1938, décréta :
« L’Espagne est un pays privilégié qui peut se suffire à lui-même. Nous avons tout ce dont il
est nécessaire pour vivre, et notre production est assez abondante pour assurer notre propre
subsistance. Nous n’avons rien à importer. 58»
Cette phrase sonne comme le départ de la plus grande récession économique de toute l’histoire
contemporaine de l’Espagne. Après la guerre civile, la phase de récupération est très longue, et se
révèle être non pas une période de stagnation économique mais une véritable dépression. L’Espagne
a besoin d’importer, mais les rares exportations ne permettent pas de faire entrer assez de devises
pour procéder à ces achats. De plus, l’idéologie du régime empêche le pays de profiter des
opportunités commerciales qu’offre la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi pour justifier l’incapacité
du nouveau régime à sortir de la crise, la propagande officielle exagère les blessures de la guerre
civile, toutes évidemment dues aux « rouges ». L’Espagne plonge dans la misère à cause d’une
politique économique qui n’est qu’une simple mise en pratique des principes politiques, poussés à
l’excès.
« L’autosuffisance fut non seulement une réponse économique, mais aussi une réponse
politique et culturelle, qui incarna « l’essence de l’hispanité », et à cause de cela, toute violation de
cette identité devait être châtiée, en même temps qu’elle légitimait le sacrifice de la population et la
58
« España es un país privilegiado que puede bastarse con sí mismo. Tenemos todo lo que hace falta para vivir y
nuestra producción es lo suficientemente abundante para asegurar nuestra propia subsistencia. No tenemos
necesidad de importar nada.”, cité par Barciel, Carlos, López, María Inmaculada, Joaquín, Miranda, José.A., La
España de Franco 1939/1975, Economía, Sintesis, Madrid, 2001, p 36.
discipline, de sorte que l’isolement économique se trouva intimement associé avec la diminution
des libertés des citoyens espagnols. »59
Ce système économique n’est plus tenable à la fin des années 1940. Mais il a entraîné deux
séquelles qui intéressent le secteur éditorial : l’importance de la corruption et de l’arbitraire, surtout
dans le fonctionnariat, et des situations industrielles médiocres pour des entreprises sans aucune
valeur économique qui ne s’adressent qu’à un marché national limité.
Or, le livre est lui aussi un produit industriel. Il subit les mêmes conditions économiques. Le secteur
éditorial décline donc comme le reste de l’économie.
Le livre espagnol ne s’adresse qu’à un public national qui ne représente que la moitié de la
population. Il est de surcroît très cher, car le manque de papier, dû à l’impossibilité d’importer, ou à
son coût prohibitif, augmente les frais de production. Rares sont les Espagnols qui peuvent s’offrir
un livre dans ces temps de pénurie. Certains les achètent en plusieurs fois, comme le démontre
l’enquête citée par Fernando Cendán Pazos dans Edición y comercio del libro español60. La réalité
est peut-être plus grave encore car ces chiffres sont officiels, et il est nécessaire de les considérer
avec méfiance comme nous y invite José Luis Abellán dans un article de Cuadernos para el
diálogo:
« Ces informations ne sont absolument pas fiables car l’INLE les élabore à partir de ses
répertoires bibliographiques, qui ne correspondent pas à la réalité de la production éditoriale »61
Cependant, on ne peut douter des grandes tendances ainsi dégagées, d’autant plus qu’elles
correspondent à une situation peu enviable. L’état réel de la lecture et du livre en Espagne est donc
particulièrement médiocre.
Le lecteur espagnol est citadin, jeune, lettré et en général célibataire. Par conséquent, le nombre de
lecteurs à l’intérieur du pays est très faible.
Le monde de l’édition espagnole, quant à lui, est caractérisé par sa fragmentation et par une
précarité extrême, en partie due au manque de papier, et aux infrastructures inadéquates. La
fragmentation est directement issue de la guerre qui a entraîné la création de petites maisons
d’édition dans les villes de province, bien que la grande partie de l’activité éditoriale se déroule à
Barcelone, avec les éditions Juventud, Luis de Caralt, Olimpo, Araluce, Destino, Tartessos, Apolo,
59
La España de Franco, 1939/1975, Economía, p 34, citation de Richards, ainsi référencé dans l’ouvrage :
“La autosuficiencia fue no sólo una respuesta económica, sino también política y cultural, que encarnó “la esencia de la
Hispanidad” y, por ello, toda violación de esa identidad debía ser castigada, el tiempo que legitimaba el sacrificio de
la población y la disciplina, de tal manera que el aislamiento económico estuvo íntimamente asociado con el
retroceso de las libertades de los ciudadanos españoles.”
60
Cendán Pazos, Fernando, Edición y comercio del lib ro español: 1900/1972, Editora nacional, Madrid, 1972.
61
80 « Sin embargo, estos datos no son absolutamente fiables, por que el INLE los elabora sobre sus repertorios
bibliográficos, que no responden a la realidad de la producción editorial. », La industria cultural en España,
Cuadernos para el diálogo, Madrid, 1975.
Yunque et à Madrid avec Madrid Espasa Calpe, Afrodisio Aguado, Editora Nacional, Ediciones
Españolas, Adán, La Nave, Sagitario. Ces maisons sont pour la plupart, comme le dit Jordi Bonells :
« De nouvelles maisons d’édition qui subissent de plein fouet la crise sociale de la post
guerre»62
La production est très faible. On a réalisé un tableau à partir des chiffres de Jordi Bonells63 pour les
années 1940 à 1946. Pour le reste on s’est référé aux monographies de l’édition du SNE64.
Année
Production
1940
1943
2 587
5 277
1946
3 243
1948
1949
3 693
3 601
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1958
1959
1960
1961
1967
3 633
4 206
3 445
5 664
4 672
5 683
4 422
5 177
5 761
6 085
6 819
11 833
On remarque durant la première période de 1940 à 1954 une augmentation certaine mais néanmoins
fortement irrégulière. L’Espagne est alors le 15ème pays sur 17 en tant que producteur de livre en
1954, sur une base de 100 000 habitants. La croissance continue fragilement de 1955 à 1961. On ne
possède ensuite que le chiffre de 1967 qui correspond, malgré une forte augmentation par rapport à
1961, environ à la moitié de la production française. Outre la faiblesse de ces chiffres, leur variation
montre les difficultés des éditeurs face à un marché extrêmement réduit et irrégulier. L’édition
espagnole tente donc de se tourner vers ce qu’elle croit être aussi l’aboutissement naturel de ses
produits, l’Amérique Latine.
Mais dès 1944, l’Espagne n’est plus en mesure de concurrencer les grands exportateurs que sont le
62
63
64
Jordi Bonells, Le roman espagnol, collection 128, Nathan université, Paris, 1998, p13.
Le roman espagnol, Jordi Bonells, p 13
Monographies de l’édition 1956, 1959, 1962, 1965, 1970.
Mexique, l’Argentine, le Brésil. L’exportation de livres espagnols vers le continent américain peut
prendre six mois tant les moyens de transport sont inexistants. Cette faiblesse est visible tout au
long de la période, car ce problème est régulièrement abordé par l’INLE, et le Ministère de
l’Information et du Tourisme de 1944 à 197365. Les tentatives faites pour réformer le système, et
pallier les énormes problèmes de l’édition espagnole demeurent inefficaces. La mauvaise santé de
l’édition, ainsi que l’impossibilité de diffuser davantage n’est qu’un des éléments d’une économie
malade, dont le gouvernement est idéologiquement responsable. Le régime soumet les industries à
des conditions économiques d’une autre époque. Pour toutes ces raisons, concrètement, la diffusion
du roman espagnol est délicate. L’augmentation semble générale dans les exportations, mais elle ne
se fait pas au même rythme que celle des autres pays, ni de l’Amérique Latine ni de l’Europe. Le
système économique du franquisme, si tant est qu’on puisse ainsi le qualifier, servit, dans son
ensemble, à favoriser les hommes les plus proches d’un régime qui pratiquait une distinction entre
vainqueurs et vaincus comme fondement de sa propre existence et de ses agissements. Dans le
monde clos par nature de l’édition et de la littérature, quelques hommes, qu’on aura l’occasion de
rencontrer, résumaient à eux seul la culture espagnole.
Malgré l’ouverture des vingt dernières années du régime, les exportations espagnoles
n’équilibrèrent pas les importations, laissant l’Espagne dans une situation toujours exsangue. Les
politiques économiques d’abord de fermeture, puis d’ouverture, installèrent l’Espagne dans une
situation difficile. Dans le cas du livre, bien que son marché s’améliore, s’ouvre, il ne peut jamais,
sous cette période, être libre, et outre la faiblesse économique qui pèse sur lui, il n’atteindra jamais
un cadre de diffusion normalisée. Car le livre n’est pas un produit inoffensif. Son exportation
augmente dans les années 1950, en pesetas, mais l’essentiel de ces exportations est destiné à
l’Amérique Latine. 77% de l’exportation est destinée à des pays de langue espagnole, 15,6% vont
vers les pays de langue portugaise, seulement 4,2% vers les pays de langue anglaise et 1,9%
seulement vers les pays de langue française. Selon la destination, l’Etat encourage plus ou moins
l’exportation, et les types de publications diffèrent. En 1963, la situation est identique. Les
exportations espagnoles de livres augmentent, mais une part de 86,4% est consacrée à l’exportation
vers les pays de langue espagnole, 4,2% pour le Portugal et le Brésil, 5,1% pour l’ensemble de
l’Europe, 3,8% pour les Etats-Unis, et enfin 0,5% pour le reste du monde. L’Espagne tourne donc le
dos à l’Europe, dans le cas des livres du moins. Ainsi le régime, pour des raisons idéologiques ne
65
INLE, Libro de Actas de la asamblea general del libro, celebrada a Madrid del 31 de mayo al 7 de junio de 1944,
Gráficas Gonzalez, Madrid, 1945.
INLE, Ordenación del comercio del libro, recopilación de los usos y costumbres observados en dicho comercio,
Madrid, 1972.
INLE, Los libros y su exportación, Madrid, 1973.
Ministerio de Información y Turismo, Comisión interministerial para el esutdio de los problemas del libro español,
conclusiones, Madrid, mai 1968.
Ministerio de Información y Turismo, Acción cultural y del libro, Madrid, 1970.
peut encourager l’exportation vers l’Europe, ce qui peut expliquer en partie la faiblesse de la
présence de la littérature espagnole en France notamment.
Enfin, malgré les efforts concrets du régime dans le domaine économique, la situation reste fort
ambivalente. Le franquisme continue son rêve d’autarcie et de grandeur qui peine à masquer la
pauvreté, l’échec de l’idéologie. Son discours tente pourtant de consolider le mensonge de sa
réussite. La balance commerciale déficitaire n’empêche pas le régime de formuler des projets
grandioses dont il n’a absolument pas les moyens. Cette dualité entre la manipulation officielle et la
réalité misérable du pays est permanente, pour des motifs idéologiques, dont le plus important dans
la première phase est la fermeture, qui impose donc un contrôle acharné sur toute parole qui ne
provient pas directement du pouvoir.
En effet, tous les moyens de communication sont sous contrôle de l’Etat. Le pouvoir est
délégué à un petit groupe d’hommes qui cumulent les charges. Le contrôle est une forme de
protection du régime contre l’extérieur qui pourrait remettre en question la légitimité qu’il s’est créé
et que justement il n’a pas.
Ramón Serrano Suñer, ministre de l’intérieur est en même temps le chef du service national de
Presse et de Propagande du ministère, et le délégué national de presse et de propagande de FET et
des JONS66. La culture se convertit donc en instrument de légitimation du régime. On élabore
évidemment un plan fondé sur la tradition, le catholicisme, l’anti-communisme, avec le soutien et la
participation de l’Eglise, présente dans l’administration censoriale, et dans l’éducation. C’est une
politique culturelle dictatoriale, où l’importation est réglée par la censure, l’exportation par la
Direction générale de commerce et de politique douanière de façon absolument discrétionnaire,
multipliant les difficultés. L’INLE, l’Institut National du Livre Espagnol a lui aussi un rôle
important dans le domaine de l’exportation dont s’occupe en son sein la commission du commerce
extérieur. Il s’occupe également de tous les problèmes du livre, et de tous les sujets qui peuvent
avoir un rapport avec le livre espagnol, sur un ton qui se fera progressivement plus libre. Il est
défini par le Ministère de l’Information et du Tourisme comme un organe de développement de
protection du livre, et est un pont entre le monde privé et l’Etat. Il rédige des rapports, qui sont
publiés tels que Libro de Actas de la asamblea general del libro español, publié en 1945 à Madrid,
compte rendu d’une réunion, ou encore Ordenación del comercio del libro, recopilación de los usos
y costumbres observados en dicho comercio, publié à Madrid en 1972, ou encore Los libros y su
exportación publié en 197367.
66
67
FET : Falange Española Tradicionalista, fondée par José Antonio Primo de Rivera, Sanchez Mazás, et Agustín de
Foxa. JONS : Juntas de Ofensiva Nacional Sindicalista, fondées par Ramiro Lesdema Ramos et Onésimo Redondo.
INLE, Los libros y su exportación, Madrid, 1973. INLE, Libro de actas de la asamblea general del libro español :
1900/1972, Editora nacional, Madrid, 1972. INLE, Ordenación del comercio del libro, recopilación de los usos y
costumbres observados en dicho comercio, Madrid, 1972. Ministerio de Información y Turismo, Acción cultural y
C’est un organe créé pour la propagande. Dans Acción cultural y del libro, le Ministère de
l’Information et du Tourisme définit les objectifs de l’INLE en ces termes:
« Diffuser l’information sur la réalité espagnole dans ses différents aspects avec une
référence spéciale à son système politique et à la doctrine du mouvement,
Programmer des campagnes informatives et de propagande sur les réalisations
économiques, sociales et politiques de l’Etat espagnol,
Confectionner des publications de caractère informatif, politique et culturel et collaborer
avec d’autres publications au contenu analogue qu’elles soient officielles ou privées,
Fournir du matériel pour la préparation de numéros spéciaux ou de suppléments de
publications périodiques, acquérir des livres et des publications périodiques destinés aux besoins
de la Direction générale du livre et à sa politique de développement et de diffusion,
Rédiger autant de rapports spéciaux pertinents pour la connaissance des livres et
publications, confectionner des fiches bibliographiques d’auteurs espagnols et étrangers,
Distribuer les publications élaborées par la Direction générale et celles qui sont acquises,
tant en Espagne qu’à l’étranger,
Former et actualiser des fichiers de personnes et d’entités nationales et étrangères afin de
faciliter la tache de distribution,
Développer et ordonner la politique éditoriale et du livre ainsi que promouvoir sa diffusion
en Espagne et à l’étranger, spécialement en Amérique Latine, en collaboration avec l’INLE et
l’initiative privée,
Promouvoir l’importante industrie éditoriale et de librairie tant du côté économique, que
culturel et éducatif, en orientant la formation professionnelle au moyen d’écoles de librairie
dépendant de l’INLE,
Informer et résoudre les expédients de consultation volontaire (censure) et de dépôt des
publications en Espagne et ceux de l’importation de publications unitaires et étrangères, par
application de la législation en vigueur sur la Presse et l’Imprimerie,
del libro, Madrid, 1970.
Informer et résoudre les expédients de visa des textes, et vérification des gravures sonores
qui s’éditent et se produisent en Espagne, destinés à la diffusion publique commerciale ou gratuite
et les expédients relatifs à l’importance de disques produits à l’étranger,
Ordonner les inspections pour l’accomplissement de la législation de Presse et
d’Imprimerie en vigueur, pour les publications unitaires, tenir les registres officiels des entreprises
éditoriales, des entreprises importatrices de publications étrangères et des entreprises
discographiques, autant comme productrice que comme importatrice68. »
Cette longue énumération laisse apparaître l’importance de la propagande et la volonté de
contrôler, de former selon les cadres franquistes et, de surveiller ce qui vient de l’extérieur, en
particulier, comme son souci de diffuser une image positive de l’Espagne franquiste.
L’INLE essaie donc aussi de contrôler l’entrée des livres en Espagne, tout comme la production des
livres traitant de l’Espagne ou bien des exilés en France. Dans le cas des livres contestataires qui
tentent de passer en territoire espagnol, le régime multiplie les contrôles aux frontières mais aussi
dans les librairies. Il peut aussi user de pressions diplomatiques pour faire interdire un ouvrage,
comme ce fut régulièrement le cas pour les publications de la maison Ruedo Ibérico. Enfin, il
décrète des campagnes de dénigrement systématiques contre des personnalités importantes du
monde de la littérature. Ce fut le cas pour Juan Goytisolo, comme il a pu nous le confier, puisqu’il
fut accusé par le régime, au cours des années 1960, d’ « empêcher l’entrée en France de la bonne
littérature espagnole ». Les campagnes sont également violentes, contre le groupe de José
Martinez69, le représentant de l’édition contestataire. Elles commencent dès le début de l’aventure
68
69
“dinfundir información sobre la realidad española en sus diferentes aspectos especial referencia a su sistema
político y a la doctrina del Movimiento nacional, programar campañas informativas y de propaganda sobre las
realizaciones económicas, sociales, y políticas del Estado español, confeccionar publicaciones de caracter
informativo, político y cultural y colaborar con otros de contenido análogo de iniciatia oficial o privada, suministar
material para la preparación de numeros especiales o suplementos de publicaciones periódicas, cuando así se
proyecte por su interes, adquirir libros y publicaciones periódicas destinadas a las necesidades de la Dirección
general del libro y a su política de fomento y difusión, redactar cuantos informes especiales o de asesoramiento se
consideren pertinentes en orden al conocimiento de libros y publicaciones, confeccionar fichas bibliográficas de
autores españoles y extranjeros, distribuir las publicaciones elaboradas por la Dirección general y las que ésta
dquiera, tanto en España como en el extranjero, formar y actualizar ficheros de personas y entidades nacionales y
extranjeras a fin de facilitar la tarea de distribución, fomentar y ordenar la política editorial y del libro así como
promover su difusión en España y en el extranjero, especialmente Hispanoamérica, en colaboración con el Instituto
Nacional del Libro español, y la iniciativa privada, promover la importante industria editorial y librera de tanto
relieve económico, cultural y educativo, orientando la formación profesional mediante las escuelas que dependen del
INLE, informar y resolver los exepdientes de consulta voluntaria y depósito de publicaciones en España y los de
importación de publicación unitarias y extranjeras, por aplicación de la legislación vigente de Prensa y Imprenta,
informar y resolver los exepdientes de visado de textos y comprobación de las grabaciones que se editen y
produzcan en España, que se destinen a la difusión pUblica comercial o gratuita y los exepdientes relativos a la
importancia de discos producidos en el extranjero, ordenar inspecciones velando por el cumplimiento de la
legislación de Prensa y Imprenta vigente, respecto a las publicaciones unitarias, llevar los Registros oficiales de
Empresas Editoriales, de Empresas Importadoeas de Publicaciones extranjeras y de Empresas discográficas, tanto
editoras como importadoras.”
Constitué de Lopez Salinas, Antonio Perez, Francisco Carrasquer, Francisco Letamendia, Cipriano Mera, Ignacio
en 1961, augmentent au cours des publications des Bulletins d’orientation bibliographiques en
1964, et connaissent leur apogée dans l’explosion effective d’une bombe en 1971 dans la librairie
de Ruedo Ibérico à Paris. Comme le met fortement en valeur le site de Marianne Brüll avec de
larges extraits des critiques de Falange et Antifalange, le régime mena une politique systématique
de dénigrement des œuvres publiées par Ruedo Ibérico. Les Bulletins d’orientation
bibliographique, dont sont issus ces articles, participent de la stratégie du franquisme à partir de
1964 qui consiste à renforcer la vigilance sur les interprétations historiques. Ils proviennent
d’ailleurs de la nouvelle section des études de la guerre civile dirigée par Ricardo de la Cierva qui
relevait antérieurement du Ministère de l’Information et du Tourisme. Ces bulletins ont donc pour
but d’enseigner la façon dont les ouvrages doivent être lus. Les bulletins étaient des instruments
visant à discréditer les livres contestataires, qui, pourtant, pour la plupart, n’étaient pas publiés en
Espagne, et n’arrivaient même pas jusque dans les rayons des librairies espagnoles. Le régime à la
fin des années 1960, inaugura aussi une campagne de publication d’histoire franquiste destinée à
lutter contre les publications à l’étranger. Enfin, pour ce qui est de Ruedo Ibérico, le régime
expérimenta encore bien d’autres choses. Il essaya d’étouffer économiquement l’entreprise, et
procéda même à des propositions indirectes d’achat. Comme l’indique le catalogue de l’exposition
Ruedo Ibérico, un desafío intelectual70, le régime expérimentait ainsi tous les moyens de contrôle.
Mais il le fit dans un certain désordre et empirisme, qui augmentait quand le produit de son
attention était original, inhabituel et de qualité. Le franquisme ne sut jamais instaurer un réel
modèle de contrôle, ce qui le rendait fort arbitraire.
Aussi, pendant cette période, la culture en général, le secteur éditorial et le livre en
particulier, comme tous les domaines, subirent une régression directement issue de la vision fasciste
du monde, dépouillée d’intelligence, que le franquisme agrémentait de références nostalgiques et
religieuses, où l’art n’existait qu’au service du pouvoir. C’est Unamuno contre le général Millan
Astray. On ne peut pour autant parler de politique culturelle. La culture en ces temps relève de la
politique car elle est liée à la sécurité de l’Etat.
Ce qui peut subsister du roman au lendemain de la guerre civile est négligeable. Jordi Bonnells
affirme :
« Le romanesque vit essentiellement au rythme des romans feuilletons publiés dans les
journaux ou dans les collections hebdomadaires aux tirages considérables, avec des pointes à
70
Fernandez de Castro, Marianne Brull, Isaac Díaz Pardo, Juan García Olivar, Gabriel Jackson, Hugh Tomas, Josep
Tarradellas, Herber R Southworth, Nicolas Sanchez Albornoz, Fernando Claudín, Luciano Rincón, Roberto Mesa,
Mijar Kolstov, Juan Martinez Alier, José Manuel Naredo, Ian Gibson.
Ruedo Ibérico, un desafío intelectuel, Residencia de estudiantes, Madrid, 2004.
400 000 exemplaires. »71
Le roman populaire, encore dit « rose », est l’un des symboles les plus importants de la culture sous
le franquisme, d’ailleurs promu par celui-ci. Le roman populaire est le phénomène éditorial le plus
remarquable des années 1940. Il fut soutenu par de nombreuses maisons d’édition, grâce à des
auteurs médiocres mais fort réguliers, comme le très grand auteur à succès Luis Martin Vigil. La
culture sous le franquisme est une sous-culture de masse faite de courses de taureaux, de football,
de mauvais cinéma étranger ou espagnol, dans tous les cas censuré, et de radio contrôlée.
De plus, dans l’ensemble de ses projets d’éducation, le régime échoua, que ce soit dans sa tentative
de créer un réseau national de bibliothèques, de centres culturels appelés « Casas de cultura », ou
encore des téléclubs. Le franquisme fut un « désert culturel » ou bien :
« Une « culture de pauvre », pour reprendre l’expression du sociologue R. Hoggart, que le
régime cherche à exploiter au mieux afin de développer une sorte de dépolitisation des consciences
qui fasse figure de philosophie de la vie. »72
L’autre moyen de contrôle plus connu, qui n’est pas pour autant systématique et rationnel,
est le contrôle des textes par la censure, régie d’abord par la loi de 1938, puis de 196673. La censure
n’est pas directement un moyen de propagande. Elle a pour but d’empêcher toute expression
déviante. L’esprit du franquisme, son objectif, et les conditions économiques catastrophiques qu’il
contribua a créer, ont empêché, ou du moins ont rendu particulièrement difficiles les conditions de
la création littéraire. Au lendemain de la guerre, le sort de l’écriture et des écrivains était fort
compromis.
71
72
73
Bonells, Jordi, Le roman espagnol contemporain, collection 128, Nathan université, Paris, 2001, p 15.
Bonells, Jordi, Le roman espagnol contemporain, collection 128, Nathan université, Paris 2001, p 9.
La loi de 1966 ou dite Loi Fraga est censée libéraliser l’état de censure. Il n’y a plus de consultation obligatoire,
mais une consultation préalable. Elle est en réalité fortement recommandée car elle constitue un avis très important
pour l’écrivain et la maison d’édition. Les avis d’historiens, et de contemporains de la loi restent partagés. Certains
en font les débuts de la libéralisation du régime, d’autres un des éléments d’une nouvelle stratégie de contrôle du
régime encore plus sournoise.
Chapitre 3 : Les conditions de l’écriture : le sort de l’écrivain
Seul le cas des écrivains espagnols restés en Espagne sera abordé ici. Cela dit, il faut
rappeler très rapidement que l’une des conséquences majeures de la guerre civile fut le départ en
exil de nombreux écrivains et artistes majeurs. Antonio Machado, déjà fort connu au début de la
guerre, devenant par la suite un symbole de la poésie et de l’exil espagnols, finit sa vie dans le
village de Collioure. Tous les anciens républicains, tous les tenants de la gauche traversent les
frontières, certains s’en vont en France, d’autres s’embarquent pour le continent américain. Certains
au Nord, la plupart au Sud. L’exil, phénomène complexe d’arrachement à la terre natale et surtout à
la langue maternelle, est en soi problématique pour l’écrivain attaché à sa langue comme à une
patrie. Il concerne toute la période du franquisme. Il est le témoignage d’une conviction, d’un
engagement, et d’un refus du régime. Il indique aussi l’impossibilité d’y rester, sous peine de mort
parfois, d’y écrire, ce qui revient au même. Dans tous les cas, c’est une décision douloureuse qui
sépare l’écrivain de son passé, ou le lie définitivement à une vision nostalgique et intemporelle de
ce qu’il a quitté. L’exil parfois dure le temps d’une vie. Ramon Sender meurt en exil, comme Max
Aub, Americo Castro, et de nombreux autres ont à peine le temps de retrouver, des années après,
une Espagne qui ne correspond plus à leurs imaginations vieillies, ainsi Salinas, José Gaos,
Bergamín, Amado Alonso, Juan Gil Albert, Serano Poncela. L’exil comme condition de l’écriture
isole esthétiquement le roman. Il pousse vers une écriture presque schizophrénique à cause de
l’utilisation permanente de deux langues, -hormis pour les exilés en Amérique du Sud-, et de la
redéfinition de la création que le double usage entraîne. L’étrangeté, l’unicité incommunicable de ce
roman est augmentée par la valorisation de la liberté d’expression dont le texte jouit, en même
temps qu’il est marqué par le questionnement de l’utilité de cette liberté quand l’auteur a perdu ses
lecteurs naturels. Les auteurs de l’Equipo Reseña74 se demandent quel est l’intérêt d’avoir une
littérature lue en France, un théâtre joué sur les scènes parisiennes quand le public espagnol luimême ignore totalement qui sont ces écrivains. D’une part, l’écrivain ne peut se sentir véritablement
reconnu, et la valeur de son œuvre reste problématique. D’autre part, dit-il, les Espagnols sont de
cette façon privés de moyens d’identification :
« N’est ce pas précisément la possibilité de s’identifier qui est refusée aux Espagnols quand
on condamne à l’exportation le meilleur de ce que produit leur pays ? »
Les exilés ne sont pas les seuls à se retrouver dans cette impasse. De nombreux écrivains
espagnols restés en Espagne, dont les ouvrages sont interdits doivent recourir de même à des
74
Reseña, Equipo, La cultura española durante el franquismo, Bilbao, Mensajero, 1977.
publications à l’étranger. Les livres arrivent parfois, mais en quantité limitée, dans les rayons des
librairies clandestines, ce qui ne suffit pas à établir une reconnaissance populaire. Ils passent pas le
biais d’agents de distribution courageux, qui, munis de petits cartons d’emballages avec une
étiquette qui ne donne surtout pas l’adresse d’origine du paquet, passent la frontière. Les plus
connus de la période sont Sigfried Blume et Rufino Torres. Ajouté à cela, les touristes espagnols,
passant la frontière à Bayonne et Perpignan, en profitent pour acheter et ramener des ouvrages
interdits. Dans le catalogue d’exposition Ruedo Ibérico, un desafío intelectual75, on suppose même
que la distribution des livres de cette maison à Perpignan et Bayonne n’était en réalité destinée
qu’aux Espagnols. D’autres faux touristes français se spécialisent aussi dans le passage des livres
clandestins. Malgré ces recours complexes, peu d’ouvrages arrivent en Espagne. De la France à
l’Espagne, la communication, dans le cas du livre notamment, est fortement perturbée, et entraîne
des situations et circuits éditoriaux extrêmement complexes.
Antonio Ferres publie ainsi Los vencidos en 1965 sans qu’il ne sorte en Espagne. Les
situations éditoriales frisent l’absurde. Alfonso Grosso publie d’abord une version française et une
version russe de son roman El Capirote avant d’en publier une version espagnole au Mexique.
Enfin, il arrive parfois qu’un roman espagnol ne sorte qu’en français directement, comme La Base
d’Isabel Alvarez de Toledo en 1972. Rien ne sert de multiplier des cas innombrables tant la censure
aléatoire et pudibonde, s’acharna à détruire l’art pour des motifs qui n’avaient pas même la dignité
d’être politiques. D’autres écrivains, face au régime dictatorial préfèrent se taire, c’est en partie ce
que recouvre le titre de l’ouvrage de Jordi Gracia, La resistencia silenciosa. Le silence est l’unique
mode de révolte qui reste alors à l’art. Ana María Matute refuse de faire paraître son dernier
ouvrage mutilé par la censure, alors qu’elle vient d’obtenir le Prix Nadal, interrompt la réédition de
En esa tierra, et fait retirer ses deux derniers romans Luciérnagas et Julio y Termidor. Elle ne
publiera plus rien sous le franquisme. Rares toutefois sont ceux qui, restés en Espagne, eurent le
courage de s’abstenir de publier.
Ces exemples suffisent à éclairer les entraves que la dictature impose au roman. Le romancier est
forcé de se taire ou d’écrire sous la censure. La création est faible, du moins en qualité. Il n’y avait
pas de trésors dans les tiroirs des écrivains censurés après la chute du franquisme. La création
jusque dans ses racines fut stérilisée. Car la censure si aléatoire et incontournable, malgré la loi
Fraga de 1966, poussait les écrivains eux-mêmes à s’autocensurer.
La censure franquiste est définie par Luis Torres76, délégué provincial d’éducation populaire
de la province de Huesca comme un moyen de « défendre la culture pour le peuple par le biais de
75
76
Ruedo Ibérico, un desafío intelectual, residencia de estudiantes, Publicaciones de la residencia de esutdiantes,
Madrid, 2004.
Cité par Manuel Abellan, Censura y creación literaria, 1939/1975, Peninsula, Barcelona, 1981, p 249.
tous les moyens de diffusion, en l’orientant ainsi vers les bonnes coutumes dans le sain concept de
« nos » idéaux qui inspirèrent le Mouvement national, et en propageant la saine et traditionnelle
culture espagnole ainsi que le doctrine chrétienne ». La censure n’est donc pas fondée sur une
doctrine claire, mais sur une interprétation, ne s’enracine pas dans un refus idéologique, mais sur
des imprécisions, des choix et interprétations subjectives de fonctionnaires qui, pour la plupart,
n’ont jamais reçu aucune formation pour devenir lecteur et affronter la littérature, s’intégrant dans
une structure complexe et hiérarchisée de classe, de chefs, et d’auxiliaires. Enfin, l’anonymat des
censeurs permettait un jugement des plus fantaisistes. Aucun censeur n’était vraiment responsable.
