1 MIECZYSLAW Pemper / Mietek (1920 – 2011)

Transcription

1 MIECZYSLAW Pemper / Mietek (1920 – 2011)
1
MIECZYSLAW Pemper / Mietek (1920 – 2011) :
1) Le Témoin :
Mietek Pemper
Pemper Mieczyslaw, ou Mietek, prénom polonais utilisé par ses amis et sa famille, est un
survivant juif polonais de la seconde guerre mondiale, interné au camp de travail de Plaszow en
Pologne, né le 24 Mars 1920 à Cracovie, ville où il à vécu 40 années et mort récemment le 7 Juin
2011.
Descendant d’une famille modeste et d’une longue lignée installée depuis des siècles à
Cracovie, il avait pourtant la particularité d’avoir était élevé dans deux cultures différentes, deux
univers culturels. Sa grand mère paternelle originaire de Breslau en Allemagne éleva ses enfants
dans la langue allemande, ce qui lui fut naturellement transmis. Il considérait la connaissance de
cette langue comme une chance prodigieuse, sans pour autant reniait ses origines juives, et faisait
alors partie d’une famille plutôt intégré à la communauté.
Ses deux parents, Régina morte en
1958, et son père Jacob, ancien soldat de l’armée autrichienne qui travaillait dans le commerce
2
agricole ont tous deux survécu à la guerre tout comme son frère Stefan, en grande partie grâce à
Mietek.
Ayant obtenu le baccalauréat en 1938, il mena avant la guerre une vie studieuse d’étudiant, en se
consacrant parallèlement au droit et à la gestion d’entreprise et à la comptabilité. Comme le
montre ses actions et son style d’écriture, Mietek Pemper était une personne réfléchie, posée et
érudit ce qui lui servira pour survivre dans le camp de Pologne. Il dit lui même que cette réflexion
et ce calme lui vienne de son handicap, pour l’époque, d’être gaucher, handicap que ses parents
ont voulu corriger. C’est par ce biais qu’il appris à calculer d’abord ses coups et à réfléchir
posément sans se dévoiler.
Avant son internement à Plaszow, il fut assez actif lors de l’occupation allemande, tout d’abord
en participant à l’élaboration d’un journal clandestin, puis en étant chargé des relations avec les
autorités d’occupation allemandes, poste qu’il occupa grâce à son bilinguisme et à sa facilité
d’écriture.
Envoyé de force en camp de travail comme bon nombre de personne du ghetto de Cracovie, il
resta prisonnier du 18 Mars 1943 au 13 Septembre 1944, 550 jours au cœur de « l’épicentre du
mal » comme il le qualifie lui même.
Sa vie ne fut pas, toute entière après la guerre, rythmée comme de nombreux survivants de la
Shoah, autour des récits de son internement auprès des gens. Suite à ses deux témoignages aux
procès d’Amon Göth en 1946 et de Gerhard Maurer en 1951, puis à sa présence au procès
d’Auschwitz en 1947, en tant que traducteur, il débuta des études de sociologie pour
« Comprendre les mécanismes psycho – sociologiques qui avait conduit tout un peuple ou
presque tout un peuple à se comporter comme Amon Göth ou Joseph Mengele ».
Bien plus tard,
au début des années 1990, il fut consultant pour le film de Steven Spielberg, La Liste de
Schindler. Cette collaboration le fit sortir de son silence. Comme le dit Mietek Pemper, il ne parla
pas souvent de son expérience en camp après guerre, se heurtant souvent à des silences gênés de
ses interlocuteurs, ou au contraire à des personnes voulant retrouver des juifs qu’ils avaient peut
être aidé pendant la guerre pour prouver leurs désaccords avec le régime d’Hitler, et éviter les
représailles alliés. C’est seulement à ce moment qu’il commença à prendre part à des réunions
3
d’anciens déportés, a des manifestations pour raconter sa propre expérience et débuta l’écriture
de son livre, de son témoignage.
Mietek Pemper, ne s’est jamais marié, puis est mort à Augsbourg en 2011, ville où il avait émigré
suite à la mort de sa mère. Il reçut en 2003 la médaille civique, et fut fait citoyen d’honneur en
2007, de la ville.
