Facteurs de production et progrès technique

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Facteurs de production et progrès technique
Chapitre 1 :
Facteurs de production et progrès technique
Introduction
Nous allons aborder ce sujet car la croissance est une augmentation du niveau de production.
Les facteurs de production sont le capital, le travail et la technologie. On peut utiliser le revenu de la
production pour consommer ou épargner. Épargner, c’est investir, acheter de nouvelles machines ;
donc augmenter le stock de capital. Ce circuit recommence sans cesse, et l’accumulation du capital
augmente la production et fait la croissance.
On peut se poser principalement deux questions :
Quelle est la part respective de chaque facteur dans la production ?
Comment les agents décident-ils de consommer ou d’épargner ?
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à la première de ces deux questions.
Les économistes ont l’habitude de parler de capital et de travail ; c’est réductif, car une machine n’est
pas la même chose qu’un logiciel par exemple. Pour le moment, nous allons nous réduire à cette vision
globale, et nous développerons ça par la suite.
I – Facteurs de production et fonction de production
Nous allons mettre de côté le progrès technique pour nous intéresser à la façon dont on
combine capital et travail pour faire le produit.
A) Facteurs complémentaires ou substituables
Produire revient à associer travailleurs et machines. Mais, est-ce que les proportions de travailleurs
et de machines pour obtenir un produit sont fixes ou pas ?
Notations : K Capital
L Travail
Y Production ; Y = F(K, L)
1) Fonction de production à facteurs complémentaires
K L
Y = min  , 
 a b
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Macroéconomie de la croissance
K
a
Isoquante Y = 1
P
L
b
Le principe de construction de cette fonction est simple : si on a b travailleurs, on peut leur donner a
machines avec lesquelles ils pourront produire 1 ; mais avec plus de a machines, il n’y aura aucune
différence car le supplément de machines ne sera pas utilisé par les travailleurs.
On peut tenir le même raisonnement avec a machines auxquelles on "alloue" plus de b travailleurs.
Donc, le couple (a machines, b travailleurs) est celui qui assure le mieux un niveau de production
Y = 1.
K L
K
K
Si Y = 1 et si min  ,  = ; alors : = 1 ⇔ K = a
a
a
 a b
L
L
= ; alors : = 1 ⇔ L = b
b
b
On utilise peu ces fonctions de production car elles sont difficilement dérivables (courbes "en coin »).
2) Fonction de production à facteurs substituables
Y = F(K, L)
On suppose que F(.) est continue et dérivable deux fois.
On fait l’hypothèse que les productivités marginales sont positives et décroissantes.
FK′ (K, L) > 0
F′L(K, L) > 0
F′′
K²(K, L) ≤ 0
FL²′′(K, L) ≤ 0
On utilise également les conditions d’Inada.
lim F′K = lim FL′ = 0 ⇒ La courbe devient plate/horizontale en l’infini.
K→∞
L→∞
lim FK′ = lim FL′ = ∞ ⇒ La courbe est droite/verticale en zéro.
K→0
L→0
En représentant la fonction de production dans le plan (K, L ; Y), en supposant que K (ou L) est fixe et
en faisant varier L (ou K), on obtient :
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
17
Y
F(K, L)
K, L
Pour produire une quantité donnée, on peut prendre beaucoup de travail et peu de capital (ou
l’inverse). Il y a beaucoup de combinaisons possibles pour produire.
L
Isoquante (Y donné)
K
3) Fonction de production macroéconomique
Ici, on va s’intéresser à une fonction de production macroéconomique et pas microéconomique. En
agrégeant toutes les fonctions de production microéconomiques à facteurs complémentaires, on va
obtenir une courbe lissée.
L
K
Cette fonction aura toutes les propriétés d’une fonction de production à facteurs substituables. C’est
pour cela que nous l’utiliserons dans tous les modèles suivants.
18
Macroéconomie de la croissance
B) Définitions
1) Taux marginal de substitution
Différentielle totale de la fonction de production. Si Y = F(K, L) :
∂Y = FK′ ∂K + FL′ ∂L
On se place sur une isoquante à Y donné (constant). Alors, ∂Y = 0 ; et on peut définir le taux marginal
de substitution (TMS) du capital au travail :
∂K FL′
TMSK/L = −
=
∂L FK′
Avec : FK′ =
∂F
∂F
; FL′ =
∂K
∂L
Ce taux indique de combien doit varier un facteur de production quand l’autre varie pour rester sur la
même isoquante.
L
∂L
K
∂K
Le TMS est en fait la valeur absolue de la pente de l’isoquante.
L
∂L
K
∂K
On voit que le TMS dépend de la pente de l’isoquante.
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
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2) Élasticité de substitution
Élasticité de substitution du capital au travail : σK/L =
∂ln{K / L}
∂ln{K / L}
=−
∂ln{TMSK/L}
∂ln{FK′ / FL′}
Pour comprendre sa signification, il faut faire l’hypothèse que les facteurs de production sont
rémunérés à leurs productivités marginales.
u coût nominal du capital

w taux de salaire nominal
p niveau de prix
u
F ′ = p
Alors : 
w
F′ =
 p
K
L
Et donc : TMSK/L =
D’où : σK/L =
w
u
w
u
∂ln{K / L}
∂ln{K / L}
=−
; car ln  = −ln 
∂ln{w / u}
∂ln{u / w}
u
 
w
K
indique la structure factorielle, c’est-à-dire la structure des facteurs de production de l’économie.
L
u
indique la structure des prix, c’est-à-dire la structure du prix relatif du capital au travail.
w
σK/L mesure la variation de la structure factorielle suite à une variation de la structure des prix (c’està-dire du prix relatif des facteurs). Il dit de combien va diminuer (ou augmenter) l’utilisation d’un
facteur quand son prix va augmenter (ou diminuer).
Le plus souvent, on dit que σK/L vaut entre 0,5 et 0,8.
σ(·) est à nouveau une mesure de la courbure de l’isoquante dans le plan.
Quand σ → 0, la structure factorielle est insensible au niveau des prix. C’est le cas des facteurs
complémentaires (on ne peut pas faire de substitution).
Quand σ → ∞, la substituabilité est parfaite. On n’utilise alors que le facteur le moins cher.