Les refus ou acceptations de textes sont aussi le résultat d’un rapport bon ou mauvais de l’auteur ou
de sa maison d’édition avec l’administration censoriale, de longues conversations surréalistes,
d’amitiés et de flatteries. Carlos Barral raconte dans ses mémoires qu’il payait un homme à Madrid
pour entretenir des relations avec les censeurs :
« Les éditeurs, majoritairement catalans à cette époque, maintenaient un homme « à tout
faire », dont l’obligation principale était de faire des tours par la censure chaque deux ou trois
jours et de prendre un petit café avec l’un des complaisants fonctionnaires au bar de la maison. » 77
Il énonce des cas de refus ou d’acceptation d’ouvrages après des entrevues éprouvantes qui
n’avaient aucun sens. Dans son article signé Elosua, paru en 1956, dans Les Lettres Nouvelles,
certainement Juan Goytisolo sous couvert d’anonymat, les conditions d’acceptation des textes par
les fonctionnaires sont clairement énoncées :
« Il existe un marché noir du visa de censure. Tel censeur ajoute chaque mois à son maigre
traitement le montant d’un chèque émanant d’une importante maison d’édition. »78
Jordi Gracia comme Javier Tussel dans son article « Catadura moral » du 21 octobre 2004,
reconnaissent que l’écrivain Camilo José Cela, fort proche de l’administration censoriale79, eut
quant à lui fort peu de problème pour publier ses livres, comme l’explique le même Elosua dans cet
article de mars 1956:
« Certains motifs d’ordre idéologique contribuent également à troubler le fonctionnement
de la censure. C’est à peine si les censeurs jettent en effet un coup d’œil sur les ouvrages des jeunes
77
78
79
P 398, « Los editores, mayoritariamente catalanes en esa época, mantenían en Madrid un hombre bueno, cuya
obligación princiapal era darse vuelta por « la censura » cada dos o tres días y tomarse un cafetito con algunas de las
sufridas funcionarias en el bar de la casa. »
« La jeune littérature espagnole tend à se faire dégager des interdits de la censure », dans la rubrique « Le monde
comme il va… », Elosua, Les lettres nouvelles, mars 1956.
El País, 21 octobre 2004, article de Javier Tussel, « Catadura moral », rubrique opinion. L’auteur affirme que Cela
avait proposé d’être lui-même censeur, et avait dénoncé lors des troubles des années 1960 certains écrivains comme
rouges et irrécupérables, quand d’autres étaient achetables.
auteurs phalangistes »80.
L’allusion est claire, c’est de Cela dont on parle.
On ne peut donc pas parler d’une culture franquiste, mais seulement d’une culture sous le
franquisme, soumise aux rigueurs d’un Etat violent et corrompu :
« Le dispositif d’Etat construisit une culture au moyen de ses propres lois soumises au
pouvoir politique, ennemie du cours solidaire de l’histoire, dépourvue du sens de la raison
moderne, et espérant en l’efficacité du totalitarisme. »81
Interdits, peines, répression, autorisations, sont les mots de la culture de cette époque.
Reprenons une dernière fois, les mots si objectifs et pertinents de cet anonyme qui écrivait dans Les
Lettres Nouvelles. Il résume en quelques mots la façon dont il faut traiter la littérature espagnole de
cette époque, et quelles sont les conditions de son élaboration :
« Toute analyse des tendances de la littérature espagnole actuelle doit tenir compte de la
censure. Celle-ci oriente la production littéraire par une méthode de sélection à rebours qui, en
excluant les thèmes de la vie collective et les commentaires « engagés », confère à tous les genres
littéraires un commun caractère de frivolité. La censure n’impose pas seulement sa marque à la
littérature par les ouvrages qu’elle écarte, mais par ceux qu’elle mutile ou modifie. L’écrivain
soucieux d’être publié doit, en effet, tenir compte du point de vue du censeur et se plier à ses
interdits et flatter ses penchants. »82
Pour illustrer l’utilisation du roman par le politique, on reprendra les cas cités par Manuel Abellán
dans son ouvrage Censura y Creación literaria83 dans lequel il procède à une enquête selon les
témoignages d’une centaine d’écrivains. Les archives lors de la rédaction de ce livre n’étaient pas
encore ouvertes. Il ajoute en annexe le dossier de censure du roman Un mundo para todos de
Miguel Buñuel. On ne compte pas retranscrire tous les cas cités dans cet ouvrage, mais quelques
exemples montreront comment le roman est soumis aux nécessités arbitraires du régime. Selon un
questionnaire significatif des craintes du régime84, les censeurs doivent condamner ou approuver le
80
81
82
83
84
Cf note 19
La resistencia silenciosa, p 385/386
cf note 19
Abellán, Manuel, Censura y creación literaria, 1939/1976, Península, Barcelona, 1980.
Questionnaire du censeur (officiel) :
1/ Attaque t’il le dogme ?
2/ La morale ?
3/ L’église ou ses ministres ?
4/ Le régime ou ses institutions ?
texte. A partir des réponses des cent écrivains, on dénombre 268 cas de censure pour opinions
politiques, 91 pour morale sexuelle, 51 pour morale sexuelle et abus de langage, 25 pour morale
sexuelle, politique, religion, 13 pour religion et morale, 2 pour religion. La prépondérance du motif
politique est patente, quoiqu’il soit fort difficile de savoir à quoi correspond la raison politique.
Pour le reste la confusion est grande entre les motifs parfois répétés.
Les modifications censoriales, quant à elles, sont un modèle d’édulcoration du discours, et
d’affaiblissement, et d’homogénéisation du roman espagnol selon des nécessités politiques. Prenons
le cas du roman de Gonzalo Torrente Ballester, Off Side85, examiné par la censure en 1963. Le
passage cité met en scène un curé. Il n’existe plus après le passage de la censure. Elle modifie
totalement le personnage jusqu’à en faire un homme quelconque, et non plus un curé : page 255 et
256 : « et le curé riait » devient « et le type riait »86. Pour la suite du roman, la logique de la
modification totale du personnage est lancée :
« et il se trouvait que le curé n’était ni respectable ni ne pouvait se marier » devient « et il se
trouvait que lui n’était ni respectable ni ne pouvait se marier »87. Or l’intérêt du roman réside
précisément dans le fait que ce personnage soit curé, et que la mère en soit amoureuse. Les deux
amants veulent partir au Mexique puisqu’il leur est impossible de s’aimer où ils sont. Si le
personnage n’est plus un curé, le roman ne tient plus, la nécessité du roman tout entière est remise
en question. La cohérence de l’écriture et de l’histoire sont réduites à néant par une modification
dont l’insignifiance sémantique refuse pourtant son statut au roman comme œuvre d’art et totalité
non modifiable. Cet exemple illustre parfaitement le traitement dévolu à l’objet de création, à l’art
et à la culture en général par ce régime, qui les soumet à son idéologie.
Pour mieux comprendre les objectifs de la censure, reprenons le dossier de censure de Un mundo
para todos, de Miguel Buñuel88. On a classé les modifications en deux catégories. L’une a pour but
la négation de l’espace politique et l’autre celle de la réalité, rendant imprécis et vagues les actions
et les lieux. Dans le premier cas, la négation du politique passe d’abord par l’inexistence du régime
lui-même. Page 202, on lisait dans le manuscrit d’origine : « Ils ont besoin d’un chef, d’un
caudillo ». Et plus loin « C’est en train de tourner au subversif. Subversif ? Ils crient un slogan du
régime. Oui, mais ils le crient d’une façon… »
89
La référence à Franco est effacée. La suite est
totalement transformée. Seule subsiste la dernière phrase, qui dans ce cas n’a plus lieu d’être. De
85
86
87
88
89
5/ Les personnes qui collaborent ou ont collaboré avec le régime ?
6/ Les passages censurables qualifient ils le contenu de l’œuvre ?
7/ Rapports et autres observations
Dossier de censure cité par Manuel Abellán, dans Censura y creación literaria, p 217.
« Y el cura se reía », « y el tipo se reía ».
« Y resultaba que el cura ni era respetable ni podía casarse », « y resultaba que el tipo ni era respetable ni podía
casarse »
Dossier de censure figurant dans l’annexe II de Censura y creación literaria. On a repris pour des raisons de
commodité ces dossiers sans utiliser l’interprétation faite par Manuel Abellán.
“Necesitan un jefe, un conductor, une caudillo », « esto está convirtiendose en algo subversivo. Subversivo? Están
gritando un lema del Régimen. Sí? Pero lo gritan de un modo...”
même à la page 236, l’auteur écrit « dictateur », mot qui est remplacé par « dictature », il poursuit
écrivant « A chaque porc sa Saint Martin » ce qui devient « Dit Blas, point 90». Le motif de censure
est d’ordre clairement politique, et consiste à nier la possibilité énoncée par le roman : « deux lignes
modifiées dans lesquelles on insinuait qu’arrive la dernière heure de chaque dictateur, d’un ton un
peu irrévérencieux91 ». Remarquons que le censeur reconnaît Franco comme dictateur, et la coupure
qu’il exige prouve qu’il est conscient que l’association qui a procédé à son choix serait aussi faite
par le public espagnol. Douterait-il de l’amour inconditionnel du peuple espagnol pour son
caudillo ? La dualité entre conscience et interdit montre bien la volonté de négation de la politique
en même temps qu’elle est omniprésente, que ce soit celle du régime comme dans ce cas, ou que ce
soit celle d’une opposition si discrète soit-elle.
A la page 123, une modification des plus étranges intervient. L’auteur écrit « surveillant sept
hommes… », et le censeur écrit « surveillant cinq hommes ». L’explication du rapport de censure
est « on prétend adoucir l’apparition un peu gauchiste des ces « petits messieurs » dans le
commissariat. »92. Le nombre varie, et deux personnages sont rayés de l’histoire. C’est un moyen
d’effacer l’existence d’une éventuelle opposition, de tuer totalement l’autre, ce qui a pour ultime
conséquence de modifier entièrement le récit. Cette négation simpliste montre le total irrespect de
ces hommes au service d’un régime envers le roman.
La censure poursuit et va jusqu’à refuser la formulation de la réalité. Les motifs, comme on aura
loisir de le constater, sont spécieux. C’est le refus de la vie comme elle est, de cet état d’esprit un
peu critique, ou tout simplement réaliste, qui pourrait être une menace pour le régime, qu’exprime
ce cas. L’allusion à la violence qui rappellerait elle aussi les réalités de la dictature est absolument
exclue, ce qui permet d’inventer une vague et imprécise réalité édulcorée.
A la page 115, l’auteur a écrit : « emmenés au commissariat général de la Puerta del Sol », et le
censeur a rectifié « au commissariat ». Motif : « suppression de six mots dans le but d’empêcher
une facile localisation policière »93. La réalité du motif est d’empêcher de donner trop d’épaisseur,
de réalité au lieu et donc à l’action afin d’éviter une trop grande identification entre les personnages
et le lecteur, ou entre la situation romanesque et l’expérience réelle du lecteur. L’éloignement
garantit une forme de contrôle sur les lecteurs. On retrouve la croyance en la dangerosité du roman
qui passionne, échauffe, conduit les esprits impressionnables à faire des folies. Une telle conception
traditionnelle des dangers de la lecture cadre parfaitement avec le régime et ses présupposés. De
même à la page 118, le nom de « Directeur général de la sécurité » est remplacé par le
90
91
92
93
«dictador », « dictadura », « A cada puerco le llega su San Martin », « dijolo Blas, punto redondo ».
« modificadas dos líneas en las que se insinuaba que a cada dictador le llega su hora, de forma algo irreverente. »
« Custodiando a siete hombres », « custodiando a cinco hombres », « se pretende suavizar la aparición un tanto
izquierdista de esos “señoritos” en la comisaría.”
« llevados a la comisaría general de la Puerta del Sol », « a la comisaría », « supresión de 6 palabras para impedir
una facil localización policial »
« commissaire », atténuant le rapprochement probable avec une réalité connue et pire ici avec un
homme connu. Le motif est absent : « légère modification grâce à laquelle on sauve quelques lignes
en rabaissant le rang hiérarchique du policier »94. Avec le régime de censure, la littérature est un
compte d’apothicaire, on échange une ligne contre deux mots…
Les dernières modifications relèvent quant à elles de l’édulcoration et de la volonté de faire oublier
les réalités violentes et répressives de la dictature. Page 122, Buñuel avait écrit « et à quatre heures
ils les enfermèrent dans la cellule grillagée », et le censeur « et à quatre heures il les enfermèrent
dans la chambre contiguë. »95 La prison n’existe plus. Le censeur n’explique pas clairement la
correction, mais dit simplement que cette correction permet de garder intégralement la suite du
passage, car la police y agit correctement. Il avoue ainsi que la phrase corrigée donnait un mauvais
rôle à la police, et que ce n’est pas acceptable. Il expose clairement les recours de la censure : un
chantage avec l’auteur de phrase à phrase. De même, à la page 464, « police secrète » est remplacée
par « police ». L’explication est « suppression du qualificatif « secret » appliqué à la police »96.
Encore une réalité qui ne doit pas apparaître selon la réalité officielle que les Espagnols doivent
seule connaître. Enfin, la violence elle-même, fondement du régime, n’existe pas non plus, puisque
l’Etat franquiste a su ramener la paix, la concorde entre tous les bons Espagnols, et les valeurs
traditionnelles que la « race » espagnole partage. A la page 123, le terme « mitrailleurs » est ôté
remplacé par « pistolets »97, et à la page 456, le mot « violemment » est lui aussi enlevé de la
phrase : « La casquette que les gardiens lui enlevèrent ». Le censeur s’explique « supprimé le mot
« violemment » se référant à l’action de la police »98.
Ces exemples montrent donc comment le contrôle organisé par la censure dénaturait totalement les
textes. L’écrivain n’était qu’un instrument soumis au pouvoir politique. Cette censure élabore un
discours vide, une trahison permanente de la réalité qui est censée faire office de réalité auprès des
Espagnols. Elle instaure une littérature creuse. La négation simpliste de ce qui est refusé par le
régime est une garantie de sa stabilité. La réalité et l’imaginaire sont sous contrôle. La création
devient un défi, qui n’est plus uniquement littéraire. Outre l’auto-censure, le processus intime de
l’écriture est bafoué à chaque modification.
D’ailleurs l’auteur réagit parfois en intégrant lui-même les normes de la censure, et s’auto-censure
par peur d’être coupé.
Les écrivains peuvent ainsi s’auto-censurer en s’interdisant d’aborder certains thèmes. En
94
95
96
97
98
« Director general de la seguridad », « comisario », « leve modificación por cual se salva unas lineas bajando la
jerarquía de la policía »
« A las cuatro les encerraron en la celda alambrada », « A las cuatro, les encerraron en la habitación contigua ».
« policía secreta », « supresión del calificativo « secreto » aplicado a la policía »
« ametralladoras », « pistolas »
« la boina que los guardias le quitaron violentamente », « la boina que los guardias le quitaron », « suprimida la
palabra « violentamente » referida a la acción de la policía. »
utilisant les travaux de Maryse Bertrand de Muñoz99 on peut s’apercevoir comment le thème de la
guerre civile, thème exemplaire, dangereux, et hautement politique s’il en est, est traité tout au long
du franquisme.100 José Corrales Egea analyse, dans son article intitulé « Présence de la guerre dans
le roman espagnol contemporain », extrait de Espagne, écrivains, guerre civile, de M. Hanrez101,
l’évolution du traitement qualitatif et quantitatif de la guerre civile dans le roman espagnol de
l’intérieur. Pendant la guerre, la production est très faible. L’auteur pense, contrairement à Maryse
Bertrand de Muñoz qui croit voir le thème de la guerre civile dès 1932 dans la catégorie « Guerra
presentida » de sa classification, que le roman proprement espagnol de la guerre ne fait son
apparition qu’à partir de 1939. A l’intérieur, la guerre reste pourtant un tabou jusqu’en 1950. A cette
époque, l’éloignement et l’ignorance de ce qui s’était vraiment passé, favorisent l’émergence
d’abord allusive d’une littérature de la guerre. En 1953, Gironella publie Los cipreses creen en
Dios, suivi d’Un millión de muertos en 1961, et de Ha estellado la paz en 1966, qui sont tous trois
de grands succès de librairie. On peut traiter de la guerre, on peut en parler sans trop de parti pris, et
plaire au lectorat espagnol. Cependant, le roman espagnol de l’intérieur, et Los cipreses en sont un
exemple, est rarement centré sur l’événement même. La guerre est davantage une toile de fond, un
élément passé encore problématique. A partir des années 1960, sa présence devient manifeste et plus
libre.
« A mesure que la présence de la guerre prend de l’importance, un personnage essentiel,
« secrété » par le conflit, se dessine : c’est le personnage du vaincu, c'est-à-dire de l’ancien
combattant de l’armée républicaine, dans une société modelée par les vainqueurs »102
La mine de Salinas, qui paraît en 1960, est le premier roman où le vaincu n’apparaît plus comme
une allusion mais comme un véritable personnage. Ce changement est visible dans le graphique
représentant l’évolution des thèmes de la guerre civile abordés par les romans espagnols au cours de
la période103. Au fur et à mesure, si l’amour perdure, l’exil, le retour, la prison, prennent le pas sur la
lutte entre les bons et les méchants ou encore sur l’opposition entre deux frères ou deux amis, qui
n’étaient que les ressorts romanesques fréquents des romans modèles du premier franquisme. La
libération de la parole sur la guerre civile s’aperçoit dans le graphique représentant le rythme de
publications totales, espagnoles et françaises. Si la production espagnole suit le rythme général, il y
a deux temps qui accusent une différence accrue : les années 1940 sont les années d’un silence
consensuel ou forcé en Espagne, alors que c’est une période de récits plus ou moins
99
100
101
102
103
La guerra civil española en la novela, bibliografía comentada, Tome I et II
Voir annexe II : le thème de la guerre civile dans la littérature espagnole
Hanrez, Marc, Espagne, écrivains, guerre civile, Les dossiers H, Cahiers de l’Herne, Paris, 1991.
« Présence de la guerre dans le roman espagnol contemporain », article de José Corales Egea, dans Espagne,
écrivains, guerre civile.
Annexe II
autobiographiques en France, et une période de publications soutenues dans toute la production
traitant de la guerre civile. Le second temps correspond à la fin de la période. Les publications au
sujet de la guerre civile s’essoufflent dans leur ensemble depuis la fin des années 1960, déjà. Au
début 1970, elles sont rares. En Espagne, toutefois, bien que la production diminue, elle reste encore
importante, alors qu’elle n’existe plus du tout en France. La parole, avec les derniers jours du
dictateur, se libère enfin. En France, le sujet est désormais dépassé.
Ainsi, les réflexions de José Corrales Egea viennent confirmer ce que les graphiques avaient
montré. La littérature de la même façon que le cinéma se lance dans la réappropriation du passé
espagnol avec lenteur, avec timidité pour oser enfin parler à la fin de la période des thèmes les plus
délicats de la guerre civile. Censure et auto-censure se sont mêlées pour occulter, pour taire, le
thème politiquement très dangereux de la guerre civile tout au long du franquisme.
D’autres écrivains, quant à eux, s’empêchent d’utiliser certains types d’écriture, alors que d’autres
élaborent une écriture codifiée, pour lutter contre
« L’occupation d’une langue par une caste toute puissante qui en mutile les possibilités
expressives en exerçant une sournoise violence sur ses significations virtuelles »104.
L’écrivain tente à partir des possibilités du langage qu’il détient de formuler des critiques qu’un
lecteur espagnol devait pouvoir comprendre. Une fois de plus, citons Juan Goytisolo qui, au cours
d’un entretien avec Geneviève Champeau, explique comment son écriture a évolué, et s’est
codifiée, dans le seul but de passer l’épreuve de la censure. Il se réfère ici aussi à Campos de Níjar :
« Maintenant je me souviens c’est clair, par exemple dans Campos de Níjar, je l’ai écrit de
telle façon, en mesurant tout ce que je disais pour parvenir à une chose : que la censure ne puisse
rien couper. Ils devaient l’interdire en bloc ou l’accepter en bloc. Ils l’ont admis en bloc. Mais il
était plein de choses…Par exemple, je me souviens que, à un moment donné, il dit : « Nous parlons
de ce qui se passe en Espagne », et le maître de maison se lève et doit fermer la fenêtre. C’était
donner à entendre qu’on était en train de parler de politique et de critique. On ne disait rien et on
disait, enfin, c’était tout… »105
L’écriture est de toute façon toujours contrainte, et les ruses d’écrivains ne parviennent pas à
remplacer la liberté d’expression. Juan Goytisolo parle de « possibilisme » littéraire pour expliquer
comment l’auteur se trouve acculé presque inconsciemment à écrire selon les normes censoriales
pour ressentir la satisfaction de l’avoir dépassée. Mais la déception est souvent grande, lorsque
104
105
Juan Goytisolo, “Une culture conditionnée”, Le Monde Diplomatique, février 1974.
Ibéricas, cahiers du CRIC, « de sur a sur », « Rencontre avec Juan Goytisolo, Mesa redonda, « Tradition et
modernité » », édition préparée par Lucienne Domergue, Cric et Orphys, Toulouse, 1994..
l’auteur se rend compte qu’il n’a pas écrit librement, ni pour lui, ni pour ses lecteurs, sinon pour que
la censure lui permette d’éditer. C’est ce qu’il explique lorsqu’il se rendit compte qu’il s’était
autocensuré à l’écriture de Campos de Níjar :
« Pour éluder les filets et les pièges de la censure, je m’étais moi-même converti en
censeur”
et encore :
“Obligé à obéir aux règles du jeu, à agir dans le champs limité du possibilisme, j’avais
payé un odieux tribut aux cancerbères du Régime. »106
Une autre forme de censure, conséquence de la censure gouvernementale, est la censure éditoriale.
Les maisons d’édition elles-mêmes refusent des textes qui seront rejetés par la censure. La doctrine
officielle est une condition de la viabilité économique de l’entreprise. Dans Censura y creación
literaria, Manuel Abellán affirme :
« L’éditeur ou le directeur littéraire d’une entreprise se trouve dans la difficile position de juge et
partie en même temps. Il doit juger une œuvre pour ses qualités artistiques ou littéraires, mais sans
perdre de vue non plus les conséquences économiques qui dériveraient d’une publication dont
l’accès à la consommation légale implique, aux yeux de l’institution censoriale, une complicité de
diffusion de matières criminelles. »107
Selon leur réputation certaines maisons parviennent à faire accepter des textes originaux. La mina
d’Armando Lopez Salinas, publié par les éditions Destino, jouit d’une autorisation sans résistance
de la part de la censure car cette maison est aux yeux de la censure loyale et politiquement
transparente. Dans ce cas, l’auteur, qui a déjà affronté la censure, n’aura pas cette fois-ci à en
redouter l’appareil répressif, alors que son roman est fortement social, et dénonce dans un exposé
des plus objectifs le sort misérable des mineurs espagnols. La tendance idéologique de la maison
d’édition constitue donc un obstacle ou un avantage à la publication d’une oeuvre. Car l’édition est
évidemment contrôlée par le franquisme, qui maîtrise en partie le paysage éditorial espagnol de
l’époque.
106
107
“Para eludir las redes y trampas de la censura, me había convertido yo mismo en censor”, “Obligado a obedecer a
las reglas del juego, a actuar en el campo limitado del posibilismo, había pagado un odioso tributo a los cancerberos
del Régimen.”, dans Goytisolo, Juan, Memorias, ediciones Península, Barcelona, 2002, p 325.
« El editor o el director literario de una empresa editora se encuentra en al dificil situación de ser juez y parte al
mismo tiempo. Tiene que juzgar una obra por sus cualidades artísticas o literarias, pero sin perder de vista tampoco
las consecuencias económicas que se derivarían de una publicación cuyo aceso al consumo legal implique, a los ojos
de la institución censorial, complicidad en materias delictivas.”, dans Abellán, Manuel, Censura y creación literaria,
1939/1976, Península, Barcelona, 1980, p 97.
Chapitre 4 : Les conditions de l’édition : une industrie contrôlée
Le régime, en effet, met en place une maison d’édition d’Etat, Editora Nacional, fondée en
1937, dont le but est la propagande directe par le biais de la récupération d’un patrimoine littéraire
et historique. Les textes publiés doivent être fondateurs pour le régime, le consolider et le justifier.
Pedro Laín Entralgo, chef du Département des Editions et Publications de l’Editora Nacional parle
avec emphase de sa mission de formateur du peuple, et de l’importance de la maison dont il a la
charge :
« Notre première tâche fut de divulguer la vérité de notre guerre et la doctrine du
Mouvement. Puis nous avons publié des livres de contenu littéraire, philosophique, de politique
internationale…Les mots du Caudillo et les œuvres de José Antonio l’une de nos plus grandes
réussites ont atteint plusieurs rééditions… »108
Avec lui travaille l’ensemble du groupe d’intellectuels phalangistes, proches du pouvoir qui
gravitent autour de Dioniso Ridruejo, et Escorial109. Ce sont Torrente Ballester, Luis Rosales, Luis
Felipe Vivanco, Antonio Tovar, José Antonio Maravall. Ce groupe clos représente la culture de
l’époque. Ce sont exactement les mêmes hommes qui se trouvent en poste à la direction de la
section propagande du ministère de l’intérieur. Ils résument donc la culture sous la première période
du franquisme. Irène Da Silva, auteur d’une thèse sur Editora Nacional rapporte dans un article
paru dans le Bulletin d’Histoire contemporaine de l’Espagne numéro 24, une phrase abrupte de
Pedro Laín Entralgo, qu’elle rencontra en 1995 à Salamanque, qui résume en ces termes ce que
signifiait la participation du groupe Escorial dans la rédaction d’ouvrages pour la Editora
Nacional :
« C’était la façon de donner 1 000 pesetas aux amis »110
Ce monde se refermait sur lui-même, et inventait la norme culturelle de l’Etat franquiste, suivant
des nécessités économiques.
Editora Nacional compte environ 22 collections, des plus variées. Cependant, elles ont toutes pour
objectif la défense à outrance d’une culture hispanique, le rejet de toute influence étrangère car
jugée pernicieuse, le retour au passé et l’apologie de la tradition comme principal modèle à suivre
108
109
110
Arriba, dimanche 13 décembre 1942, cité par Irène da Silva, dans le Bulletin d’histoire de l’Espagne
contemporaine n°24, « Deux collections bréviaires de la Editora Nacional dans les années 40. »
Escorial est une revue fondée par les jeunes intellectuels phalangistes financée par la délégation de la presse et de la
propagande dont était précisément responsable Dioniso Ridruejo. Revue de très haute qualité littéraire elle se
détourne au cours des années 1940 de la politique franquiste, et continue de publier des textes littéraires. Ses
animateurs sont Eugenio d’Ors, Pedro Laín Entralgo, Dioniso Ridruejo, Torrente Ballester, Vicente Aleixandre,
Gimenez Caballero, Luis Rosales, Antonio Tovar. Tous ces hommes vont définitivement abandonner l’idéologie
phalangiste et franquiste et devenir de véritables opposants à partir des années 1950.
« Era la manera de dar 1000 pesetas a un amigo », cité par Irène da Silva.
dans le présent, de la religion, et du mythe de l’unité de l’Espagne et de son destin. Sa collection la
plus importante est constituée par « Bréviaires de la vie et de la pensée espagnole» constituée de 61
anthologies et 38 biographies, qui sont des modèles à suivre, des guides qui doivent conduire les
Espagnols sur la voie de la régénération. On remarque la prépondérance naturelle des biographies,
de l’histoire revue par le franquisme, dans la présence d’autres collections : « Grandes biographies »
ou « Traces du passé », dont le but est de rendre un culte aux grandes figures, c’est selon le discours
officiel « Hacer justicia y Patria »111. D’autant que ces collections sortaient en format de poche et
étaient bon marché.
Editora Nacional a également essayé de se diversifier et d’embrasser des domaines aussi différents
que la musique, le droit, l’actualité, les essais, l’économie… Mais cette volonté de maîtriser
l’ensemble des thèmes se solde par un échec visible dans le nombre insuffisant de parutions de
certaines collections, comme c’est le cas dans la collection « Pièces de théâtre » constituée
seulement de 9 titres, ou encore de la collection baptisée « Philosophie, religion, médecine et
droit », qui dans son ensemble n’est formée que de 9 ouvrages, dont aucun, malgré le nom de la
collection, ne traite de médecine, ni de droit. Enfin, citons une collection parfaitement hétéroclite,
traitant autant d’art que de la bombe atomique en passant par l’humanisme espagnol, n’ayant ainsi
aucun sens éditorial, mais dont le nom est particulièrement révélateur du franquisme « Ou il grandit
ou il meurt » qui est constituée par 174 ouvrages, ce qui en fait, malgré son incohérence, la
collection la plus importante de la Editora Nacional.
Dans cette incohérence, dans cette
imprécision des objectifs éditoriaux, on peut lire non pas un intérêt éditorial véritable, une ligne de
propagande cohérente, mais uniquement la volonté étatique de contrôler toutes les formes de
discours, toutes les matières, d’une façon désordonnée. Editora Nacional n’aurait pas suffi à
imposer une norme franquiste à la culture, s’il n’y avait pas eu aussi des maisons d’édition
parfaitement acquises au régime, surtout dans sa première phase, ce qui rendait notamment
impossible l’apparition d’un vrai roman espagnol, ce sur quoi on reviendra.
Face à cette entreprise d’Etat, de petites maisons d’édition privées existent. Mais on ne peut
les considérer comme indépendantes, car leur rapprochement avec le pouvoir est en principe
obligatoire. Dès 1944, le rôle de l’éditeur a été en effet ainsi défini :
« Les éditeurs se voient obligés par un impératif national à contribuer par tous les moyens à
leur disposition à la glorification et au prestige des valeurs spirituelles traditionnelles du peuple
espagnol, en devant non seulement agir et accomplir loyalement toutes les dispositions qui sont
dictées en rapport avec la diffusion des doctrines religieuses, morales et politiques, mais aussi
111
“C’est faire justice et Patrie”, Irène Da Silva, bulletin d’histoire de l’Espagne contemporaine, n° 24.
exercer spontanément son industrie comme un magistère très haut. »112
Pour certains le problème ne se pose pas car ils sont dores et déjà acquis aux valeurs de la dictature.
Dans la première phase du franquisme, c'est-à-dire jusqu’à la fin des années 1940, les grands
éditeurs sont Luis de Caralt, Destino, Janés. Chacune de ces maisons entretient un rapport différent
avec le franquisme. Luis de Caralt est par affinités politiques proche du pouvoir, il fut phalangiste,
et conseiller à la culture de la mairie de Barcelone, donc directement intégré dans les rouages du
franquisme. Les thèmes abordés dans son catalogue sont parlants : religion et théologie, art militaire
en général, ethnologie (coutume, folklore, races) et d’autres plus neutres comme Beaux Arts,
Loisirs, ou Histoire qui ne se définit que par les « Grandes figures », et la « Culture historique ». On
doute de l’objectivité de ces dernières collections. La littérature qu’il propose de surcroît est une
« littérature de gare », celle précisément favorisée par le régime tentant de mettre en place une
« sous culture de masse ». Les noms des collections traduisent la mauvaise qualité de ces romans :
« club du crime », « l’amour et l’aventure », ou encore « best sellers de la violence ».
