Du LSD gratos - Antoine Cozin

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Du LSD gratos - Antoine Cozin
Du LSD gratos
Dans mon rétroviseur intérieur, quatre merveilleuses têtes de sourcils. C’està-dire qu’il y avait le crâne – supposément vide – et directement fiché dessus,
une fameuse paire de sourcils. Fantastique ! Ça faisait quatre têtes de sourcils,
soit huit sourcils. De sombres et splendides personnages. Faudrait écrire un
roman sur ces bonnes gens. On les oublie trop souvent.
J’adore les rétroviseurs. Des fois on a l’agréable surprise de tomber sur une
charmante conductrice dont la ceinture fait ressortir les montagnes et d’autres
fois, quand il fait nuit et qu’on est le seul être en vie, on peut voir les lumières
d’une ville endormie, ou le néon vert d’une pizzeria qui bikrave des barrettes de
shit coupées à la mozzarella.
La voiture, bon Dieu. Voilà une marotte 100% banlieusard. Passer le temps,
distraire son néant dans un bruit de moteur. Prendre une cinquième fois la même
rue au cas où un pelé aurait manqué votre Superbe. Oui, j’adore rouler en
bagnole – rouler très très lentement, cependant que derrière moi s’effile une
procession d’impatients, telle une mélodieuse cape de klaxons. Je les sens qui
enragent, j’en rissole littéralement. Ou quand je roule très lentement et qu’au
loin patiemment le feu reste vert, lentement, très lentement – à l’orange
j’accélère tout à trac et abandonne tous mes admirateurs au feu qui brûle d’un
rouge impeccable. Ou alors de retrouver celui qui m’a doublé au feu suivant. Par
télépathie je lui envoie mes meilleurs vœux. Ce que j’adore faire c’est de rouler
à la vitesse d’un tracteur sur une longue route de campagne sans aucune
visibilité, provoquant ainsi en duel la voiture de derrière, quitte à ce qu’elle
risque l’accident pour l’Honneur.
Oui ; j’aime à voir jusqu’où peut aller l’absurdité des hommes.
J’aime pas les motardes – trop masculines à mon goût. Mais j’aime regarder
le cul des femmes qui chevauchent ces drôles d’engin. Je suis sûr qu’elles
pensent à quelque-chose de sexuel ce faisant. J’aime pas les motards. Ni les
loulous qui mettent de la mauvaise musique à fond. J’aime bien les champs de
colza, par contre. Les nuages qui ressemblent à des hortensias. Déclarer ma
flamme à un feu rouge – Salut bébé, t’as un sacré système son, tu l’sais ça ?
Puis faire rugir mon moteur d’amoureux, la fenêtre toujours grand-ouverte.
J’aime griller les priorités et emboutir les pare-chocs, j’aime la conduite
économique et les culs-de-jatte des bas-trottoir, j’aime le velours du bitume, les
démarrages en côte, et rétrograder en plein milieu d’un carrefour. J’aime à jouer
du coude parmi la confrérie des automobilistes.
C’était un après-midi torride, fou furieux. Il faisait chaud, mon âme le bruit
d’un climatiseur en panne ; dans la plus parfaite des plénitudes je cuisais dans
mon hammam automobile, prenant bien soin de démolir tous les rétroviseurs
latéraux des voitures garées un peu trop loin du trottoir à mon goût. C’était
splendide, les rétroviseurs sautaient comme des dents et moi je me figurais une
espèce de prophète incompris ;
Peu importe, j’avais mes occupations bien à moi dans ce monde de brutes.
L’été, soit dit en passant, est une saison bénie pour un mateur de mon espèce.
Oui, je bénis le Soleil, cet espèce de paravent obscène. J’aime l’été, les jupes au
vent et les cheveux d’étincelles. Toutes ces femmes qui sucent des sorbets, leur
petite anatomie savamment mise en valeur, telle de la pâte feuilletée qui dore.