3) Rendements d’échelle
Ils sont…
décroissants si : ∀ λ > 1, F(λK, λL) < λ F(K, L)
constants si :
∀ λ > 1, F(λK, λL) = λ F(K, L)
croissants si :
∀ λ > 1, F(λK, λL) > λ F(K, L)
Les rendements d’échelle croissants correspondent aux ces de monopole naturel ; car l’entreprise va
alors essayer de remplir tout le marché pour augmenter encore plus vite sa production. Ce n’est pas
compatible avec une structure concurrentielle, dans laquelle les rendements sont décroissants ou
constants.
On fait souvent l’hypothèse que les rendements sont constants, car ils sont difficiles à évaluer, et parce
que ces types de rendements sont plus simples à utiliser.
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Macroéconomie de la croissance
Théorème d’Euler : Y = FK′ K + FL′ L
En effet, les rendements constants correspondent à une fonction de production de degré 1. On sait que
∂Y = FK′ ∂K + FL′ ∂L ; mais le théorème d’Euler montre pour les fonctions homogènes de degré 1 ce que
l’on a marqué.
Cela a un impact pour les productivités marginales. Si on prend des facteurs de production rémunérés
à leurs productivités marginales :
u
w
Y= K+ L ⇔
p
p
pY = uK + wL
C’est le théorème de l’accroissement du produit (du profit nul) : si on vend un produit au prix p,
tout est redistribué aux détenteurs du capital et du travail.
C’est une propriété spécifique des rendements constants.
Lorsque l’on a cette hypothèse de rendements d’échelle constants, on a l’habitude de faire un
raisonnement en grandeurs par tête ; ce qui permet de diminuer le nombre de variables.
On pose : y =
k=
Alors : y =
Y
produit par tête/travailleur (ou productivité moyenne du travail).
L
K
capital par tête (ou par travailleur).
L
Y F(K, L)
K
=
= F  , 1 car les rendements d’échelle sont constants.
L
L
L 
= F(k, 1)
⇒ y = ƒ(k)
On peut se débarrasser d’une variable et on va du coup raisonner par tête, avec deux variables y et k.
Il faut maintenant être capable de poser les productivités marginales. On sait que : FK′ =
∂F(K, L)
∂K
Avec la propriété des rendements d’échelle constants, on peut écrire :
∂F(K, L) ∂  K  ∂
=
LF ,1 =
(L ƒ(k))
∂K
∂K   L  ∂K
= L ƒ′(k) ×
∂k
∂K
= L ƒ'(k) ×
1
L
u
FK' = ƒ′(k) = 
 p
Y = F'K K + F'L L ⇔
Y FK' K
=
+ F'L
L
L
⇒ y = ƒ'(k) k + F’L
⇔ F'L = y − ƒ'(k) k
w
⇒ F'L = ƒ(k) − k ƒ'(k) = 
 p
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
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u
 p = ƒ'(k)
w
 p = ƒ(k) − k ƒ'(k)
On déduit de ça la frontière des prix des facteurs.
ƒ′(k) =
u
u
⇒ ƒ′ −1  = k
p
p
u
w
u
u
w u
= ƒƒ′ −1  − ƒ′ −1  =
p
p p
 p p
p
Il y a ainsi une relation entre les prix (salaire réel et coût du capital). C’est "bizarre", car ces deux prix
sont déterminés sur deux marchés différents ; mais, dans une économie de concurrence parfaite, ils ont
une relation finalement.
L
Y0
K
Quand la fonction est homogène de degré 1 et qu’il y a une relation entre les prix des facteurs, on aura
un nouveau plan.
w
p donné
u
Un couple de prix de facteurs de production va correspondre au choix d’une technique de production.
22
Macroéconomie de la croissance
4) La fonction Cobb-Douglas
Y = A Kα Lβ
0 < α, β < 1
Y
K
Y
FL' = β A Kα Lβ − 1 = β
L
FK' = α A Kα − 1 Lβ = α
TMSK/L =
σK/L =
F'L β K
= ×
F'K α L
∂ln{K / L}
∂ln{TMSK/L}
β
K
K
Or ; ln{TMSK/L} = ln  + ln  ⇒ ∂ln{TMSK/L} = ∂ln 
α
L
L
⇒
σK/L = 1
En supposant que les facteurs de production sont rémunérés à leurs productivités marginales :
w·L
Y w
FL’ = β · = ⇔ β =
L p
p·Y
C’est la part de la rémunération du travail (des salaires) dans le produit total en valeur.
F’K = α ·
u·K
Y u
= ⇔ α=
K p
p·Y
C’est la part de la rémunération du capital (du profit) dans le produit total en valeur.
Si β = 1 − α, les rendements d’échelle sont constants.
λY = A·(λK)α·(λL)β = λα + β·A·Kα·Lβ
Si α + β = 1 ; les rendements d’échelle sont constant
α + β > 1 ; les rendements d’échelle sont croissants
α + β < 1 ; les rendements d’échelle sont décroissants
Écrivons la fonction Cobb-Douglas par tête, avec β = 1 − α.
Y = A·Kα·L1 − α ⇒
Y
Kα·L1 − α
Kα·L1 − α
= A·
= A· α 1−α
L
L
L ·L
Y
K α
= A·  ⇒
L
 L
y = A·kα
u
p
ƒ(k) − k·ƒ’(k) = A·kα − α·A·kα
ƒ’(k) = α·A·kα − 1 =
= (1 − α)·A·kα =
w
p
Et la frontière des prix de facteur :
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
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p=
1
· uα·w1−α = B·uα·w1 − α
A·αα·(1 − α)1 − α
On voit que lorsque la fonction de production est de type Cobb-Douglas, la frontière des prix de
facteurs est aussi une Cobb-Douglas.
5) La fonction CES
Y = [aK −γ + (1 − a) L−γ]−µ
0 < a < 1 ; γ > −1 ; γ ≠ 0
Malgré son aspect "fouillis", c’est une meilleure façon de représenter la production que la fonction
Cobb-Douglas.
"a" est le poids du capital dans la production, et "(1 − a)" celui du travail.
Pour comprendre les rôles de γ et de µ, il vaut mieux calculer le TMS.