Destino, quant à elle, est le fruit de la revue Destino, créée par des phalangistes catalans comme
José María Fontana, et Xavier de Salas afin d’établir un contact avec les phalangistes de Burgos. En
1939, naît la maison Destino et à partir de 1942, elle se tourne définitivement vers la littérature
espagnole avec sa collection « Ancora y Delfin ». En 1944, elle fonde le Prix Nadal qui reste encore
une référence, et multiplie les collections. Cette maison, au début politiquement très marquée, prend
progressivement ses distances avec la politique et le phalangisme de combat, tout en gardant
pourtant des rapports privilégiés avec le pouvoir. Elle eut dans tous les cas un rôle fondamental pour
la littérature espagnole :
« Il est reconnu que les Editions Destino eurent un rôle très important dans le monde de l’édition
espagnole de l’après guerre, surtout en ce qui concerne la promotion du roman espagnol. »113
D’autres maisons indépendantes existent, dans la mesure où le régime le permettait, comme la
maison de José Janes. Républicain, il rentre en Espagne, est emprisonné, sauvé par des amis
phalangistes et ouvre sa maison d’édition. Cette dernière devient rapidement une maison de
référence, et Janés le premier grand éditeur de l’après guerre, politiquement éloigné du régime. Les
difficultés financières et censoriales se multiplient pourtant. Les noms de ses collections sont
révélateurs. Ils sont plutôt poétiques « Ave phoenix », ou reprennent des noms de collections
112
113
« Los editores vienen obligados por un imperativo nacional a contribuir por todos los medios a su alcance al
enaltecimiento y prestigio de los valores espirituales tradicionales del pueblo español, debiendo no sólo actuar y
cumplir lealmente cuantas disposiciones se dicten en orden a la difusión de doctrinas religiosas, morales y políticas,
sino también ejercer espontáneamente su industria como un altísimo magisterio.”, Réunion de l’association du livre
espganol, 1944, cité par Xavier Moret, Tiempo de editores, Historia de la edición en España, 1939/1975, Destino,
Barcelona, 2002.
« Es sabido que Ediciones Destino desempeño un papel importantísimo en el mundo de la edición española de
posguerra, en esepcial en lo que se refiere a la promoción de la novela española. », Moret, Xavier, Tiempo de
editores, historia de la edición en España, 1939/1975, Destino, Barcelona, 2002.
étrangères comme « Pleyade », ou encore affichent clairement leur contenu « Histoire », « Grands
prix littéraires, les classiques du XX è siècle », mais aucun n’a de rapport direct avec le régime et
ses valeurs. On remarque l’absence de la religion dans ces collections.
Malgré une relative indépendance de certaines maisons d’édition, la première partie du franquisme
impose un contrôle absolu. La qualité des œuvres publiées est parfois réelle mais toujours sous la
contrainte omniprésente du régime, qu’elle soit littéraire ou éditoriale. L’évolution du franquisme,
l’ouverture des frontières avec la France en 1948, et l’apparition de nouvelles générations
permettent toutefois à la fin des années 1940 la création de nouvelles maisons moins dociles. Mais
la diffusion ne peut être normalisée, car le cadre fixé par le régime favorisa le vide culturel, la
médiocrité intellectuelle, et ne laisse qu’une place limitée et confidentielle à la littérature de qualité.
Le problème de la littérature espagnole de cette époque se pose en terme de contrôle et de capacité
de diffusion, mais aussi de qualité littéraire, car comment diffuser une littérature de mauvaise
qualité ? Dans l’ouvrage La rénovation du roman espagnol
114
, Vazquez Montalbán écrit dans son
article « La novela española entre el posfranquismo y el posmodernismo » :
[En faisant référence au franquisme] « Une société lectrice est précaire quand on a de nombreuses
difficultés pour lire, pour écrire, pour critiquer, pour éditer. C'est-à-dire que les quatre éléments
fondamentaux sont constamment sous l’épée de ce qu’on peut éditer et de ce que l’on ne peut pas
éditer. »115
La situation de la littérature et de l’édition dans les conditions imposées par le franquisme ne
permet pas ou peu de diffuser le roman espagnol à l’étranger, et précisément en France. Les maisons
que l’on a étudiées sont les plus importantes. Ce sont donc celles qui vendront des œuvres en
France. Chacune entretient des rapports très différents avec le régime. Elles constituent donc une
image fiable du monde éditorial de l’époque, mais aucune ne parvient à sortir des difficultés du
secteur éditorial, et de celles de publier un bon livre sous le franquisme.
Il faut donc tenter désormais d’évaluer quelle part de responsabilité eurent l’évolution littéraire, et
les facteurs politiques dans les débuts de la diffusion du roman espagnol en France à partir des
années 1950. L’ouverture du régime a-t-elle favorisé la diffusion. Les maisons d’édition françaises
ont-elles subitement découvert la littérature espagnole ? Les éditeurs et écrivains espagnols ont-ils
changé de comportement face au régime ?
114
115
Lissorgues, Yvan, La rénovation du roman espagnol depuis 1975, Actes du colloque des 13 et 14 février 1991,
collection Hespérides, Presse universitaire du Mirail, 1991.
« Es una sociedad lectora precaria por cuanto tiene muchas dificultades para leer, para escribir, para criticar, para
editar. Es decir que los cuator elementos fundamentales estan constantamente bajo la espada de lo que se puede
editar y de lo que no se puede editar”, p 15.
II/ La diffusion du roman espagnol en France
La présence du roman espagnol en France s’observe depuis le début du siècle, sans compter
les classiques tels que Don Quichote ou La Celestina, véritables jalons de l’histoire de la littérature
occidentale. Des hommes comme Valéry Larbaud notamment, qui vécut à Valence et travaillait chez
Gallimard, eurent une influence importante dans l’édition de romans espagnols, en faisant, par
exemple, paraître des traductions de Ramon Gomez de la Serna, pourtant encore peu connu en
1916-1917. Larbaud ne tarde pas à découvrir tous les écrivains de la génération de 98116. Il établit
ainsi par ses choix une véritable ligne éditoriale. Jean Cassou, professeur à l’Institut d’Etudes
Hispaniques, traducteur, lecteur chez Gallimard notamment, critique, rédige dans une collection
intitulée « Panoramas des littératures contemporaines », un Panorama de la littérature espagnole,
publié en 1931, où sont cités Unamuno, Ganivet, Jorge Guillén, Ortega, Ramón Gomez de la Serna,
et des auteurs déjà reconnus dont la carrière est loin d’être terminée, comme Azorín, Baroja,
Maetzu. Il aborde enfin les auteurs de la nouvelle génération en disant :
« La jeunesse espagnole avec laquelle nous entretenons d’étroites amitiés, prolonge les
générations qui l’ont précédé et profite de leur effort : moins soucieuse de reconstituer la
conscience nationale, peut-être se sent-elle moins isolée. Elle devine que l’Europe l’accueillera
aisément, de même que sans contrainte et sans tragédie, elle accueille l’Europe. Juan Ram
Jiménez, D’Ors, Gómez de la Serna constituent une forme de modèle : les nouveaux sont Lorca,
Alberti, Salinas, Cernuda, Aleixandre, Damaso Alonso, Altolaguirre ou encore Gimenez
Caballero »117.
Certes le présage manque profondément de lucidité. C’est celui d’un homme de lettres qui
exprime sa propre vision française et littéraire sur l’évolution de l’Espagne. Il n’empêche que la
génération nouvelle est connue en France en 1931, et qu’on en trace même la filiation. La littérature
espagnole bénéficie donc, d’une part d’un traitement favorable de la part de personnalités aussi
importantes dans le monde éditorial que Valéry Larbaud et Jean Cassou, et d’autre part est
précisément suivie, dans une mesure tout de même fort limitée.
116
117
Cf Mousli, Béatrice, Valéry Larbaud, collection les grande biographies, Flammarion, Paris, 1998.
La littérature espagnole, chapitre « la jeune génération », Kra, Paris, 1931.
Chapitre 5 : Etat de la littérature espagnole en France
Pourtant, la littérature espagnole semble, au lendemain de la guerre civile, n’avoir plus de
crédit auprès des maisons d’édition françaises, si tant est qu’elle en ait eu véritablement, comme le
dit Juan Goytisolo :
« L’attention prêtée à l’Espagne par les maisons d’édition françaises a presque toujours été
mesquine, décalée ou intermittente. Hors du cas à part de García Lorca, glorifié dès le début avec
le lancement de ses Œuvres Complètes, même les auteurs les plus représentatifs de la génération de
98, tout comme ceux des générations successives d’avant et après guerre n’ont atteint dans les
années 1950 une diffusion moyenne, ni n’ont été objet d’une traduction sélective et correcte. »118
La littérature espagnole jusque dans les années 1950 est forcément une littérature
prioritairement franquiste. Or, comme en témoigne les catalogues des maisons d’édition consultés,
il est fort rare de rencontrer un écrivain phalangiste ou proche du régime, publié en France, ce qui
réduit déjà les possibilités de diffusion. Eugenio d’Ors pas plus que les autres n’est publié. Rien de
Laín Entralgo, de Dioniso Ridruejo, ou de Torrente Ballester, que l’on exhume à peine depuis les
années 1990. D’autres lointainement liés au régime sont parcimonieusement édités comme Pío
Baroja, Gimenez Caballero, dont seul un essai est publié en 1950. Il semble donc qu’il y ait un
choix de ne pas publier cette littérature espagnole. La fermeture de l’Espagne sur elle-même
explique peut-être l’absence de cette littérature phalangiste, mais il n’y a aucun rattrapage lorsque
les frontières s’ouvrent. Selon l’interprétation de Juan Goytisolo, la littérature franquiste était une
littérature de propagande ce qui implique sa faible qualité littéraire. A l’image du réalisme social,
l’art de propagande franquiste ne produit que des œuvres sans relief incapables d’intéresser la
moindre maison d’édition française. Pourtant, José Carlos Mainer dans son ouvrage Falange y
Literatura119, fait remarquer que certaines œuvres phalangistes sont de bonne qualité littéraire.
S’ajoute donc certainement un refus idéologique, et une méconnaissance certaine, en France, de
cette littérature qui n’a sans doute pas les relais suffisants pour se faire connaître.
La littérature espagnole diffusée en France est donc réduite à la portion congrue. Elle se résume
pendant longtemps à la littérature franquiste, seule permise, donc exportable. L’évolution de sa
diffusion est marquée. On se réfère pour cela au graphique sur l’évolution du nombre de titres
118
119
« La atención prestada a España por las editoriales francesas ha sido casi siempre mezquina, desenfocada o
intermitente. Fuera del caso especial de García Lorca, glorificado al initio con el lanzamiento de sus obras
completas, ni los autores más representativos del Noventa y Ocho ni de las generaciones sucesivas de antes y
después de la guerra habían alcanzado en los años cincuenta una mediana difusión ni eran objeto de una traducción
selectiva y correcta.”, p 410, Memorias, Juan Goytisolo.
Mainer, José Carlos, Falange y Literatura, colección textos hispánicos modernos, Labor S.A., vol. 14, Barcelona,
1971.
espagnols publiés en France120. On remarque une absence totale de publications espagnoles de 1939
à 1944, compte tenu de la guerre. En 1945, on ne compte qu’une seule publication. Jusqu’en 1952,
le rythme des publications est irrégulier. Il n’y a pas de parutions ni en 1947, ni en 1952. Le nombre
de livres durant les années où certains paraissent est faible. Il se situe entre 1 à 3 ouvrages. A partir
de 1953 l’augmentation du nombre de parutions est sensible, et ce jusqu’en 1963, où le nombre
minimal est de 4 ouvrages par an, et connaît des pics comme en 1958, avec 10 parutions, et 1960
avec 11 parutions. Pour cette période la moyenne est de 7 parutions par an. Puis à partir de 1965, le
nombre d’ouvrages espagnols diminue, et le rythme de parution redevient irrégulier. On passe
brutalement en 1965 à 3 parutions, puis les années 1966 et 1967 ne comptent que deux parutions
chacune. 1968 est une nouvelle année faste avec 7 parutions, qui correspond au nombre moyen de la
période 1953/1964. L’année 1969 marque une nouvelle chute, amplifiée en 1970. De nouveau en
1971, les parutions atteignent le nombre de 5. Il n’y a plus une seule publication dans les années
1972 et 1973. Un ouvrage paraît en 1974, mais en 1975 de nouveau c’est l’absence de la littérature
espagnole qui est remarquable.
La période majeure pour la publication du roman espagnol en France, se situe entre l’année 1953 et
l’année 1964, ce qui correspond à la vague du roman réaliste espagnol. Elle commence en Espagne
en 1951, et se termine au début des années 1960. Le léger décalage chronologique ainsi constaté
s’explique facilement par le temps de lecture de l’ouvrage dans la maison d’édition française, sa
traduction, et sa parution. La contribution de ce courant pour la connaissance du roman espagnol
dans son ensemble donc est flagrante.
A partir des tableaux réalisés sur les écrivains espagnols dont les ouvrages ont paru en France, on a
calculé le temps que nécessitait une parution en France. Force est de constater que le roman réaliste
est largement favorisé : ce dernier met environ deux ans et demi pour passer la frontière, quand
certains ouvrages de Pío Baroja comme L’arriviste sentimental, ou L’Aurore rouge ont attendu 40
ans environ pour être connus du public français. Encore fallut-il qu’un éditeur, imprimeur, amateur
de littérature espagnole, Jacques Susse, décidât de l’éditer en 1946. Le court délai qui existe entre la
parution espagnole des romans réalistes et leur traduction française est issu d’une politique
éditoriale, notamment celle de Gallimard, comme nous aurons l’occasion de l’observer plus tard.
On note que d’autres romans, qui ne se rattachent pas au courant réaliste, bénéficièrent ailleurs
d’une politique éditoriale similaire. Mais dans ce cas là c’est un auteur et non un mouvement qui est
favorisé. On peut prendre ainsi le cas de Gironella qui édita chez Flammarion mais surtout chez
Plon ses romans dans un délai d’un an ou deux après leur sortie en Espagne. La politique éditoriale
qui fit le roman réaliste, qui le rendit si présent en France, fut une politique qui s’occupait
davantage de mettre en valeur la littérature. Le choix de faire confiance à ce courant comme preuve
120
Annexe VII
de qualité ou de critère commercial a permis de donner une grande actualité et résonance au roman
espagnol. Les lecteurs français ont pu connaître la littérature espagnole contemporaine. Des auteurs
de moindre qualité, comme Andras Laszlo, attendirent longtemps avant d’être édités en France,
entre deux ans et 16 ans dans le cas de ce dernier. Ce type d’observation nous permet de décrypter
la politique éditoriale d’une autre maison qui, en l’occurrence, est la Librairie des Champs Elysées.
En effet, on remarque que cet écrivain est publié la première fois en 1955, avec un ouvrage paru en
Espagne en 1954. Il n’a donc attendu qu’un an. Après un succès certain, vu le nombre d’ouvrages
qu’il a publié dans cette même maison,- 22 ouvrages-, la maison s’est tournée vers des romans qu’il
avait déjà publiés en Espagne et qui restaient inédits en France. Ainsi le second ouvrage de Laszlo
aura attendu 13 ans avant de paraître en France.
Ceci nous porte à croire que le roman réaliste a ouvert la brèche au roman espagnol dans le monde
éditorial français. En effet, Laszlo ne commence à être publié en France qu’en 1955, lorsque le
roman réaliste est déjà entré dans les maisons d’édition françaises et les librairies. La différence de
délai vient certainement de la jeunesse des écrivains du roman réaliste, qui ont peu écrit avant, et
l’expérience littéraire d’autres écrivains qui ont déjà écrit, inconnus jusqu’alors en France, que le
roman réaliste permet de faire entrer sur la scène française.
Suivant donc l’apparition du roman réaliste, une autre littérature espagnole existe en France entre
les années 1950 et 1960. C’est une littérature plus traditionnelle, plus populaire, faite de romans
d’amour et d’aventure qui appartiennent au style romanesque le plus représenté en Espagne, dont
Jordi Bonells dit :
« Auteurs contemporains farouchement conservateurs qui font de l’exemplarité morale,
historique sociale ou individuelle, l’objet de leurs fictions : Léon, Concha Espina, Fernandez
Flores, Salaverría, Zunzunegui… »121
Le dernier auteur cité publie chez Plon et Del Duca. Cette dernière maison fait paraître en 1956
Madrid en guenilles. L’étude du volume en dit long sur le type de publication. C’est un lourd
volume dont la couverture est le portrait d’une femme brune, aux lèvres peintes en rouge, aux
grands yeux, une fleur rouge dans les cheveux, un châle sur les épaules. Elle porte une robe à fleurs
très décolletée laissant apparaître sa poitrine. Le fond est jaune. Derrière la femme, ressemblant
bien plus à une Andalouse qu’à une Madrilène, on peut voir une affiche bleue laissant deviner
« Toros domingo aficionado ». Le titre et le nom de l’auteur sont écrits en caractères relativement
gros mais se confondent. L’ensemble de la couverture a une apparence un peu chaotique. La
collection à laquelle appartient cet ouvrage s’intitule « Collection amours et aventures », dont la
présentation se passe de tout commentaires : « de la tendresse, de la passion, du courage, de
121
Bonells, Jordi, Le roman espagnol contemporain, collection 128, Nathan université, Paris, 1998, p 14.
l’humour :
De l’aventure : la grande, la glorieuse, la tendre.
Des personnages captivants, parfois exceptionnels, évoluant dans un monde à leur mesure.
Des auteurs français et étrangers parmi les plus connus pour leur qualité littéraire, l’audace de leurs
sujets, leur imagination. »
Les précisions données au sujet de la collection pourraient presque constituer une parodie, si elles
n’avaient pas été sincères, tant elles sont éloignées de la réalité !
Citons également le cas de José Luis Martín Vigil, écrivain populaire et franquiste très à la mode en
Espagne, puisqu’il apparaît en 1968 au huitième rang des meilleures ventes en Espagne avec son
roman au titre évocateur Un sexo llamado débil122. Il publie 11 ouvrages chez Castermann. Les titres
cette fois-ci sont fortement révélateurs du type de littérature : Jordi mon fils, Scandale à Bilbao, La
puissance et l’honneur…pour n’en citer que quelques uns. Il existe donc une autre littérature que le
roman réaliste dans les librairies françaises, un roman plus populaire et fortement lié à la vision
franquiste de l’Espagne, du moins à la vision que le franquisme veut donner de l’Espagne. Ce
roman est une forme de propagande lointaine, ou du moins un moyen de faire oublier la réalité de
l’Espagne de ces années-là en donnant à lire aux Espagnols et aux Français des romans d’aventure
échevelés où les personnages sont les topoi rêvés du discours franquiste.
Enfin, il existe des ouvrages, qui ne sont pas forcément des romans, publiés précisément par
engagement. Les cas sont plus ponctuels, car ce n’est pas dans le but de mettre en valeur la
littérature espagnole que sont publiés ces ouvrages, mais pour témoigner d’un refus du franquisme,
qui peut s’inscrire dans certains cas dans un refus général de l’injustice, et une lutte pour la liberté.
Ainsi François Maspéro123, homme résolument de gauche, combattant en faveur de toutes les
minorités, lié aux Temps Modernes, publie pour inaugurer sa première collection l’ouvrage de Pietro
Nenni, La guerre d’Espagne. Ce n’est évidemment pas un roman, mais cela témoigne simplement
de la valeur qu’avait la guerre d’Espagne pour la gauche française de l’époque. Dans la collection
« Voix », dirigée par Fanchita Gonzalez Battle, il publie quelques oeuvres littéraires espagnols.
Mais ce sont en général des ouvrages de poésie comme Je demande la paix et la parole de Blas de
Otero124, qui eut un très grand écho dans les journaux et revues de l’époque, ou encore la Pell de
Brau de Salvador Espriu, dans une version bilingue. Les éditions du parti communiste, ou encore
Ruedo Ibérico, fondée en 1961, par cinq exilés, publient des ouvrages directement anti franquistes,
majoritairement des essais historiques dans des collections aux noms suggestifs, « España
contemporánea », dirigée par José Martinez, « Biblioteca de cultura socialista », dirigée par Jorge
122
123
124
A partir des informations issues de Edición y comercio del libro español: 1900/1972, de Fernando Cendán Pazos.
Traduction du titre : Un sexe appelé faible.
Une abeille et des guêpes, récit de l’expérience éditoriale de François Maspéro.
Dossier de presse constitué par 20 articles datant de la parution en 1963, jusqu’en 1971, provenant autant de revues
spécialisées, telle Les lettres françaises, que de journaux généraux tel Le Monde.
Semprún, « El viejo topo », dirigée par Carlos Semprún Maura, « Mundo Contemporáneo », « Buen
amor, loco amor », « Al otro lado », « Poesía », et « Testimonios ». Les ouvrages de Ruedo Ibérico,
aux thèmes fort variés toujours en opposition avec les valeurs franquistes 125, rencontraient donc de
nombreuses difficultés pour entrer en Espagne, bien qu’ils fussent dès l’origine destinés à un public
espagnol. La maison bien qu’étant à Paris s’est toujours considérée comme une maison espagnole.
Ainsi elle avait comme objectif de remettre en question les interprétations de l’histoire faites par le
régime, de donner la parole aux opposants, et de se positionner contre le régime dans les
polémiques actuelles. Ruedo Ibérico, qui représenta un « défi intellectuel » pour reprendre le titre de
l’exposition proposée par la résidence des étudiants de Madrid organisée en 2004, fut une arme de
combat anti-franquiste, plus radicale que la diffusion de la littérature espagnole de la nouvelle
génération, mais qui participe du même élan des années 1960, voulant donner la parole aux jeunes
Espagnols qui n’acceptaient plus les conditions d’un régime autoritaire. Selon les mots des
organisateurs de l’exposition, en parlant de Ruedo Ibérico, ce que l’on pourrait étendre à l’ensemble
de la production et diffusion de livres espagnols en France, :
« Il serait puéril de prétendre qu’un travail éditorial aurait pu démonter un régime, mais il
ne convient pas non plus d’ignorer cet exercice anticipé de liberté. »126
Ainsi le roman espagnol existe en France, sous diverses formes, au début des années
1950, mais il va se confondre, au fur et à mesure que sa diffusion augmente, avec le « roman
réaliste », phénomène éditorial et esthétique, autant que politique, qui s’ouvre en 1950 en Espagne
comme en France. Il faut comprendre sa nature pour comprendre son importance, et la valeur de
cette aventure éditoriale.
125
126
Les thèmes : Acción revolucionaria, agricultura, Alcazar de Toledo, Cuba, Perú, Anarcosindicalismo, Anarquismo,
Arte, historia del arte, Asedio de Madrid, Asociación católica nacional de Propagandistas, Barcelona mayo 1937,
Bibliografía, Biografía, Censura, Colonialismo español, Comisión obrera, Comunismo internacional, Crítica,
Dibujo, Caricatura, Ecología, Economía, Educación sexual, Ejercito republicano, Ejercito sublevado, Emigración,
Ensayo, Escándalos financieros, Estudios políticos, Euskadi y historia de ETA, Exilio, Falange, Galicia, Guerrilla,
Historia de España, Historia de la guerra civil, Guernoka, Intervención de Staline en la guerra civil, Refugiados,
Revolución española, Historia de relaciones internacionales, Historia del franquismo, Política fiscal, Represion,
Resistencia, Sistema carcelario, Sistema jurdídico, Iglesia católica, Opus Dei, Partido comunista de España, Partido
Obrero de Unificación marxista, Pensamiento político, pornocrítica, Problemas del socialismo, Reacción del
régimen, Refugiados, Sociología, Testimonios, Transición política.
“Sería pueril pretender que un labor editorial hubiera desmontado un regimen, pero tampoco cabe ignorar auqel
ejercicio anticipado de la libertad”, dans Ruedo Ibérico, un desafío intelectual, Residencia de los estudiantes,
Madrid, 2004, p 14.
Chapitre 6 : Le roman réaliste
La modernité du roman réaliste réside à des niveaux forts différents, que l’on doit prendre en
compte sans exception, sans que l’on puisse évaluer la prépondérance de l’un ou de l’autre.
« Ce phénomène est-il dû à la hardiesse des jeunes romanciers, à celle des éditeurs, ou à
l’indulgence des censeurs ? ».127
Il faut précisément se poser ces trois question, pour comprendre cette apparition éditoriale,
en prenant en considération les deux espaces franco-espagnol.
Les années 1950 correspondent en tout premier lieu à l’arrivée à maturité d’une génération qui n’a
pas connu la guerre. Jordi Gracia dans La resistencia silenciosa parle de la révolte des fils, comme
Juan Goytisolo parle de Franco comme père. Ces enfants selon Gracia purent se rebeller car ils
n’avaient pas connu la guerre civile, n’avaient pas fait couler le sang, n’avaient pas conscience du
déchirement, mais ne supportaient tout simplement plus de vivre dans les cadres d’une farce qu’il
fallait faire cesser. L’ignorance factuelle de la guerre civile est à relativiser. Ces hommes l’ont tout
de même vécue, en partie, en souvenirs, tel Juan Goytisolo qui fait remonter le début de sa mémoire
en 1936, et qui perdit sa mère pendant la guerre civile. Ces enfants cherchent aussi à retrouver leur
place, à se réapproprier leur propre histoire personnelle. Ce qu’exprime Elena de la Souchère dans
Les Temps Modernes n°153/154, dans son article « La guerre civile vue par les enfants », dont les
récits enferment une accusation terrible contre les auteurs de la guerre civile, et mettent en valeur
leur responsabilité. Elle montre comment cette nouvelle littérature, apparemment éloignée de la
guerre civile, revient plus audacieusement et brutalement sur ce passé occulté :
« La guerre civile espagnole entre peu à peu dans la légende. Elle renaît sous la forme de
mythe dans toute une littérature adolescente qui fit son apparition à Barcelone, à Madrid, aux
alentours de l’année 1951, en même temps que les grèves de tramways et les générations du demisiècle. Le public français qui ignore encore cette floraison de récits de guerre découvrira bientôt
Deuil au paradis de Juan Goytisolo et Sur notre terre d’Ana María Matute. »
L’évolution des générations, la confrontation entre le passé et la modernité, la nécessité de détruire
les cadres contraignants prennent d’autant plus d’acuité dans une dictature. Le discours paternaliste,
totalisant du franquisme doit être brisé. Le style littéraire évolue contre un modèle paternel, car le
manquement à la parole du père revient à remettre en question le fondement même de son autorité.
On peut prendre comme exemple le cas de Sanchez Ferlosio dont le père Sanchez Mazas était
127
Cf note 98.
phalangiste. Ferlosio est l’un des représentants les plus importants du courant réaliste, dont
l’écriture va précisément à l’encontre de celle de son père. Tous ces jeunes écrivains, Juan
Goytisolo, Ferres, Hortelano, Castellet pour la poésie, et Barral aussi avant qu’il ne soit éditeur,
Salinas, Matute, sont enfants non pas de républicains mais de sympathisants du franquisme,
d’hommes restés silencieux, ou d’acteurs du régime. La rébellion contre les pères prend ainsi tout
son sens.
D’autant que ces jeunes gens ont suivi leurs études dans des universités où les professeurs
n’étaient autre que d’anciens phalangistes, tels que Dioniso Ridruejo, Torrente Ballester, Laín
Entralgo, qui, à la fin des années 1940, cessèrent d’être un soutien au régime, pour devenir au début
des années 1950, de véritables opposants. Dioniso Ridruejo abandonne dès 1942 le parti phalangiste
et l’ensemble de ses charges, il écrit et évolue politiquement jusqu’en 1957 où il créé un
groupuscule clandestin de tendance socialiste, le « Partido Social de Acción Democrática ». Au
milieu des années 1950 donc, la résistance se radicalise, et englobe une partie du monde intellectuel,
à cause d’un décalage croissant entre la réalité vécue et les discours franquistes. En outre, cette
opposition intellectuelle encore limitée, les jeunes gens de cette génération ne se satisfont pas de la
culture officielle, ni des écrivains autorisés. Ils cherchent de nouvelles lectures dans les librairies
clandestines, dont les exemplaires arrivent jusque dans les universités, comme le raconte Juan
Goytisolo dans ses mémoires. Mais cette possibilité ne touchait qu’une élite :
« Dans l’Espagne où je vécus ma jeunesse, se procurer les œuvres de Orwell ou de
Bernanos, Vallejo ou Neruda était patrimoine exclusif de quelques uns : comme pour les drogues
fines d’aujourd’hui, le candidat à la lecture devait avoir à la fois de l’argent, des contacts et de la
patience. »128
On lit donc surtout des traductions d’œuvres étrangères. Les futurs écrivains espagnols sont formés
par les classiques internationaux, par les contemporains américains et français et méconnaissent
totalement, ou dédaignent la littérature espagnole. La formation d’un jeune intellectuel espagnol
passait donc surtout par sa curiosité personnelle et sa soif de lectures. Citons encore Juan Goytisolo,
car c’est dans les témoignages que ce type d’informations peut nous parvenir :
« Autodidacte comme presque tous les hommes et les femmes de ma génération, ma culture,
forgée à tâtons et encore à contre courant, garderait longtemps la marque des préjugés, lacunes et
insuffisances d’une Espagne isolée, et stérile, soumise à la censure et aux rigueurs d’un régime
128
“En la España en la que tocó vivir de joven, procurarase las obras de Orwell, Bernanos, Vallejo o Neruda era
patrimonio exclusivo de unos cuantos: como en las drogas finas de hoy, el candidato a la lectura de aquellos requería
a la vez dinero, conexiones, y paciencia.”, Memorias, p 170.
suffocants »129
D’où le rejet de la littérature nationale, ressentie comme forcément franquiste et de mauvaise
qualité, alors même que la littérature de l’exil ne pouvait être que très peu connue. Cela encouragea
finalement une forte influence de la littérature étrangère. La traduction était d’ailleurs ressentie
comme une menace par les organes officiels, ce dont on peut se rendre compte dans les divers
rapports rendus par l’INLE.
Autour de cette soif de connaissance, de cette volonté de sortir de l’atmosphère asphyxiante et
stérilisante du régime, et d’accueillir l’influence de l’ailleurs, se constituent des cercles d’amitiés
universitaires qui deviennent de véritables « tertulias »130 politiques. Ainsi Juan Goytisolo, par le
biais de son frère Agustín rencontre Juan Sebastian Arbo, Ana María Matute, et avec eux fonde un
cercle auquel participe Barral, Oliart, Díaz Plaja, Salvador Espriu. Il collabore à son tour à la revue
Laye animée par Sacristán, Castellet, Barral, Gabriel et Juan Ferrater. Plus tard, il rencontre Sanchez
Ferlosio avec lequel il se lie d’amitié. Quant à Barral, il fédère autour de lui un groupe d’amis
écrivains qui représente quasiment l’ensemble du courant réaliste avec Sastre, Juan Benet, Luis
Martín Santos, Ferlosio, les frères Goytisolo, avant d’en faire ses écrivains, et d’élargir encore ce
cercle littéraire, dont les noms reviennent avec une régularité qui témoigne de la limite, du moins
quantitative, de la nouvelle génération opposante. Formé par les lectures clandestines, persuadés de
la nécessité de détruire les cadres franquistes, du moins dans leur propre champ d’action, ils initient
un nouveau style qui leur permet de s’exprimer plus librement, et de dénoncer la vacuité du
discours franquiste ainsi que l’usurpation qu’il fait de la réalité. Mais la censure fait toujours rage.
Le roman réaliste est la solution esthétique, contre le franquisme, de réappropriation de la réalité
vécue sur laquelle misent un moment les écrivains espagnols. Il ne peut se situer hors du contexte
politique national.
Car le franquisme est un abus de langage, représentation idéale d’un monde irréel, sans la
complexité de l’expérience. Il a le monopole du champ de pouvoir que constitue la parole, et
construit une image mythique et simple de la réalité en accord avec un schéma idéologique. Selon
Jordi Gracia :
« La résistance contre la barbarie commença par un exercice de rééducation linguistique,
une cure d’amaigrissement rhétorique : mettre à la diète la langue du fascisme était le premier pas
pour résister à l’infection mentale, éthique, politique de l’épidémie irrationnelle. La désintoxication
129
130
“Autodidacta como casi todos los hombres y mujeres de mi generación, mi cultura, forjada a tientas y aun a
contracorriente, guadaría mucho tiempo la marca de los prejuicios, lagunas e insuficiencias de una España aislada y
yerma, sometida a la censura y rigores de un régimen suficante”, Memorias, p134/135.