2) Le Témoignage :
La véritable histoire de la Liste de Schindler, La route vers la liberté, paru en 2005 aux éditions
Hoffman und Campe en Allemagne, et aux éditions l’Archipel en France, est un livre et un récit
autobiographique précis sur l’auteur, sur l’évolution de celui ci avant et pendant son internement.
Il décrit également la situation de la Pologne pendant l’occupation et nous dévoile au fil de la vie
du camp, les rouages de l’administration allemande qu’il découvrait lui aussi. La liste de
Schindler y est elle aussi présente mais seulement vers la fin de l’œuvre, en tant que finalité de
tout son parcours carcéral.
Le livre bénéficie également d’une préface de François Delpla,
normalien, et agrégé d’histoire ayant publié de nombreux livres sur la seconde guerre mondiale,
qui apporte sa touche et son analyse à l’œuvre et au récit de Mietek Pemper.
4
Le style de Mietek Pemper est directement à mettre en relation avec ses études, et son esprit
érudit de réflexion. A plusieurs reprises, il agrémente son récit de citations latines pour illustrer
certains de ses propos ou certaines situations, tout en restant dans un registre sobre, à la fois
descriptif et narratif, sur sa propre vie de secrétaire du camp, et sur ce qui l’entoure.
Il réfléchi toujours aux hommes et aux situations auxquels il à du faire face, en prenant du recul
dans l’écriture. François Delpla résume bien l’œuvre de Mietek Pemper en disant que celui ci, a
eu « l’immense mérite de montrer que les nazis étaient des brutes, mais non des imbéciles, et que
pour leur damer le pion il fallait à la fois une résolution très ferme, beaucoup d’intelligence et une
forte dose de réussite. ».
Mietek Pemper, justifie comme une obligation morale le récit présent dans son œuvre. Il devait
témoigner de toutes ces années vécues sous l’occupation allemande et des conditions atroces de
détention dans lesquelles il à vécu, lui même, sa famille et ses proches.
Il précise dans
l’introduction à son récit, qu’il ne veut dévoiler et raconter les faits, rien que les faits, « pas un
mot de plus », afin de ne pas se décrédibiliser et apporter le meilleur témoignage possible.
5
« Je prends soin en conférence d’éviter les condamnations globales », illustre parfaitement la
volonté du livre, apparaissant comme un prolongement de son combat au quotidien face à
l’ennemi nazi. Il ne voulait pas suivre la voie des bombes et des attentats pensant que cela était
vain contre une telle puissance, mais plutôt agir avec discernement et intelligence. Deux volontés
qui se retrouvent dans son œuvre, et dans sa pensée, comme pour clore sa lutte contre Amon
Göth, le commandant du camp de Plaszow, en témoignant et en livrant sa propre expérience.
2) L’analyse :
Camp de Plaszow
Mietek Pemper utilise souvent le « je » étant donné qu’il nous livre une histoire de sa vie, il est
acteur de son récit, acteur principal. Il marque cependant une distance légitime tout au long du
récit, entre le « nous » concernant sa famille, ses amis ou la communauté juive de Cracovie, et le
« il » ou « ils » désignant soit les soldats allemands y compris Amon Göth, soit Oskar Schindler
lui même un allié de l’auteur, qui crée une sorte de distance, que l’on discerne à l’époque du récit
mais aussi au moment de l’écriture. Toutes deux apparaissent obligatoires, soit pour éviter de se
faire repérer et de compromettre le sauvetage des prisonniers juifs, soit pour parler de cette
personne qu’il n’a finalement pas tant connu, malgré le rapprochement de circonstance dû à la
guerre.
Cette distance se ressent également au travers du récit, dans les relations qu’entretenait
Mietek Pemper avec ses camarades, ses amis et sa famille. Certains de ses camarades prisonniers
6
lui permirent de rester en contact discrètement avec sa famille, mais toute tentative d’amitié dans
un camp de travail forcé dirigé par des nazis s’avéré dangereux. Le cercle des proches se résume
alors tout au long du livre, au commandant Amon Göth, à Oskar Schindler et à ses discutions
secrètes. Il n’oublie pas de citer plusieurs fois tout au long du livre, la personne d’Isaac Stern, qui
fut lui aussi un artisan actif à l’élaboration de la liste de Schindler.