F’K = (−µ)aK−γ − 1 (−γ)[aK−γ + (1 − a)L−γ]−µ − 1
= γµaK−γ−1 [aK−γ + (1 − a)L−γ]−µ − 1
F’L = µγ(1 − a)L−γ − 1 [aK−γ + (1 − a)L−γ]−µ − 1
Donc : TMSK/L =
F’L 1 − a L−γ − 1 1 − a K1 + γ
=
× −γ − 1 =
F’K
K
a
a  L
Calculons l’élasticité de substitution du capital au travail.
ln(TMSK/L) = ln
1 − a
K
K
+ (1 + γ) ln  ⇒ ∂ln(TMSK/L) = (1 + γ) × ∂ln 
 a 
 L
L
Donc : σK/L =
∂ln(K / L)
1
=
>0
(1 + γ) ∂ln(K / L) 1 + γ
C’est plus riche qu’une Cobb-Douglas car l’élasticité de substitution du capital au travail est constante
et est différente de 1 ; ce qui est mieux car elle pourra de plus varier avec γ (elle n’est pas totalement
constante).
Quand γ → 0, σK/L → 1 (on arrive à une fonction Cobb-Douglas).
Quand est-ce que cette fonction a des rendements d’échelle ?
F(λK , λL) = [a·(λK)−γ + (1 − a)·(λL)−γ]−µ
= λγ·µ [a·K−γ + (1 − a)·L−γ]−µ
Si γµ = 1 ; les rendements d’échelle sont constants
γµ > 1 ; les rendements d’échelle sont croissants
γµ < 1 ; les rendements d’échelle sont décroissants
γµ est appelé l’élasticité d’échelle.
Voyons la formulation en variable par tête de la fonction CES à rendements d’échelle constants.
1
γµ = 1 ⇔ µ =
γ
24
Macroéconomie de la croissance
y=
=
Y [a·K−γ + (1 − a)·L−γ]−1 / γ
=
L
L
[a·K−γ + (1 − a)·L−γ]−1 / γ
(L−γ)−1 / γ
−1 / γ
K −γ
= a·  + (1 − a)
 L

y = [a·k−γ + (1 − a)]−1 / γ
Cette fonction est plus compliquée (et développée) qu’une fonction Cobb-Douglas ; ce qui va
permettre de faire plus de calculs.
II – La définition du progrès technique
Le progrès technique est ce qui permet :
– à inputs (capital et travail) donnés, d’obtenir, au cours d’une période, un accroissement de
l’output ;
– d’obtenir, au cours d’une période, le même output avec moins de facteurs.
C’est une déformation temporelle des possibilités de production :
Yt = F(Kt, Lt, t)
A) L’incorporation du progrès technique
On dit que le progrès technique est non incorporé (ou autonome) s’il s’applique uniformément à
toutes les ressources en hommes et en machines, indépendamment de l’âge des machines et de leur
date d’installation, ou des différentes générations des travailleurs.
On dit que le progrès technique est incorporé s’il s’applique seulement à certaines parties de
l’équipement ou à certaines générations de travailleurs : les plus récentes. Le capital et le travail
ne sont plus homogènes mais sont composés de générations successives.
Le progrès technique incorporé est typiquement celui qui ne peut être utilisé correctement (de façon
optimale) que par les générations de travailleurs les plus récentes. Mais, il y a certains types
d’invention qui peuvent profiter à tout le monde, et sont donc non incorporé.
On sent bien que, dans de nombreux domaines, l’hypothèse de progrès technique incorporé est plus
réaliste : par exemple, l’invention du moteur à explosion a entraîné l’apparition conjointe de nouveaux
types d’équipements, au lieu que ce moteur soit simplement installé sur tous les équipements anciens
fonctionnant, par exemple, à l’énergie animale. Nous allons donc supposé que le progrès technique est
non incorporé, à des fins de simplicité.
B) La neutralité du progrès technique
Un progrès technique neutre a pour propriété de laisser inchangé l’« équilibre » entre le capital et le
travail au cours du déplacement temporel de la fonction de production. Au cours de ce déplacement,
on peut :
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
25
– obtenir un produit plus élevé avec des quantités de facteurs Kt et Lt données (économie de
capital et de travail) ;
– obtenir un produit donné avec des proportions de facteurs différentes (économie de capital
ou de travail). Dans ce cas peuvent être modifiés le rapport capital-produit Kt / Yt, la
productivité moyenne du travail Yt / Lt et/ou l’intensité capitalistique Kt / Lt. Un progrès
technique neutre est un progrès technique qui ne modifie pas certaines de ces grandeurs.
Le plus parlant au niveau empirique est un progrès technique qui va permettre d’économiser le travail.
Les propriétés de neutralité sont liées à la manière dont le terme représentant le progrès technique
intervient dans la fonction de production. On dit que :
Le progrès technique améliore l’efficacité du travail ou porte sur le travail ou encore économise le
travail s’il existe une suite croissante At (avec A0 = 1) telle que :
F(Kt , Lt , t) = F(Kt , At·Lt)
Lt est le travail effectif ; At·Lt le travail efficace, celui qui compte réellement pour caractériser le
processus productif.
Si le temps passe, tout se passera comme si on avait plus de travail, car le travail effectif restera le
même tandis que le travail efficace augmentera (car At est croissante).
On prendra At sous forme exponentielle ; At = eγ·t, où γ > 0 est le taux du progrès technique qui
économise le travail.
Pour les sociétés occidentales, on considère souvent que γ = 2% par an sur le long terme.
Le progrès technique porte sur le capital s’il existe une suite croissante Bt (avec B0 = 1) telle que :
F(Kt , Lt , t) = F(Bt·Kt , Lt)
Kt est le capital effectif ; Bt·Kt le capital efficace.
Le progrès technique porte sur la production s’il existe une suite croissante Ct (avec C0 = 1) telle
que :
F(Kt , Lt , t) = Ct F(Kt , Lt)
Pour l’instant, nous n’avons pas parlé de neutralité.
Trois économistes ont travaillé sur la neutralité : Harrod, Solow et Hicks. À chacune de ces neutralités
va correspondre u progrès technique.
1) Neutralité au sens de Harrod
Un progrès technique neutre au sens de Harrod porte sur le travail et permet une croissance au
cours de laquelle le rapport capital-produit reste inchangé, à coût réel du capital inchangé.
Yt = F(Kt , At·Lt).
2) Neutralité au sens de Solow
Un progrès technique neutre au sens de Solow porte sur le capital et permet une croissance au cours
de laquelle le produit par tête reste inchangé, pour un taux de salaire réel inchangé. Yt = F(Bt·Kt , Lt).
3) Neutralité au sens de Hicks
26
Macroéconomie de la croissance
Un progrès technique neutre au sens de Hicks porte sur la production et, à proportion des facteurs
inchangée (Kt / Lt constant), la répartition du produit entre rémunération du capital et rémunération du
travail reste inchangée.