Tertulias : cercles. Réunion d’amis fondée sur un intérêt commun.
devait commencer par le réapprentissage de la langue, par l’apprentissage du refus de l’outillage
verbal de la propagande franquiste et devait répudier la rhétorique idéalisante du fascisme
phalangiste. »131
Comme on a eu l’occasion de l’observer dans la première partie, la censure refuse au texte toute
référence à la réalité, de même que le discours franquiste utilise une rhétorique parfaitement vague,
qui empêche toute contestation. Pour ces jeunes gens destinés à devenir des intellectuels, l’unique
solution est de parler de ce qui ne se dit pas, comme le sort difficile du peuple espagnol, ou le sort
tout court du peuple espagnol, dans sa plus crue réalité. C’est de cela dont parle le roman réaliste,
sans chercher de fin qui puisse faire sens, c’est le cas de La Colmena, sans chercher de sens dans
l’événement, c’est le cas de El Jarama, où l’événement n’a pas plus de place que les actes de la vie
quotidienne. Le roman réaliste est destruction de la parole franquiste, puisqu’il est en soi une autre
parole, et que dans le cadre d’une parole totalisante l’autre n’existe pas. Il peut utiliser deux niveaux
de contestation. Le plus visible, le moins valorisé par les études littéraires, mais certainement en son
temps le plus efficace, est le recours à la description de la pauvreté, de la famine, de la réalité
misérable du peuple espagnol. Campos de Níjar, par exemple, est une forme de témoignage du
temps afin de pallier les carences informatives, et de dénoncer la réalité. En soi, le thème de cette
littérature est une opposition, ce qui lui a valu le nom de réalisme social. Cette littérature dite
engagée est définie par Elias Díaz dans Pensamiento español en al era de Franco, comme
« Littérature de la dénonciation de la pauvreté, des inégalités, des discriminations”132
Mais le plus intéressant réside dans le style de ces œuvres, que toutes ne partagent pas. Elles
veulent adopter un ton objectif, d’où parfois la qualification de narration objective. Celle-ci est
définie par Castellet comme
« Récit à la troisième personne, neutralité apparente du narrateur, point de vue limité,
focalisation externe des personnages. »133
Inspirée par le documentaire, l’objectivité qu’elles revendiquent est une éthique. Contre le
franquisme et ses mots mensongers, ces œuvres proposent la réalité toute simple, nue. La réalité
qu’elles montrent peut être une dénonciation anti franquiste. Juan Goytisolo écrit dans El furgón de
131
132
133
« La resistencia contra la barbarie empezó por un ejercicio de reeducación linguística, una cura de adelgazamiento
retórico : poner a la dieta la lengua del fascismo era el primer paso para resistirse a la infección mental, ética,
política de la epidemia irracionalista. La desintoxicación debía empezar por reaprender la lengua, aprender a
rechazar el utillaje verbal de la propaganda franquista y repudiar la rétorica idealizante del fascismo
falangista.”,Gracia, Jordi, La resistencia silenciosa, fascismo y cultura en España, colección argumentos, Anagrama,
Barcelona, 2004, p 15.
“Literatura de la denuncia de la pobreza, de las desigualdades, de las discriminaciones”, El pensamiento español en
la era de Franco 1939/1975, Tecnos, Madrid, p 81/82..
Définition citée par Geneviève Champeau, Les enjeux du réalisme dans le roman sous le franquisme, bibliothèque
de la Casa de Velazquez, t.12, Madrid, 1993.
cola :
« Dans une société où les relations humaines sont profondément irréelles, le réalisme est
une nécessité. Pour les écrivains espagnols, la réalité est notre unique évasion ».134
La fiction est rejetée du côté du franquisme, le réalisme est une forme d’opposition.
Selon Geneviève Champeau, dans Les enjeux du réalisme dans le roman sous le franquisme, le
réalisme implique trois oppositions structurantes : du fait du rapport qu’il entretient avec le réel, à
cause du rapport entre le narrateur et ses personnages, et enfin à cause du rapport entre le narrateur
et le narrataire. Ainsi, El Jarama, qui ne traite que d’un dimanche sur les bords du fleuve El Jarama,
est l’élaboration absolue du style objectif. Le roman commence par la description géographique du
fleuve, extrait d’un manuel de géographie. L’auteur n’y fait que de rares corrections qui ne sont pas
visibles pour le lecteur, d’autant qu’elles ne confèrent à la description aucune subjectivité. Son
rapport avec le réel est clair : le donner à voir tel qu’il est. Evidemment, l’esthétique réaliste se
trahit elle-même puisqu’elle ne peut parvenir à rendre la réalité telle qu’elle est, et que l’absence de
narrateur le rend omniprésent. Il est en tout cas élaboration d’une parole nouvelle, donc dissidente.
Le rapport entre le narrateur et les personnages découle facilement de la nature du narrateur. Il
n’existe pas. Il n’est pas omniscient. Par conséquent, les personnages agissent librement, et leurs
actes sont de simples réactions superficielles aux événements plus ou moins importants qui arrivent
dans une narration faite d’énumérations, selon une chronologie linéaire, bien que textuellement
absente. La narration est simple et se veut le reflet du quotidien. Les personnages n’ont pas de
profondeur puisque le narrateur n’a pas la parole, et que l’auteur a pour but de ne surtout pas les
mettre en valeur. Il n’y a pas de héros, pas de hiérarchie de personnages. Ils sont tous des passants.
Il ne peut pas non plus y avoir d’intrigues, au sens traditionnel du terme. Ce roman est une antithèse
du roman franquiste.
Jordi Gracia, tentant d’expliquer l’engagement des nouveaux écrivains et l’apparition du roman
réaliste, déclare :
« L’anticonformisme s’est diversifié et le militantisme politique ou la pédagogie sociale ne
sont plus les uniques manières de s’opposer au franquisme, car peuvent l’être aussi l’édition
littéraire, la poésie, la traduction, les arts plastiques ou la critique littéraire.”135
Et c’est en cela que nous intéresse particulièrement le roman réaliste, en tant que force et moyen
contestataires.
134
135
“En una sociedad en que las relaciones humanas son profundamente irreales, el realismo es una necesidad. Para los
escritores españoles, la realidad es nuestra única forma de evasión.”, cité par Geneviève Champeau, Les enjeux du
réalisme dans le roman sous le franquisme.
« El anticonformismo se ha diversificado y la única manera de oponerse al franquismo no es ya la militancia
política o la pedagogía social porque puede serlo también la edición literaria, la poesía, la traducción, las artes
plásticas o la crítica literaria.”, p 370.
L’analyse littéraire des textes du roman réaliste, à la manière magistrale de Geneviève Champeau,
est en soi une preuve du caractère dissident de ce courant, ainsi que des engagements politiques des
divers écrivains de ce roman. Certes, la force contestataire d’un texte est difficile à évaluer, car elle
correspond au degré de compréhension du lecteur. Cependant, il est indubitable que ce type
d’écriture constitue une menace pour le régime. En effet, les articles de la presse espagnole de
l’époque expriment le mépris pour la plupart des critiques et autres auteurs du roman réaliste, et les
instances censoriales réagissent vivement contre ce roman. Dans le n° 209 de la revue Insúla,
Ledesma Ramos tente de retracer une histoire de la littérature espagnole revue et corrigée selon les
besoins et l’idéologie franquiste, afin de refuser la valeur innovante et ainsi dissidente du roman
réaliste, selon une technique discursive nouvelle du franquisme qui commence dans les années
1950. Cette stratégie consiste à mettre le franquisme sous le signe de la modernité et de faire de
toutes les dissidences des réactions surannées. Ainsi, parle t-il du roman réaliste comme du « vieux
naturalisme baptisé avec d’autres noms »136. De même dans la Estafeta Literaria, un journaliste,
Rafael Gotta Pinto s’entretient avec l’écrivain Alvaro Cunqueiro, écrivain conservateur, dont la
conversation est relatée dans un article intitulé « La vérité et le mensonge du réalisme dans le roman
actuel »137. La première question s’occupe de savoir si l’écrivain est partisan ou non du réalisme :
« Admettez-vous le roman réaliste ?
Non, je le refuse absolument. »
Le refus de ce type de roman montre précisément sa dangerosité, et les questions esthétiques
deviennent de brûlantes questions politiques. La police franquiste tente même parfois d’empêcher la
publication de certains romans en France, en vain, mais concède ainsi une valeur hautement
politique au roman réaliste.
Il est donc indéniable que sa diffusion en France fut un phénomène éditorial à portée littéraire mais
aussi politique.
Les écrivains, éditeurs, agents, en furent les grands artisans, et constituèrent
certainement le facteur majeur de l’apparition du roman réaliste, et du roman espagnol en France,
au début des années 1950. Ce furent eux qui donnèrent son envergure contestataire au roman
réaliste, quand bien même la politique n’était pas leur préoccupation.
136
137
« Viejo naturalismo bautizados con otros nombres », Insúla n° 209
« La verdad y la mentira del realismo en la novela actual”, Estafeta literaria, n°187.
Chapitre 7 : Les acteurs de la diffusion
Une nouvelle génération s’affirme donc au cours des années 50 faisant une littérature
nouvelle au service de l’anti-franquisme. L’âge de ces jeunes hommes plein d’idées et de
revendications ne suffit pas à expliquer la découverte de cette littérature en France. La philanthropie
et la solidarité politique ne peuvent non plus être les moteurs d’une ligne éditoriale. Enfin, la qualité
littéraire est rarement l’unique critère de diffusion et de succès d’une œuvre. D’autres conditions
peut-être davantage objectives, néanmoins fort complexes, viennent s’ajouter pour comprendre le
changement des années 1950. En effet, les années d’autarcie sont terminées, le tourisme commence
en Espagne, les espaces sont moins hermétiques, et certains écrivains s’en vont en France, non
comme exilés, sinon pour y trouver un espace de libertés qui leur est interdit dans leur pays. Ils ne
sont pas forcément très politisés, mais tous appartiennent à cette jeunesse fatiguée de vivre dans
l’atmosphère asphyxiante du franquisme. Avec l’ensemble de la communauté exilée et l’action des
éditeurs espagnols, ils vont permettre la diffusion de la littérature espagnole en France. La maison à
ce titre la plus symbolique est Gallimard, que Juan Goytisolo qualifie de « paradis » pour l’exilé
espagnol qu’il était, habitué à ne jamais parler de politique, et surtout trouvant dans cette maison
des gens parfaitement en accord politiquement parlant avec lui. Le tableau réalisé sur les écrivains
espagnols est de ce point de vue significatif138. Plus de la moitié des ouvrages des auteurs espagnols
les plus connus –première partie du tableau- paraissent chez Gallimard, c'est-à-dire 33 œuvres sur
un total de 58. Pour affiner l’analyse on peut utiliser non pas le nombre de romans réalistes parus
chez Gallimard, car il est impossible de juger effectivement du style de chaque roman avec
certitude, mais le nombre d’auteurs rattachés à ce courant littéraire qui furent édités dans cette
maison. On peut considérer que les 11 auteurs les plus représentatifs sont tous édités chez
Gallimard, excepté Luis Martin Santos qui fut publié par le Seuil, sans y être, pour autant,
forcément fidèle. Gallimard est donc en France la maison du roman réaliste espagnol. Elle n’est
évidemment pas que cela.
Pierre Assouline139 nous invite à revivre la création artisanale et hasardeuse de cette entreprise
devenue désormais l’une des plus grandes maisons françaises. Prestigieuse maison datant du début
du siècle, fondée par Claude Gallimard et ses trois amis, Léon Paul Fargue, Valéry Larbaud, Jacques
Rivière, autour de la Revue Française, elle inaugure son édition littéraire avec la collection blanche
qui devient rapidement le symbole de la littérature de qualité, de la rive gauche parisienne. Elle sait
s’étendre rapidement, grâce à des lecteurs d’expérience, aussi remarquables que Larbaud pour les
138
139
Cf. Annexe n° III
Assouline, Pierre, Gaston Gallimard, un demi-siècle d’édition française, Points, Seuil, Paris, 1984.
lettres anglaises et espagnoles, Crémieux pour les lettres italiennes, Groethuysen pour les lettres
russes, Parain pour les lettres allemandes. Quant au comité de lecture, il est constitué par des noms
non moins renommés tels que Fargue, Rivière, Larbaud, Gide, Copeau, Ghéon, Drouin,
Schlumberger et Claude Gallimard, auxquels plus tard, s’ajoutent, venant remplacer parfois les
fondateurs, Aaron, Barthes, Caillois, tous, chargés de débusquer des nouveautés de qualité, en
s’appuyant progressivement sur un catalogue impressionnant composé des œuvres les plus
marquantes du XX ème siècle. Elle innove avec une collection de poche, peu chère qui ne perd en
rien sa qualité littéraire. Elle détient et entretient un autre axe d’impressions rares avec la collection
de la Pléiade rachetée à Schiffrin, et des publications limitées et ponctuelles d’œuvres complètes,
objets réservés aux amis de la maison ou aux bibliophiles. La variété de ses collections lui permet
d’adopter des lignes éditoriales fortement différentes, bien que l’axe principal soit la qualité
littéraire. Marguerite Yourcenar parle de la publication chez Gallimard comme d’ :
« Une grâce accordée et un service rendu »140
tant la parution chez Gallimard assure un brillant avenir, et une image de qualité littéraire.
Appartenant au même groupe intellectuel que Les Temps Modernes, cette maison est
emblématique de la gauche des années 1950. La qualité de ses publications tient en réalité à la
valeur des hommes qui y travaillent, et la qualité de leur travail alimente la haute image de la
maison. En ce qui concerne la littérature étrangère, et précisément la littérature espagnole qui y est
traduite, Gallimard peut compter sur la proposition des meilleurs traducteurs qui remplissent ainsi le
rôle de comité de lecture, de liens avec l’auteur, et de traducteurs. Souvent passionnés par l’auteur
dont ils commencent la traduction, ils s’en font fréquemment les spécialistes, ce qui assure au texte
une qualité très grande, et procure un réservoir de publications à la maison. Parfois la maison ellemême propose des textes à traduire. Ce sont les traducteurs qui assurent dans les années 1950 le
fondement de la diffusion de la littérature espagnole, puisque c’est par eux que commence toujours
l’existence du livre dans une autre langue, et que c’est aussi parfois par eux qu’un texte arrive sur la
table de l’éditeur. Maurice-Edgar Coindreau est le traducteur attitré de Juan Goytisolo, dont il
traduit cinq livres sur sept, Robert Marrast et Bernard Lesfargues s’occupant de traduire les deux
autres. Robert Marrast, Georges Pillement, Paul Werrie traduisent Le Japon et son secret, Quand la
guerre éclata, Un million de morts, Femme lève-toi et marche de Gironella. Claude Couffon,
Mathilde Pomès, sont d’abord des hispanistes, et professeurs d’université, qui font partie des
meilleurs traducteurs. Tous sont traducteurs de profession. Parfois d’autres personnes liées à
l’Espagne se lancent dans des traductions, comme Elena de la Souchère, journaliste au France
Observateur. Il y a plusieurs cercles, si l’on peut dire, de traducteurs dont le prestige et la qualité
correspondent à ceux de la maison d’édition. En général, ils ne sont liés par contrat à aucune maison
140
Citée par Felgine, Odile, Roger Caillois, Stock, Paris, 1984.
d’édition en particulier et vendent chaque traduction à la maison intéressée. Dans le cas du roman
espagnol, il n’est absolument pas rare de rencontrer les quelques traducteurs que nous avons cités
dans des maisons parfaitement différentes. Par exemple, Marie Berthe Lacombe traduit pour
Gallimard Voyage en Alcaria, de Cela, œuvre appartenant à la « grande littérature », ce qui ne
l’empêche pas de traduire ensuite les vingt romans d’amour et d’infidélités de María Linares qui
paraissent à la Librairie des Champs Elysées. Les traducteurs sont donc considérés comme des
auteurs mais n’ont pas d’engagements, de contrats aussi contraignants que les écrivains véritables.
Les traducteurs constituent donc un microcosme fermé et spécialisé qui orientent en premier lieu la
littérature par leur choix personnel, leur goût pour un texte, et ensuite, par le fait de la traduction,
influence le texte en soi. Travaillant pour différentes maisons, ils peuvent ainsi imposer leur style
sur tout le panorama de la littérature espagnole représentée en France. Indispensables donc à
l’existence du livre étranger, ils sont pourtant peu nombreux à s’occuper de littérature espagnole, et
la plupart traduisent plusieurs langues, car en général, et au sein de Gallimard précisément, avant
les années 1950, la littérature venue de la péninsule ibérique intéresse peu.
Comment donc expliquer ce choix éditorial ? Avant les années 1950 des hommes
s’occupaient de littérature étrangère chez Gallimard. Ce fut en leur temps Valéry Larbaud, Jean
Cassou, Roger Caillois, qui, dans les années 1950 s’occupe de la littérature hispano-américaine avec
la collection Croix du Sud. Mais aucun n’était spécialisé dans la littérature proprement espagnole. Il
n’y avait pas de collection de littérature espagnole.
Or, un jeune Espagnol, Juan Goytisolo, âgé de 24 ans, arrive à Paris en 1955, avec comme objectif,
comme il le dit lui-même dans ses mémoires, d’établir un contact avec les milieux intellectuels et la
gauche française pour lutter contre le franquisme. Le réveil des consciences, et la sensibilité
politique contestataire de ces jeunes gens trouvent en France un relais important. Il rencontre alors
Elena de la Souchère qui travaille pour France Observateur et écrit des articles pour les Temps
Modernes. Cette dernière se réjouit de la présence de cet Espagnol providentiel qui lui permettra
d’être plus proche de la réalité de l’Espagne dont elle parle fréquemment sans savoir exactement ce
qu’elle est. C’est ainsi qu’il fait son entrée dans le monde des lettres françaises en écrivant un article
pour Les Lettres Nouvelles de Maurice Nadeau, lui-même rédacteur d’articles dans la revue de
Sartre. Par la suite, il rencontre Maurice Edgar Coindreau, traducteur réputé de textes espagnols,
dont le nom apparaît quasiment dans toutes les traductions espagnoles de chez Gallimard, ainsi
qu’anglaises. Coindreau propose à Goytisolo de traduire certains de ses textes et de les proposer à
Gallimard. A cette occasion, il fait la connaissance de Dionys Mascolo, directeur du service des
traductions. Ce dernier, compagnon de Marguerite Duras, s’intéresse à l’Espagne dont il ne connaît
que la Costa Brava où il a passé des vacances très à la mode à l’époque. Il y rencontre aussi
Monique Lange, assistante de Dionys Mascolo, qui deviendra sa propre femme. En janvier 1957,
Gallimard publie Jeux de Mains, dans la « collection du Monde entier », pour lequel la critique se
passionne. On chante l’anticonformisme de l’écriture, et l’hostilité aux valeurs officielles.
Progressivement, il entre dans la structure de la maison Gallimard. Il commence par rédiger des
notes de lecture et devient le responsable non officiel de l’informelle collection espagnole, jusqu’en
1968. C’est lui qui devient du côté français le maître d’œuvre de la diffusion de la littérature
espagnole. Par conséquent, la façon de choisir, les amitiés, et les réseaux de connaissance sont
particulièrement importants pour comprendre la présence d’un courant et l’absence des autres,
comme la présence chronologiquement très délimitée et limitée du roman réaliste, et en général du
roman espagnol.
Soutenu par Claude Gallimard, il doit mettre en place une liste d’auteurs espagnols à publier. Par
ses contacts avec l’Espagne, avec tous les auteurs espagnols de l’époque, il parvient facilement à
recevoir des textes et à les publier rapidement. Certains manuscrits passent par les frontières grâce à
des amis étrangers. De même, il participe au prix Formentor141, « véritable bouffée d’air frais » pour
la littérature espagnole142, de 1957 à 1961, au cours desquels il entretient des liens étroits avec les
autres écrivains restés en Espagne, reçoit des textes, et noue des relations étroites avec les éditeurs
espagnols, notamment Carlos Barral, dont on aura l’occasion de reparler. Il reconnaît que son choix
fut parfois orienté, par ses connaissances, ses amitiés, critères prévalant parfois sur le niveau
littéraire. Il parle de ces romans qu’il publia comme des oeuvres uniquement acceptables.
« Même lorsque mes rapports comme lecteur chez Gallimard étaient impartiaux en général
et prenaient en considération la valeur littéraire des œuvres, je manifestais sans doute une plus
grande indulgence envers les écrivains de ma génération sympathisants ou membres du Parti que
pour ceux qui se situaient à droite. »143
Juan Goytisolo reconnaît que la publication chez Gallimard, dont il était entièrement responsable,
relevait moins de la qualité littéraire que de l’engagement politique. Certes, il publia Camilo José
Cela, mais l’influence du parti communiste au sein du groupe des exilés, et son rôle fondamental
dans l’opposition au franquisme en et hors d’Espagne, ont pu, pendant une certaine période, orienter
les choix de Juan Goytisolo. De surcroît, seule la nouvelle génération représentait la dissidence.
Néanmoins, il réussit à mener à bien une entreprise éditoriale tout à fait nouvelle chez Gallimard en
constituant une sorte de collection de plus d’une vingtaine d’ouvrages, quand la littérature
espagnole au sein de cette grande maison de qualité n’était quasiment pas représentée.
141
142
143
Expression de Juan Goytisolo
« Aun cuando mis informes de lector en Gallimard solían ser ecuánimes y tomaban en consideración el valor
literario de las obras, manifesé sin duda mayor indulgencia por los escritores de mi generación simpatizante o
miembros del partido que por cuantos en general se situaban a la derecha. », Memorias, p 415.
La littérature a besoin d’adjuvants, d’avocats qui plaident en sa faveur, et par le biais de l’action de
certains écrivains espagnols comme Juan Goytisolo, ou d’éditeurs comme Carlos Barral, la
littérature espagnole sort de son horizon borné et entre dans le panorama éditorial français mais
aussi européen. Les éditeurs espagnols deviennent plus actifs pour promouvoir la diffusion du
roman espagnol en France. En 1954, 2 ouvrages seulement acquis par l’édition française ont pour
provenance des éditeurs, et aucun des agents littéraires. En 1959, la différence est nette. 18
ouvrages proviennent de maisons d’édition, et 1 d’agent littéraire. Un changement dans les canaux
de diffusion a eu lieu.
L’un des éditeurs les plus importants dont l’activité est inscrite dans ce mouvement
d’amplification est Carlos Barral à la tête de la maison d’édition Seix Barral. Modeste maison
d’édition familiale d’ouvrages éducatifs à l’origine, dont le nom correspond à l’association entre
Victor Seix et le père de Carlos Barral, elle devient quelques décennies plus tard l’une des plus
fameuses d’Espagne. Carlos Barral y débute simplement avant de proposer des années plus tard une
collection littéraire à Victor Barral, collection dont il devient le directeur. Appartenant au groupe
barcelonais de rénovation de la littérature, avec notamment Josep María Castellet, critique déjà
reconnu dans les années 1950, il comprend vite l’importance de fédérer autour de lui un véritable
cénacle d’écrivains-amis qu’il publie. Rapidement dans ses mémoires, Los años sin excusa, le ton
évolue. L’homme de lettres laisse rapidement la place à l’homme d’affaires, amoureux des lettres
certes, mais cherchant à marquer de son empreinte le monde éditorial de l'époque, et pas seulement
le monde sclérosé de l’édition espagnole. Il a pour ambition de marquer la scène éditoriale
européenne. Car outre l’intérêt économique, la reconnaissance européenne constitue certainement
l’unique et meilleure forme de reconnaissance dont pouvait bénéficier une maison dissidente dans
l’Espagne des années 1950. Le roman réaliste devient un axe unificateur, une sorte de ligne
éditoriale en soi, nouvelle et donc utile pour se démarquer des autres maisons d’éditions espagnoles,
et même celles de qualité comme Destino.
« Les romanciers imitateurs de Gorki et des traductions argentines de la génération nord
américaine de la Grande Dépression, les pionniers du réalisme social, étaient l’infanterie idéale
des batailles pour conquérir, comme groupe et comme génération, notre place au soleil. A l’avantgarde, les Goytisolo et les pavésiens. Stratégie : la maison d’édition, ses prix, ses récents liens avec
la machinerie européenne des « clercs de l’édition », qui répartissait et ajustait les réputations et
les candidatures à figurer dans les futurs manuels de littérature universelle. »144
144
« Los novelistas imitadores de Gorki y de las traducciones argentinas de la generación norteamericana de la Gran
Depresión, los pioneros del social-realismo, eran la infantería ideal para las batallas destinadas a conquistar como
On peut le constater : rien de littéraire ou très peu, encore moins de politique, mais uniquement une
ambition éditoriale immense, où la logique commerciale remplace celle de l’engagement et
s’incarne dans une métaphore belliqueuse. Il parle d’ailleurs plus tard dans ses mémoires
d’ « opération » pour qualifier la montée en puissance de ce courant littéraire. Il reconnaît
implicitement que la plupart des textes publiés n’étaient pas des œuvres de véritables écrivains.
Contre le Prix Nadal qui au début des années 1950 faisait totalement autorité dans la littérature
espagnole, Carlos Barral, dans la droite ligne de sa stratégie éditoriale, créé le Prix Formentor, du
nom de la pointe de l’île de Palma de Mallorca. A cette occasion, la plupart des éditeurs et écrivains
importants de l’époque se réunissaient pour primer un livre espagnol que récompensait le prix
Biblioteca Breve,-inventé par Barral-, et un autre prix, celui-ci international le prix Formentor.
Barral affirme qu’avec ce prix il voulait :
« Défendre un mécanisme commercial avec des arguments évidemment culturels. Je voulais
rompre le carcan d’isolement de l’édition espagnole, une des murailles d’enfermement, depuis
l’intérieur, d’une littérature. »145
Le cynisme de Barral a néanmoins largement contribué à rendre crédible cette nouvelle littérature,
en lui donnant une valeur politique qu’elle ne détenait pas, pour l’éditeur du moins, et en en faisant
l’enjeu vraiment primordial de ses publications. Au cours des colloques, des conférences, mais
surtout autour des repas et des veilles alcoolisées et prolongées se nouaient les contacts
indispensables pour la publication à l’étranger des œuvres espagnoles. On y signait des contrats
d’achats et de ventes de droits qui, depuis la convention universelle sur le droit d’auteur signé à
Genève en 1952, reconnaissait le droit d’auteur des écrivains espagnols dans tous les autres pays
signataires de la convention et inversement reconnaissait le droit d’auteur en Espagne de tout
écrivain ressortissant d’un pays signataire. Barral sut, au cours de ces rencontres internationales,
donner à ses romans une valeur hautement politique qui était susceptible de séduire les maisons
étrangères :
« Les éditeurs étrangers avaient encore à vaincre le préjugé de collaborer avec la culture du
franquisme, bien qu’elle ne fût plus franquiste. 146
C’est par le biais surtout de ce prix qu’il réussit à faire traduire en France, mais aussi en Italie ou en
145
146
grupo y generación nuestro lugar al sol. En vanguardia, Los Goytisolo y los pavesianos. Estrategia: la editorial, sus
premios, sus recientes vinculaciones con la maquinaria europea de “clercs de l’édition”, que repartía y ajustaba las
reputaciones y las candidaturas en figurar en los futuros manual de literatura universal., Barral, Carlos, Memorias,
Península, Barcelona, 2001, p 431.
« Defender un mecanismo comercial con argumentos supuestamente culturales. A mi me interesaba romper el cerco
de aislamiento de la edición española, una de las murallas de cinfinamiento, desde el interior, de una literatura.”, p
476.
« Los editores extranjeros tenían que vencer el prejuicio de la colaboración con la cultura del franquismo, ya que no
franquista. », p 472.
Allemagne, les romans réalistes de son catalogue. Ainsi, formant partie du groupe de Formentor, se
trouvent Dionys Mascolo, Monique Lange, Juan Goytisolo, constituant en quelque sorte l’équipe
Gallimard, dont il dit :
« D’autre part, le véritable siège permanent du groupe de Formentor était Paris, et ce
furent les secrétaires, les secrétaires des secrétaires de Gallimard qui ourdissaient, et guidaient nos
commerces éthérés ».147
Ainsi, au groupe de Seix Barral correspondait le groupe de Gallimard, et de cette manière les textes
passaient les frontières, les droits s’achetaient, et les livres se traduisaient. Une fois intégré dans le
monde éditorial international, il put participer aussi à la foire internationale de Francfort, et pour la
première fois une maison d’édition espagnole sous le franquisme prenait véritablement une
envergure européenne.
Du côté espagnol, du moins du point de vue éditorial, l’engagement politique est un motif
publicitaire. Pourtant du côté français, il semble que la lutte affichée de ce roman contre le
franquisme constituât un attrait suffisant pour son succès. Le témoignage de Carlos Barral résume
parfaitement la situation, sur ce point, et le lien entre les deux espaces qui favorisa le roman
réaliste est bien mis en évidence :
« Ce que retenait l’optique internationale était une narration post franquiste possible, et les
critiques et les éditeurs étaient très bien disposés à faire des concessions, à passer par-dessus les
déficiences que la place tangente de cette littérature de rénovation et de revendication libertaire
protégeait dans un pays si effrontément répressif et grossier dans le domaine culturel. C’étaient
ceux qui se disaient eux-mêmes poètes et romanciers sociaux, ou les pratiquants du réalisme social,
ou ceux qui sans affirmer cela ne refusaient pas ces qualificatifs malheureux, et mes amis, ou ceux
de Josep María Castellet ou de Juan Goytisolo particulièrement bien vus chez Gallimard, qui
étaient objet d’attention et d’indulgence. Nous étions les modestes revendicateurs de Machado,
ceux des hommages de Collioure, ceux des prix Ruedo Ibérico, les signataires des manifestes
quotidiens contre la répression, de ceux qui avaient un certain poids et une presse favorable,
surtout en Italie, d’autant plus quand les écrivains étaient désapprouvés par la censure. »148
147
148
« Por otra parte, la verdadera sede permanente del grupo de Formentor era Paris, y eran las secretarias, y las
secretarias de las secretarias de Gallimard, las que urdían, guíaban nuestros etéreos negocios. », p 549.
« Lo que enfocaba la óptica internacional era una posible narrativa postfranquista, y los criticos y los editores
estaban muy bien dispuestos a hacer concesiones, a pasar por alto las deficiencias que escudava la incomodidad de
esa literatura de renovación y de reinvedicación libertaria en un país tan descaradamente represivo y zafio en
materia cultural. Eran los que se llamaron a si mismos poetas y novelistas sociales, o los practicantes del
Ce sont donc des rencontres, des réseaux, et des liens d’amitiés qui expliquent la possibilité d’une
diffusion de la littérature dont il ne faut pas oublier l’intérêt économique et commercial. Carlos
Barral nous l’a rappelé, Gallimard semblait plutôt poussé par un intérêt politique et littéraire,
fortement influencé par la propre personnalité de Juan Goytisolo. Cependant, Gallimard non plus ne
pouvait se suffire d’éthique et de justice. Si cette maison a développé dans les années 1950 une
véritable politique éditoriale en faveur de la diffusion du roman espagnol, et si d’autres maisons
d’édition ont semble t-il profité d’une certaine vague d’intérêt pour cette littérature, on ne peut
douter qu’il y eut quelque chose à y gagner, et davantage que la satisfaction d’aider un peuple en
souffrance, de lutter contre une dictature.
sociorealismo, o los que sin afirmarse tales no rehusaban esos desafortunados calificativos, y mis amigos, o los de
Josep Maria Castellet, o de Juan Goytisolo, particularmente bien vistos en Gallimard, quienes eran objeto de
atención y de indulgencia. Eramos los modestos reinvidicadores de Machado y los de los homenajes de Collioure,
los de los premios Ruedo Ibérico, los firmantes de los cotidianos manifiestos contra la represión de los que teníamos
algún predicamento y las prensas propicias, sobre todo en Italia, item más novelistas deaprobados por la censura.”,
Memorias, Carlos Barral, p558.
