Mission Cirque - Association Nationale des Forces Aériennes

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Mission Cirque - Association Nationale des Forces Aériennes
LA MISSION RECONNAISSANCE DU CIFAS 328
En 1970 une nouvelle mission est dévolue au CIFAS. Ceci était l’aboutissement d’un besoin de
l’Armée de l’Air en reconnaissance stratégique, exprimé dès 1964.
La première phase de l’expérimentation de ce nouveau concept d’emploi et donc de la version
reconnaissance photographique du Mirage IV, s’est déroulée à Mont-de-Marsan du 22 octobre 1969 au 29
avril 1970. Une seconde phase l’a complété au CIFAS d’octobre 1970 à septembre 1971.
Cette mission, affectée opérationnellement au CIFAS, sera ensuite, après réorganisation des FAS et
par là, du CIFAS, plus particulièrement dévolue à l’ERI (Escadron de Reconnaissance et d’Instruction)
01/328.
1 – Le conteneur photo du MIRAGE IV.
Les premiers moyens affectés à cette mission étaient les MIRAGE IV A numérotés de 50 à 62. Ils
avaient la possibilité d'emport du conteneur photo CT52.
La version de base du conteneur CT52 comprenait deux parties couvrant des besoins opérationnels
différents :
- La partie BA (Basse Altitude), dévolue à la reconnaissance du même nom, dite tactique, incluait un
montage en split de trois caméras : une verticale de focale 75 mm et deux caméras latérales gauche et droite
de 150 mm. Une caméra nasale de 150 mm complétait cet ensemble.
- La partie HA (Haute Altitude), destinée à couvrir le volet stratégique de la reconnaissance, incluait
aussi trois caméras montées en split de 600 mm (téléobjectif à moyenne focale), auxquelles venait s’ajouter
une caméra cartographique grand champ de focale 152 mm appelée Wild. Ce montage avait l’énorme
avantage de pouvoir mettre en relief, grâce aux téléobjectifs de 600 mm, la bande centrale de l’image
récoltée par la caméra cartographique : voir de très haut des détails et les situer exactement dans le contexte
de leur environnement, faire du tactique à de hautes altitudes. A 50 000 feet (soit 15 239 m), la camera
ème
Wild donnait une photo du terrain au 1/100 000
La reconnaissance tactique stand-off était née en France et même en Europe !
Plus tard une autre version du conteneur CT 52 viendra compléter la mission de reconnaissance des
FAS et apporter la capacité de reconnaître le degré d’activité sur les objectifs couverts.
Cette version voyait le remplacement de la partie HA du conteneur par un système de reconnaissance
eme
par infrarouge appelé « Super Cyclope », version upgradée du « Cyclope », utilisée déjà par la 33 Escadre
de reconnaissance, alors basée à Strasbourg.
Ce système analysait le sol, ligne par ligne, et retranscrivait le signal recueilli sur un film continu de
70 mm, exploité comme un négatif normal. Ce système couvrait un champ de 120° à la verticale de l’avion.
Les caméras BA, elles, restaient en place et permettaient de recueillir des images de la zone couverte
par le Super Cyclope et d’apporter aux interprétateurs photos un élément de référence plus conventionnel.
Ce Super Cyclope pouvait travailler de jour comme de nuit.
L’expérimentation de ce conteneur particulier fut menée de main de maître, pour ce qui concernait la
partie interprétation, par le Capitaine Ravalec, alors commandant de la section « Photographie » au CIFAS,
puis à l'ERI.
La mission de reconnaissance des FAS venait de s’enrichir de la capacité de reconnaissance d’activité
tout temps !
2 – La Mission de reconnaissance.
Les missions de reconnaissance du Mirage IVA pouvaient s’effectuer de 200 à 50000 pieds, un
domaine partant donc de la très basse altitude à la très haute altitude.
De plus, et les faits l’ont corroboré, à ce domaine de prises de photos en altitude, s'ajoutait la capacité
de ravitaillement en vol de l'avion. Pour la première fois, l’Armée de l’Air avait à sa disposition une
eme
capacité de reconnaissance lointaine car, à cette époque, la 33 ER était équipée de Mirage 3R et 3RD sans
capacité de ravitaillement en vol.