Elles parent de jaunes étoffes leur hâle délicieux. Jusqu’aux minijupes, où
s’esquissent des glaces à l’eau multicolores. En un souffle elles sont prêtes au
Vice, c’est magnifique, on dirait un œil émeraude qui émerge du sommeil… je
m’étonne toujours un peu de rester en un seul morceau parmi cette foultitude de
bombes à retardement. Je les imagine comestibles et brûlantes et
rafraîchissantes, me servant à même le plateau de fruits de mer, chipotant l’éclat
parmi tous ces coquillages. Elles sucent des glaces – deux boules la plupart du
temps. Une luxueuse verge intérieure cuir est toute leur existence.
J’arrive dans une ville suffisamment moche pour qu’elle me plaise. Des
pavillons, des pavillons, une boulangerie, un bar-tabac turfiste, des pavillons,
pavillons, pavillons… Pas un chat dans les rues, un vrai far west l’endroit. La
banlieue le Dimanche après-midi, ça vous plume le cœur – bonne sélection
naturelle ça, dehors y’aura juste moi et la fine liqueur locale, tout à fait ce que
j’aime. Frein-à-main artistique ; je me gare en sifflotant un petit Otis Redding,
Sitting on the dock of the bay. Quand je siffle, j’inspire le soleil.
Je prends en direction de la mairie, sans trop me poser de question. Seulement
j’aime la marche qui ne mène nulle part ailleurs qu’au fond du trou. Si je reviens
d’une promenade avec l’envie de me pendre, c’est sûrement que je vais écrire du
solide après ça.
Là-dessus je tombe sur un panneau ; c’est la carte de la ville. Un éminent
poète a eu l’idée géniale de la tagguer en noir. On peut plus rien y lire dessus ;
c’est tout noir son gribouillis. Sans doute après avoir perpétré son méfait, notre
artiste le trouva séditieux, quasiment révolutionnaire. Un futur Baudelaire, sans
aucun doute.
Que voulez-vous, le siècle est dur avec ses génies.
Je tourne la tête. Un gamin manque de se faire écraser par une bagnole, la
bagnole s’arrête même pas, la daronne et la grand-mère se chargent de lui
écraser la gueule. Elles le rouent de coups ma parole. Tous les trois ont l’air
passablement attardés. Ils hurlent comme des sacs à puces. La grand-mère
m’aperçoit du coin de l’œil, elle interrompt son meurtre et s’essaye à un sourire
d’as de pique, une dent, une unique dent qui lui donne l’air d’une dague en or.
Puis chacune le tire par un bras et l’emmènent le tabasser en toute intimité.
Bon Dieu des fois on voit des trucs dans la rue, on se demande si on n’a pas
pris par erreur du LSD ou quoi. Et en fait même pas. C’est juste la réalité. En
fait y’a rien de plus psychédélique que la réalité.
Une balle m’arrive dans les pieds. Je tourne la tête. Des connards jouant à la
baballe. Un maillot de l’Olympique de Marseille pour l’occasion, oh les beaux
habits du Dimanche, plus un petit air de Bach sur Fun Radio, le Dimanche, le
Dimanche, le Dimanche... On sentait bien que ces types jouaient au foot faute de
savoir faire autre chose. Des types comme ça, j’aime bien en voir quelques-uns,
puis plus j’en vois plus ça me fout le bourdon. Les footballeurs, sans blague –
voilà des types qui vous feraient réfléchir à propos d’un moyen de contraception
sans faille. Sans élan, je lèche une belle passe, pas dégueulasse du tout, au
contraire bien brossée, bien travaillée, effet intérieur, ça atterrit dans les pieds de
mon Papin – qui trouve le moyen de foutre ça en l’air. Contrôle de brique ; la
balle repart loin derrière, mon demeuré court après elle, on dirait un âne qui a
peur.