III/ Le livre espagnol en France : sa réception
Fallait-il donc qu’il y ait un intérêt économique pour que des maisons d’édition découvrent
la littérature espagnole en 1950 ? L’intérêt économique n’est pas pour autant antinomique de la
qualité littéraire ou encore des objectifs politiques anti-franquistes des écrivains espagnols et des
maisons d’édition françaises, car l’image sert de moteur de vente. Par la représentation de l’Espagne
chez les lecteurs passe une certaine identification ou curiosité qui permet de vendre le livre
espagnol. Sa nouveauté, qui témoignerait de la stérilisation par le régime de la littérature et qui
donnerait raison aux défenseurs de la liberté, son adéquation avec ce que s’imagine le public
français de l’Espagne, sont autant de facteurs de succès pour cette littérature.
Mais avant tout, il faut essayer d’évaluer la place de la littérature espagnole dans le paysage
éditorial français en général et tenter de voir s’il y eut une vraie demande en sa faveur, si son
développement lui fut propre ou bien si il correspond à un développement général de la littérature
étrangère. Enfin, comment s’inscrit-elle dans l’évolution générale de l’édition française entre les
années 1950 et 1960 ?
Chapitre 8 : Le roman espagnol dans le paysage éditorial français.
Pour saisir la place du roman espagnol dans l’ensemble de la littérature française, on a eu
recours à plusieurs sources.
Le tableau réalisé sur les écrivains espagnols sera une fois de plus utilisé 149. Peu de maisons
d’édition y figurent. Rares sont donc celles qui voient un intérêt à la publication de la littérature
espagnole. On compte Gallimard évidemment, avec 41 publications, toutes collections confondues,
puis Plon avec 14 publications, traditionnellement maison de littérature étrangère. Vient ensuite
Flammarion, maison de romans populaires, dans une moindre quantité, puis Casterman, qui ne fait
pas encore partie de Flammarion, de même que J’ai lu. Enfin, certaines maisons publient très
précisément un auteur, telle La librairie des Champs Elysées avec María Linares, ou bien dans une
moindre mesure Jacques Susse avec Pío Baroja. Le reste des maisons, Stock, Albin Michel,
Hachette, le Club français du livre, Denoël, Laffont, Calman Lévy, le Mercure de France, Del
Duca, Le Seuil, et les Nouvelles éditions latines publient de un à trois romans espagnols. Au total,
ce ne sont que 18 maisons d’édition qui s’occupent de littérature espagnole, sur un total, en 1956, de
736 noms répertoriés dans la Bibliographie de France, chiffre que reprend le Syndicat des éditeurs
dans son rapport intitulé Monographie de l’édition coordonné par Pierre Monnet150. Au total ce ne
sont que 94 titres que l’on décompte durant l’ensemble de la période.
Ce nombre de titres toutefois est honorable à l’échelle de la littérature étrangère publiée en
France. Dans le bilan donné par le syndicat des éditeurs en 1956, l’augmentation des traductions est
visible depuis 1949, tout comme l’augmentation générale de la production de livres en titres. En
1956, on dénombre 1 259 traductions qui témoignent d’une croissance de toutes les littératures
étrangères. On a mis en graphique les trois tableaux de l’évolution des traductions communiquées
par le SNE151. Les informations données sont relatives aux années de 1953 à 1968, prenant comme
paradigme l’année 1937. On a repris l’ensemble des données correspondant au nombre de titres
traduit dans chaque langue étrangère. Ceci fait, le nombre de langues représentées est assez
important et la lecture du graphique peut s’avérer difficile. Néanmoins, il était important de marquer
visuellement le groupe auquel appartient la littérature espagnole, afin de la situer dans l’ensemble
de la littérature étrangère diffusée en France. Pour faciliter la lecture donc, on précise que le nombre
de traductions de romans espagnols correspond au premier histogramme.
Les tableaux à partir desquels on a établi ces graphiques ne donnent aucune information sur les
années 1955, 1956, 1959, 1965. Néanmoins, la tendance générale ne peut varier totalement en une
149
150
151
Cf annexe n°III
SNE, Monographies de l’édition française, 1956, 1959, 1962, 1965, 1970, Paris. SNE, Données statistiques sur
l’édition française, 1975, Paris.
Cf annexe n° IV
seule année. Enfin, dans le dernier bilan de la SNE qui est celui de 1975, aucune donnée n’est
communiquée au sujet des traductions. On a pris le parti de suivre le découpage chronologique de la
SNE, car, la lisibilité étant déjà délicate, il nous a paru confus d’entreprendre un graphique
représentant l’ensemble de l’évolution du nombre des traductions.
En 1953 et 1954, le nombre de traductions se révèle être très faible, il correspond quasiment au
nombre de 1937. Cette période de quinze ans connaît une très légère croissance. Les années 1957 et
1958, quant à elles, indiquent une augmentation toujours faible mais plus nette. Les années 1960 et
1961 marquent le décollage des traductions de romans espagnols. La croissance est fort nette en
comparaison avec l’année 1937, car le nombre a doublé. Les années 1962, 1963, 1964, marquent le
pas. L’augmentation est inexistante, hormis pour l’année 1963, et encore reste-t-elle mesurée. Ce
nombre se maintient et culmine en 1966. Mais, cet apogée marque le début de la baisse du nombre
de traductions en espagnol, forte à partir des années 1967 et 1968, puisque le nombre de traductions
retrouve son niveau des années 1950.
Une coïncidence est à mettre en relief : le début de l’intérêt pour le roman espagnol à partir de 1957,
semble concorder avec le graphique représentant l’évolution de la présence de la guerre civile dans
les œuvres des écrivains français152, qui connaît une évolution similaire de l’année 1956 à 1968. Le
thème de la guerre civile est définitivement abandonné à partir de 1970. On reparlera plus tard de la
concordance entre ces deux graphiques pourtant d’apparence si éloignés.
Il semble en fait que, durant cette période, la totalité de la littérature étrangère jouisse d’un intérêt
croissant de la part de l’édition française, ce que l’augmentation des traductions trahit. Les deux
langues prioritairement traduites dès 1937 sont l’anglais et l’allemand. Les autres langues sont
largement marginales, à l’exception de l’italien. Les années 1953 et 1954 connaissent les mêmes
tendances, mis à part une croissance bien plus rapide des traductions de langue anglaise. En 1957 et
1958, l’anglais continue de progresser, l’allemand aussi, formant un premier groupe de tête. Le
graphique présente aussi comme forte valeur les traductions dites des « autres pays », qu’on ne peut
prendre en considération. L’italien continue d’augmenter, et se voit rattraper par le russe en 1958.
L’espagnol qui, en 1937, connaissait le même sort que la littérature italienne et russe se voit
marginalisé, et peut à peine prétendre à participer de ce second groupe. Les autres langues restent
des langues minoritaires, comme l’hébreu, l’arabe, le hongrois, le polonais, le roumain, le norvégien
ou le suédois, moins proches du français. L’intérêt pour cette littérature est une conséquence de
l’augmentation de l’intérêt pour les littératures étrangères plus proches. L’augmentation des
traductions de langues lointaines, et de cultures parfois mal connues est un indice de l’ouverture et
de la santé économique de l’édition. Il est donc étonnant de voir que la littérature espagnole, proche
de la France est d’une part peu traduite, et d’autre part ne jouit pas non plus de l’augmentation des
152
Cf Annexe n°II
littératures marginales. Le cas de l’Espagne dépasse les simples considérations économiques, et les
obstacles qui freinent l’augmentation des traductions tiennent évidemment aux raisons politiques,
malgré les apparences d’ouverture à partir de 1963-1964. Cette période d’ailleurs n’est pas marquée
par une augmentation exceptionnelle, au contraire. Cependant, dans les années 1960 et 1961, la
littérature espagnole s’inscrit enfin dans le second groupe. Mais elle se situe tout de même derrière
l’italien et le russe.
Dans son ensemble, le nombre de traductions augmente. La même situation continue dans les
années 1962, 1963, et 1964 : l’espagnol reste la dernière langue de ce que l’on a appelé le
« deuxième groupe ». Enfin 1966 est une année d’augmentation générale dont profite le roman
espagnol. De nouvelles langues étrangères entrent dans les catalogues des maisons. On procède
dans les statistiques à une distinction entre anglais et américain. Le tchèque, et le néerlandais font
leur apparition. Ces langues ont certainement dû devenir assez importantes du point de vue du
nombre de traductions, pour ne plus être mêlées dans l’informe catégorie « Autres pays ». Les
autres littératures étrangères, malgré quelques chutes ponctuelles, comme celle, très légère, de la
littérature allemande, par exemple, qui en 1968 est traduite autant qu’en 1966 alors qu’elle avait
connu une augmentation assez importante en 1967, continue donc leur progression. Or, la littérature
espagnole accuse elle une décroissance. Elle devient concurrente du roumain, du néerlandais, du
grec, et n’appartient définitivement plus au deuxième groupe à partir de 1968.
Il semble donc que l’augmentation de la parution de romans espagnols ne soit pas spécifique
à cette littérature, mais s’intègre dans un mouvement général d’expansion de la littérature étrangère.
Le nombre de traductions de romans espagnols range cette littérature dans le second groupe, qui
n’est pas de tête. De surcroît, l’augmentation des autres littératures et, en particulier, celle de la
littérature russe est largement plus importante que celle de la littérature espagnole. Cette dernière
reste cantonnée en littérature étrangère de seconde zone, quand la littérature russe est en passe
d’entrer dans le groupe de tête, c'est-à-dire celui de la littérature étrangère la plus amplement
diffusée. De même pour l’italien.
Ainsi, son émergence semble correspondre à la nécessité qu’éprouve l’édition française de se
diversifier. Néanmoins, elle ne représente qu’une part très faible de la littérature étrangère, d’où le
nombre assez peu important de maisons d’édition s’occupant de littérature espagnole. D’autant que,
plus difficile que d’autres à obtenir elle correspond aux choix internes, voire politiques, de certaines
maisons.
Certes, on ne peut nier l’augmentation de la présence du roman espagnol, et comme on a pu
le voir dans la seconde partie, elle est due massivement au roman réaliste et à son influence.
Cependant, les aléas de cette diffusion sont aussi largement liés à la situation économique de
l’édition française pendant ces années. En se fondant sur le bilan du SNE en 1959, on apprend que
le nombre de nouveautés littéraires en exemplaires est de 39 380, que le nombre général de
nouveautés est de 67 466, que les réimpressions d’ouvrages de littérature sont au nombre de 20 725,
et qu’au total les réimpressions comptent 73 514 exemplaires. Enfin le nombre total en littérature
est de 60 105 exemplaires et le nombre total confondu est de 140 980 exemplaires. Le tirage moyen
en littérature est élevé, il est de 12 000, et celui des réimpressions est de 7 850. En 1963, le nombre
de nouveautés en littérature générale a augmenté, il est de 41 500. Les nouveautés dans leur
ensemble sont de 80 211 exemplaires. Le nombre de réimpressions aussi a augmenté avec 23 850
exemplaires en littérature. Enfin, le nombre d’exemplaires total de littérature est passé à 63 350, et
dans son ensemble l’édition française a édité en 1963, 178 667 ouvrages. Dans le bilan de 1965, la
référence change : on ne parle plus en nombre d’exemplaires mais en nombre de titres. La vision de
l’évolution de l’édition française est un peu faussée par ce changement. En revanche, on perçoit
l’augmentation dans la croissance du chiffre d’affaires : en 1961, il était de 765 millions de francs,
en 1962 de 889 millions de francs, en 1963 de 998 millions. De 1959 à 1968, le chiffre d’affaires
n’a cessé d’augmenter. En nombre de titres, d’exemplaires et de chiffres d’affaires, l’édition
française a donc connu tout au long des années 1950 et 1960, une croissance assez régulière.
Ainsi peut-on s’expliquer la plus grande ouverture de certaines maisons vis-à-vis de la littérature
étrangère dans un contexte qui est favorable. Editer un livre étranger est en effet plus risqué,
demande du temps et de l’argent, puisqu’il faut en passer par l’achat de droits, en faire faire la
traduction, ce qui complexifie dans le processus éditorial normal. Dans une situation économique
florissante, les entreprises peuvent s’ouvrir sur l’extérieur, tenter d’ouvrir leur marché, alors que
dans des moments économiquement plus difficiles, elles se referment rapidement sur des valeurs
sûres, ce qui signifie dans le monde de l’édition, que l’on se concentre sur son catalogue, les
classiques et le marché intérieur. Ainsi, semble t-il que la littérature espagnole, comme l’ensemble
de la littérature étrangère a bénéficié des bonnes conditions économiques de l’édition française
durant cette période.
Une étude comparative plus poussée démontre toutefois que sa situation est moins enviable
que d’autre. Dans le cas de la maison la plus emblématique de la diffusion du roman espagnol à
cette époque, la littérature espagnole ainsi n’est pas suffisamment attractive pour justifier en soi une
collection, alors que la littérature hispano-américaine quant à elle, a été dotée d’une collection très
bien suivie dont le directeur littéraire est Roger Caillois, normalien, hispaniste, qui entre dès 1945, à
son retour d’Argentine dans le comité de lecture de Gallimard. En 1951, il inaugure la collection
Croix du Sud où ne seront publiées que des œuvres en prose d’Amérique du Sud. Il y publie 31
auteurs, avec un suivi éditorial exceptionnel envers Borges et Jorge Amado. L’ensemble des grands
noms de l’Amérique latine y est présent : Cabrera Infante, Cortázar, Juan Rulfo, Vargas Llosa. A sa
suite, d’autres maisons sortent de telles collections, à la différence près que s’y mêlent souvent
littérature espagnole et d’Amérique du Sud, comme la collection Pavillons chez Laffont.
L’empreinte du directeur de collection se note dans le moindre détail, dans le choix des auteurs,
bien sûr, et également dans l’image de la collection. Les livres de la collection sont de petit format.
Des traits verts et jaunes, aux couleurs de l’Amérique Latine, forment des carreaux se croisant. La
couverture est assez exubérante, avec les noms du traducteur, du directeur de collection, et le nom
de la propre collection écrit en tous sens. La page de présentation est plus classique, néanmoins on
ne peut éviter les couleurs jaunes et vertes, ni le nom de la collection. Les pages sont petites, et les
caractères assez gros, ce qui donne une image plus accessible à cette publication. De même que le
titre qui s’étale en bandeau à chaque page. Il n’y a pas de quatrième de couverture, non plus. Ces
nuances relèvent certainement des choix du directeur de collection. Elles ne dévalorisent pas du tout
le texte, néanmoins elles reflètent moins de rigueur ou d’austérité que les autres collections de
Gallimard et précisément que l’emblématique Collection blanche. Or, la littérature espagnole paraît
parfois dans la collection blanche, ou dans d’autres collections.
Le roman espagnol est donc réparti dans différentes collections. Il est le plus représenté dans
la collection du monde entier, mais apparaît aussi dans la collection blanche, dans la collection
soleil, en folio, ou plus tard dans la collection l’étrangère. Mais c’est surtout la collection du monde
entier qui nous intéresse. Elle fut créée en 1931 grâce à l’impulsion de Gide et de Larbaud, et elle
constitue la principale collection de littérature étrangère de la maison. Jusqu’en 1950, c’est une
collection « qui s’adresse aux bibliophiles : n’y sont réunis que les éditions originales de certaines
traductions parus en blanche. » Mais à partir de 1950, la collection prend son autonomie. Cette
collection n’avait pas de directeur attitré, c’est pourquoi chaque lecteur pouvait valoriser son choix
dans le cadre de cette collection. Elle était donc animée par les membres du comité de lecture, et par
des collaborateurs extérieurs comme Malraux, bien que ce dernier n’ait exercé aucune influence
pour la diffusion de la littérature espagnole, Queneau, ou encore Maurice Edgar Coindreau. Pour
cette collection, il fallait évidemment une personne responsable de l’achat des droits, qui à l’époque
était Dionys Mascolo. C’était donc lui qui avait le pouvoir de décision. Toutes les littératures se
mêlaient, leur représentation était donc forcément réduite. Cependant les animateurs de cette
collection pouvaient jouir d’une liberté que seul le prix des droits pouvait contrarier.
Est-ce à dire que l’exubérance de la littérature de l’Amérique du Sud fait vendre cette littérature, la
collection aidant à en véhiculer l’image ? Quelle image véhiculée par le livre de littérature
espagnole attend donc le lecteur français ? L’intégration de la littérature espagnole au sein des
autres littératures n’est-elle pas la preuve du déficit d’attraction d’une collection proprement
espagnole ? La preuve aussi de l’absence d’intérêt du public pour sa particularité ? Cette littérature
n’est-elle pas tout simplement fondue dans la spécificité de la collection du monde entier ? La
littérature espagnole n’est donc pas considérée en soi comme un motif qui fait vendre.
Chapitre 9 : L’Espagne vue de France
On peut observer que les commentaires de certains écrivains, journalistes, ou encore
chercheurs, d’époques très diverses ont tous en communs de faire apparaître le manque de
connaissance dont souffre la littérature espagnole et parfois l’Espagne elle-même. Le rapport des
Français avec l’Espagne a été étudié par Aline Angoustures153. Ses conclusions reprennent le constat
évoqué à plusieurs reprises par Juan Goytisolo154 notamment, sur l’évolution de la connaissance de
la situation espagnole par les Français.
Jusqu’en 1946, l’opinion publique française est persuadée que la fin de la seconde guerre mondiale
marquera la fin du régime franquiste. Malgré les pressions diplomatiques, l’Espagne ferme ses
frontières en premier. La France subit cette décision, qu’elle avait pourtant décidé pour sanctionner
l’Espagne, comme un humiliant échec. D’après l’auteur, la réaction à cette humiliation consiste
pour la France à se détourner totalement de la situation espagnole. L’Espagne apparaît donc de 1948
à 1963 comme un pays en marge de l’actualité, économiquement attardé et politiquement coupable.
En France, par conséquent, l’attention se polarise sur les exilés pendant toute cette période. 1963 est
l’année de l’exécution de Julian Grimau, qui réveille les consciences, et ravive l’image dictatoriale
d’un régime qui, depuis, s’était largement rapproché de la France, en particulier avec la venue au
pouvoir de De Gaulle. Les Temps Modernes, n° 204, de mai 1963, y consacre son éditorial rédigé
par l’ensemble du comité de rédaction, intitulé « L’assassinat de Julian Grimau ». La particularité de
cet article est de dénoncer une presse qui, depuis plusieurs années, selon les auteurs de l’article,
contribuait à faire croire que l’Espagne était devenue un pays normalisé et Franco un personnage
respectable qui selon les mots de De Gaulle « rendit de nombreux services au monde ».
L’antigaullisme de cette revue explique cette attaque contre les journalistes français qui suivent les
directives officielles gaullistes. Ainsi, cet article-ci tente de montrer que l’Espagne est toujours en
guerre, qu’il faut continuer de lutter, que le franquisme n’a pas changé, que l’Espagne reste
l’Espagne de 1936/1939 :
« Non les choses n’ont pas changé en Espagne. En 1963, le franquisme se conduit de la
même façon qu’en 1936, lorsque, se soulevant contre le gouvernement légitime, il entraîna le pays
dans une lutte fratricide qui devait lui coûter plus d’un million de morts. Depuis la paix, la
réconciliation, si vantées par certains organes de la presse continuent à être des mots creux pour
lui. »155
153
154
155
Angoustures, Aline, L’opinion publique française et l’Espagne 1945/1976, 1988.
Goytisolo, Juan, Memorias, Península, Barcelona, 2002, p 410.
« Editorial », Temps Modernes n° 204, mai 1963.
La suite de l’article est similaire et insiste donc sur l’inertie de la situation espagnole, et en donne
une image inchangée depuis le temps de la guerre civile, ce qui entretient le mythe de l’Espagne des
bons contre les mauvais, et de l’injustice de l’échec républicain.
Cette même année, le film de Frédéric Rossif, Mourir à Madrid156 sort à Paris. C’est le début du
traitement de la guerre civile au cinéma. C’est un film documentaire composé d’images d’archives.
Il s’adresse à un public français. Il débute en 1931 avec l’avènement de la République, et une
description géographique et sociale de l’Espagne. Il tente ainsi d’expliquer les conditions de cette
république, et donc l’illégitimité du soulèvement militaire. Il reste très didactique jusqu’en 1936.
Débute alors un va et vient incessant d’un camp à l’autre, la voix-off ne cesse de mettre en parallèle
les massacres perpétrés d’un côté et de l’autre. Elle fait s’affronter les deux camps face à face en
opposant par exemple le slogan d’Azaña « La république continue » à celui de Franco « l’Espagne
est sauvée ». La dualité est fortement entretenue au début de ce film, dont le ton pourtant tente de
rester impartial. Mais le parti pris de Rossif transparaît avec la mise en scène de la mort du poète,
Federico García Lorca. « Le crime eut lieu à Grenade ». Le film s’établit désormais sur des
références mythiques : d’un côté « les descendants des conquistadores, les mystiques d’Avila,
l’Espagne de la croix et de l’épée » destinés à « mourir pour le Christ roi », de l’autre la Pasionaria,
et « les miliciens de la liberté, décidés à vaincre le fascisme ou à mourir pour la liberté ». La
majeure partie du film est une succession d’images de batailles, d’archives en général. Les plus
emblématiques sont montrées : Badajoz, Burgos, Cité universitaire, El Jarama, Guadalajarra,
Malaga, et Guernika. La violence augmente à travers les images. On ne montre plus que des
femmes et des enfants tués. Aucun homme n’apparaît. C’est la première fois que l’on voit des
morts. On ne cessera plus d’en voir. Puis c’est la bataille de Bilbao, Terruel, le passage de l’Ebre, la
chute de Barcelone et enfin la reddition de Madrid, après le départ des Brigades internationales. La
guerre d’Espagne « n’est pas une succession de batailles mais une suite de tragédies », selon l’idée
traditionnelle que l’on se fait de l’Espagne, ainsi reprise par la voix off. Enfin, le film se conclut par
le même commentaire qu’au début à quelques nuances près : « 503 061 kilomètres carrés, presque
aussi grande que la France, et 2 millions d’hommes en prison, 500 000 exilés, et 1 000 000 de morts
par mort violente ».
Ce film qui fit 191 033 entrées et resta à l’affiche pendant 11 semaines établit une dualité
romantique entre le camp des bons et le camp des mauvais, en même temps qu’il souligne plus de
vingt ans après le bilan dramatique de la guerre civile, lui donnant une résonance actuelle,
répétitive. Avec la mort de Julian Grimau, ce film donne l’image d’une Espagne toujours en pleine
guerre, d’une Espagne où l’on meurt toujours dans les mêmes conditions.
« Cette vision « dure » d’une Espagne martyre qui exprime son génie et son caractère
156
Rossif, Frédéric, « Mourir à Madrid », collection les films de l’histoire.
national dans une résistance désespérée face au fascisme ne peut que rejeter l’Espagne de 1963 et
faire croire que le pays n’a pas changé depuis la guerre. »157
L’Espagne éternelle est l’image formée par les exilés en France, et surtout par le parti communiste.
Cette vision est diffusée par un monde intellectuel qui a les moyens de s’exprimer dans le cadre de
plusieurs revues, comme Les Temps Modernes, et dont la maison Gallimard fait aussi partie.
« Rompant avec une longue période de silence qui, pour de multiples raisons va de 1945 à
1961 environ, Mourir à Madrid est un peu l’inventaire de tous les thèmes et mythes que l’exil n’a
cessé d’entretenir plus ou moins littérairement dans le contexte d’une intelligentsia parisienne. La
guerre d’Algérie est finie, le gaullisme est solidement installé, la guerre d’Espagne peut réactiver
quelques sujets chers à la gauche française parisienne : l’assassinat de Lorca, la tragédie de
Guernica, la campagne de Terruel, les divisions au sein des partis de gauche, l’abnégation des
Brigades rouges, l’anticléricalisme justifié par les positions de l’église quand elle est du côté du
pouvoir, la mort symbolique d’Unamuno, l’exode des populations innocentes…Enfin, ces sujets ont
l’avantage d’appartenir à une sorte de patrimoine qui unit dans un même héritage Picasso et
Eluard (Guernica), Malraux (L’espoir), et Hemingway (Pour qui sonne le glas ?), Bernanos (Les
grands cimetières), et Bataille (l’Espagne libre), et à un degré moindre, tout un petit monde
d’artistes et d’intellectuels à la mode dans l’Express et France observateur ; »158
Ce film réactive donc notamment le mythe fort connu des Brigades internationales. Il est
d’autant plus ancré en 1963, qu’il fut construit par les deux camps et qu’il bénéficia d’une grande
publicité dans la littérature française sur l’Espagne de l’immédiat après guerre. Des deux côtés, il
était intéressant de marquer l’appui exceptionnel des brigadistes, pour, du côté franquiste, justifier
la lenteur de la prise de Madrid, et de l’autre, montrer leur efficacité militaire. Dès 1936, le PC luimême alimente le mythe, amplifié par une succession de publications afin de souligner « la
solidarité généreuse de quelques hommes qui de leur propre volonté viennent en Espagne lutter
contre le fascisme ». La légende se construit sur des bases que Marta Bizcarrondo et Antonio Elorza
ont étudiées et rendues publiques dans l’article Las brigadas internacionales : imagenes de la
izquierda, paru dans la revue Ayer159. Tout d’abord, elle se fonde sur l’effacement de toute tendance
politique, sur l’appartenance éternelle de ces hommes à la terre d’Espagne, sur la reconnaissance
157
158
159
Angoustures, Aline, L’opinion publique française et l’Espagne 1945/1976, 1988.
Oms, Marcel, La guerre d’Espagne au cinéma, col. 7° art, éditions du cerf, Paris, 1986.
Ayer, n° 54, Las brigadas internacionales.
des mères espagnoles envers ces hommes qui ont lutté pour l’avenir de leurs fils. La phrase de
Dolorès Ibarurri est un des moments clefs de la construction du mythe :
« « Vous êtes l’histoire, vous êtes la légende, vous êtes l’exemple héroïque » : le texte de
Dolores Ibarurri réalise consciemment le passage d’une valorisation politique à la construction
d’un mythe. »160
C’est ce mythe qui est retenu tout au long de ces années. Ce n’est qu’un exemple de la façon dont
au-delà des frontières et surtout en France on se souvient de l’Espagne, de la guerre civile.
Le thème de l’Espagne passionne donc dans sa dimension légendaire, et suffit à donner une
publicité assez grande au livre. Prenons l’exemple de livres qui ne relèvent pas de la littérature mais
montrent assez bien par l’étude des commentaires des journalistes en quoi ils peuvent intéresser le
public français.
On a pu accéder aux dossiers de presse de la maison d’édition Maspéro 161, dans lesquels deux
exemples sont particulièrement révélateurs de la façon dont est traité le thème de l’Espagne par les
journalistes de l’époque. Le premier ouvrage de la première collection de la toute nouvelle maison
d’édition de François Maspéro en 1959, est La guerre d’Espagne de Pietro Nenni162. Ce livre n’a
rien d’un roman, c’est le récit de Pietro Nenni sur son expérience et son interprétation de la guerre.
Tous les articles du dossier de presse reprennent le problème de la non intervention de la France. On
réfléchit sur l’Espagne, hors de l’Espagne. On cite des passages de Pietro Nenni mais en réalité on
ne débat que sur l’histoire de la guerre civile ou sur l’auteur. L’Espagne de 1959 n’a aucune place
dans aucun des articles. L’autre exemple est le recueil de poésie de Blas de Otero, Je demande la
paix et la parole163. Il fait l’objet de 20 articles. Dans ce cas là, les articles saluent l’engagement de
Blas de Otero contre le franquisme. On le rapproche, comme dans la revue Actuelles164, de
l’ensemble de la vague nouvelle d’écrivains espagnols, c'est-à-dire du roman réaliste, et on salue
ainsi le renouveau de la littérature espagnole. Mais une fois de plus, la situation espagnole est
rapidement évacuée pour ne laisser place qu’aux allusions qui entretiennent une méconnaissance de
la réalité espagnole.
Le thème de la guerre civile est un thème fort couru aussi par la littérature, voire, surtout par
littérature. Selon l’étude de Maryse Bertrand de Muñoz165 le roman fut la forme privilégiée utilisée
160
161
162
163
164
165
« “Sois la historia, sois la leyenda, sois el ejemplo heróico : el texto de Dolores Ibarurri realiza concientamente el
tránsito desde la valoración política a la construcción de un mito.”»
Dossier de presse, fonds Maspéro/la découverte,
Nenni, Pietro, La guerre d’Espagne, François Maspéro, Paris, 1959.
Blas de Otero, Je demande la paix et la parole, François Maspéro, Paris, 1963.
Dossier de presse, fonds Maspéro/ la découverte (DEC25Ndec2sl-B008.D3), Actuelles, « Un lyrisme qui accuse,
1963.
Bertrand de Muñoz, Maryse, La guerre civile espagnole dans la littérature française, Bibliothèque nationale du
Québec, Didier, Québec, 1972.
par les hommes de lettres français pour s’exprimer à ce sujet. Elle ne recense en effet que 56 essais,
parus au lendemain de la guerre, et peu d’ouvrages d’histoire et de biographies. Le graphique sur
l’évolution du traitement de la guerre civile dans la littérature française166 sera une fois de plus
utilisé ici. Quantitativement, le nombre de publications françaises ayant un rapport avec le thème de
la guerre civile est moindre que celui de l’Espagne. On dénombre, en nous aidant de l’autre étude
de Maryse Bertrand de Muñoz167 consacrée au roman, 287 écrivains espagnols et 352 œuvres ayant
traité de la guerre civile, et 63 auteurs français avec 69 œuvres. La littérature française est la
deuxième littérature après l’espagnole à traiter de la guerre civile, avant la littérature nord
américaine. En revanche, les périodes de publications sont différentes entre la France et l’Espagne.
En France on assiste, selon la tendance marquée par l’évolution du nombre de parutions totales, à
un pic au lendemain de la guerre. Pendant la seconde guerre mondiale le thème de la guerre
d’Espagne est quasiment absent mais resurgit à partir de 1956 jusqu’en 1968. Le rythme espagnol
est différent et répond aux conditions imposées par le régime et, par son évolution.