Le rapport à sa famille est là
encore compliqué aussi bien dans le ghetto de Cracovie que dans le camp de Plaszow. Il sauva
plusieurs fois la vie de ses parents, en détournant à son profit l’administration allemande ou
encore en protégeant sa mère qui venait d’avoir un accident, celui ci signifiant la mort dans un
camp de travail nazi.
Dans son œuvre, le rapport à la guerre de Mietek Pemper est décrit comme une succession
d’évènements ayant pour cadre la Pologne. Il nous renseigne sur l’invasion du pays qui eu lieu le
1 Septembre 1939, ou encore sur les mesures prises par l’occupant allemand comme le port du
brassard blanc avec une étoile bleu, ou encore la montée de l’antisémitisme. Dans une première
partie du livre, le rapport est donc face à la guerre et pas encore face à un ennemi précis. Il se
contente de relater sa survie sous une occupation hostile et sur la découverte de ce que peux
engendrer la guerre en Pologne. Contexte dans lequel il fut plutôt actif en participant comme dit
plus haut, à la publication d’un journal clandestin, même si dans son récit, il ne prend jamais
parti, les nouvelles de la guerre n’étant d’ailleurs jamais commentées.
Lui même et sa famille ont malgré tout éviter de sortir durant cette période pour éviter les
ennuis.
Son récit se fait ensuite moins « historique », quand Mietek Pemper devient prisonnier,
et secrétaire du commandant du camp de Plaszow. Le rapport de l’auteur change. Il ne doit plus
faire face à la guerre mais à l’autorité du camp, Amon Göth. Mietek Pemper devint secrétaire
particulier de ce dernier. Amon Göth était un nazi, né en 1908 à Vienne, membre de la Waffen
SS, ayant fait une ascension fulgurante dans la hiérarchie nazie.
Le livre ne manque pas de détails sur la personnalité de celui ci, Mietek Pemper le mettant en
opposition avec un autre allemand, Oskar Schindler comme une opposition entre le bien et le mal,
entre une personne mauvaise et bonne. « Second couteau » a la page 106, illustre bien le fait que
l’auteur malgré le recul du livre, le méprisait, et le considérait entre autre comme
« Une bête féroce assoiffée de sang ».
« Chaque jour il me fallait prendre sur moi et passer
7
plusieurs heures d’affilé en compagnie d’Amon Göth. Chaque jour je tremblais pour ma vie et
pour celle des miens. Impossible de décrire l’état d’épuisement nerveux qu’engendre la
fréquentation forcée d’un monstre aux pouvoirs illimités » (page 83). L’auteur qui montre un
calme et une réflexion tout au long de son récit, émet pour ce personnage les seuls jugements de
valeur agressifs de l’œuvre.
Pour l’auteur, Amon Göth représentait ce qui faisait qu’un être
perdait son humanité, la conscience et le contrôle de soi.
L’ennemi change donc au fur et à
mesure, passant de l’occupant allemand, au chef de camp nazi. Face à cette autorité, il a réussi à
garde son calme et sa patience, et a réussi à se jouer de l’administration allemande. Le but était de
sauver ses camarades, il ne se trahit jamais, et la façon d’écrire de Mietek Pemper s’en ressent là
encore. Il se justifie à chaque fois sur certains de ses choix, ayant toujours pour but de sauver des
camarades ou sa famille. Il développe tout le long, un souci de transparence afin de prouver qu’il
n’avait rien fait d’illégal ou de conforme au nazisme sous les ordres d’un nazi. « La vie nous jette
parfois dans des situations qui justifient et même imposent que l’on fasse fi des règles éthiques ».
(Page 136).