On peut montrer que seul un progrès technique neutre au sens de Harrod est compatible avec une
croissance équilibrée à taux constant de l’économie.
On peut représenter sur un même graphique ces trois neutralités.
K
K0
Ȳ
K0
2
Harrod
Solow
Hicks
L
L0
2
L0
Figure : La neutralité du progrès technique
Étudions plus précisément la neutralité au sens de Harrod.
Yt = F(Kt, At Lt)
Facteurs de production : Kt et Lt
Production : Yt
u w
Coûts réels des facteurs : t et t
pt pt
On imagine que le produit augmente. Comment vont évoluer les facteurs pendant la croissance ? Et
leurs coûts ?
u K
Le progrès technique au sens de Harrod décrit une situation où t et t restent inchangés. Que va-t-il se
pt Y t
passer pour le travail et le salaire ?
Le travail est de plus en plus efficace car il y a croissance ; donc At·Lt va croître au taux de croissance
g. On sait que At augmente ; mais pour le travail, tout va dépendre de la valeur de g.
Le taux de croissance de At·Lt est égal à la somme des taux de croissance de At et de Lt. Donc :
– si le progrès technique croît plus vite que g, l’emploi va diminuer ;
– si le progrès technique croît aussi vite que g, l’emploi va stagner ;
– si le progrès technique croît moins vite que g, l’emploi va augmenter.
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
27
Le niveau d’emploi (sa variation) va donc dépendre du progrès technique.
Dans le même temps, le salaire va augmenter (les faits l’ont montré), tandis que l’on va produire avec
de moins en moins d’employés (le salaire augmente avec la productivité marginale du travail).
4) Le cas réaliste
Sur longue période, le cas réaliste est celui d’un progrès technique portant sur le travail, neutre au
sens de Harrod. Alors :
– le salaire réel croît au taux du progrès technique ;
– le coût réel du capital est constant ;
– le rapport travail-produit décroît au taux du progrès technique (i.e. la productivité du travail
croît au taux du progrès technique) ;
– le rapport capital-produit est constant ;
– le partage salaires-profits (la répartition du produit) est constant.
!! Attention !! Le profit est ici la rémunération du capital : ptYt = ut Kt + wt Lt
La répartition salaires-profits est : 1 =
ut Kt wt Lt
+
pt Y t pt Y t
wt Lt
est la part des salaires dans le produit en valeur (constante et ≈ 0,7).
pt Y t
ut Kt
est la part de la rémunération du capital dans le produit en valeur (constante et ≈ 0,3).
pt Y t
Si Yt = F(Kt, At Lt) où At est le progrès technique, alors le taux de croissance du progrès technique est :
Ȧt
(≈ 2 % par an).
At
(wt ˙/ pt) Ȧt
=
Si le taux de salaire réel croît au taux du progrès technique, on a :
wt / pt At
Le fait que le rapport capital-produit soit constant implique que :
(Kt ˙/ Yt)
=0
Kt / Yt
Le rapport travail-produit décroît au taux du progrès technique, donc :
(Lt ˙/ Yt)
Ȧt
=−
At
Lt / Yt
On peut maintenant calculer le taux de croissance de la part des salaires dans le produit en valeur.
wt˙Lt
 pt Y t 
wt Lt
pt Y t
=
(wt ˙/ pt) (Lt ˙/ Yt)
+
wt / pt
Lt / Yt
Ȧt Ȧt
=A −A =0
t
t
Cette part est bien restée constante.
28
Macroéconomie de la croissance
˙
ut Kt
 pt Y t 
ut Kt
pt Y t
=
(ut ˙/ pt) (Kt ˙/ Yt)
+
ut / pt
Kt / Yt
=0+0=0
La part du capital est également restée constante.
C’est en fait la hausse du salaire réel qui a plombé le niveau d’emploi.
5) Le cas Cobb-Douglas
Dans le cas Cobb-Douglas, les trois formes de neutralité sont équivalentes : on peut considérer au
choix que le progrès technique porte sur le travail, le capital ou le produit. On donne le plus souvent
aux tendances At , Bt , Ct la forme (1 + γ)t dans le modèle en temps discret, ou eγ·t dans le modèle en
temps continu, pour représenter un progrès technique à rythme de croissance γ constant.
Y = Kα·Lβ dans le cas Cobb-Douglas. En y intégrant le progrès technique en temps continu, on obtient :
Yt = Ktα·(eγ·t·Lt)β
= (eβγ·t / α·Kt)α·Ltβ
= eβ·γ·t·Ktα·Ltβ
Le taux du progrès technique…
– portant sur le travail est γ
β·γ
– portant sur le capital est
α
– portant sur le produit est β·γ.
C) Les biais du progrès technique
Supposons que le progrès technique porte sur le travail. Quel sera son effet sur les productivités
marginales ?
Si on a de moins en moins de travailleurs pour produire la même chose en quantités identiques, il est
évident que la productivité marginale du travail va augmenter.
Dans le cas de la neutralité au sens de Harrod :
w
F’L = croît au taux du progrès technique.
p
u
F’K = reste constant.
p
Mais, on n’est pas toujours sûr de l’effet sur la productivité marginale du capital.
Le progrès technique est biaisé en faveur du travail s’il augmente la productivité marginale du
travail davantage que celle du capital.
La neutralité au sens de Harrod est un progrès technique biaisé en faveur du travail.
Étudions le cas d’une fonction CES.
1
Y = F(K, L) = γ(AL L)
1−
1
σ
+ (1 − γ)(AK K)
1−


1
σ
1−
1
σ
On a supposé qu’il y avait un progrès technique qui portait aussi sur le capital.
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
29
1
F'L =
1 Y σ
∂F
= γAL1 − σ  
∂L
L
1
et
F'K =
1 Y σ
∂F
= (1 − γ)AK1 − σ  
∂K
K
1
1
FL' ∂F/∂L
γ  AL 1 − σ  L − σ
D’où :
=
=
FK' ∂F/∂K 1 − γ  AK  K
C’est la productivité marginale relative du travail, qui est décroissante par rapport à l’abondance
L
relative du travail . Il y a donc un effet de substitution.
K
1
> 0 ⇔ σ > 1, FL' /FK' augmente au cours du temps ; le progrès technique est donc biaisé en
σ
faveur du travail (avec AK = 1). Cela arrive s’il y a forte substituabilité entre capital et travail.