Cette mission du Mirage IVA qui alliait les critères de reconnaissance tactique et stratégiques (HA et
BA) au très long rayon d’action, sera le concept d’emploi de l'avion et il durera jusqu’au l’utilisation de
l’imagerie satellitaire (optique et radar) pour la partie HA et des drones pour la partie BA.
Plus tard, le Mirage IVP prendra la relève du Mirage IVA avec l'escadron « Gascogne », stationné à
Mont-de-Marsan.
Ce concept d’emploi décrit, revenons aux missions de reconnaissance de l’ERI 01/328 alors que
j’étais en charge de leur exploitation au niveau de cet escadron.
Outre les missions d’entraînement à la couverture et au « traitement » des objectifs désignés par les
Opérations escadron, une mission stratégique, pré-planée au niveau du COFAS (Centre Opérationnel des
Forces Aériennes Stratégiques), concernait la recherche, le repérage et la photographie pour identification
de bâtiments de guerre de la flotte de combat de l’URSS qui représentait une menace réelle.
Ce plan d’opération était défini et se mettait en œuvre en étroite collaboration avec la Marine
Nationale au travers des Commandements pour la Méditerranée (CESMED) et pour l’Atlantique
(CECLANT).
Les objectifs étaient constitués des diverses unités de la marine soviétique, allant des porte-avions de
la classe Kiev aux frégates lance-missiles Kaschin, Krivak et autres, en passant par les destroyers de la
classe Moscowa et consort. Les sous-marins en surface faisaient aussi partie de cette panoplie d’objectifs.
Afin d’exercer les équipages, ces missions pouvaient aussi être dévolues à la recherche de bâtiments
de notre Marine Nationale ou des Marines d’autres pays de l’OTAN.
Sur déclenchement inopiné du COFAS, l’équipage en alerte, titulaire sur cette mission ainsi que
l’équipage remplaçant, étudiaient la zone désignée. Avec l’Officier de Renseignement Escadron (OR), en
fonction des informations données sur l’occupation de la zone et sa position géographique, l'équipage
établissait des hypothèses sur le genre de bâtiments susceptibles de s’y trouver et les critères
d’identification, étudiés en instruction, étaient rappelés.
Ces missions avaient un caractère « confidentiel défense » et se déroulaient donc – même au sein de
l'ERI – avec une certaine confidentialité, tout au moins jusqu'au retour du vol.
La préparation était minutieuse et, pour les ravitaillements, se faisait en étroite collaboration avec les
équipages de l'escadron de RVT. Il fallait définir les besoins en transfert de carburant, les points de rejointe,
les fréquences de contact, les niveaux de vol...
Chaque membre d'équipage du Mirage IV – pilote et navigateur – avait son job. Lors du briefing
d'avant-vol, chacun notait et s'imprégnait de toutes les données nécessaires à la réussite de la mission. Le
temps de vol de ces missions était généralement de 9 h-10 h. Quand le poids de carburant restant de l'avion à
l'atterrissage était annoncé par le pilote et celui du temps de vol prévu annoncé par le navigateur, l'équipage
était prêt pour le décollage.
Un plan de vol partiel était préparé pour être transmis aux organismes militaires de contrôle en vol en
fonction de l'heure de décollage. Mais la plus grande partie de la mission était sans suivi radar et était
inconnu de tout organisme.
Tout reposait sur les prises de décisions des deux membres de l'équipage.
L'ordre de décollage était transmis avec un certain délai par le chef de quart du COFAS : cela pouvait
être le soir vers 20 h, pour un décollage à 5 h du matin le lendemain.
Les zones « classiques » des objectifs étaient assez bien connues : c'étaient des zones de mouillage en
haute mer de la flotte soviétique en Méditerranée, par exemple, au large de la Tunisie, de la Libye et de la
Crête.