Les écrivains français ont en premier lieu donné une image à chaud de l’Espagne, de la guerre, en y
ayant pour la plupart participé. Puis ils se sont tus. Les écrits sur la guerre d’Espagne sont revenus
sous une forme plus romanesque, tout en continuant d’entretenir les mythes. Il est tout à fait
symptomatique d’observer à partir de l’étude de Maryse de Bertrand la différence entre les thèmes
traités. La littérature française utilise des thèmes de l’amour, la solidarité, l’atmosphère asphyxiante
et de la perte de l’identité, quand la littérature espagnole aborde surtout l’amour, la lutte des bons
contre les mauvais, et l’opposition entre deux frères ou deux amis. La littérature française ne met en
scène aucun phalangiste, alors que c’est le personnage principal de la littérature espagnole. Les
membres de la brigade internationale sont favorisés au cœur de la littérature française, alors qu’ils
sont quasiment ignorés par la littérature espagnole. Enfin, c’est la forme autobiographique, ou récit
à la première personne, ou biographie fictive qui sont les formes de littérature de la guerre les plus
représentées en France, ainsi que le roman social. Ce sont des styles qui néanmoins ne sont pas
éloignés de la littérature espagnole. Mais par les thèmes que cette littérature aborde, ses
personnages et la façon dont elle le raconte, avec une prise directe sur la guerre, une intensité due au
témoignage, elle entretient aussi le mythe républicain de la guerre civile, fait de solidarité, alimenté
par les exploits des brigades internationales, et les drames. Elle reste arc-boutée sur une image
vieillie, pleine de bons sentiments, parfaitement fausse. Tel Jean Cassou, en apparence proche de
l’Espagne, baigné en réalité d’une image égocentrique et rêvée, écrivant dans Le Romancero de la
guerre civile :
« La culture espagnole, elle est tout entière de ce côté, car la culture espagnole, comme
166
167
Annexe II
Bertrand de Muñoz, Maryse, La guerra civil española en la novela, bibliografía comentada, Tome I et II, Ediciones
José Porrúa Turanzas, Madrid, 1982.
toutes les cultures, est faite de vie et de renouvellements et il n’est pas trop de dire que les miliciens
républicains se battent pour apaiser le terrible combat qui déchirait Goya, le plus populaire des
Espagnols, l’ennemi des grands, des moines, des fantômes, et en même temps un sombre fils de
l’Espagne noire et un solitaire hanté. »168
D’ailleurs pour d’autres écrivains, la guerre civile n’est qu’une simple toile de fond dramatique et
prête à l’emploi, pour un mauvais roman d’amour, ou pour un bon roman social :
« On dirait vraiment que l’Espagne est devenue pour les écrivains d’aujourd’hui ce que
l’Antiquité était pour les classiques et le Moyen Age pour les romantiques : un lieu symbolique où
se transportent les problèmes actuels. »169
L’Espagne dans le roman, et surtout la guerre civile, s’imposent comme des références
codifiées et littéraires qui n’ont plus rien à voir avec la réalité espagnole, ni celle de 1936, et moins
encore celle des années 1960.
On peut donc se poser la question de la concurrence entre le cinéma et le roman dans la
diffusion du thème de la guerre civile. Il existe un décalage entre l’exploitation de ce thème par le
livre et celle faite par le cinéma, en France comme en Espagne. Le livre a été le premier véhicule de
l’image de l’Espagne, et a donc contribué initialement à la créer.
En effet, le thème de la guerre civile est traité tardivement au cinéma. Il est utilisé dès 1936 comme
une puissante arme de propagande des deux côtés, plus précocement et massivement du côté des
républicains et particulièrement chez les miliciens engagés de la CNT FAI, et devient donc un
moyen privilégié de construction des mythes, bien que ce soit sous forme de documentaire que sont
réalisés ces enregistrements :
« Véhicule et créateur de mythes, autant que mystificateur par nature, le cinéma, plus que
168
169
1952, « les petits cimetières sous la lune », l’Express cité par Maryse Bertrand de Muñoz.
Idem.
tout autre moyen de reproduction du réel, transforme immédiatement, par la projection réitérée
l’instant unique d’un événement contingent en une éternité possible. »170
Cependant, plus radicalement que dans le cas du roman, le clan des vainqueurs monopolise
la création, et installe un système censorial encore plus dur que pour le livre, d’où l’impossibilité
d’une création en marge, même destinée à l’exportation à l’inverse du livre. Le régime par l’ordre
du 2 novembre 1938, règle la censure cinématographique très précisément, conscient que :
« Le cinématographe exerçant, indéniablement, une très grande influence sur la diffusion de
la pensée et de l’éducation des masses, il est indispensable que l’Etat surveille partout où il y aura
un risque qu’il s’écarte de sa mission. »
Sont créées la « Commission de censure cinématographique » et l’ « assemblée supérieure de
censure cinématographique »171, verrouillées, comme pour la littérature, par l’Eglise et l’armée.
Jusqu’en 1945, plus de dix règlements sont émis. La censure est établie contre le film à chaque
étape de son élaboration. Pour la production hispanique, la censure s’exerce sur le scénario, sur le
film terminé, sur le matériel publicitaire, et passe par le système de protection financière de l’Etat,
qui peut atteindre 40% du budget. La censure est encore plus présente que dans le cas du livre, où
elle ne se porte que sur le produit fini. En décembre 1942, l’Etat institue le NO-DO. Le 21 mars
1951, un nouveau système de censure est érigé avec la création de l’« assemblée de classification et
de censure des films »172 chargée d’évaluer le contenu moral, politique et social des films et de les
classer. Selon le classement leur est attribuée une subvention. Enfin, en mars 1963, est élaboré un
« code de censure » ce qui ne fut jamais fait pour le livre. Le régime était parfaitement conscient du
pouvoir de l’image et de son audience. Ainsi, pendant vingt ans, le cinéma espagnol n’a pu se
défaire de la férule étatique, contrairement au roman qui réussit dans une certaine mesure à s’en
éloigner. La liberté ne pouvait exister que pour les exilés, comme Buñuel 173. Cependant, un film
nécessite un budget bien plus important qu’un livre, ce qui engendre davantage de difficultés, et
170
La guerre d’Espagne au cinéma, p 21
« comisión de censura cinematográfica », « Junta superior de censura cinematográfica »
172
« Junta de clasificación y de censura de las pelicúlas »
173
Luis Buñuel, réalisteur espagnol exilé en France, né le 22 février 1900 à Calanda. En 1925, il s’installe à la
résidence des étudiants où il rencontre Dalí et Lorca. Il passe son diplôme d’histoire à l’université de Madrid et part
vivre à Paris jusqu’en 1929, où il s’inscrit à l’académie de cinéma. Pendant ces années, il a écrit plusieurs textes. Il
écrit avec Dalí « le chien andalou » qui rencontre un certain succès à Paris et Madrid. Il vit entre Paris et l’Espagne.
En 1938, il part vivre aux Etats-Unis, il est embauché comme chef de montage au MOMA, puis à Hollywood, par
les Warner Brothers, comme directeur de doublage. Il ne cesse pendant ce temps d’écrire des scénarios et tente de
les tourner. En 1946, il part vivre à México, où en 48 il obtient la nationalité. Il y réalise de nombreux films. En
1966, il revient à Paris. En 1977, il signe son dernier film « cet obscur objet du désir ». En 1980, il fait son dernier
voyage en Espagne. Il meurt le 29 juillet 1983 à Mexico.
Filmographie sélective :
1929 : Un chien andalou, 1930 : L’âge d’or, 1950 : Los olvidados, 1952 : El bruto, 1955 : Ensayo de un crimen, 1955 :
Cela s’appelle l’aurore, 1961 : Vidriana, 1964 : Journal d’une femme de chambre, 1970 : Tristana, 1977 : Cet obscur
objet de désir.
171
freine la production. Peu de films sur l’Espagne furent tournés, et la plupart jusque dans les années
1960 eurent peu de succès. A l’étranger aussi on parlait peu de la guerre d’Espagne au cinéma,
jusque dans les années 1960. Les spectateurs français, à la sortie de rares films sur la guerre, ne s’y
intéressaient pas. Pourtant le roman espagnol était déjà diffusé massivement. Il n’a donc pas réussi à
créer une attente, d’autant que les publics du livre et du cinéma peuvent largement différer.
Seuls des films comme Pour qui sonne le glas, édulcoration hollywoodienne du roman
d’Hemingway, contribuèrent à résumer la vision de la guerre d’Espagne hors d’Espagne :
« Pendant trente ans cette œuvre aura donné au monde occidental pratiquement la seule
image populaire et accessible de la guerre d’Espagne au cinéma. »174
entretenant une méconnaissance de cet événement.
Le cinéma a donc abordé la guerre d’Espagne plus tardivement et plus conventionnellement.
Il détient toutefois une puissance incomparable à la littérature. Si le roman put anticiper la mode de
l’Espagne, c’est le cinéma qui l’exploita assurément. En France, seuls 11 films de 1936 à 1975
abordent le thème de la guerre civile. Les deux premiers datent de 1937 et de 1939, puis en 1948 en
sort un autre. Le reste est produit dans la période 1960/1975. Le cinéma espagnol, quant à lui, dut
attendre l’année 1975 pour pouvoir se réapproprier son passé et mettre en image cette période. Le
cinéma français aborde ce thème plus tôt que le cinéma espagnol, néanmoins bien plus tardivement
que la littérature. Les rares films sortis avant 1960 ne rencontrèrent pas de succès. En 1963, Mourir
à Madrid, comme on a pu le voir, rencontre un grand public. Les événements espagnols, l’assassinat
de Julian Grimau, et peut-être aussi le rôle de la diffusion de la littérature espagnole, ont favorisé le
succès des films sur la guerre d’Espagne qui alimentent les mythes. Néanmoins subsiste un
décalage dans le traitement des thèmes, et dans le style qui donne au roman espagnol une modernité
que le cinéma ne put pas avoir, et le roman fut peut-être le véhicule d’une image plus vraie, plus
contestataire plus précocement.
A moins que la modernité n’ait été elle aussi un mythe ? A moins que la littérature n’ait été
vendue que comme preuve d’un engagement politique, à moins que l’engagement valût plus que la
qualité littéraire. L’Espagne et la dissidence, deux mots en apparence suffisants pour la publicité
d’une œuvre.
Les maisons d’édition pouvaient aussi choisir d’exploiter l’image de l’Espagne résumée dans
l’Andalousie, ou dans celle, ensoleillée, de la Costa Brava, que le tourisme de masse contribua à
forger, dès 1949-1950, c'est-à-dire dès l’apparition des premières publicités pour les Baléares et
l’Andalousie. Ces images de propagande, issues directement des objectifs du régime, normalisent
l’Espagne et surtout la folklorisent. L’Espagne est pauvre, attardée, ce qui aux yeux des touristes
français en fait sa beauté, sa tradition, le gage de bonnes vacances. En France, d’ailleurs l’opérette
174
La guerre d’Espagne au cinéma, p 140.
qu’on appelle « l’espagnolade » comme Carmen ou La Belle de Cadix, est à la mode, ancrant dans
l’imaginaire français les représentations typiques de l’Espagne.
Ainsi, que l’on se place du côté de la tradition rêvée ou de celui de la lutte anti franquiste,
l’Espagne est le lieu de projection des antinomies politiques françaises, son histoire permet
d’évaluer influences, et pouvoir politique entre partis ou groupes de cette intelligentsia parisienne
qui contribue elle-même au mythe de la modernité du roman réaliste. La littérature espagnole sera
littérature de folklore où le lecteur reconnaît le lieu de ses dernières vacances, et les stéréotypes
qu’il croit connaître de l’Espagne qu’on lui raconte, ou bien elle sera littérature d’avant-garde et
engagée contre le franquisme.
Chapitre 10 : Le succès de la littérature espagnole
Le roman réaliste est un roman nouveau, il est roman de rénovation en Espagne, et
correspond aussi à l’évolution stylistique européenne et américaine. L’objectivisme espagnol est
une version, en quelque sorte, du behaviourisme américain, qui donne entière liberté aux
personnages. Le behaviourisme est une esthétique volontariste où l’auteur est absent, et le
personnage est le maître d’œuvre du roman, d’où parfois la complexité de certains romans comme
chez Steinbeck, car le changement de personnages n’est perceptible qu’après le début de ce
changement même, entraînant un décalage permanent entre le temps de l’action et le temps de la
lecture. Cependant, l’objectivisme espagnol se borne à une accumulation de personnages qui n’ont
pas d’intérêt, donc n’ont pas non plus de liberté, faisant de ces romans des romans en même temps
illimités et pourtant clos. Illimités car ils n’ont pas la possibilité de s’arrêter, il n’y a aucune raison
pour qu’ils le fassent. Clos car l’action ne peut avoir d’au-delà, et les personnages ne peuvent
qu’apparaître. Ce style est en fait plus proche encore du nouveau roman, qui, comme dit Jordi
Bonells :
« déclare la mort au sujet narratif »175
L’objectivisation de la narration de Robbe-Grillet trouve des échos dans El Jarama176 par exemple.
Le style de la narration par de longues descriptions composées sur un ton oral à la Nathalie Sarraute
dans Enfances font penser à La Colmena177. Les monologues intérieurs d’un Butor écrivant La
modification ou L’emploi du temps sonnent de la même musique que Tiempos de Silencio178. Ainsi
le roman réaliste est parfaitement intégré dans l’esthétique européenne. Pourquoi est-il donc
valorisé pour son originalité, pourquoi en parle-t-on dans les journaux comme un fait remarquable
et isolé ?
Il semble en permanence que ce roman ait oscillé entre littérature et politique. Sa valeur littéraire
n’a pas été vendue, et celui-ci à terme en a pâti. En voulant l’isoler pour le vendre, en le rendant
exceptionnel on a joué une fois de plus avec un mythe, celui d’une Espagne retardée où la littérature
contemporaine ne pouvait pas exister. On a tenté de vendre cette littérature en la considérant comme
une nouveauté alors qu’un courant assez proche existait en France, sous prétexte que l’Espagne
connaissait une situation politique différente. On a fait de l’engagement politique la garantie d’une
littérature. Or, la plupart des acteurs de la diffusion de cette littérature, et notamment Goytisolo et
Barral, reconnaissent tous deux la médiocrité générale de ces romans. Certes certains sont des chefs
175
176
177
178
Le roman espagnol contemporain, p 65.
Sanchez Ferlosio, Rafael, El Jarama.
Cela, Camilo José, La colmena.
Martin Santos, Luis, Tiempos de silencio.
d’œuvres mais on y trouve aussi beaucoup d’opportunisme. Certains auteurs eux-mêmes, ceux que
l’on peut vraiment qualifier d’écrivains, ont renoncé à suivre cette esthétique. C’est le cas de Juan
Benet, et de Juan Goytisolo particulièrement. D’autant qu’à ce moment là, outre le roman hispanoaméricain, et la littérature de l’exil qui arrivait enfin sur le sol espagnol, commençait aussi à publier
une nouvelle génération d’écrivains d’un style parfaitement différent, tel Juan Marsé, et Vasquez
Montalbán. Ce courant donc fortement limité et ponctuel, rencontra des suffrages moins pour sa
qualité littéraire que pour son engagement, contre l’Espagne franquiste, du fait de sa réputation
d’opposant politique.
La littérature espagnole a donc été traitée de façon fortement paradoxale, toujours entre deux
mythes, que sa modernité soit exagérée, ou que ses images traditionnelles survivent à travers des
textes surannés.
La collection du monde entier de Gallimard intègre la littérature espagnole dans le reste de
la littérature étrangère. Elle ne lui fait pas une place exceptionnelle comme on a pu le voir. C’est
une littérature venant d’ailleurs. Mais fondue dans cette collection, elle perd ses caractéristiques
« nationales ». Plusieurs publications de romans espagnols parus dans cette collection ont été
analysées. On a choisi Deuil au paradis de Juan Goytisolo179, Jeux de mains180 du même auteur, Les
Marionnettes d’Ana María Matute181, Inventions et pérégrinations d’Alfanhuí, de Rafael Sanchez
Ferlosio182. C’est une édition de petit format, dont la présentation reste simple, marquée par le sceau
de la maison d’édition, dont le symbole est NRF, où l’on peut lire le nom de la collection, le titre et
le nom de l’auteur. Sont mentionnés dans le cas du premier livre le traducteur, Maurice Edgar
Coindreau, et le préfacier, Josep María Castellet, qui inscrit les deux romans de Goytisolo dans le
courant du roman réaliste. Les Marionnettes bénéficie de la même présentation, à laquelle on ajoute
le titre en espagnol et entre parenthèses. Il n’y a pas de préface. Enfin, le livre de Ferlosio, traduit
lui aussi par Coindreau a une préface du traducteur qui résume la vie de l’auteur, puis mentionne le
prix qu’a reçu le roman, tout en adressant des louanges au roman objectif. Dans cette collection, il
n’y a pas de notes de bas de page, de notes du traducteur, il n’y a pas de quatrième de couverture.
Le livre d’Ana María Matute n’a même pas la chance d’être préfacé. La plupart de ces textes sont
donc donnés au lecteur dans cette expression qui n’est pas forcément la plus adéquate pour
appréhender une littérature étrangère. Il est vrai que Gallimard n’est pas le modèle absolu de
l’édition de qualité, bien qu’Albin Michel avec le livre de Sebastian Juan Arbo Les chemins de la
nuit183 propose le même type de collection, sans quatrième de couverture, ni note aucune. Cette
179
180
181
182
183
Goytisolo, Juan, Deuil au paradis, col. Du monde entier, Gallimard, Paris, 1958.
Goytisolo, Juan, Jeux de mains, col. Du monde entier, Gallimard, Paris, 1956.
Matute, Ana María, Les marionnettes, col. Du monde entier, Gallimard, Paris, 1962.
Sanchez Ferlosio, Inventions et pérégrinations d’Alfanhuí, col. Du monde entier, Paris, 1957.
Arbo, Juan Sebastian, Les chemins de la nuit, Albin Michel, Paris, 1950.
collection non plus n’est pas du tout spécifique à la littérature espagnole. L’extrait de catalogue qui
apparaît dans ce livre montre une présence écrasante d’écrivains italiens, et rend encore plus
incongrue la présence de cet ouvrage.
Les brûlures du matin d’Ana María Matute184 qui paraît chez Stock a une allure moins austère. Tout
en gardant une grande qualité de texte, cette collection possède un quatrième de couverture, et une
préface bien documentée adressée à un public plus large qui ne connaît pas forcément la littérature
espagnole. Dans ce cas, d’ailleurs, on insiste sur les liens entre l’auteur et la guerre civile, et
l’inscription de sa littérature dans l’esthétique romanesque européenne :
« Espagnole dans l’âme, Ana María Matute se situe en fait à la conjonction de deux grands
courants littéraires, le courant russe et le courant américain »,
Puis, on parle de l’œuvre à proprement parler. Là non plus, il n’y a aucune note de traductions, mais
le quatrième de couverture ainsi que la préface inscrivent l’auteur dans une réalité espagnole
vivante.
D’autres maisons d’édition cultivent la spécificité espagnole du roman comme motif de vente,
accusant l’aspect commercial du livre. Ce qui n’empêche pas la qualité littéraire des textes, mais les
rend plus inoffensifs. C’est d’ailleurs dans ces maisons précisément qu’on publie des auteurs moins
engagés, moins innovants. Dans ces éditions, très variées, le quatrième de couverture constitue un
grand argument de vente, ainsi que le développement biographique important sur les auteurs. Dans
le cas de L’assaut des ténèbres de José María Gironella185 qui paraît chez Flammarion, le quatrième
de couverture est imposant. Il se borne pourtant à faire un résumé de l’œuvre et à louer la qualité du
livre. Il n’est nullement inscrit dans la littérature espagnole, au contraire :
«Il rappelle à la fois Antonin Artaud et Franz Kafka »
Et encore moins dans la situation espagnole à laquelle on ne fait aucunement allusion.
Enfin, il y a un dernier style de collections dans lesquelles paraît la littérature espagnole, qui, par les
ouvrages qu’elles proposent, par la présentation, appartiennent à la littérature populaire, et
commerciale. Pour autant c’est elle qui marque le plus la spécificité espagnole. L’ouvrage Les bras
du vent d’Elena Quiroga186 paraît dans la collection l’éolienne chez Castermann. La couverture est
un dessin : une femme est au premier plan à gauche dans une robe jaune. Derrière se trouve un
groupe de cinq personnes, quatre hommes et une femme, en vert et bleu. L’opposition est déjà
signifiée. Celle qui semble être l’héroïne a les bras dénudés, un foulard sur la tête porté en arrière
qui lui dégage le visage, alors que l’autre femme porte un gilet et un foulard noué en avant. Sont
posés ainsi les éléments d’une intrigue dans un village, histoire d’un amour surveillé…Or, cette
184
185
186
Matute, Ana María, Les brûlures du matin, Stock, Paris, 1960.
Gironella, José María, L’assaut des ténèbres, Flammarion, Paris, 1960.
Quiroga, Elena, Les bras du vent, col. L’Eolienne, Castermann, Paris, 1963.
publication met en valeur l’aspect espagnol de l’œuvre. Au dos de la couverture on précise le titre
de l’œuvre en espagnol et même la maison d’édition en Espagne. Il n’y a pas de préface, ni
d’introduction, mais en revanche de nombreuses notes de traduction. Le traducteur fait le choix de
laisser dans le texte ce qu’il juge être typiquement espagnol donc intraduisible et explique le terme.
Ceci rappelle en permanence au lecteur qu’il est en train de lire un roman espagnol, et qu’il est
plongé en Espagne, dans une Espagne évidemment imaginée. Cette collection est une collection de
littérature étrangère générale où l’origine du roman est accentuée. Casterman est une maison
d’édition traditionnelle et la façon de présenter cet ouvrage lui ôte un peu de sa valeur littéraire. Elle
le maintient au sein de la perception typique de l’Espagne. D’ailleurs dans cette collection est
également publié Luis Martin Vigil, auteur à succès plébiscité par le régime.
Pour finir, abordons le cas de Madrid en guenilles de Zunzunegui187. On a déjà fait la description de
la couverture, qui joue encore davantage avec les topoi espagnols. Les notes de traduction sont
amples. Le traducteur a choisi ici aussi de laisser de nombreux mots en espagnol, ce qui rappelle au
lecteur incessamment que sa lecture est espagnole au cas où il l’oublierait quand le roman parle de
taureaux et de flamenco.
En définitive, soit on oublie, par l’inscription du nouveau roman dans l’esthétique
européenne, par l’absence de rappel de l’origine de l’œuvre dans la collection, que cette littérature
est espagnole soit on ne le sait que trop et on s’immerge dans les fausses images de l’Espagne. La
modernité qui dénie toute spécificité à cette littérature joue quant à elle sur l’engagement politique
pour faire valoir la nouvelle littérature, de même que le folklore apparaît quant à lui aussi comme un
argument de vente. Le lectorat de chaque maison d’édition varie. Celui de Gallimard est un lectorat
cultivé déjà acquis à la cause de l’Espagne, qui veut entendre parler de littérature et de politique. Le
lectorat de Del Duca, pour prendre les deux extrêmes, est un lectorat plus populaire, moins cultivé,
qui préfère rêver de grandes passions dans un cadre exotique.
Mais est-il bien sûr que les lecteurs de Gallimard, du moins les lecteurs de la nouvelle
littérature, aient si bien entendu l’opposition qui sous-tendait ces récits objectifs ? Sans aiguiller
davantage le lecteur, que pouvait connaître celui-ci des conditions réelles d’élaboration du roman à
cette époque. Ne suffisait-il pas de parler de nouveau roman espagnol pour convaincre de sa
modernité, et de sa force de contestation ? Il semble donc que le dernier mythe soit celui
précisément de sa modernité, et de sa dissidence.
La littérature espagnole pendant cette période ne sort donc jamais des deux images qu’on se fait
d’elle, peut-être tout simplement parce qu’elles permettaient de vendre des livres qui, autrement,
n’auraient pas suscité d’intérêt.
187
Zunzunegui, Juan Antonio, Madrid en guenilles, Del Duca, Paris, 1956.
Le graphique sur l’évolution des traductions espagnoles en France188 livre un dernier
enseignement. A la fin des années 1960, la littérature espagnole retombe dans le même oubli
qu’avant 1956. Elle n’a connu son heure de gloire que pendant la courte période qu’a représenté la
mode du courant réaliste, et, indubitablement durant les années de présence de Juan Goytisolo chez
Gallimard. L’impasse stylistique a fait évoluer le style des écrivains espagnols. La plupart, écrivains
ponctuels profitant de la vague de ce courant, n’ont plus écrit. La littérature de l’exil quant à elle
commence à se faire connaître, nouvelle et riche des influences d’autres littératures. Elle est aussi
politiquement plus intéressante.
Au même moment, en Europe, d’abord en Espagne grâce à Seix Barral, puis rapidement en France
avec Roger Caillois, la littérature hispano-américaine fait son entrée. Les racines de sa diffusion
remontaient en France au début du XX e siècle comme le montre Sylvie Morroy dans son étude sur
La diffusion de la littérature hispano-américaine en France,189 mais elle se diffuse à cette époque
dans une plus large mesure, supplantant rapidement le roman espagnol. Elle est découverte en
France durant la période 1900/1920, surtout au travers de la figure de Ruben Dario. A son exemple,
plusieurs écrivains hispano-américains s’installent à Paris. Les hommes de lettres qui s’occupent
alors en France de cette littérature sont Larbaud, puis Jean Cassou, Francis de Miomandre, Georges
Pillement, les mêmes qui oeuvreront pour la littérature espagnole. Malgré tout, le nombre de
traductions est encore assez faible, les écrivains hispano-américains écrivent surtout dans des
revues, qui ont un public limité. La période 1920/1940 marque ce que Sylvie Morroy a appelé, « le
temps du dialogue », car c’est le début de l’intérêt réel pour cette littérature, non pour l’image
qu’elle véhicule, ni pour les stéréotypes de la figure de l’écrivain hispano-américain, sinon pour sa
qualité littéraire et ses spécificités. La collection de Roger Caillois vient consacrer l’intérêt littéraire
véritable porté à cette littérature. D’autant que les années 1940 et 1950 sont les années d’explosion
des tendances novatrices, et ce phénomène éditorial, « le boom hispano-américain », des années
1960, vient en saluer la qualité. A partir de 1965, donc, elle fait une apparition remarquable. Ayant
toujours reçu un accueil bien plus favorable que la littérature espagnole, la littérature hispanoaméricaine vient concurrencer la mode du roman réaliste. Or, en peu de temps, elle la devance,
d’autant que c’est pour sa qualité littéraire, et non pour des engagements politiques parfois
discutables, qu’elle est publiée. En effet, Juan Goytisolo, tout comme Roger Caillois, reçoit des
manuscrits depuis le continent américain et les publie à la place d’écrivains espagnols, car, selon ses
dires, cette littérature se trouve être largement meilleure que les derniers avatars du courant réaliste.
On rapporte les paroles de Goytisolo qui affirme que cette période fut « un moment exceptionnel
pour la littérature hispano-américaine », ce qui explique son succès éditorial. Des auteurs comme
Juan Rulfo, Borges, Carpentier, Cortazar, Cabrera Infante arrivaient à maturité et commençaient à
188
189
Annexe VII
Etude datée qui s’arrête vers 1970, car elle est publiée en 1972.
être publiés en France. Or, personne n’était capable dans l’Espagne d’alors de rivaliser avec leur art.
La diffusion du roman réaliste, qui, comme toute publication répondait à des conditions
commerciales, est délaissée à la fin des années 1960, car son intérêt est moins évident.
Les conditions politiques, quant à elles, ont moins d’écho qu’autrefois dans la France de la fin des
années 1960, car l’étau de la dictature s’est un peu desserré. Déjà le régime se relâche, les cadres de
la dictature eux-mêmes se prononcent pour un changement, le développement économique est en
train de faire tomber les derniers soubassements du franquisme. La désuétude du régime fait croire
en sa chute imminente mais naturelle. Il n’y a plus de drame, plus de tragédie ni de révolution pour
lesquels se passionner, quoique 1973, est tout de même l’année de l’attentat contre Carrero Blanco,
et celle, en réponse, de l’exécution des militants d’ETA. Mais on s’est lassé d’attendre et de croire,
en France, dans l’élite parisienne française.
De plus, les sujets favoris de la gauche française comme le gaullisme, la guerre d’Algérie, et la
guerre d’Espagne, ainsi que ses figures les plus remarquables, comme Sartre, ne sont plus
d’actualité. Le communisme qui était le fer de lance de la lutte anti franquiste en France ne fait plus
rêver. La plupart des intellectuels s’en séparent. Les jeunes qui descendent dans la rue sont en
majorité libertaires, et ne parlent plus de l’Espagne. Ce n’est plus l’espace mythique de la lutte des
bons contre les mauvais, l’incarnation de la justice contre l’injustice, du droit contre le fascisme,
surtout quand les bons et les mauvais se confondent davantage à chaque nouvel événement
politique. La gauche anti stalinienne sartrienne n’est plus d’actualité ou bien se passionne pour
d’autres événements, qu’on vit en direct. D’autres pavés volent, c’est mai 68 et ses revendications
sociales. Des mythes internationaux s’érigent de nouveau « la Chine populaire », et « la guerre du
Viet-Nam ». Ces nouveaux points de mire détournent l’intérêt pour le livre espagnol, et précisément
pour le roman espagnol.
La qualité littéraire de cette littérature espagnole n’a jamais été mise en avant malgré la
diffusion du roman réaliste. Elle ne fut qu’une invention éditoriale qui, malgré tout, rencontra une
reconnaissance limitée :
« La littérature espagnole est l’une des plus vivaces qu’il soit, malgré la conspiration du
silence dont elle est victime de ce côté-ci des Pyrénées ainsi que l’affirme fort justement le
traducteur Roger-Noël Mayer. Les luttes intestines qui alimentent nos cours littéraires nous font
oublier trop souvent la littérature d’un pays voisin où lyrisme et engagement ont trouvé un lieu de
conciliation. »190
Cet auteur le déclare ici, la littérature espagnole ne bénéficia donc jamais d’une grande
190
Article de Donato Pelayo, « Un lyrisme qui accuse », Actuelles, 1963
reconnaissance. On a pourtant demandé à Juan Goytisolo s’il pensait que la littérature espagnole
qu’il publiait, c'est-à-dire la plus grande part de la littérature espagnole qui était publiée en France,
avait eu du succès. N’ayant en réalité aucun idée de ce que peut signifier le terme de public, il nous
a renvoyé deux fois à la publicité et à l’accueil fait par les journaux à cette littérature. D’abord, de la
sienne propre, qui effectivement appartient à la nouvelle génération et à la dite littérature nouvelle,
et ensuite des romans réalistes en général. Selon lui Les lettres nouvelles, dirigés par Maurice
Nadeau, furent le relais le plus important de la littérature espagnole. Cependant, cette publicité
n’implique pas forcément un grand succès du roman espagnol.
La littérature espagnole y a trouvé sans doute une caisse de résonance, mais touchait-elle beaucoup
de gens ? Etait-ce véritablement la preuve d’un succès ? Sinon comment comprendre la fin de sa
présence, du moins sa diminution, une fois que Juan Goytisolo quitte Gallimard, en 1968 ? On a
cherché dans d’autres revues littéraires de l’époque les traces de cette littérature. Dans Le magazine
littéraire domine plutôt cette « conspiration du silence » qui entoure la littérature espagnole.
Premièrement, remarquons le peu d’articles qui ont trait à la littérature espagnole. De 1968 à 1975,
seuls six numéros l’abordent, y consacrant chacun un seul article ou un seul dossier. La plupart du
temps, la littérature espagnole ne fait pas l’objet d’un dossier ou d’un article véritable. Quelques
romans espagnols simplement figurent dans la dernière rubrique intitulée « des livres ». Seule une
enquête sur la Catalogne, sa littérature, et sa langue constitue un véritable dossier. L’auteur parle à
ce propos de « littérature scandaleusement ignorée ». Dans le numéro 62, dans la rubrique
« roman », est présentée La base d’Isabel Alvarez de Toledo. Un autre numéro, quant à lui, présente
Ramon Sender. Ce sont tous deux des exilés. Au cours de ces années, Le magazine littéraire ne
publie pas une seule étude sur le sort de la littérature espagnole, en Espagne ou en France. Certes,
les journalistes ne cachent pas leur aversion pour le régime franquiste et ne manquent pas
d’expliquer les causes de l’exil d’Isabel Alvarez de Toledo, comme ceux de Ramon Sender. Pour le
cas de la Catalogne, le régime est directement accusé, et l’accusation prend rapidement une
dimension générale, d’autant que son titre est « L’Espagne, c’est le tiers monde », titre direct, s’il en
est, qui accuse le régime franquiste d’avoir mis l’Espagne dans une situation misérable tant du point
de vue matériel que culturel. Mais ce ne sont pas ces quelques articles qui ont pu favoriser la
connaissance de la littérature espagnole.