Un peu plus loin, dans la salle des fêtes locale, un groupe de joyeux lurons
fait la chenille gaiment, la France fait la chenille gaiment tous les dimanches
après-midi en s’enquillant de grandes cartouches de rouge dans le crâne, tandis
qu’à quelques milliers de kilomètres de là des gens au bord de l’épuisement
travaillaient dans l’ombre à confectionner leurs merdes soldées, leur sono
merdique et leurs artères bouchées, en rêvant du jour où ils pourront eux aussi
faire la chenille gaiment. Je les regarde s’amuser, on dirait des gamins à qui on a
donné des clés de bagnole et un crédit sur vingt ans, tata a chaud aux ovaires et
tonton montre son Soleil au milieu des festivités, le Dimanche, le Dimanche, le
Dimanche... Quelqu’un tape sur mon épaule. Un saucisson au teint patibulaire
m’intime aimablement à disparaître. Tu connais Jacky ?? Jacky JambonBeurre… Bah lui pas. Casse-toi mon gars, personne a jamais vu ta gueule dans
le six-boule.
Je me tire sous le soleil qui tire des balles à blanc, des briques de jus d’orange
sanguine qu’on a laissées dans un Four.
Un pont. Un pont avec de l’eau en dessous. Des algues ondulent
langoureusement, me donnent presque envie de plonger pour leur faire l’amour.
Des algues si mignonnes ! minaudières même, aguicheuses ces suggestives. On
dirait des danseuses du ventre. Sans trop savoir ce que je fais je commence à me
débraguetter, je sors ma queue et tranquillement, tout à fait tranquillement je
m’insinue mine de rien dans la folie doucereuse d’une caresse interdite. Ça
commence à être intéressant… Et puis, horreur ! que vois-je, ô triste
déconvenue, sous l’algue de mon cœur ? Une cannette de bière. De la Dagsbeer,
ma bière détestée, une bière de clodo, de rustre personnage. Je referme ma
braguette, un peu triste. Avec les algues ou les femmes, que voulez-vous, c’est
toujours la même histoire.
En parlant de femme ! J’aperçois un songe en string noir, emballé dans de la
cellophane blanche. Beau morceau. Une jupe blanche, un string noir ? C’est une
triste époque pour être pauvre. Et les violeurs alors ? On leur pique leur travail,
voilà ; on les dépouille de toute imagination. Y’a vraiment plus qu’Internet, pour
obtenir son once de poésie.
Le cul tourne à droite ; à gauche, un supermarché – j’adore les supermarchés.
Les fruits, les cannettes de bières, les pizzas surgelées. Il m’arrive souvent de
souhaiter être une pizza surgelée, amoureusement palpé par des yeux d’obèse
pauvre.
« Au diable les femmes, allons nous taper une bonne nectarine. »
Ce supermarché-là n’avait rien de fendart. J’ai connu des supermarchés bien
plus marrants que celui-ci. Vraiment. Achalandés de splendides clients en
marcel et tatouages de tigres à l’épaule, des femmes-boudins dont les bourrelets
mouillent au rayon des friandises, et des petites catins fraîches, glacées,
magnifiques framboises à peine sorties du congélateur. Où l’on décore caissières
et rayonnistes d’accoutrements bigarrés, ridicules. J’aime surprendre deux
consommateurs prêts à se battre pour la dernière boîte de cassoulet en
promotion. Celui-là par contre, de supermarché, n’avait rien de toute cette
fantaisie. Seulement des gens. Des vitres, des vitres qui pivotent, rotent l’oignon.
Rien de sensationnel pour un artiste de ma trempe qui aime la Grandiloquence.
Quand même, j’achète une nectarine et une prune et un melon – la mort me colle
au cul, la mort partout flirte avec mon ombre, j’éloigne les vautours avec des
fruits – tout ce qui est rond et ressemble à un vagin gorgé de sucre, avec un
noyau au centre, l’âme d’une implacable putain.