Si 1 −
1
< 0 ⇔ σ < 1, FL' /FK' diminue au cours du temps, et le progrès technique est biaisé en faveur
σ
du capital. Cela arrive s’il y a faible substituabilité entre travail et capital.
Si 1 −
Si 1 −
1
= 0 ⇔ σ = 1, c’est le cas Cobb-Douglas ; il n’y a pas de biais.
σ
On fait souvent une analyse dans le cas du travail qualifié et du travail non qualifié plutôt qu’entre
capital et travail. On pense souvent que le progrès technique porte sur le travail non qualifié en
détruisant des emplois.
Si travail qualifié et travail non qualifié sont fortement substituables, le progrès technique sera biaisé
en faveur du travail non qualifié. La rémunération du travail non qualifié va augmenter plus vite que
celle du travail qualifié. Ce sera l’inverse si les deux types de travail sont faiblement substituables.
Aujourd’hui, c’est le deuxième cas qui se produit. Les nouvelles machines et les nouvelles méthodes
de production demandent des travailleurs plus qualifiés que les anciennes. Le développement de
l’informatique requiert des travailleurs capables de se servir d’ordinateurs. Les nouvelles méthodes de
production requièrent des travailleurs plus flexibles, capables de s’adapter à de nouvelles tâches. Une
plus grande flexibilité et une plus grande capacité d’adaptation requièrent en retour de plus grandes
qualifications. Au contraire du commerce international, le progrès technique biaisé permet d’expliquer
que l’augmentation de la demande relative de travailleurs qualifiés existe dans tous les secteurs.
Actuellement, la plupart des économistes sont d’accord sur le fait que c’est l’explication dominante
des changements structurels de la demande de qualifications. C’est aussi une des grandes explications
de l’écartement des rémunérations entre travailleurs qualifiés et non qualifiés. C’est un problème
difficile à corriger, car c’est uniquement dû au progrès.
D) L’endogénéisation du progrès technique
On s’interroge également sur le caractère exogène ou endogène du progrès technique.
Traiter le progrès technique comme exogène, fonction seulement du temps et non de facteurs
économiques, évite de se poser la question, difficile, de sa source ultime, des mécanismes,
économiques ou non, qui conditionnent son apparition. Considérer que le progrès technique est un
bien libre et considérer qu’il est exogène sont en fait deux idées très liées : si le progrès technique est
un bien libre, il n’y a aucune incitation économique à produire ce bien, et il est donc naturel de
supposer que sa fourniture est externe à la sphère économique, c’est-à-dire exogène au modèle.
L’exogénéité du progrès technique est constitutive de l’approche traditionnelle décrite dans cette
section.
30
Macroéconomie de la croissance
Néanmoins, comment pourrait-on expliquer le progrès technique ? Fondamentalement, ce sont les
innovations qui créent le progrès technique. Comment vont-elles apparaître ? Quels sont les
déterminants de l’innovation technologique ?
Les économistes ont apporté des réponses dans deux sens :
L’orientation du progrès technique (Hicks, 1932). Le progrès technique est induit par
l’environnement économique (effet prix, effet taille du marché). Dans des périodes où le travail
devient très cher, on cherche des innovations pour le remplacer. On peut prendre l’exemple
actuel du pétrole, que l’on cherche de plus en plus à remplacer par autre chose pour que ça coûte
moins cher.
Le rythme du progrès technique (Arrow, 1962 ; Schumpeter, 1912 & 1942 ; Nordhaus, 1969).
C’est une question de vitesse à laquelle apparaissent les innovations, et c’est très varié. Il y a des
périodes où beaucoup d’innovations se succèdent, et d’autres où il ne se passe rien. Beaucoup
de facteurs peuvent expliquer cela.
E) Les conséquences macroéconomiques du progrès technique
Nous allons surtout nous intéresser à la question de l’emploi.
À court terme, le progrès technique a une action de destruction de certains types d’emploi, et crée du
chômage.
À moyen/long terme, le progrès technique est un facteur de croissance important et permet de créer
des emplois.
Le problème est que les emplois créés n’iront pas à ceux qui ont perdu le leur à court terme. Il y aura
un changement dans les qualifications, un problème de transition à gérer.
III – La mesure du progrès technique
Comment déterminer ce qui, dans la croissance, revient au capital, au travail et au progrès
technique ? Quel est l’impact de chacun d’eux ?
A) Les faits stylisés de la croissance
En 1961, Nicholas KALDOR s’est appliqué à dégager, à partir de l’observation de la croissance
économique dans les pays occidentaux, six régularités (des faits qui se répètent). Il les a appelés « faits
stylisés ». Depuis, toutes les théories de la croissance essaient d’expliquer et de mesurer ces faits.
Ces six faits ont été mis en évidence par Kaldor dans les pays développés pendant la première moitié
du 20e siècle :
1. La production par tête (Y/L) croît de manière continue ;
2. Le capital par tête (K/L) est croissant ;
3. Le taux de rendement du capital (u/p) est constant ;
4. Le ratio capital-produit (K/Y) est constant ;
5. Les parts du capital (uK/pY) et du travail (wL/pY) dans le revenu national sont constantes ;
6. Les pays ont des taux de croissance de la productivité différents.
Alors que les faits 1 à 5 caractérisent le processus de croissance d’une économie isolée, processus
commun à toutes les économies auxquelles s’intéresse Kaldor, le fait 6 est de nature comparative et
met en évidence une disparité parmi les pays.
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
31
Qu’en est-il dans la réalité ? Les faits stylisés mis en évidence par Kaldor correspondent-ils toujours
aux observations empiriques dont nous disposons, presque quarante ans plus tard ?
En ce qui concerne le fait 1 tout d’abord, on constate effectivement que l’évolution sur longue période
du produit par tête est positive. Le tableau 1 l’illustre sur les cinq principaux pays occidentaux. En
outre, sur le plan comparatif, la première partie du tableau met en évidence la similitude de la
croissance par tête entre 1820 et 1989 en France, en Allemagne et aux États-Unis. Mais les exemples,
dans un sens du Royaume-Uni et dans l’autre du Japon obligent à nuancer fortement l’affirmation
précédente et à conclure qu’il ne faut comparer que des pays à un même stade de développement.
