L`imaginaire du nucléaire

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L`imaginaire du nucléaire
L'imaginaire
du nucléaire
LES CAHIERS DU GRIF
Nucléaireet télévisionfrançaise
HélènePuiseux
Un exemple de monument aux Morts :
le quarantième anniversaire à la télévision française
Enfévrier 1985,j'ai écrit aux trois chaînesde télévision(TF l, A 2, FR 3)
pour leur demandercommentétait envisagéela programmationautourde la
commémorationdes 6 et 9 août. Je n'ai pas reçu de réponsede TF l. Une
communicationtéléphoniquedes servicesd'Antenne2 m'a permisde savoir
que les Dossiersde l'écranprendraienten chargecet événement.Un courrier
de FR 3 m'a signaléqu'aucuneémissionparticulièren'étaitprévuet.
Au total, malgré ces maigresprévisions,trois émissionsimportantesont
traité,directementou en écho,de I'emploide la bombeatomique2:
. avril 1985,FR 3, La guerre en face, émissionaniméepar Y. Montand;
scénario de J.-C. Guillebaud et L. Joffrin. Sur le thème de la défense
nationale(Si tu veux la paix, etc.) et au prix de nombreuxamalgames,
voire
d'erreurshistoriques,I'ensemblecontenaitsuffisammentd'appelsau passé,à
I'imageet au son,et d'appelsau futur, pour figurer dansla représentation
atomique étudiée.On y relève les associationsclassiques: I'amour (plan d'un
baiserdansune surprise-partie)
suivi d'un plan de champignonatomique;la
guerreclassique(plansde manæuvreset de guerresupposéeen Europecentrale) engendrantI'utilisation des armes nucléaires(plans de silos puis de
missilesdécollant);I'illustrationde la <<guerredes étoiles>>,chèreà Reagan,
par dessinsd'animation,réduisantla guerreaux jeux informatiques.De plus,
I'emploi à plusieursreprisesde I'expression- fausse- de <<quaranteans de
paix > renvoyaitdirectementà 1945et non moins directementau mythe de la
paix par I'atome.
. 20 et 27 juin 1985,Antenne2, La TroisièmeGuerremandiale,téléfilm
américainde D. Greene,1982,déjà diffusé en 1983par la même chaîne.Les
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Américainsproposent,
une fois encoredansun futur proche,1987.i:':.:--ge qui conduità I'emploide la force atomiquepar leur présidcnt,:- : i:*
par Rock Hudson).A la suite d'un débarquement.soviétiquc
!'n .l,iaprovoquépar un embargosur le blé décidépar les Etats-Unis,qur :.:-r:
d'affamerI'Union soviétique,et aprèsles plans habituelsde confér.';::.' :r
téléphonerouge, de caricaturerusse,et d'étatsd'âme américains.lr-. .r-rpuissancesdécidentd'utiliserleurs missiles.Le film finit avantqu'ils r. :tent, par une série de plans, montrant des populations civiles d {.'cd'Afrique, d'Europe,pendantque monte le bruit dcs sirènes.Je préciscq-: -r
référenceà 1945n'a pasétéfaite lors de la présentationdu film.
. 2 et 3 septembre1985,Enola Gay, fllm américainde D. Lowcll R.::.
1980ret le débatqui I'a suivi où figuraient:
- le Dr ShuntaroHida, survivantd'Hiroshima;
- M. SumiteruTaniguchi,survivantde Nagasaki;
- ThomasFerebee,bombardier;
- TheodoreVan Kirke, navigateur;
- BertrandGoldschmidt,anciendirecteurdu CEA ;
- Isidor Rabi,prix Nobel,collaborateurde R. Oppenheimer;
- Martin Blumenson.historienaméricain:
- Paul-Mariede La Gorce,historien,journaliste;
- PeterTownsend.
J'ai respecté,dans cette liste, les indicationsde titres et qualitéstellcs
qu'ellesétaientsurimpriméespendantl'émission.
Les deux espaceshistoriquessont représentés
: États-Uniset Japon,ciel et
terre.S'y côtoientcivils, civils scientifiques,et militaires.S'y adjoignent,par
rapport aux acteursde 1945,des représentants
de ce que j'ai appeléla mise
en histoire. Quant au discours t.enu lors des débats, je me bornerai
les positions
à indiquer qu'il paraphrase,dans une version supplémentaire,
misesen placedès 1945: la bombea permisla fin de la guerre,elle a économisé des morts (même si elle a causédes ravagesmonstrueux),elle a été
mise en chantierpouI lutter et prendrede vitesseles recherchesnazies.læs
conclusionssont : la nécessitéde ne pas réutiliserdes armesatomiques,qui
seraienl.
bien pires :
Si, à la suite d'une erreur humaine,d'une erreur informatique,la
bombeétait à nouveauutilisée,I'humanitéseraitdanssa grandemajorité, pour ne pas dire danssa quasi-totalité,détruite(M. Hida, qui
clôt l'émission).