Mais d'autres zones sortaient de ce schéma : recherche au large de Terre-Neuve, suivi de la relève de
la flotte transitant entre Mourmansk et Cuba en Atlantique,
Les prises de vue se faisaient en eaux internationales.
L'équipage effectuait un passage vertical du bâtiment en basse altitude, ailes horizontales, et
déclenchait les cameras nasales et verticales, le but étant de ramener une série de clichés permettant de bien
identifier le bâtiment et permettre à l’OR, assisté des Interprétateurs photos, de bien le décrire.
A chaque prise de vue, l’équipage notait la position du navire, la route suivie ainsi que toutes les
observations propres à bien le décrire, c’était le « Flyrep » (In fly report).
Au retour, dès l’atterrissage, les cameramen extrayaient les boîtiers chargeurs des caméras et se
précipitaient au laboratoire photo pour un développement rapide des films.
Les films négatifs étaient ensuite mis sur les visionneuses du service interprétation et là, en
collaboration avec l’équipage, était rédigé le « Misrep » (Mission report) qui était envoyé par fax sécurisé au
COFAS. Il devait être envoyé au plus tard 15 minutes après l’arrivée de l’avion au parking ( arrêt des
réacteurs).
Les clichés utiles étaient sélectionnés et le Service Photo « tirait » le nombre d’exemplaires positifs
requis. Des agrandissements de points particuliers pouvaient, à l’initiative de l’OR, être joints au dossier.
Pendant ce temps, l’OR rédigeait l’IPIR (Immédiat Photo Interprétation Report) beaucoup plus
détaillé que le MISREP, qui lui, devait partir au maximum une heure après l’arrivée.
Dès le dossier prêt et complet, celui-ci était « packagé », et un MIR IIIB de l’EE (Escadron
d’Entraînement) du CIFAS, décollait pour la base de Creil et de là, la « mission » était acheminée vers le
COFAS à Taverny, soit par hélicoptère (urgence A) soit par la route (urgence B).
D’autres exemplaires étaient acheminés avec de moindres contraintes de délais vers les Etat-Major de
CECLANT ou de CESMED.
Par la suite, des dossiers complets et interprétés (dossiers VIP) étaient envoyés à l’EM/FAS. Certains
« atterrissaient » sur le bureau du CEMAA ou sur celui du CEMA en fonction de la mission ou des
informations découvertes.
Voilà le schéma type de ces missions « CIRQUE » qui faisaient la renommée des équipages et des
interprétateurs de l’ERI.
Quelques anecdotes pour conclure.
- Quand Pompidou s'est rendu en voyage officiel à Moscou, Brejnev lui a fait visiter le COFAS russe
et lui a demandé d'appuyer sur un bouton, ce qu'il a fait. En réponse, Brejnev lui aurait dit : « vous venez de
détruire la France ... ». Pompidou n'a pas du tout apprécié cet humour !!!
Quand Brejnev est venu en visite officielle en France à l'invitation de Pompidou, une mission
Cirque comprenant plusieurs Mirage 4 a été lancée pour couvrir les principaux sites de mouillage en
Méditerranée : succès total avec en particulier des marins russes jouant aux cartes sur le pont d'un sousmarin en surface ... Le soir même, lors du cocktail à l'Elysée, Pompidou a remis les clichés à Brejnev avec
le commentaire de circonstance que vous imaginez ...
- Lors d’une mission Cirque, je ne sais quel équipage avait rapporté d’excellentes images d’une
frégate lance-missiles de la classe Krivak et, sur la plaque déflecteur servant à dévier les fumées de la
cheminée du bâtiment était grossièrement écrite une phrase en alphabet cyrillique…….
Interrogation ? Nous relevions la phrase en nous aidant d’une loupe à fort grossissement et
soumettions le texte à un interprète qui répondit stupéfait : « cette phrase veut dire : ce bateau est une
chiotte » !
- sur les photos, les OR notaient parfois la rotation des affûts canons au passage de l'avion : les
serveurs étaient à leur poste !
Christian BERNARD. OR de l’ERI 01/328