Tableau 1 : Le produit national brut par tête et sa croissance, 1820-1989
Niveau (*)
États-Unis
Allemagne de l’Ouest
France
Japon
Royaume-Uni
TCAM (**)
1820
1989
Multiple
1989/1820
18201870
18701913
19131950
19501973
19731989
1 048
18 317
17,5
1,5
1,8
1,6
2,2
1,6
937
13 989
14,9
0,7
1,6
0,7
4,9
2,1
1 052
13 837
13,2
0,8
1,3
1,1
4,0
1,8
588
15 101
25,7
0,1
1,4
0,9
8,0
3,1
1 405
13 468
9,6
1,2
1,0
0,8
2,5
1,8
(*) PNB par tête en dollars aux pris américains de 1989
(**) Taux de croissance annuels moyens de ce PNB en %
Notons que, pour un même pays, la croissance s’accommode de différences de rythme souvent forte
sur les sous-périodes. La seconde partie du tableau 1 montre ainsi une accélération de la croissance
entre 1950 et 1975.
L’examen du tableau 2 montre que la croissance du produit par tête trouve son origine dans un
accroissement spectaculaire de la productivité du travail. Pour autant, cette dernière a crû à des
rythmes différents selon les pays comme l’exprime le fait 6. Le tableau 2 appelle ainsi la même
remarque que le tableau 1 : pour des pays à même stade initial de développement, la croissance de la
productivité du travail est comparable ; elle est moins forte au Royaume-Uni, et beaucoup plus forte
au Japon.
Tableau 2 : La productivité du travail (*)
États-Unis
Allemagne de l’Ouest
France
Japon
Royaume-Uni
1890
2,82
1,52
1,52
0,58
2,86
1913
4,68
2,32
2,26
0,86
3,63
1950
11,39
3,40
4,58
1,69
6,49
1973
19,92
12,83
14,00
9,12
13,36
1987
23,04
18,35
21,63
14,04
18,46
Multiple 1987/1890
8,2
12,1
14,2
24,2
6,5
(*) PNB par homme-heure, aux prix relatifs américains de 1985 (dollars)
La croissance de la productivité du travail s’expliquerait par une forte accumulation de capital, comme
le suggèrent les faits 2 et 4. Le fait 4 énonce la constance du coefficient de capital K/Y et donc de la
productivité du capital Y/K. Si ce fait est – au moins apparemment – vérifié, alors le taux de croissance
du stock de capital est constant et approximativement égal à celui de l’activité. La vérification
conjointe des faits 1 et 4 implique en outre celle du fait 2.
Le tableau 3 présente le coefficient de capital (hors logement) pour cinq années, couvrant la période
1890-1987. Ces données tendent à confirmer le fait 4 pour les États-Unis et l’Allemagne de l’Ouest,
mais à l’infirmer pour la France, le Japon et le Royaume-Uni, pays pour lesquels K/Y a fortement
augmenté sur la période, ce qui signifie que la productivité du travail a diminué.
32
Macroéconomie de la croissance
Le fait 3 indique que le taux de rendement du capital de longue période est constant, ce qui implique,
si K/Y est à peu près constant, une constance de la part du revenu des facteurs dans le revenu national
(constance de la répartition du revenu, fait 5). Ce taux de rendement est approximativement égal à la
somme du taux d’intérêt réel et du taux de dépréciation du capital. Cette constance est assez difficile à
apprécier par absence de sources statistiques fiables sur très longue période dans ce domaine. Mais on
peut la mettre en évidence depuis le début des années cinquante.
Tableau 3 : Le coefficient de capital (*)
États-Unis
Allemagne de l’Ouest
France
Japon
Royaume-Uni
1890
1913
1950
1973
1987
2,09
2,29
nd
0,91
0,95
2,91
2,25
1,64
1,01
1,03
2,26
2,07
1,68
1,80
1,10
2,07
2,39
1,75
1,73
1,73
2,30
2,99
2,41
2,77
2,02
(*) Rapport du stock de capital brut hors logement au PNB, aux prix relatifs
américains de 1985 (dollars)
On ne peut pas soutenir que le ratio capital-produit, qui indique la quantité de capital que l’on va
utiliser pour la production, est resté constant. On voit que la France et le Royaume-Uni ont une
production de plus en plus capitalistique tout au long de la période, alors que le ratio reste stable pour
les États-Unis et l’Allemagne de l’Ouest.
Les faits stylisés de Kaldor sont donc approximativement vérifiées, si l’on excepte le fait 4. Ils
attestent l’existence dune régularité empirique de la croissance, à savoir une augmentation du produit
par tête soutenue par une forte accumulation de capital physique. Pourtant, ces faits stylisés en disent
peu sur l’origine de la croissance et se contentent simplement de caractériser son apparence. Ainsi, ils
ne permettent pas d’évaluer l’influence de l’amélioration des techniques sur la croissance. Cette
dernière est-elle déterminante ou au contraire l’accumulation du capital suffit-elle à « expliquer » la
croissance ? Pour répondre à cette question, on recourt à la comptabilité de la croissance ; ce que nous
ferons après avoir distingué le PIB par habitant et la productivité du travail.
B) Du PIB par habitant à la productivité du travail
Par la suite, nous considérerons que c’est la même chose, alors que ce n’est pas le cas. Mais alors,
qu’est-ce qui les lie ?
Soient : PIB : Y
Population totale : P
Population en âge de travailler (15-64 ans) : xP
x est donc la part de la population en âge de travailler dans la population totale.
Taux de participation (des 15-64 ans) : y
Cela signifie que certains ne veulent pas travailler.
⇒ Population active : yxP
Taux de chômage : u
⇒ Emploi : N = (1 − u)yxP
Nous allons calculer la productivité du travail en heures de travail.
Durée moyenne du travail (heures par an) : h
⇒ Nombre d’heures totales travaillées : L = Nh = h(1 − u)yxP
Y
PIB par habitant :
P
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
33
Productivité horaire du travail :
Y
1
Y
=
×
L h(1 − u)yx P
Le tableau 4 détaille les valeurs des différentes variables influant sur la productivité horaire du travail,
et permet de comparer, pour les différents pays et zones géographiques, leur impact sur le PIB par
habitant (et inversement). On voit donc que, si les États-Unis sont à 100 en PIB par tête, les pays de la
Zone Euro sont en-dessous. En revanche, ce ne sont pas les mêmes écarts en termes de productivité
horaire du travail. La France est au-dessus des États-Unis, tout comme la Norvège.