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Par contre, il faut noter, sur le plan de la mise en images, que seuls
deux extraits de documentssont inclus ; le premier présentele corps de
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M. Taniguchi (l min 30 s); le second,extrait d'un montagejaponais
< Prophétic>, conticntdesimagesaméricaines
du décollagedel'Enola Gay,
décollageen plcin jour, et non dansla nuit, commeil est montrédansle film
de fiction qui a précédéle débat;puis le lâcherde la bombeet le nuagegrisblanc filmé par I'avion américainqui accompagnaitl'EnolaGay; puis on passe aux documents,toujoursaméricains,pris par les avionsde reconnaissance
japonaisd'Iwasaki,
dansles jours qui suiventle 6 août I puis les documents
montrant non sculement.les ruines matérielles,mais aussi les premières
installationsmédicales,la vie des gensdansles rues,prèsde petitsfourneaux
les visagesde
de fortune, des corps brûlés. En surimpression,apparaissent
M. Taniguchiet du Major Ferebeeen train de regarderles documents; un
peuplus de 3 minutes.
pour toute l'émission,qui se borne,
Donc, environ4 minutes30 secondes,
sur lc plan visuel,à passerd'unvisageà I'autreen privilégiantcelui qui esten
train de parler. Au cours des déplacements
ou des changementsd'anglede
vue, une dizaine de photos,qui ornent les murs du studio, laissentvoir des
ruinesdesvilles, et le visaged'unepetitejaponaise: elles nc font figure que
par lesprisesde vue.
de décor,et ne sontnullementsoulignées
sur les visageset les paroles,cettemisecn images
Centréeexclusivement
enferme, comme des reliques, les documentsoriginaux, eux-mêmesdéjà
débris d'un précédentenfermement.La proportiondes images(4 min 30 s)
pour 90 minutes de débat et le respectdes conventions- extrêmeurbanité
des invités entreeux, extrômefidélité aux thèsesofficiellesinstituéesdepuis
quaranteans- font de cettecommémorationde 1945une sortede châsse,de
mise à I'abri de toutenouvelleinterprétation,une mise à I'abri de toute inclusion de nouvellesimages.Une sortede caricaturede la miseen histoire.
Parler,montrer : parler dans les limites reconnues,montrer de moins en
moins. 1945,danscetteémission,et dansbien d'autres,sembleun événement
mort. [æs questionsdes téléspectateurs
étaient d'ailleurs ce jour-là, selon
Gilbert Kahn chargéde les transmettreau plateaudes intervenants,loin de
1945;questionssur Enola Gay, la mèrede PaulTibbets,auxquellesil n'a pas
été répondusur le fond. Van Kirke et Ferehe ont seulementsoulignéqu'elle
était une femmeexceptionnelle,
et que,si son nom était associéaux centaines
de milliers de morts, il l'était aussi aux millions de vies épargnées.Gilbcrt
Kahn a dit : < Il n'y a pas de passionexacerbéechez nos amis téléspectateurs.> Une façon de dire que tout cela,c'estvraimentpassé!Et d'aillcurs,
les questionsont portésur le futur, les risques,ce qui a clôturél'émission.
Modèles réduits de la ville d'Hiroshima,les films ont construit,comme
elle dansson propreespace,autourdesreliefsde 1945,deschâssesqui signalent.aux passants,aux spectateurs,l'événementcraint, honoré, redoutable,
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mais aussicirconscrit,ruéf\é, muséifié,sauf par I'intermédiaire,muet et violent, des corps des hibakushas.
Un nouveau style
Je termineraipar I'examend'une émissionjaponaise(NHK), projetéeen
France,dansI'annéemêmedu quarantièmeanniversaire,sansque cetteprojection soit le moins du mondereliée aveccette date.Japonaise,et cautionnée par I'Institut Hiroshima-Nagasakiet I'Associationpour faire connaître
les victimesdesbombesatomiquesaux enfantset.au monde,que patronnele
Dr Hida, elle indique à la fois une nouvelle tendancedans I'utilisation du
passéatomiquehistoriqueet à la fois la pérennitéde la référenceq.
Programmée
surTF l,le 5 novembre1985à 22 h, heuretardive,sousle
titre L'Holocauste nucléaire, elle comprend, comme à I'accoutumée,un
feuilletaged'interviewsauprèsde scientifiquesinternationaux,et d'extraitsde
films qui situentI'atomedansles différentsplans du temps : dans /e présent
par les espacesdes laboratoiresoù sont interviewésles scientifiques,plr les
tenains d'expérimentations
agricolessur les effets des radiationsaux EtatsUnis, par les blockhausoù I'Allemagnede I'Ouestfait entasserdansdes fûts
métalliquesdesmillions de microfilms, où sont enregistréstraitésinternationaux et patrimoineculturel,en prévisionde la guerrenucléaire,ceci sousla
gardede I'arméeallemande.
Atome présentaussidcns notrefutur : le film contientde supcrbesimages
I'hypothèsed'une attaquenucléairesur
de film-catastrophe,spectacularisant
le centrede Tokyo, immeublesvolant en éclatsde verre, incendies,explosions des réservoirsde gaz et d'essencesous I'effct de I'onde de choc, etc.
Autre aspectdu futur : I'installationrapidect durablede I'hiver nucléairequi
surviendraità la suite des bouleversements
des courantset de la destruction
des couchesde la hauteatmosphère: cactusgelés,plaines glacéesoù court
un bruit de vent, etc.
Mais atome aussi renvoyé à sa référencehistorique : plans du musée
d'Hiroshima,avec sessallesimmensespleinesde bocauxcontenantdes viscèresinadiés.Commele début,la fin du film appartientà Hiroshima: plan inévitable- du Dôme, pris en contre-plongée,la camérapanoramiquantà
360", photo fixe en noir et blanc d'une femme,brûlée,donnantle sein à un
bébécouvertde brûlureset de taches,avantde retrouverun plan d'animation,
représentant
la planètetournantdansI'espace.
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