En fait, ce magazine dont la parution est tardive par rapport à la diffusion de la littérature espagnole
en France, témoigne avant tout du désintérêt qu’elle a subi. De même peut-on l’observer avec la
revue que l’on a déjà citée à plusieurs reprises, Les Temps Modernes. Revue de très haute qualité
littéraire, et à teneur intellectuelle, elle se passionne pour l’Espagne pendant quelques temps, avant
que son intérêt ne retombe. Elle commence à traiter de l’Espagne à partir de 1958, pour finir d’en
parler en 1965, du numéro 167/168 au numéro 184/185. Durant cette période pas une fois ne paraît
la revue, -13 numéros-, sans faire allusion au moins brièvement à la situation espagnole. Elle y
consacre cependant bien plus d’articles que le Magazine littéraire par exemple. Au total ce sont 27
numéros qui traitent de littérature espagnole ou de politique espagnole, plus ou moins précisément,
plus ou moins longuement. Ses collaborateurs pour les articles abordant ces thèmes sont Elena de la
Souchère, Juan Goytisolo, Michel del Castillo, Claude Couffon, Manuel Tuñon de Lara.
On y trouve trois types d’articles. Une première qui sont des extraits longs de romans, une
deuxième qui sont des articles de réflexion, et une dernière constituée de chroniques, en général
littéraires. Paraissent dans la revue les romans Terres de Níjar de Juan Goytisolo dans les numéro
172, et 173/174, entre juillet et septembre 1960, La Chanca en 1964, dans le numéro 201. Une
réflexion fort longue d’Elena de la Souchère sur la situation notamment économique de l’Espagne,
dans le numéro de mai juin 1958, et un article de Juan Goytisolo sur les rapports entre l’Espagne et
l’Europe dans le numéro 194 de juillet 1962 sont publiés. Enfin, c’est dans les chroniques littéraires
que l’on trouve la littérature espagnole. Le numéro 147/148, de mai/juin 1958 propose un article
d’Annie Brousseau sur Les Fiers et les Inventions et pérégrinations d’Alfanhuí, puis deux articles
l’un sur Je demande la paix et la parole, en 1963, et l’autre sur le Franco de Herbert Rutledge
Soutworth en 1965, article écrit par Robert Marrast qui constitue la dernière trace de la présence de
l’Espagne dans Les Temps Modernes.
Le cas les Cahiers du Sud diffère un peu. Cette revue culturelle succède avec Jean Ballard en 1925
à la revue Fortunio créée par Marcel Pagnol en 1914. Elle a de célèbres correspondants tel Crevel,
Eluard, Artaud, Desnos, Masson, et par la suite Henri Michaux, Leiris et Reverdy. Dans cette revue
prestigieuse et de grande qualité, on trouve plusieurs articles parlant de la littérature espagnole, mais
rarement de la littérature contemporaine espagnole, encore moins du roman réaliste. Dans le
numéro 226/227, datant de 1940, figure un poème de Salinas, La voz a ti debida. Dans le numéro
231, de janvier 1941, Louis Emié écrit un article sur Federico García Lorca, évidemment considéré
comme mythe, de même que dans le numéro 271, des poèmes de Lorca sont traduits sous le titre de
« Le poète à New York ». On y parle dans les numéros 249, 251, 254, des gloires passées ou de la
littérature classique espagnole, avec respectivement des articles sur « l’Esprit d’Oc et la
Catalogne », « Saint Jean de la croix », « Cervantès et le Quijote », dont la préoccupation n’est ni de
dénoncer ni de critiquer. Dans le même esprit, le numéro 289 parle du sujet fort traditionnel du
siècle d’or. Le numéro 307 s’occupe quant à lui de répéter, dans un article intitulé « Les lettres
d’Andalousie », du premier semestre 1951, les images typiques de cette région de l’Espagne. Avec
l’article du numéro 326, « Quand le soleil se levait à l’Occident », Charles Sallefranque en
surajoute, en tentant de prouver et d’expliquer ce qu’est l’âme andalouse. La réalité est tellement
lointaine. Quelques années après, les écrivains du roman réaliste vont dénoncer l’Andalousie
comme une terre de misère, et non de rêve, tel Juan Goytisolo avec La Chanca. Avec le numéro
387/388, de 1966, apparaît l’article de Jean Marie Magnan « Le temple de la tauromachie », qui est
censé rendre compte de la mystique et de l’esthétique de cette discipline. On ne s’écarte jamais des
images toutes faites de l’Espagne, qui se rapprochent dangereusement de ce que le régime
franquiste veut véhiculer comme image de propagande. Au total, dans une période de 16 ans, on ne
trouve que 6 articles touchant à la guerre d’Espagne, surtout à l’exil. Le premier article est l’article
de Jean Cassou qui paraît dans le numéro 320, de décembre 1953, « le lyrisme ontologique de Jorge
Guillén », où l’auteur parle des écrivains en exil, et auquel succèdent des poèmes de Jorge Guillén.
Puis vient l’article « Unamuno l’exilé à perpétuité » lui aussi écrit par Jean Cassou dans le numéro
325 d’octobre 1954. C’est un texte important contre le fascisme qui passe du champ philosophique
et littéraire au champ politique. Le numéro 339 rend hommage à Pio Baroja qui meurt en même
temps qu’est décerné à Juan Ramon Jimenez le Prix Nobel, duquel l’exil est décrit. De même, dans
le numéro 368, de 1962, on célèbre la figure d’Antonio Machado à l’occasion de la célébration de
son anniversaire à Collioure. Pour autant, il y a très peu de considérations politiques, malgré le titre
« Antonio Machado, Notes et impressions, Article pour la commémoration ». L’auteur de l’article
d’ailleurs n’établit aucune différence entre d’Ors et Machado. Enfin, les numéros 385 de 1965, et
390/391, de 1966, traite de l’histoire d’Americo Castro, et donc directement de politique, et
d’engagement intellectuel anti franquiste. On le voit donc, il y a peu d’articles, au cours de ces
trente sept années de publication traitant de l’Espagne, et moins encore de littérature espagnole
contemporaine. En fait, il n’y en a pas un, hormis le poème de Salinas. Le reste des articles touchant
à l’Espagne concerne soit les plus grands lieux communs attribués à ce pays, soit exhume les
grandes figures devenues légende, poètes, philosophes, et historiens. Aucun romancier
contemporain. Cette revue était pourtant une revue culturelle et littéraire.
Sur le conseil de Juan Goytisolo, on a dépouillé les articles des Lettres Nouvelles, revue littéraire
dirigée par Maurice Nadeau de 1953 à 1977. Il est vrai que l’on y a noté davantage d’intérêt pour la
littérature espagnole. On a consulté 35 numéros de la revue datant d’octobre 1955 à juillet 1961. La
revue durant cette période change de forme. Elle passe de la forme mensuelle à la forme
hebdomadaire en mars 1959, ce qui signifie qu’elle a une bonne audience. Elle revient ensuite à la
forme mensuelle en mars/avril 1960, car elle n’a tout de même pas réussi à drainer assez de lecteurs
pour conserver cette forme dirigée au grand public. L’intérêt de la revue pour la littérature
espagnole, et précisément pour la nouvelle génération existe avant 1958, il suffit de citer l’article de
mars 1956, d’Elosua, auquel on s’est plusieurs fois référé. Cependant, la régularité du thème
n’apparaît qu’avec l’entrée à la rédaction de Claude Couffon en décembre 1958. La plupart des
articles, quelle que soit leur importance, sont écrits par ce grand traducteur, critique, spécialiste de
l’Espagne. L’intérêt croissant porté à cette littérature se traduit directement par une plus grande
fréquence des articles et par l’entrée dans la rubrique « revues étrangères » des revues espagnoles,
Indice, Cuadernos et Papeles de son Armadans. On ne peut exactement la dater, mais elle a lieu au
cours des années 1957-1958, et ce avant la venue de Claude Couffon dans la revue. La présence de
ce dernier est peut-être aussi le signe de cette préoccupation croissante pour la littérature espagnole
nouvelle comme un vrai phénomène littéraire.
A partir de 1958, on trouve des articles paraissant régulièrement dans la rubrique « littératures
étrangères », des articles de fond, ou encore dans « les revues étrangères ». Certains numéros
cumulent les trois types d’informations comme le numéro de mai 1958. Environ 22 textes parlent de
la nouvelle littérature sous forme d’entretiens, d’articles, de mentions de revues ou d’ouvrages.
Trois autres articles traitent de la littérature espagnole, mais les auteurs ne sont pas de la nouvelle
génération. Ce sont Max Aub, Jorge Guillen, et Barrea, trois exilés. Enfin, deux articles un peu
différents paraissent, l’un consacré au jeune dramaturge d’avant-garde Arrabal, l’autre au
philosophe Unamuno. Manifestement, la littérature espagnole a sa place dans cette revue.
On compte cinq articles de fond sur la littérature de l’intérieur, et quatre sur la nouvelle génération.
Le premier est de mars 1956, et est signé Elosua. Le deuxième date de juillet 1958, il relate un
entretien avec Jesus Fernandez Santos, le troisième date de novembre 1958, et est consacré à
Arrabal, le quatrième de mars 1959 rend compte d’un entretien avec Blas de Otero considéré
comme un poète de la nouvelle génération, enfin, un dernier de février 1959 traite du roman La
ruche de Cela.
Le jugement porté sur l’ensemble de cette littérature nouvelle est toujours largement positif. Les
rédacteurs sont quant à eux de bons connaisseurs de la réalité espagnole. Que ce soit sous forme
d’articles ou d’entretiens l’objectivité est de mise pour parler de la littérature espagnole dans cette
revue. Les questions posées par Claude Couffon tourne toujours autour des conditions difficiles de
l’écriture dans la dictature, celles de l’édition, et de la place de l’écrivain dans la société. Ce sont
des questions qui témoignent d’une connaissance de la situation espagnole, en même temps qu’elles
mettent directement la littérature dans le champ politique. Il est impossible de passer outre la
politique en lisant cette revue. De surcroît, il nous est ainsi permis de voir quels écrivains
incarnaient la nouvelle génération espagnole en France, qui en était ses représentants les plus
connus de ce côté-ci des Pyrénées. Il y a d’abord le cas particulier de Cela, considéré comme le
responsable de la « Renaissance du roman espagnol », vient ensuite Goytisolo, dont l’absence de
prénom ne semble gêner aucun lecteur français alors que son frère aussi est écrivain, Fernandez
Santos, et Sanchez Ferlosio. Ils incarnent une génération, qui en réalité, en 1961, est encore
majoritairement inconnue, et même dans une revue qui lui est très ouverte et déjà acquise.
La littérature espagnole dans cette revue jouit d’une place de choix. Les hommes qui en parlent en
ont une vision très claire, s’y intéressent sans arrière-pensée, ont une très bonne connaissance des
conditions de son élaboration, et oeuvrent en faveur de sa large diffusion. Cependant, l’aspect très
politique qu’ils lui donnent contribue à l’illusion esthétique dangereuse que l’expression de
l’opposition est la garantie de la qualité littéraire.
Néanmoins, Couffon lui-même, fervent défenseur et diffuseur de la littérature nouvelle doute de ses
possibilités de séduire le public français, car il comprend parfaitement la contingence de la plupart
de ces romans, et même de celui qu’il considère comme le meilleur :
« La Ruche, c’est ici Madrid en 1942, autrement dit l’une des heures les plus sombres de la
dictature franquiste. « Mon roman, écrivit Cela dans une note de la première édition, n’est qu’un
pâle et modeste reflet, qu’une ombre de la réalité quotidienne, de l’âpre, intime et douloureuse
réalité. » Cette intime réalité, les Français qui ont parcouru l’Espagne de ces dernières années la
reconnaîtront-ils ? Depuis 50 ans devant l’afflux des touristes étrangers, les autorités espagnoles se
sont efforcées de donner aux voyageurs une vision plus souriante de leur pays. D’autre part, à
cause du recul dans le temps, certains faits mentionnés par Cela ont perdu de leur actualité,
d’autres ne sont plus que de lamentables souvenirs. »191
On peut donc largement remettre en question l’intérêt véritable que l’on porta à la littérature
espagnole. Certes elle fut diffusée un temps, mais dans le cas de Gallimard par exemple, au départ
de Juan Goytisolo personne ne vint le remplacer comme nous l’enseigne le graphique de l’évolution
des parutions espagnoles en France192. D’ailleurs il faut attendre les années 1980 ainsi que l’illustre
dans Le roman espagnol contemporain Jordi Bonells pour voir réapparaître la littérature espagnole
en France193. En effet, il fallut ce temps à la littérature espagnole elle-même pour se reconstruire,
suivant différents axes que Bonells récapitule de cette façon : « Redécouverte des romanciers
communistes (Semprún, Marsé, Montalbán), reconversion des anciens novísimos (Marías, Molina
Foix, Azúa), résurrection des vieilles gloires sur le déclin, (Gironella, Ballester, Cela, Vargas Llosa),
récupération d’anciens maudits (Arrabal), lancement d’une génération de romanciers adolescents
Múciga, Suarez, Prada), promotion d’une littérature spécifiquement féminine (Soledad Puertolas,
Lourdes Ortiz, Adelaida García Morales) ».
Aucune maison française ne se lance d’ailleurs dans une collection espagnole. La littérature
espagnole n’a donc pas suscité un intérêt très grand. Si des lecteurs s’étaient passionnés, les
maisons d’édition auraient continué à publier de la littérature espagnole. Souvent des œuvres
fondamentales de l’époque ne sont pas rééditées. Les eaux de la Jarama de Sanchez Ferlosio paraît
191
192
193
Article de Claude Couffon, “La ruche”, rubrique “Littérature étrangère”, février 1959.
Annexe VII
Bonells, Jordi, Le roman espagnol contemporain, col. 128, Nathan Université, Paris, 1998.
en 1958 et est définitivement épuisé désormais. Il est donc aujourd’hui introuvable en français.
Certains s’éclipsent du catalogue pour revenir très tardivement. C’est le cas de Nada de Carmen
Laforêt qui vient d’être publié chez Bartilla à Paris en 2004. Le texte est la traduction faite par
Marie-Madeleine Peignot et Mathilde Pomès qui parut en 1948 chez Delamain et Boutelleau à
Paris. Pendant presque soixante ans on cessa donc de publier ce roman en France. Les changements
de collection montre l’importance que donne une maison d’édition à une œuvre ou à un auteur.
Hormis Federico García Lorca, aucun écrivain espagnol de l’époque ne figure dans la collection
« La Pléiade ». La collection « du monde entier », collection bigarrée, est actuellement remplacée
par la collection « L’Etrangère » qui ne laisse pas particulièrement de place à la littérature
espagnole. On ne peut connaître exactement le nombre de tirages de chaque ouvrage espagnol
publié en France. Il est de toute façon limité. La plupart des œuvres ne sont plus disponibles car
elles n’ont pas été réimprimées. Cependant la disponibilité n’implique pas le succès. Au contraire ce
sont peut-être d’anciens stocks. En ce qui concerne le roman réaliste, la réussite de certaines œuvres
apparaît dans leur disponibilité actuelle dans la collection de poche « Folio », collection qui donne
au livre une grande accessibilité. L’oeuvre pour paraître dans cette collection doit être considérée
comme un classique et doit plaire au public. Mais la littérature espagnole y est peu représentée.
Dans la collection « Folio » seuls 15 auteurs espagnols sont présents, ce qui est un nombre
véritablement dérisoire vu l’ampleur de cette collection.
En réalité, cette vague fut une mode lancée par les maisons françaises, répondant ainsi aux
ambitions des maisons espagnoles, et peut-être ne correspondit-elle jamais aux goûts du public.
En parlant d’une enquête faite en 1963, qui classait Juan Goytisolo comme l’écrivain le plus traduit
après Cervantes, celui-ci avoue :
« Un succès si discordant avec la faiblesse et le manque de force de l’œuvre ne pouvait
qu’être le résultat d’un ensemble de circonstances et d’erreurs qui d’une façon ou d’une autre
convergeaient sur ma personne. L’identification opportuniste et abusive de mon nom avec la cause
de la démocratie espagnole, ma petite position privilégiée dans le monde journalistique et éditorial,
n’avait-elle pas créé une image facilement exportable de jeune écrivain engagé qui s’adaptait
fidèlement aux clichés et stéréotypes relatifs à notre pays ? Ce phénomène faisait abstraction
totalement de la spécificité du fait littéraire : il se déroulait dans un ordre exclusivement
éditorial. »194
194
“Un éxito tan discordante con la endeblez y falta de enjudia de la obra no podía ser sino resultado de un conjunto de
circunstancias y equívocos que de un modo u otro convergían en mi persona. La identificación oportunista y abúsiva
de mi nombre con la cuasa de la democracía española, mi pequeña posición privilegiada en el mundo periodístico y
editorial, ¿ no habían creado acaso una imagen fácilemente exportable del joven autor comprometido, que se adapta
con fidelidad a los clisés y estereótipos relativos a nuestro país. Este fenómeno prescindía del todo de la
Quoi qu’il en soit, la littérature véritable venue de l’Espagne de l’intérieur a doublement pâti
du régime, pour ses contraintes et sa médiocrité, mais aussi pour l’image manichéenne, mythique,
qu’elle devait forcément incarner. Le roman réaliste fut le représentant d’un courant d’opposition
politique, du moins vendu comme tel. Il séduit durant une décennie le monde éditorial, la presse, et
un cercle d’élite de gauche, en occultant par sa visibilité la faible diffusion et connaissance auprès
du public en général des écrivains espagnols. La rénovation du roman espagnol à l’intérieur du pays
fut assez lente, et le renouveau de sa diffusion en France de même. En effet, il faut attendre la fin
des années 1980, pour voir resurgir des auteurs de l’époque franquiste que l’on commence à peine à
publier, et une nouvelle génération, qui n’est pourtant pas si nouvelle, mais qui mit beaucoup de
temps à être connue en France, comme Delibes, Marsé… La diffusion du roman espagnol fut un
bref épisode qui ne traduisit aucune curiosité profonde, n’entraîna aucun projet éditorial solide. Une
mode vite supplantée par une autre, jusqu’à l’arrivée d’une diffusion plus suivie.
especificidad del facto literario: se desenvolvía en un orden exclusivamente editorial.”, p 389.
Conclusion
Il y a eu un temps où l’Espagne pour reprendre le mot de Diego-Semprún était « la bonne
conscience lyrique de la gauche ». La littérature nouvelle en fut un symbole. Ce temps où les
intellectuels français se sont intéressés à la condition de l’Espagne est un temps d’engagements
politiques, qui à la fin des années 1960 sonnent comme une lutte dépassée. Le roman objectif, qui
fut l’élément modernisateur, utilisé comme mythe lui aussi de la rénovation et de la révolte, n’est
pas parvenu véritablement à ouvrir de réelles perspectives au roman espagnol dans son ensemble.
Répondant à des conditions historiques conjoncturelles, de nombreux écrivains perdirent le sens de
leur art quand les structures dictatoriales furent détruites. Il fallut une nouvelle période d’attente, et
d’élaboration pour redonner à l’écriture sa valeur littéraire, et la détacher du combat qu’elle avait
conduit. La diffusion de la littérature espagnole fut donc faible, marquée cependant par le cas
original du courant réaliste, qui ne parvint pourtant pas à imposer la littérature espagnole dans le
paysage éditorial français. Politiquement utile, ou commercialement adéquate, la littérature
espagnole a été utilisée en son temps et rangée une fois dépassée. Elle n’a jamais été littérairement
mise en valeur, et reste rare même à l’heure actuelle. Le franquisme fut une période de retour en
arrière intégral, où même les avancées ne pouvaient qu’être mensongères, car le pouvoir politique
total contient d’avance la réaction elle-même. La déviance est impossible, l’opposition est vaine,
puisqu’elle s’inscrit dans l’existence du régime. La littérature espagnole ne put être diffusée en
France qu’en cette époque d’oppression, n’exista plus quand le dictateur mourut, et tarda à retrouver
une place, où elle aurait été prise pour une littérature indépendante, soumise seulement aux règles
éditoriales. Ce n’est que depuis dix ans que l’on voit en Espagne, avec de faibles répercussions en
France, ce que Juan Goytisolo a appelé un mouvement destiné à « revivre la mémoire de
l’oppression », ce que vient confirmer l’introduction de l’exposition Ruedo Ibérico :
« La société civile espagnole s’est éveillée au cours de la dernière décennie attachée à
raviver la mémoire sacrifiée d’un passé ingrat. Les petits-enfants du soulèvement et de la dictature
ont promu un mouvement de récupération des proches qui gisent dans de froides fosses communes,
ainsi que le douloureux souvenirs de tant d’enfermements forcés. »195
La littérature dissidente est intégrée elle aussi dans ce retour au passé récent, et une mode
nouvelle renaît à partir des ouvrages antifranquiste, et alimente dans une faible mesure le retour de
ces livres sur les rayons des librairies espagnoles d’abord, et françaises actuellement.
195
« La sociedad civil española se ha despertado en el último decenio empeñada en rescatar la memoria sacrificada de
un pasado ingrato. Los nietos de la sublevación y de la dictadura han promovido un movimiento de recuperación de
los deudos que yacen en frías fosas comunes, así como el doloroso recuerdo de tantos encierros forzosos.
.
ANNEXES
Annexe I
Tableau général des oeuvres espagnoles diffusées en France à l’époque du franquisme.
Auteur
1/Pío Baroja
(1872-1956)
Titre de
l’œuvre
Année de Année de
Différence Editeur
publication publication (en
nombre français
en Espagne en France d’années)
collection
L’arbre de la
science
Mes paradoxes
et moi
1911
1920
9
Gallimard
1917
1945
28
L’arriviste
sentimental
Aurore rouge
1905
1946
41
Nouvelles
éditions
Latines
J. Susse
1905
1946
41
J. Susse
Mauvaise herbe
1904
1946
et
N. E. L.
42
2/Camilo José La famille de
Cela
Pascal Duarte
(1916-2002)
La ruche
1942
1948
6
Club français
du livre
1951
1958
7
Gallimard
Monde entier
en
1948
1961
13
Gallimard
Monde entier
Nouvelles
aventures
et
mésaventures de
Lazarillo
de
Tormes
1944
1963
19
Gallimard
Monde entier
Mrs.
Cadwell 1953
parle à son fils
1968
Voyage
Alacaria
15
Gallimard
Monde entier
3/Delibes,
Miguel
4/Eugenio
D’Ors
(1881-1954)
Sissi, mon fils 1953
adoré
1958
5
Gallimard
Monde entier
Le chemin
1950
1959
9
Gallimard
Monde entier
La feuille rouge
1959
1963
4
Gallimard
Monde entier
Au grand Saint
Christophe
Du baroque
5/Concha Espina Le donjon
Luzmela
6/Jésus
Fernandez
Santos
7/Antonio Ferres
(1924-…)
8/Carmen
Martin Gaite
(1925-2000)
9/Juan
García
Hortelano
(1928-1992)
10/Ernesto
Gimenez
Caballero
(1899-1988)
1932
Corrêa
1938
Gallimard
de
1909
1932
23
des
1916
1949
33
1954
1958
4
Gallimard
Monde entier
1962
1964
2
1958
1961
3
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
Orage d’été
1962
1962
0
L’Europe
de
Strasbourg
Vision espagnole
du
problème
européen
1950
1950
La rose
vents
Les fiers
Les vaincus
A travers
persiennes
les
Hachette, Les
meilleurs
romans
étrangers
Plon
Gallimard
Monde entier
0
Presses
universitaires
de Strasbourg
11/José
María La marée
Gironella
(1917-2003)
Les
cyprès
croient en Dieu
L’assaut
des
ténèbres
Un million de
morts
Femme lève toi
et marche
Le Japon et son
secret
Quand la guerre
éclata
1949
1950
1
1953
1954
1
1958
1960
2
Flammarion
La rose des
vents
Plon
Feux croisés
Flammarion
1961
1963
2
Plon
1962
1964
2
Plon
1964
1966
2
Plon
1966
1968
2
Plon
12/Alfonso
Grosso
(1928-1995)
Le fossé
1961
1963
2
Gallimard
Monde entier
Un
ciel
difficilement
bleu
Jeux de mains
1961
1965
4
Seuil
Méditerranée
1954
1956
2
Deuils
paradis
Fiestas
1955
1959
4
1958
1960
2
Chronique d’une
île
Pour vivre ici
1961
1961
0
Terres de Níjar
et la Chanca
1960
1964
4
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
Danses d’été
1962
1964
2
Gallimard
Monde entier
Pièces d’identité
1966
1968
2
Don Julian
1970
1971
1
Gallimard
Monde entier
Gallimard
Monde entier
13/Juan
Goytisolo
(1931-…)
au
1962
14/Luis
Goytisolo
Du côté de Prohibida
Barcelone, Las en España
afueras
1960
Seuil,
In 16
15/Carmen
Nada
Laforet
(1921-2004)
16/Angel María Les trompettes
de Lera
de la peur
(1912-…)
La noce
1945
1948
3
Delamain
Boutelleau
1958
1960
2
Gallimard
1958
1961
3
Les
derniers
étandards
1968
1969
1
17/Antonio
López Salinas
(1925-…)
La mine
1960
1962
2
Gallimard,
Monde entier
Albin Michel,
Grandes
traductions
Gallimard
Monde entier
18/Juan Marsé
Enfermés avec
un seul jouet
19/Ana
Matute
María Le temps
1967
Gallimard
1957
1960
3
Gallimard
Monde entier
Stock
Plaignez
loups
les
1959
1960
1
Fête au
Ouest
Nord
1953
1961
8
Gallimard
Monde entier
Marionnettes
1961
1962
1
Gallimard
Monde entier
Les brûlures du
matin
1958
1963
1
Gallimard
Monde entier
Les
soldats Pas édité
pleurent la nuit seul
en
Espagne
1964
Stock
20/Ram Sanchez Inventions
et
Ferlosio
pérégrinations
(1927-…)
d’Alfanhuí
1951
1957
6
Gallimard
Monde entier
Les eaux de la
Jarama
1956
1958
2
Gallimard
Monde entier
et
21/Rafael
Sanchez Mazas
Pedrito
Andía
de
1951
1953
2
Plon
Feux croisés
22/Juan Antonio La
dernière
de Zunzunegui carriole
(1900-1982)
Madrid
en
guenilles
1945
1951
6
Plon
1954
1956
2
Del Duca
Amour
aventures
et
Auteurs de moindre importance en France :
23/Sébastien
Juan Arbo
1902-1984
écrivain catalan
Les chemins de la
nuit
1937
1950
13
Albin
Michel
1947
1954
7
Tino Costa
Gallimard
Monde
entier
24/Juan Antonio La montagne rebelle
Cabezas
1963
Castermann
l’Eolienne
25/Luis
Campodonico
33 contes.
1969
Falla
La remorque
1959
1959
Mercure de
France
Seuil
Editions
Alsatia
26/Manfredi
Cano
1956, Luis
de Caralt
27/José Corrales L’autre face
Egea
3
1961
1960 1°
publicación
en frances.
1964
28/Ricardo
Quand vient la mort
Fernandez de la
Reguera
1951
1955
4
29/Wenceslao
Fernandez
Florez
1931
1953
22
L’homme qui acheta 1932
une automobile
1955
23
1971
1
Chemins
perfection
de
N’est pas voleur qui
veut
30/Francisco
Pline et les petites
García
Pavón, rouquines
1919/1989
31/Carmen
Icaza
1970
de Le beau destin de
Christina
Moi la reine
La source cachée
1953
1950
1954
1945
1954
Gallimard
Monde
entier
Editeurs
français
réunis
Albin
Michel
Plon
Feux
Croisés
Plon
La vie
farfelue
Calmann
Lévy
Denoel
l’Arabesque
4
11
Denoël
Plon
Aventure à Florence
1953
Avant qu’il soit trop
tard
32/Andras
Laszlo
1910
1956
1958
Le muchacho
1955
1957
Mère inconnue
1970: únicas
fechas en el
catálogo de la
BNE.
1958
Paco l’infaillible
3
1959
Plon
Plon
2
Gallimard
Hors série
littérature
Gallimard
Monde
entier
Stock
33/Luisa Maria
Linares
Colección : Les
romans d’amour
de Luisa Maria
Linares, o, Les
romans de Luisa
Maria Linares.
Unis pour l’aventure
1950
1951
1
Salomé la Magnifique
1947
1955
8
L’autre femme
1954
1955
1
C’est la faute d’Adam
1942
1955
13
Chaque jour a son
secret, Un mari à prix
fixe
1955
Mon ennemi et moi,
1940
1956
16
Passionnément
infidèle
1940
1956
16
Comment épouser un
premier ministre
1957
Douze lunes de miel
1958
La vie commence à
minuit,
suivi
de
L’étrange nuit de Don
Severo
Librairie
Champs
Elysées
Libraire
Champs
Elysées
Librairie
Champs
Elysées
Libraire
Champs
Elysées
Libraire
C.E.
Libraire
Champs
Elysées
Libraire
Champs
Elysées
des
des
des
des
des
des
1941
1958
17
J. Tallandier
1943
1958
15
Sous la coupe de
barbe bleue
1959
1961
2
Librairie des
Champs
Elysées
Librairie des
Champs
Elysées
Librairie des
Champs
Elysées
Librairie des
Champs
Elysées
Librairie des
Champs
Elysées
J. Tallandier
Huit heures, Jean, dix
heures, Paul
1952
1968
16
J. Tallandier
La nuit
indiscrète
suis
1943
1969
26
Ne dis pas ce que j’ai
fait hier
1965
1971
14
Librairie des
Champs
Elysées
J Tallandier
Je t’aime presque
toujours
1959
Mon
l’empereur
fiancé
1959
Impossible pour une
célibataire
1960
Je m’envolerai avec
toi
1961
je
34/ José Luis Jordi, mon fils
Martín Vigil,
Scandale à Bilbao
(Noguer)
La
puissance
et
l’honneur
Autour de moi ce
silence
Sixième galerie
L’homme déchiré
1956
1960
La sentence du juge
Reyes
Tierra brava
Pourquoi
cette
haine ?
La Traqueroman
1960
1962
4
2
Castermann
l’Eolienne
1962
1962
1964
2
1963
1965
1966
1967
3
2
1964
1968
4
1959
1969
1970
10
J’ai lu
1971
Un rêve de liberté
1971
35/Manuel
Pombo Angulo
Des médecins et des
hommes
1948
1953
5
Editions
S.D.M.S.
36/Elena
Quiroga
1919
La sève et le sang
1952
1957
5
Plon
Feux croisés
Le Masque
1955
1959
4
Gallimard
Monde
entier
Les bras du vent
1951
1963
12
Castermann
Liberata
1955
1961
6
Plon
Feux croisés
37/Fernando
Robles
Le ravin des gitans
38/Mercè
Rodoreda
1909-1983
La place du diamant
Sólo en el
catálogo de la
BNE : 1984
1965
1965
1971
Gallimard
Monde
entier
6
Gallimard
Monde
entier
39/Angel
Ayucar
Ruiz Il pleut à la frontière
40/Mercedes
Salisachs
41/Domingo
Santos
1957
1960
Le soleil ne pardonne
pas
1957
1958
1
Laffont
Pavillons
La
vendange
interrompue
1960
1961
1
Laffont
Pavillons
La
saison
feuilles mortes
1963
1964
1
Laffont
Pavillons
Moyenne corniche,
1956
1965
9
Laffont
Pavillons
Gabriel, histoire d’un
robot
1962
1968
des
3
6
Del Duca
Denoël
Présence du
futur
Annexe II
Production totale d'oeuvres traitant de la guerre civile
50
45
40
35
30
Publicaciones totales
25
20
15
10
5
19
32
19
35
19
38
19
41
19
44
19
47
19
50
19
53
19
56
19
59
19
62
19
65
19
68
19
71
19
74
0
Publicaciones espanolas
Publicaciones francesas
Annexe III
Nombre de traductions espagnoles en France (informations SNE)
Fig. 1
900
Espanol
800
Aleman
Ingles
700
Arabe
Chino
600
Danes
Griego
500
Hebreo
Hungaro
400
Italiano
Latin
300
Noruego
Polaco
200
Portugues
Rumano
100
Ruso
0
Sueco
1937
1953
1954
Fig 2.