Comme un prolongement et donc une opposition au rapport à l’ennemi, Mietek
Pemper illustre son rapport face à l’allié, à son allié, en la personne d’Oskar Schindler. Cet
industriel allemand né en 1908 à Zwittau fut à l’origine du sauvetage de plus de 1000 juifs. Selon
l’auteur il était à première vu un nazi comme un autre. Mais son avis et les descriptions de celui
ci vont évoluer et montrer une véritable fascination pour ce personnage qui a marqué l’esprit de
Mietek. Il possédait tout ce qu’Amon Göth n’avait pas, à savoir le courage, ou l’énergie de sauver
des vies. On note la création d’une sorte de figure paternelle jusqu'à la fin du récit, veillant sur ses
enfants qu’il voulait sauver de la mort, un père à la fois présent mais aussi distant, que personne
ne connaissait vraiment. Pour Mietek Pemper, sans son talent pour contourner les règles
allemandes et son sens de la diplomatie à l’encontre de chefs allemands corrompus, l’auteur et
ses 1000 camarades n’auraient jamais pu rester en vie. Oskar Schindler mourut seul et malade en
1974, et ce qui frappa l’auteur ce fut ce talent extrême développé pendant une courte période la
guerre à faire des choses extraordinaires, sens qu’il ne pu développer si avant, ni après la guerre,
étant une personne comme tout le monde. Ses « enfants » devinrent protecteurs à leurs tours
d’Oskar Schindler à la fin de la guerre en rédigeant une lettre faisant preuve de ce qu’avait fait
l’industriel allemand au cas où celui ci tomberait sur des américains. Ce juste retour des choses
clôt ce rapport complexe et discret qu’il eu avec Oskar Schindler.
L’expression de la violence se fait toujours en rapport avec la violence et la volonté allemande. Il
8
nous la présente de manière successive et croissante, de la construction du ghetto, jusqu’à
l’expulsion de celui ci, de l’internement en camp de travail, jusqu’à la violence quotidienne de
celui ci.
Pour Mietek Pemper et pour tous ses camarades du camp, la violence avait un seul visage, Amon
Göth. Il évoque le fait que fréquemment, celui ci descendant de sa villa pour se rendre au camp,
tué pour le plaisir des prisonniers sur son chemin. Mais l’auteur se montre toujours digne, sans
réels parti pris, nous relatant les faits, et ce qu’il a vu, comme l’évocation de la famine qui régnait
dans le camp.
Il montre aussi du recul dans son rapport à la mort, en parallèle de la violence. Il voyait la mort
tous les jours, mais comme il nous le dit, ne pouvait rien faire et ne devait rien faire si il voulait
rester en vie. Persuadé qu’il finirait tôt ou tard comme toutes les victimes d’Amon Göth, il
voulait que l’on se souvienne de lui comme une personne honnête et droite, et ce livre est encore
une fois, un prolongement de ce vœux. Secrétaire du camp, lui permit d’être souvent spectateur
plutôt qu’acteur de la mort. La seule fois ou son commandant lui demanda de traduire les paroles
d’une personne que les allemands torturés, il ne put le faire, comme pétrifié, ce qui le poussa au
vu des souffrances infligés par les nazis à redoubler d’efforts pour créer une liste et sauver ses
camarades.
Pour tenir dans ce contexte, il devait reporter à tout prix la date de son exécution en
se montrant réfléchi et patient. « L’épée de Damoclès doit tenir bon » (page 93). Il se rappelait
toujours de trois choses qui lui permettaient de tenir. Le discours de Churchill qui ne relâcherait
pas la pression face à l’Allemagne, les défaites allemandes en Russie par lesquelles il se tenait au
courant grâce aux journaux allemands destinés aux nazis du camp, et enfin l’attaque de Pearl
Harbor et l’entrée en guerre des USA. Ces trois exemples, démontrait une vrai conscience de la
guerre, une vrai conscience du monde et des enjeux d’un affrontement moderne qui se répercutait
jusqu’à lui et jusqu’à son entreprise, ayant des conséquences sur ses projets, que seul un lettré et
un esprit d’analyse pouvait posséder.
La liste fut donc la finalité d’une longue bataille préparatoire pour parvenir à la rédiger et à la
rendre officielle, grâce aux contournements en tout genre, à la débrouillardise à la corruption et
aussi à la prise de risque par Mietek qui se tenait au courant à l’insu d’Amon Göth des évolutions
de la guerre et des répercussions qu’elle pouvait avoir sur le camp, et donc sur sa vie.
9
C’est pour cela que l’auteur a fait le choix d’un récit presque autobiographique où malgré le titre,
la liste de Schindler n’arrive que vers la fin du livre, comme un terme a toute son entreprise à son
internement et à la guerre. Un terme a sa capture, à sa « mort » presque inévitable. Cette liste
c’était la vie, et e combat pour y parvenir est décrit tout au long de l’œuvre. Il remercie le destin
de lui avoir donné l’occasion de participer à celle ci et d’avoir pu sauver des vies humaines.
Thomas BRANCALEONI (Université Paul-Valéry Montpellier III)