Tableau 4 : Du PIB par habitant à la productivité du travail, États-Unis et Zone Euro, 2003
États-Unis
Zone Euro (*)
France
Norvège
Grèce
291
71,3
75,8
6,1
1 702
307,4
8,9
1 544
59,5
67,7
68,2
9,3
1 431
4,6
66,5
79,4
4,5
1 337
11
62,1
63,8
9,1
1 938
251,64
207,34
35,68
3,08
7,07
Y/P
100
69
74
96
52
Y/L
100
89
110
123
64
P (millions)
x (%)
y (%)
u (%)
h (heures/an)
L (milliards d’h)
(*) Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal
Est-il avantageux d’avoir une productivité horaire du travail élevée ? On voit dans le tableau que h et
Y/P sont moins élevés dans la Zone Euro qu’aux États-Unis. Des économistes ont dit que cela était dû
au fait que les européens préféraient le loisir au travail. En travaillant moins, ils produiraient moins, et
auraient pour cette raison un PIB par habitant plus faible. La Norvège est cependant le contre-exemple
(on peut travailler peu et avoir un PIB par habitant élevé). On peut également y voir un effet du taux
de participation, qui est très élevé en Norvège ; ainsi que du taux de chômage.
L’écart entre le PIB par habitant et la productivité (horaire) du travail a donc plusieurs explications.
Que se passerait-il si on décidait d’intégrer les travailleurs non qualifiés (exclus du marché du
travail) ? Cela augmenterait artificiellement la productivité horaire du travail sans augmenter le revenu
par tête (car les travailleurs non qualifiés gagneraient peu sans produire beaucoup plus). Donc, une
productivité horaire élevée n’est pas forcément une bonne chose pour le PIB par habitant.
C) La comptabilité de la croissance
La comptabilité de la croissance est une méthode qui permet de séparer ce qui, dans la croissance
du PIB, est imputable à la croissance des facteurs de production (capital et travail) de ce qui relève de
l’amélioration des techniques. Elle s’est développée à partir de la fin des années cinquante à la suite
des travaux de Solow (1957) et de Denison (1962, 1967).
1) Principes de la méthode
Le point de départ de la comptabilité de la croissance est la fonction de production agrégée :
Yt = At F(Kt, Lt)
qui relie le produit (Yt) à deux types d’arguments : les volumes des facteurs de production – capital
(Kt) et travail (Lt) – et un indicateur de l’avancement technologique (At). On appelle encore le terme At
la productivité globale des facteurs (PGF) ou le progrès technique.
On s’interroge ensuite sur les origines de la croissance du produit et l’on explique cette augmentation
par celle des facteurs de production et de la PGF.
∆Yt = ∆(At F(Kt, Lt))
34
Macroéconomie de la croissance
≈ ∆At × F(Kt, Lt) + At ∆F(Kt, Lt)
On obtient le taux de croissance de la production en divisant les deux côtés de l’égalité par
Yt = At F(Kt, Lt) :
∆Yt ∆At ∆F(Kt, Lt)
⇒
≈
+
Yt
At
F(Kt, Lt)
∆Kt ∂F
∆Lt
∂F
× Kt ×
+
× Lt ×
∆At ∂Kt
Kt ∂Lt
Lt
≈
+
F(Kt, Lt)
At
∆Yt ∆At ∂Yt ∆Kt ∂Yt ∆Lt
≈
+
×
+
×
Yt
At ∂Kt Yt ∂Lt Yt
(1)
où le terme ∆At /At représente l’évolution de la PGF, ou encore le taux du progrès technique. La
première expression obtenue a permis de faire apparaître les taux de croissance du capital (∆Kt /Kt) et
du travail (∆Lt /Lt) ; nous donnant alors un taux de croissance dépendant de trois autres taux.
On peut réécrire l’équation (1) de façon à faire apparaître les trois taux :
(1) ⇔
∆Yt ∆At ∂Yt Kt ∆Kt ∂Yt Lt ∆Lt
≈
+
× ×
+
× ×
Yt
At ∂Kt Yt Kt ∂Lt Yt Lt
Cette nouvelle expression fait de plus apparaître les ratios capital-produit et travail-produit.
Pour aller plus loin, on fait deux hypothèses :
1. L’hypothèse de concurrence parfaite permet d’écrire que les facteurs sont rémunérés à leur
productivité marginale.
∂Yt ut
∂Yt wt
=
et
=
∂Kt pt
∂Lt pt
avec ut le coût d’usage du capital, wt le salaire nominal et pt le prix de production.
ut Kt
wt Lt
la part en valeur du capital dans le produit et βt =
la part du travail. En
Soient αt =
pt Y t
pt Y t
concurrence parfaite, on a
∂Yt Kt
∂Yt Lt
αt =
×
et βt =
×
∂Kt Yt
∂Lt Yt
2. Les rendements d’échelle sont constants ; αt + βt = 1. On peut alors écrire
∆Yt ∆At
∆Kt
∆Lt
≈
+ αt
+ (1 − αt)
Yt
At
Kt
Lt
qui est l’équation fondant tous les calculs de la comptabilité de la croissance.
Dans cette équation, toutes les variables sont observables (taux de croissance du produit, du capital, du
travail, part en valeur du capital dans le produit que l’on suppose habituellement constante), sauf
l’évolution de la PGF. On utilise donc habituellement cette équation pour calculer le terme ∆At /At, que
l’on nomme encore le résidu de Solow, en référence à la façon dont il est obtenu :
∆At ∆Yt
∆Kt
∆Lt
≈
−α
− (1 − α)
At
Yt
Kt
Lt
où αt = α du fait de sa constance.
Cette méthodologie ne tient, comme on l’a signalé, que si sont réunies les conditions fortes de
concurrence parfaite et de constance des rendements d’échelle. La structure des rémunérations des
facteurs de production est alors un reflet fidèle de leur contribution à la formation du produit agrégé.
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
35
En outre, deux facteurs de production rémunérés sont identifiés, le capital et le travail, alors que
l’innovation technologique – le progrès technique – est considéré comme un bien libre, auquel chacun
a accès sans coût, et qui n’est donc pas rémunéré. C’est donc sous ces hypothèses que le résidu
constitue une mesure de la contribution du progrès technique à la croissance. Dans le cas où les
hypothèses sont inadaptées, le résidu est « contaminé » par d’autres facteurs que le progrès technique
(concurrence imparfaite, facteurs omis, …).