Je sors de là, m’éloigne un peu. J’ai continué mon chemin sous le soleil qui
brûlait brûlait, brûlait, devant moi un transformateur électrique abandonné, il
ressemblait à l’extase d’une vieille femme morte, peut-être une carcasse
heureuse de se faire dévorer au tripes par les Apôtres. Sur un arbre était gravé un
cœur, mais un cœur épouvantable, déformé par l’amour, pointu vers le bas,
couronné d’une paire de testicules hydrocéphale. Un cœur affreux – un cœur de
femme, ça ne faisait aucun doute.
Une église. Une église ouverte. Je rentre, je rentre dans tout ce qui veut bien
m’ouvrir ses portes. Un régal ; il y fait frais comme dans une canette de bière.
Une raie de lumière splendide, un vitrail par lequel perce un soleil bleu. Je
m’assoie sur un banc, regarde sur mes bras glabre danser la lumière bleue,
comme une ballerine dessinée par Degas, un Degas fou furieux, au sommet de
son Art. Y’a des rideaux de velours aussi. Bordeaux. Le soleil les transperce un
peu. Ça fait des carrés roses, on dirait de curieuses dragées de mariage. Bon,
bon, je regarde autour de moi. Des images, partout des images, ici un petit
bonhomme au visage pâle, là un autre à genoux, qui regarde vers le ciel, une
femme chauve, il y a un petit bonhomme qui se tortille sur sa croix. Il a l’air de
faire de drôle de rêves.
Vraiment pas ma tasse de thé, tous ces mecs.
« Bonjour mon fils.
— Bonjour mon père.
— Je peux faire quelque-chose pour vous ?
— Comment fait-on pour croire en Dieu ?
— Il faut avoir la foi, mon fils.
— Les foies ?
— La foi. Sans e. Ni s. La foi unique, indissociable, infaillible, inaltérable,
invincible, éternelle.
— J’y arrive pas. J’essaye pourtant. Des fois je pousse fort, fort, fort, mais
y’a rien qui vient. Des fois un truc vient quand même, mais je ne suis pas sûr
qu’il s’agisse de Dieu.
— Il vous faut lire la Bible, mon fils.
— Je préfère Bukowski, mon père.
— Bukowski brûle en Enfer.
— Il a quand même écrit quelques belles saloperies. Et puis d’abord, vous en
savez rien.
— Il brûle en Enfer avec ses écrits.
— Vous pouvez pas savoir, mon Père. Pour ça, je veux dire pour l’avoir vu,
faudrait que vous y soyez allé aussi, en Enfer. Vous y êtes allé ?
— Il n’est sûrement pas au Paradis.
— Vous êtes allé partout vous, pas vrai ?
— Combien vous voulez ?
— Eh bien… c’est pas rien la foi. Faudrait pas mal, j’imagine.
— 100 euros ?
— Disons 150, mon Père.
— Voilà.
— Merci.
— Je vous bénis au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit…
— Amen. »
Je sors de là, avec l’Acrobate qui froisse mon billet de 150 balles en poche.
Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui payer ? P’têtre une chemise, et puis une
visite chez le coiffeur. C’est un sacré paquet de flouse, 150€, un bon gars, ce
cureton, fort généreux.
Je décide m’en payer une petite au bar-tabac. Ça s’appelle LE BALTO. Tous
les trous du monde ont un bar-tabac qui s’appelle LE BALTO – c’est
généralement le bar le plus pourri de la ville avec le café le plus imbuvable et les
pressions les moins chères. Les cacahouètes se mélangent aux crottes de nez et
aux molaires d’anciens alcooliques sous méthadone. Souvent le carrelage est
sale et si on est attentif aux odeurs, on décèle un vague relent de merde venant
de quelqu’un ou quelque-part. Tout à fait mon genre d’endroit dominical.
À l’intérieur, des noirs des blancs et des mouches. Les mouches sont surtout
concentrées autour des aisselles du taulier, dans son magnifique marcel blanc
trempé. Sinon, surtout des blancs, et puis des noirs. La France, Patrie des Droits
de l’Homme. Les RSA sur leur trente-et-un, moussent splendidement dans les
blondes que tire Gégé l’Géant.
