tout droit sortis d`un western des années 1960. Jack

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tout droit sortis d`un western des années 1960. Jack
Laura Le Gall - Une icône insaisissable à l’écran : Bob Dylan dans I’m Not There, l’identité atomisée
tout droit sortis d’un western des années 1960. Jack Rollins est le sujet d’un reportage télévisé
classique avec interviews, fausses images d’archives et voix-off didactique revenant sur son
parcours. Enfin, Arthur, le poète, est filmé en plan fixe et répond face caméra à un
interrogatoire. En optant pour ces références hétéroclites, Haynes exacerbe l’hybridité intrinsèque du genre biopic, qui se situe toujours au carrefour de plusieurs genres. De plus, le
caractère composite de l’ensemble évoque l’étrange carrière cinématographique de Dylan, qui
a joué dans des films de genres très différents, construisant film après film une carrière
surprenante7.Par cette forme hétérogène, Haynes montre également à quel point le média luimême a du sens pour questionner la figure Dylan.
La structure polyphonique de I’m Not There autorise une grande diversité de formes mais
aussi de points de vue. Elle ne se justifie pas, comme le note Marcos Uzal 8, par une
multiplication de témoins comme dans Velvet Goldmine, film dans lequel un journaliste,
enquêtant sur une ex-star du glam-rock, rencontre d’anciennes connaissances du chanteur qui
éclairent chacune une facette de sa personnalité. Dans I’m Not There, la figure Dylan pourrait
en fait être dupliquée encore et encore de façon vertigineuse : à l’origine du projet, un
septième personnage devait même être mis en scène. En ce sens, Dylan est davantage le
raccord entre tous les personnages que le sujet du film ;; plus que l’ensemble des pièces de faïence qui composerait la « mosaïque Dylan », il en est le ciment. Saisir le vrai Bob Dylan
reviendrait donc à retrouver l’archétype, l’original qui sert de modèle à tous ces avatars. Mais pour Todd Haynes, la fiction ne sert pas à dévoiler le réel : elle renvoie elle-même à d’autres fictions, et génère d’autres récits fictionnels. On pourrait même dire qu’elle est une fin en soi :
l’identité même du vrai chanteur finit par apparaître comme une fiction.
Prenons l’exemple de Billy the Kid, personnage folklorique admiré par Dylan et incarné
dans le film par Richard Gere. En superposant les deux figures, Todd Haynes permet à Dylan
d’engendrer Billy à son tour, comme par un juste retour des choses. Billy le hors-la-loi
renvoie lui-même aux racines de la culture américaine, notamment à la naissance de la
musique folk. Mais pour le spectateur contemporain, il évoque également les années 1960 et
1970 ainsi que les« nouveaux westerns » réalisés à cette époque. Parmi ces westerns, on pense
à Pat Garett et Billy the Kid de Sam Peckinpah, où Bob Dylan incarne un personnage étrange
nommée « Alias », une sorte de témoin de l’action, sans identité propre. Dans I’m Not There,
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Bob Dylan a été le sujet d’un documentaire de cinéma-vérité (Don’t Look Back, D.A. Pennebaker, 1968),
tourné dans un western (Pat Garrett et Billy the Kid, Sam Peckinpah, 1973), écrit un film inclassable dans
lequel il joue également (Masqué et anonyme, Larry Charles, 2003), été le sujet documentaire fleuve (No
direction home, Martin Scorsese, 2005)…
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UZAL M., op. cit., p. 44.
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