2) Résultats et approfondissements
Devant la taille du résidu de Solow, que les premières études estimaient expliquer 50 à 75 % de la
croissance, les économistes ont très vite tenté de le réduire, non pas en ajoutant des facteurs de
production, mais en prenant en compte, outre l’accroissement quantitatif du capital et du travail, leurs
modifications qualitatives.
L’enjeu principal de ces approfondissements est la mesure des variations de la qualité du facteur
travail. Pour cela, on détermine chaque année la structure de la population active en fonction d’un
indicateur de degré d’instruction. Puis, on évalue l’augmentation de la productivité du travail
consécutive à l’élévation du degré d’instruction, en faisant l’hypothèse que cette augmentation de
productivité se reflète dans l’augmentation des rémunérations, moyennant une correction par les
qualités personnelles des individus.
Les résultats obtenus par Maddison (1991) pour la France et les États-Unis sont présentés dans le
tableau 5. Ce tableau met clairement en évidence le fait que la croissance de la PGF (ligne 6)
« explique » une part importante de la croissance du PNB (ligne 5), même près prise en compte de
l’évolution de la qualité du travail.
Tableau 5 : La productivité globale des facteurs et la réduction du résidu de Solow (taux de croissance
annuels moyens)
FRANCE
ÉTATS-UNIS
19131950
0,0
-0,8
-0,8
0,5
-0,3
1,2
1,5
2,7
19501973
0,4
-0,4
0,0
0,2
0,2
5,1
2,1
7,2
19731987
0,0
-1,0
-1,0
0,6
-0,4
4,5
1,3
5,8
19131950
1,3
-0,9
0,4
0,5
0,9
2,1
1,4
3,5
19501973
1,5
-0,4
1,1
0,5
1,6
3,2
1,7
4,9
19731987
1,9
-0,5
1,4
0,4
1,8
3,3
1,4
4,7
capital logement (3)
0,4
2,8
2,3
1,8
3,3
2,5
ensemble
(4) = 0,7·(1) + 0,23·(2) + 0,07·(3)
0,4
2,0
1,2
1,6
2,5
2,5
1,2
5,0
2,2
2,8
3,7
2,5
0,8
3,0
1,0
1,2
1,2
0,0
emploi
+ durée du travail
= quantité de travail
+ qualité du travail
= facteur travail augmenté (1)
capital hors logement (quantité)
+ capital hors logement (qualité)
= facteur capital augmenté (2)
taux de croissance du PNB (5)
taux de croissance de la PGF
(6) = (5) − (4)
facteurs d’interaction (7)
0,0
1,3
0,3
0,4
0,3
-0,1
total expliqué (8) = (4) + (7)
0,4
3,3
1,5
2,0
2,8
2,4
résidu inexpliqué (9) = (5) − (8)
0,8
1,7
0,7
0,8
0,9
0,1
Outre la qualité des facteurs, Maddison s’efforce de réduire le résidu en introduisant des facteurs
d’interaction. Pour l’essentiel, ces facteurs permettent de prendre en compte (partiellement et de façon
ad hoc), d’une part l’écart entre la situation idéale de concurrence parfaite et de technologie à
rendements d’échelle constants qui permet l’écriture de l’équation (2) et la réalité (concurrence
imparfaite) ; et d’autre part certains changements structurels (ouverture commerciale, diffusion de la
technologie, …).
36
Macroéconomie de la croissance
Les travaux les plus récents ont fait une décomposition du capital en capital “Technologies de
l’Information et de la Communication” (TIC) – KTIC – et autres formes de capital (non TIC) – KnTIC.
Dans ce cas, on obtient :
∆KTIC
∆KnTIC
∆Lt ∆q
∆Yt ∆At
=
+ αTIC
+ αnTIC
+ αL 
+
Yt
At
KTIC
KnTIC
q
 Lt
avec : L la quantité de travail (en heures travaillées)
q la qualité du travail
αTIC + αnTIC + αL = 1
Il faut bien distinguer les trois alphas "α".
αL est la part du travail dans le produit en valeur ; elle vaut environ 0,73 aux États-Unis et varie pour
la France entre 0,72 en 1980 et 0,67 en 2000.
αnTIC est la part de la technologie traditionnelle dans le produit en valeur ; elle tend à devenir nulle
avec l’arrivée des TIC.
αTIC est la part des nouvelles technologies dans le produit en valeur (ou encore la part du capital en
nouvelles technologies). Cette part se calcule de la façon suivante :
αTIC =
pTIC (r + δTIC − πTIC) KTIC
pY
avec : pTIC le prix de l’investissement en TIC
p le prix de la production
r le taux d’intérêt réel
δTIC le taux de dépréciation du capital TIC
πTIC le taux d’inflation sur le prix de l’investissement en TIC
En 2000, on a : r = 4 %, δTIC = 30 % et πTIC = −34 %. On constate que le taux de dépréciation est
énorme, et la variation du prix (l’inflation) très négative.
Dans le tableau 6, on voit que la contribution du capital en nouvelles technologies (capital TIC) a eu
un fort impact sur la croissance aux États-Unis ces vingt dernières années (presque 1 point entre 1995
et 2001), alors que son impact a été plus de deux fois moins élevé en France. Cela pose la question de
l’avance de l’inventeur sur l’utilisateur (que l’on ne sait pas trop expliquer).
Les heures travaillées ont eu un impact négatif en France du fait du chômage et de la baisse du temps
de travail. C’est une différence avec les États-Unis.
On voit là deux différences entre la France et les États-Unis qui jouent sur la croissance.
Tableau 6 : Comptabilité de a croissance, États-Unis et France
États-Unis
Taux de croissance du produit
Contributions (*) de :
Capital TIC
Capital non-TIC
Heures travaillées
Qualité de la main-d’œuvre
Productivité globale des facteurs
France
19801989
19891995
19952001
19801989
19891995
19952001
3,38
2,43
3,76
2,38
1,30
2,34
0,45
1,08
1,03
0,30
0,52
0,49
0,70
0,62
0,36
0,26
0,99
1,11
0,89
0,23
0,54
0,18
1,94
-0,30
0,24
0,32
0,19
0,93
-0,17
0,61
-0,26
0,42
0,73
0,40
0,19
0,60
Taux de croissance annuels moyens en %
(*) Part en valeur multipliée par le taux de croissance
Chapitre 1 – Facteurs de production et progrès technique
37