Je me descends une bière à la santé de l’Acrobate. Le patron m’a à la bonne –
les barmen m’ont toujours à la bonne, qu’on me demande pas pourquoi. Je suis
pourtant pas très bavard. Ils adorent faire des boutades qu’ils me laissent
déguster telles, crues et rigolotes à s’en chier dessus. Celui-là de patron, faisait
dans la finesse et le raffinement. Des trucs où l’on met sa main sous l’aisselle,
de laquelle sortent de magnifiques bruissements.
L’humour ventriloque de ces éblouissants quidams.
J’ai regardé un peu la télé, où y’avait des courses hippiques. Mais ça m’a vite
ennuyé, la télé en dehors de la télé, c’est-à-dire le monde, était bien plus
fendarde à mater. J’ai tourné la tête vers le fond du bar, et dans un recoin sombre
a surgit brusquement le taulier, Gégé l’Géant, qui faisait le macaque pour me
faire rigoler. J’ai tourné ma tête ailleurs et dans le reflet de la machine-à-café,
Gégé l’Géant se tire-bouchonnait quelques échantillons de la noble pilosité. Clin
d’yeux avertis ; foutus meilleurs potes de l’univers.
Et puis y’a eu une conversation sur Tapie, ç’a dérivé sur les arabes et puis le
gars avec la veste de chasseur a sorti un couteau de chasseur pour ouvrir les
côtes de son meilleur pote, le camerounais, mais Gégé l’Géant a été vigilant et
ç’a finit en tournée de suze-cassis qu’a payée le noir, un camerounais de SaintBrieuc. Je suis sorti de là, j’aime pas les suze-cassis, j’ai dit CIA-CIAO, Gégé
l’Géant avait la larme à l’œil, il m’a proposé une nouvelle bière, j’ai dit non
merci, Gégé, t’es un gars adorable mais y’en a qui bossent, même le Dimanche.
Il m’a fait promettre de revenir au plus vite en se mouchant comme une
trompette.
Dehors, des types et leurs bonniches devisaient gravement à propos de la
Harley qui était garée devant le bar, crachat tout de chrome et de fierté.
Un groupe de têtes blanches. D’affreuses têtes blanches, des moutons, non
pire, des vieilles flaques sous perfusion de TF1 et de barbituriques. Vous
devinerez jamais qui je croise, au début du troupeau, tel un chef, un Guide
Suprême. Ce bon vieux Gadala !
« Merde, ça alors, Alex !
— Tonio !
— C’est fini les Bagels, Alex ?
— Qu’est-ce tu veux, Tonio, l’Art c’est des cacahouètes. Faut bien bouffer,
aussi.
— J’ai toujours dit que le monde n’était pas près pour tes Bagels. T’es un
précurseur, Alex, c’est une injustice folle.
— Ouais ouais ouais, ferme ta gueule Tonio, les artistes sont justes de
frénétiques masturbateurs.
— C’est tout à fait exact, Alex. Et alors, qu’est-ce que tu fais avec ce tas de
merdes ?
— Je les emmène chez moi. J’ai un grand four.
— Et alors ? Tu leur fais des tartes aux pommes ?
— Je leur fait signer un papelard de viager. Puis je les envois au four.
— Ça paye bien ?
— Mieux que les bagels.
— J’peux t’aider, Alex ?
— Va te faire foutre, Tonio.
— Au revoir, Alex.
— See you en Enfer, Tonio. »
Bon, je continue ma route. Je pense au Paradis, à l’Enfer, et m’avise avoir
encore du flouse en poche. Mais à part le bar-tabac et le supermarché, tout est
fermé. Le pognon ne sert plus à rien, quand toutes les boutiques sont fermées.
Pareil pour les salopes. Alors je prends le billet de 100 et je le déchire, j’en fais
de la neige. Il neige de l’argent !