500
Espanol
450
Aleman
Ingles
400
Arabe
Chino
350
Danes
Griego
300
Gebreo
250
Hungaro
Italiano
200
Latin
Noruego
150
Polaco
Portugues
100
Rumano
Ruso
50
Sueco
Otros paises
0
1937
1957
1958
Fig. 3
500
Espanol
450
Aleman
Ingles
400
Arabe
Chino
350
Danes
Griego
300
Hebreo
Hungaro
250
Italiano
200
Latin
Noruego
150
Polaco
Portugues
100
Rumano
Ruso
50
Sueco
Otros paises
0
1937
1960
1961
Fig. 4
700
600
Espanol
Aleman
500
Ingles
Arabe
Chino
Danes
Griego
400
Hebreo
Hungaro
Italiano
Latin
300
Noruego
Polaco
Portugues
Rumano
Ruso
200
Sueco
Otros paises
100
0
1937
1960
1961
1962
1963
1964
Fig. 5
600
Espanol
Aleman
500
Americano
Ingles
Arabe
Chino
400
Danes
Griego
Hebreo
Hungaro
300
Italiano
Latin
Holandes
Noruego
200
Polaco
Portugues
Rumano
Ruso
100
Sueco
Checo
Otros paises
0
1966
1967
1968
Annexe IV
Nombre de traductions d’ouvrages en langue étrangère en France196
Fig. 1
900
Espagnol
800
Allemand
Anglais
700
Arabe
Chinois
600
Danois
Grec
500
Hébreu
Hongrois
400
Italien
Latin
300
Norvégien
Polonais
200
Portugais
Roumain
100
Russe
0
Suédois
1937
196
1953
1954
D’après les informations fournies par le Syndicat National des éditeurs, dans Les Monographies de l’édition
française.
Fig 2.
500
Espagnol
450
Allemand
Anglais
400
Arabe
Chinois
350
Danois
Grec
300
Hébreu
250
Hongrois
Italien
200
Latin
Norvégien
150
Polonais
Portugais
100
Roumain
Russe
50
Suédois
Autres pays
0
1937
1957
1958
Fig. 3
500
Espagnol
450
Allemand
Anglais
400
Arabe
Chinois
350
Danois
Grec
300
Hébreu
Hongrois
250
Italien
200
Latin
Norvégien
150
Polonais
Portugais
100
Roumain
Russe
50
Suédois
Autres pays
0
1937
1960
1961
Fig. 4
700
600
Espagnol
Allemand
500
Anglais
Arabe
Chinois
Danois
Grec
400
Hébreu
Hongrois
Italien
Latin
300
Norvégien
Polonais
Portugais
Roumain
Russe
200
Suédois
Autres pays
100
0
1937
1960
1961
1962
1963
1964
Fig. 5
600
Espagnol
Allemand
500
Américain
Anglais
Arabe
Chinois
400
Danois
Grec
Hébreu
Hongrois
300
Italien
Latin
Néerlendais
Norvégien
200
Polonais
Portugais
Roumain
Russe
100
Suédois
Tchèque
Autres pays
0
1966
1967
1968
Annexe V :
Tableau général de l’ensemble des publications des auteurs Gallimard d’Amérique Latine.
196
1/Ciro
Alegria
1909-1967
Vaste est le monde
0
Les chiens affamés
4
Gallimard
Croix du sud
197
2/Jorge
Amado
1912-2001
Bahia de tous les saints
Aubier
Montaigne
Gallimard
Croix du sud
Capitaine des sables
1952 Gallimard
Croix du sud
Cacao
1955 Nagel
Grands
romans
étrangers
Les chemins de la faim
1951 Les éditeurs
français
réunis
Le chevalier de l’espérance
1949 Les éditeurs
français
réunis
Les deux morts de Quinquin, la flotte
1971 Stock
Dona Flor et ses deux maris
1972 Stock
Gabriella, girofle et cannelle
1971 Stock
Jubiana
1954 Club
français
livre
Tereza Batista
du
1974 Stock
Le cabinet
cosmopolite
3/Enrique
Amorim
Terre violente
1946 Nagel
Grands
romans
étrangers.
La roulotte
1960 Gallimard
Croix du sud
4/José María Les fleuves profonds
Arguedas
1923
Tous sangs mêlés
1966 Gallimard
Croix du sud
L’amante du condor
1966 Lettres
modernes
1968 Gallimard
Croix du sud
5/Juan José La foire
Arreola
1918-2001
6/Jorge Luis L’Aleph
Borges
1899-1986
La bibliothèque de babel
Gallimard
Croix du sud
1967 Gallimard
Croix du sud
1963 Montanthia
me
Chronique de Bustos Domecq
1970 Denoël
Arc en ciel
Olaf Stapledon, créateur d’étoiles
1966 Edition
Planète
Labyrinthes
1962 Gallimard
Croix du sud
L’auteur et autres textes
1965 Gallimard
Croix du sud
Discussion
1966 Gallimard
Croix du sud
Enquêtes
1957 Gallimard
Croix du sud
Fictions (trad Paul Verdevoye et Nestor Ibarra) (devient 1951 Croix du sud
en 1971 du monde entier, 74 Folio, 83, Folio)
Manuel de zoologie fantastique (trad Yves Péneau)
Œuvres poétiques (trad Nestor Ibarra)
Le rapport de Brodie (trad Françoise Rosset)
1970 Union
générale
d’édition
1970 Croix du sud
1972 Monde
entier
7/Armando
Braun
Menendez
8/Guillermo
Cabrera
Infante
1929-2005
9/Lydia
Cabrera
1900-1991
Chroniques australes
1961 Croix du sud
Dans la paix comme dans la guerre
1962 Croix du sud
Pourquoi …
1954 Croix du sud
10/Alejo
Carpentier
1904-1980
11/Gabriel
Casaccia
1907-1980
12/Rosario
Castellanos
1925-1974
13/Julio
Cortázar
1914-1984
Guerre du temps
1967 Croix du sud
La limace
1959 Croix du sud
Les étoiles d’herbe
Le christ des ténèbres
1962 Croix du sud
1970 Croix du sud
Les armes secrètes
62, maquette à monter
1971 Croix du sud
1971 Monde
entier
1961 Fayard
Les gagnants
Gîtes
Livre de Manuel
1974
Rayuela
1966
Octaèdre
1976
Tous les feux, le feu
1970
Monde
entier
Monde
entier
Monde
entier
Monde
entier
Monde
entier
Croix du sud
Editeurs
français
réunis
Croix du sud
Croix du sud
14/C.L. Fallas Marcos Ramirez
1909-1966
Maman banane and co
1957
1964
15/Gilberto
Freyre
brésilien
1900-1987
16/Rómulo
Gallegos
1884-1969
Maîtres et esclaves
Terres du sucre
1952
1956
Doña Barbara
Canaïma
1951 Croix du sud
1948 Le livre du
jour
17/Ricardo
Guiraldes
1886-1927
Don segunda sombra
18/Martin
L’ombre du caudillo
Luis Guzmán
1887-1976
L’aigle et le serpent
1932 Croix du sud
L’aigle et le serpent
1931
et
1959 Croix du sud
1930 Fourcade
éditeur
1967 Croix du sud
19/Eduardo
Maella
20/Mario
Monteforte
Toledo
1911
Chaves
1965 Croix du sud
Entre la pierre et la croix
Une manière de mourir
1958 Croix du sud
1963 Croix du sud
21/Daniel
Moyano
1930-1992
Une lumière très lointaine
1969 Croix du sud
22/H.A.Mure
na
23/Adalberto
Ortiz
1914
24/Miguel
Otero Silva
1908
25/Graciliano
Ramos
1892-1953
La fatalité des corps
1965 Croix du sud
Juyungo
1955 Croix du sud
Maisons mortes
Elégie chorale à Andres Eloy Blanco
1957 Croix du sud
1964 Seghers
Enfance
Sécheresse
1956 Croix du sud
1964 Croix du sud
26/Julio
Ramon
Ribeyro
1929-1994
Charognards sans plumes
1964 Croix du sud
Chronique de San Gabriel
1969 Croix du sud
27/Juan Rulfo Pedro Paramo
1918-1986
El llano en flammes
1959 Croix du sud
1966 Denoël
Les lettres
nouvelles
28/Mario
Vargas Llosa
1936
1966 Croix du sud
1973 Monde
entier
La ville et les chiens
Conversation à la cathédrale
Annexe VI
Graphique représentant l’évolution du nombre de titres espagnols publiés en France (1939-1975)197.
12
10
8
6
4
2
0
1939 1941 1943 1945 1947 1949 1951 1953 1955 1957 1959 1961 1963 1965 1967 1969 1971 1973 1975
Nombre de livres
197
D’après les Monographies de l’édition française 1956, 1959, 1962, 1965, 1970, 1975, publiées par le Syndicat
National des éditeurs.
Annexe VII
Notices bibliographiques :
Juan Goytisolo : Né le 5 janvier 1931 à Barcelone. Sa famille est d’origine basque et a fait
fortune au cours du XVIII e et XIX e siècle à Cuba. La famille de Juan Goytisolo est une famille
bourgeoise traditionnelle. Il a deux frères dont il est proche, qui seront tous deux écrivains, José
Agustín né en 1928 et Luis né en 1935. Au cours de la guerre civile, leur mère est tuée par un
bombardement. Juan Goytisolo connaît une enfance relativement solitaire, des études de droit, et
par le biais de son frère Agustín, il rencontre la majorité des intellectuels barcelonais comme Arbo,
Matute, Barral. En 1953, il dit découvrir la théorie du réalisme de Josep María Castellet, et la
politique. Il écrit Juegos de Manos qui obtient le prix Janès 1953. En 1955, il part pour Paris. Il
rencontre Maurice-Edgard Coindreau qui traduit Juegos de Manos et le fait entrer chez Gallimard
comme lecteur. Il y rencontre Monique Lange, secrétaire de Dionys Mascolo, qui devient sa femme.
Il reste chez Gallimard jusqu’en 1968. Il écrit dans de nombreuses revues, comme Les Temps
Modernes, Les lettres nouvelles, mais à partir de 1964, il commence à se désintéresser du sort de
l’Espagne comprenant que l’effondrement du régime ne se fera qu’à la mort du dictateur. Il tente de
réfléchir sur d’autres sujets et commence à s’intéresser au monde arabe. Les querelles et exclusion
au sein du PC qui touche ses amis, comme Jorge Semprún le persuadent de ne plus se mêler de
politique espagnole.
A la fin de la dictature, il ne revient pas en Espagne mais s’installe à Marrakech. Depuis son point
d’observation hors de l’Europe, il continue pourtant de juger le comportement de sa terre natale. Il
est devenu une conscience de la gauche intellectuelle, tout en restant à sa marge. Sa littérature quant
à elle s’est émancipée totalement des carcans idéologiques. Il continue d’écrire des articles dans Le
Monde diplomatique par exemple, ou dans El País.
Bibliographie espagnole :
Juegos de manos, Destino, Barcelona, 1954.
Duelo en el paraíso, Destino, Barcelona, 1955.
El circo, Destino, Barcelona, 1957.
Fiestas, Destino, Barcelona, 1958.
La resaca, Librairie espagnole, Paris, 1958.
Campos de Níjar, Seix Barral, Barcelona, 1960.
Para vivir aquí, Seix Barral, Barcelona, 1960.
La isla, Seix Barral, Barcelona, 1961.
La chanca, Librairie espagnole, Paris, 1962.
Fin de fiesta, Seix Barral, Barcelona, 1962.
Pueblo en marcha. Tierras de Manzanillo, Librairie des Editions Espagnoles, Paris, 1962.
Señas de identidad, Joaquín Mortiz, México, 1966.
Reivindicación del conde don Julián, Joaquín Mortiz, México, 1970.
Juan sin tierra, Seix Barral, Barcelona, 1975.
Obras completas, Aguilar, Madrid, 1977.
Makbara, Seix Barral, Barcelona, 1980.
Paisajes después de la batalla, Montesinos, Barcelona, 1985.
Coto vedado, Seix Barral, Barcelona, 1985.
En los reinos de taifa, Seix Barral, Barcelona, 1986.
Las virtudes del pájaro solitario, Seix Barral, Barcelona, 1988.
Estambul otomano, Planeta, Barcelona, 1989.
Aproximaciones a Gaudí en Capadocia, Montadori, Madrid, 1990.
Alquibla, producción TVE y Eclipse Films S.A., 1988.
La cuarentena, Montadori, Madrid, 1993.
La saga de los Marx, Montadori, Madrid, 1993.
Cuaderno de Sarajevo, El País/Aguilar, Madrid, 1993.
Argelia en el vendaval, El País/Aguilar, Madrid, 1994.
El sitio de los sitios, Alfaguara, Madrid, 1995.
Paisajes de guerra con Chechenia al fondo, El País/Aguilar, Madrid, 1996.
Las semanas del jardín. Un círculo de lectores, Alfaguara, Madrid, 1997.
Memorias, Península, Barcelona, 2002.
Carlos Barral : Né le 2 juin 1928 à Barcelone dans une famille de la petite bourgeoisie. Son père
détenait en association avec Victor Seix la petite maison d’édition « Industrías Gráficas SeixBarral ». Il meurt en 1936. Carlos Barral passe une enfance marquée par les temps de guerre et
d’après guerre. Il fait des études de droit, et commence à écrire de la poésie. Il rencontre alors ceux
qu’on a déjà appelé les jeunes intellectuels catalans comme Josep María Castellet, Sebastian Arbo…
Il entre dans l’entreprise familiale en 1951. Au cours de ces années, il prend conscience de
l’injustice et de la politique. Il veut alors proposer une nouvelle collection de littérature espagnole
d’avant-garde, de dissidence, qui lui permet au milieu des années 1950 de s’imposer comme la
maison d’édition espagnole aux yeux de l’édition européenne. Mais à la mort de Victor Seix, les
héritiers le chassent. Il poursuit l’aventure éditoriale en fondant Barral Editions. Avec des
difficultés, il réussit à la rendre viable, jusqu’à sa mort le 12 décembre 1989.
Bibliographie espagnole :
Las aguas reiteradas, 1952.
Metropolitano, 1957.
19 figuras de mi historia civil, 1961.
Usuras y figuraciones, 1973.
Camilo José Cela : Né le 11 mai 1916 dans un village de Galice, d’une mère espagnole et d’un père
anglais. Il vit une enfance heureuse. En 1925, il suit ses parents à Madrid. Il passe son baccalauréat,
tombe malade, et reprend ses études de médecine en 1934 à l’université Complutense de Madrid. Il
se tourne rapidement vers le département des lettres et de Philosophie où il écoute les cours de
Pedro Salinas. Il devient ami d’Alonso Zamora Vicente, María Zambrano, Miguel Hernández, et
prend contact avec tous les intellectuels de Madrid. Au début de la guerre civile, il s’engage du côté
nationaliste.
En 1940, il commence ses études de droit, et en 1942 publie La familia de Pascual Duarte. En
1951, il publie à Buenos Aires La colmena interdite en Espagne, œuvre qui le rendra célèbre. En
1956, il créé Papeles de Son Armadans depuis Mallorca, où il passe une bonne part de sa vie. En
1956, il entre à la Real Academia Española.
A la mort de Franco, sur décret royal, il devient de 1977 à 1979, sénateur des premières Cortes
démocratiques. Il participa donc à la révision du texte constitutionnel élaboré par le congrès. Il
continua à publier régulièrement.
Il a reçu n 1987, le prix Príncipe de Asturias, en 1989 le Prix Nobel de littérature, et en 1995, le Prix
Miguel de Cervantes.
Il meurt le 17 janvier 2002.
Bibliographie espagnole :
Poésie :
Pisando la dudosa luz del día, 1936.
El monasterio y las palabras, 1945.
Cancionero de la Alcarria, 1948.
Tres poemas galegos, 1957.
Reloj de arena, reloj de sol, reloj de sangre, 1989.
Poesía completa, 1996.
Roman :
La familia de Pascual Duarte, 1942.
Pabellón de reposo, 1943.
Nuevas andanzas y desventuras de Lazarillo de Tormes, 1944.
La colmena, 1951.
Mrs. Cadwell habla con su hijo, 1953.
La catira, 1955.
Tobogán de hambrientos, 1962.
San Camilo 1936, 1969.
Oficio de tinieblas 5, 1973.
Mazurca para dos muertos, 1983.
Cristo versus Arizona, 1988.
El asesinato del perdedor, 1994.
La cruz de San Andrés, 1994.
Madera de boj, 1999.
Voyages
Viaje a Alcarria, 1948.
Avila, 1952.
Del Miño al Bidasoa, 1952.
Judíos, moros y cristianos, 1956.
Primer viaje andaluz, 1959.
Páginas de geografía errabunda, 1965.
Viaje al Pirineo de Lérida, 1965.
Madrid, 1966.
Barcelona, 1970.
Nuevo viaje a la Alcarria, 1986.
Galicia, 1990.
Teatro
María Sabina, 1967.
Homenaje a el Bosco I. El carro del heno o el inventor de la guillotina, 1969.
Homenaje a el Bosco II. La extracción de la piedra de la locura o la invención del garrote, 1999.
Rafael Sanchez Ferlosio: Né le 4 décembre 1927 de père espagnol et de mère italienne à Rome. Son
père n’est autre que l’écrivain et fondateur de la Phalange Miguel Sanchez Mazas. Avec ses deux
premiers romans Inventions et pérégrinations d’Alfanhui et Les eaux de la Jarama, il acquiert un
prestige mondial. Par la suite, il affine ses recherches linguistiques qui produiront Les semaines du
jardin en 1974, et L’enfant sauvage. De 1975 à 1985, il collabora à la presse de Madrid, et surtout à
El País. En novembre 1986, il publie deux essais «Tant que les dieux ne changent pas, rien ne
change », et « L’armée nationale ». Cette même année, il publie son troisième roman Le témoignage
de Yarfoz et d’autres essais. Il obtient le prix national d’essai en 1992, avec Vendrán más años
malos y no harán más ciegos. Il continue d’écrire régulièrement. Il vient de recevoir le Prix
Cervantes.
Bibliographie espagnole :
Essais :
Las semanas del jardin, Nostromo Editores, 1974.
El ejército nacional, Alianza editorial, 1986.
Campo de Marte, Alianza editorial, 1986.
La homilía del ratón, El País, 1986.
Mientras no cambien los dioses, nada ha cambiado, Alianza editorial, 1986.
Ensayos y artículos, I et II, Ediciones Destino, 1992.
Vendrán más años malos y nos harán más ciego, ediciones Destino, 1993.
Esas Yndias equivocadas y malditas, Ediciones Destino, 1994.
El alma y la vergüenza, ediciones Destino, 2000.
La hija de la guerra y la madre de la patria, Ediciones Destino, 2002.
Glosas castellanas y otros ensayos, Fondo de cultura Económica de España, 2005.
Littérature infantile :
Narraciones italianas, Aguilar, 1961.
El huésped de las nieves, Ediciones Alfaguara, 1983.
El escudo de Jotán, Ediciones Alfaguara, 1983.
Roman
Industrias y andanzas de Alfanhuí, 1951.
El Jarama, Ediciones Destino, 1955.
Industrias y andanzas de Alfanhuí; y el corazón caliente; dientes, pólvora, febrero, Ediciones
Destino, 1961.
El testimonio de Yarfoz, Alianza Editorial, 1986.
El geco, cuentos y fragmentos, Ediciones Destino, 2005.
La génération du roman réaliste :
Camilo José Cela, Jesus Fernandez Santos (1926/1988), Antonio Ferres (1924), Carmen Martin
Gaite (1925/2000), Juan García Hortelano (1928/1992), Alfonso Grosso (1928/1995), Juan
Goytisolo (1931), Luis Goytisolo (1935), Antonio Lopez Salinas (1925), Ana María Matute (1926),
Rafael Sanchez Ferlosio, Sebastian Juan Arbo (1902/1984).
Bibliografía y fuentes
I/ Bibliografía
1/Generalidades sobre la historia de España bajo el franquismo
Amador Carretero, María Pilar, Analisis de los discursos de Franco. Una aplicación metodológica,
Cáceres, 1987.
Ayer, n° 49, La política exterior de España en el siglo XX. n° 50, La guerra civil. n°54, Las
Brigadas internacionales.
Barciela, Carlos, López María Inmaculada, Melgarejo, Joaquín, Miranda, José A., La España de
Franco 1939/1975, Economía, Síntesis, Madrid, 2001.
Maurice, Jacques, Serrano, Carlos, L’Espagne au XX° siècle, col. carré histoire, Hachette, Paris,
1999.
2/ Generalidades sobre la literatura española
Beyrie, Jacques, Jammes, Robert, Histoire de la littérature espagnole, PUF, Paris, 1994.
Bonells, Jordi, Le roman espagnol contemporain, col. 128, Nathan Université, Paaris 1998.
Martín, Eutimio, Pellen, René, La littérature espagnole d’aujourd’hui, édition Nathan fac, Paris,
1972.
Lissorgues, Yvan, La rénovation du roman espagnol depuis 1975, Actes du col.oque des 13 et 14
février 1991, col. Hespérides, Presse universitaire du Mirail, 1991.
3/ Libros sobre la política cultural francesa
Documentation française, André Malraux, Ministre, journées d’étude des 30 novembre et 1er
décembre 1989, comité d’histoire du ministère de la culture, Paris, 1996.
Girard, Augustin, Gentil Geneviève, Les affaires culturelles au temps d’André Malraux, 1959/1969,
Journée d’études des 30 novembre et 1e décembre 1989, comité d’histoire du ministère de la culture,
centre de la documentation française, Paris, 1996.
UNESCO, La politique culturelle en France, col. politiques culturelles : études et documentations,
1981.
4/ Libros sobre la edición francesa
Association internationale des amis de Valéry Larbaud,Valéry Larbaud et la littérature de son
temps, actes du col.oque de Vichy, (17-19 juin 1977), Librairie C. Klincksieck, publié avec le
concours du centre national des lettres, 1978.
Assouline, Pierre, Gaston Gallimard, un demi siècle d’édition française, Points, Seuil, Paris, 1984.
Dedienne, Virginie, François Maspéro, éditeur et engagement politique : de quelle manière un
éditeur peut-il intervenir dans la vie politique ? , mémoire de maîtrise de lettres modernes, sous la
direction de Joëlle Gleize, 2002/2001.
Felgine, Odile, Roger Caillois, Stock, Paris, 1994.
Louis, Patrick, La table ronde : une aventure singulière, édition de la table ronde, Paris, 1992.
Maspero, François, Les abeilles et la guêpe, Points, Seuil, 2002, Paris.
Mousli, Béatrice, Valéry Larbaud, col. les grandes biographies, Flammarion, Paris, 1998.
Mousli, Béatrice, Laurent, François, Les éditions du Sagittaire, 1919/1979, édition de l’Institut de
l’édition contemporaine, Paris, 2003.
5/Generalidades sobre la cultura española
Abellán, José Luis, La industria cultural en España, cuadernos para el diálogo, Madrid, 1975.
Bessière, Bernard, Vingt ans de création espagnole, 1975-1995, Col. 128, Nathan, 1995, Paris.
Bulletin d’histoire de l’Espagne contemporaine, n° 11/12, La culture dans l’Espagne franquiste.
Equipo Reseña, La cultura española durante el franquismo, Bilbao, Mensajero, 1977.
6/ Lbros sobre las relaciones entre política y literatura
Abellán, Manuel, El exilio español, 2 vol., biblióteca política, Taurus, Barcelona, 1976.
Bertrand de Muñoz, Maryse, La guerre civile espagnole et la littérature française, Bibliothèque
nationale du Québec, Didier, Québec, 1972.
Bertrand de Muñoz, Maryse, La guerra civil española en la novela, bibliografía comentada, Tome I
et II, Ediciones José Porrúa Turanzas, Madrid, 1982.
Bulletin d’histoire de l’Espagne contemporaine, n° 24, Imaginaires et symboles dans l’Espagne du
franquisme, articles :
Dimension imaginaire d’un roman du réalisme social : Dos días de septiembre, de J. M.
Caballero Bonald, par Geneviève Champeau.
Réalisme et imaginaire dans El Jarama, de Ferlosio, Jean Pierre Resso.
De la Vida nueva de Pedrito de Andía a Alfanhuí : l’impossible retour en arrière, un imaginaire
partagé et scindé.
Champeau Geneviève, Les enjeux du réalisme dans le roman sous le franquisme, bibliothèque de la
Casa de Velazquez, t. 12, édition Casa de Velazquez, Madrid, 1993.
Gracia, Jordi, La resistencia silenciosa, fascismo y cultura en España, Anagrama, colección
argumentos, Barcelona, 2004.
Hanrez, Marc, Espagne, écrivains, guerre civile, Les dossiers H, Cahiers de l’Herne, Paris, 1991.
Le Vagueresse, Emmanuel, Juan Goytisolo, Ecriture et marginalité, col. Classiques pour demain,
L’Harmattan, Paris, 2000.
Mainer, José Carlos, Falange y literatura, colección textos hispánicos modernos, Labor S.A., vol
14, Barcelona, 1971.
Residencia de estudiantes, Ruedo Ibérico, un desafío intelectual, publicaciones de la residencia de
estudiantes, Madrid, 2004.
Saval, José Vicente, Carlos Barral, entre el esteticismo y la revindicación, editorial fundamentos,
Madrid, 2001.
7/ Libros sobre la censura y la edición
Abellan, Manuel L., Censura y creación literaria en España, 1939/1976, Península, 1980,
Barcelona.
Bulletin d’histoire de l’Espagne contemporaine, n°24, Deux col.s bréviaires de la Editora Nacional
dans les années 40, Irène Da Silva
Cisquello, Georgina, Erviti, José Luis, Sorolla, José A., 10 años de represión cultural, Barcelona,
1977.
Cendán Pazos, Fernando, Edición y comercio del libro español : 1990/1972, Editora nacional,
Madrid, 1972.
Gubern, Roman, La censura : función política y ordenamento jurídico bajo el franquismo,
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INLE, Los libros y su exportación, Madrid, 1973.
INLE, Libro de Actas de la asamblea general del libro español, celebrada a Madrid del 31 de mayo
al 7 de junio de 1944, Gráficas Gonzalez, 1945, madrid.
INLE, Ordenación del comercio del libro, recopilación de los usos y costumbres observados en
dicho comercio, Madrid, 1972.
Lasso de la Vega, Javier, El contrato de edición o los derechos y obligaciones de autor y editor,
artes gráficas, 1949, Madrid.
Ministerio de Información y Tursimo, Comisión interministerial para el estudio de los problemas
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Angoustures, Aline, L’opinion publique française et l’Espagne 1945/1976, 1988, (thèse).
Bulletin d’histoire contemporaine de l’Espagne, n°24, L’Espagne pensée depuis l’exil, Geneviève
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Delgado Gómez-Escalonilla.
Droz, Jacques, Histoire de l’antifascisme en Europe 1923/1939, éditions de la Découverte, 1985.
9/ Libros sobre la literatura hispano-americana
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10/ Libros sobre el cinema español
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Sources
FUENTES :
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Goytisolo, Juan, Memorias, Coto vedado, En los reinos de taifa, Ediciones Península, 2002,
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Sender, José Ramón, Requiem por un campesino, Destino, Barcelona, 1993.
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« El subalterno no está hecho par ser consultado, sino para ser evitado, la parábola de José
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Acento cultural, n° 4, febrero de 1959, p 5/8.
n° 9/10, julio/octubre de 1960.
n° 14, septiembre de 1961.
A contre temps, n°3, “De José Martinez à Felipe Orero, les chemins croisés de la pensée politique”,
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Cuadernos para el diálogo, “Libros que no nos dejan de leer”, Fernando García, 30 de abril de
1977
« Un pie dentro y otro fuera », Mateo Macía, 11 de junio de 1977.
Diario 16, “París, cero kilómetros”, Barbara Probst Solomon, 13 de marzo de 1986
El País,
« Catadura moral », Javier Tussel, “opinión”, 21 de octubre de 2004.
“El modo de hacer libros”, Jordi Gracia, “El libro de la semana”, Babelia, 9 de abril de 2005.
Ibéricas, cahiers du CRIC, « De sur a sur », rencontre avec Juan Goytisolo, édition préparée par
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Insula, n° 69, septiembre de 1951
n°269
n° 223, 1965, p 3/10
n° 282, 1965, p 21/24.
La Estafeta literaria, n°173
n°175
n° 187, 1° de enero de 1960, p 10.
n° 198, 15 de enero de 1960.
n°212
La Vanguardia, “Ruedo Ibérico, la imposibilidad feroz de lo posible”, Alberto Hernando, 1/4/86
L’Histoire, n°295, février 2005, Sartre portrait sans tabou, artículo de Michel Winock, « Sartre
s’est il toujours trompé ? ».
Le Magazine littéraire : n° 20, 21, 25, 45, 48, 62, 71.
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Les Cahiers du Sud, de 1939 a 1975 : n° 226/227, 231, 249, 251, 254, 271, 307, 315, 320, 325, 326,
329, 330, 336, 356, 368, 376, 381, 385, 387/388, 390/391.
Les Temps modernes, de 1955 a 1976, numero 146,147/148, 156/157,167/168,169/170, 171, 172,
173/174, 175/176, 177, 179, 180 bis, 181, 182, 183, 184/185, 187, 194, 195, 200, 201, 202, 204,
211, 214, 225, 357 bis.
Revista de Occidente, n°4, julio de 1963, artícul de Guillermo de Torre, critíca, “hacia un más allá
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n°110/111, julio/agosto de 1990, revista consagrada a Carlos Barral.
4/ Fuentes electrónicas
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Consultada el 31/10/2004
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« Entrevista con Juan Goytisolo », consultado le 01/02/05
Ruedo Ibérico :
Présentación, histórico, artículos, bibliografía de los estudios sobre Ruedo Ibérico, y sobre los
“Cuadernos de Ruedo Ibérico”, Informe y artículos de los Boletines de orientación bibliográfica,
artículos de prensa sobre Ruedo Ibérico, catálogo :
http://ruedoiberico.org
Consultado el 07/02/05
5/ Fuentes orales, testimonios
Corespondencia con Fanchita Gonzalez-Battle traductora.
Corespondencia con José Jimenez Lozano.
Entrevista con Juan Goytisolo, el 13 de junio de 2005.
6/ Fuente cinemátografica
« Mourir à Madrid », Frédéric Rossif, col. les films de l’histoire.
« La guerre est finie », Alain Resnais, guión Jorge Semprún.
SOMMAIRE
Introduction
p. 2
Chapitre 1 : Mise au point méthodologique
p. 5
Première partie :
La littérature espagnole de 1939 à 1973 : une existence compromise
p. 14
Chapitre 2 : Les conditions de la création, l’état de l’Espagne sous le franquisme
p. 15
Chapitre 3 : les conditions de l’écriture : le sort de l’écrivain
p. 25
Chapitre 4 : Les conditions de l’édition : une industrie contrôlée
p. 35
Deuxième partie :
La diffusion du roman espagnol
p. 40
Chapitre 5 : Etat de la littérature espagnole en France
p. 41
Chapitre 6 : Le roman réaliste
p. 46
Chapitre 7 : Les acteurs de la diffusion
p. 52
Troisième partie :
Le livre espagnol en France : sa réception
p. 60
Chapitre 8 : Le roman espagnol dans le paysage éditorial français
p. 61
Chapitre 9 : L’Espagne vue de France
p. 68
Chapitre 10 : Le succès de la littérature espagnole
p. 76
Conclusion
p. 89
Annexes
p. 90
Bibliographie
p. 122
Sommaire
p. 130