Rien à foutre de l’argent, je veux de la poésie et des nectarines dans mon
jardin.
Qui vois-je tourner au coin de la rue de mon œil ravi ? Ma revanche en tenue
d’Ève luxuriante. Personne avait pensé à lui enlever cette vulgaire mouette noire
qui lui rentrait dans les fesses.
« Bonjour-bonjour, charmante après-midi, n’est-ce pas ?
— Il fait un peu chaud, quand même.
— C’est exactement ce que je me suis dit en vous voyant marcher.
— Ah oui ?
— Oui. Ça fait une heure que je vous suis. J’ai hésité entre vous aborder et
m’en aller exploser au milieu du soleil.
— Vous avez bien fait de venir. Chez moi, il fait encore plus chaud. »
Elle me prend par la main. On marche, on marche, il fait chaud, il se passe des
choses bizarres dans mon ventre, peut-être vais-je exploser pour de bon, ça serait
pas mal semble-t-il, j’espère seulement le faire une fois au fond de son ventre.
Comme de l’aspirine dans des draps de velours mauve.
On arrive dans une cité cuite et recuite, les murs sont noirs on a l’impression
qu’un mec de rage a voulu y foutre le feu, ça sent la pisse au soleil et il y a des
poules rachitiques qui picorent dans des boites de métal, deux-trois dealos
fument et s’efforcent d’oublier, la fille tape un code, tip tip tip, sésame ouvretoi, oh oui oui oui ouvre-moi les portes de ton Palais ma petite Shahrazade,
Favelas de l’Oise, je vous aime.
« CASSE-TOI FILS DE PUTE » m’objurgue un charmant graffiti au
deuxième étage. Fils de pute ou pas fils de pute, et alors mes braves ? J’ai quand
même le droit à l’Amour, nom d’une pipe.
Sur ce j’emboîte le pas de mon charmant topaze.
« Salut M’man. J’te présente Machin.
— Bonjour Machin.
— Bonjour vieille peau.
— Il fait chaud n’est-ce pas ?
— Très chaud.
— Vous voulez un verre d’eau ?
— Je vais d’abord siroter votre fille. Je vous sonnerai quand ça sera terminé.
— Très bien ; faites attention, elle est très basse de plafond.
— Ah oui ?
— Aucun problème. Mon ovule aime bien qu’on le chatouille.
— Très bien, très bien ; je ne veux rien savoir de plus à propos de ton
anatomie. Nous allons faire l’amour et ta mère m’apportera un verre d’eau
fraîche. Je ne veux rien savoir de plus. »
On va dans sa chambre. Dans sa chambre, son petit frère fait l’amour à son
nounours. C’est Obélix.
On referme la porte. On va dans le salon. Y’a un lit superposé dans le salon.
On va en haut. On touche presque le plafond. On touche presque le ciel,
l’Horreur. Je la tourne sur le côté, je trousse sa robe. Ça n’en finit plus de tissu et
de désir là-dessous, je chute presque dedans. Mes doigts croulent dans sa
mousseline, j’ai cru apercevoir un camélia dans les sables mouvants. Je vais
doucement, tout doucement, tout tout doucement, faut prendre son temps, savoir
apprécier, je suis un papillon dans un bocal humide. Je lime, ça brûle, ma queue
brûle, elle est pleine d’eczéma, c’est à vomir de faire l’amour ainsi, mon Dieu,
mon Dieu, mon Dieu, j’ai pénétré l’Enfer par son trou le plus vicieux.
Sa mère repasse du linge et sifflote un petit Julien Clerc. Elle siffle mal, ça me
déconcentre presque. Ma monture le sent, demande à sa mère de fermer sa
gueule.
« FERME UN PEU TA GUEULE, MAMAN Y’A MACHIN QUI
DÉBANDE. »
La daronne ferme sa gueule et allume la télé. On finit notre affaire en en plein
jeux de 19h. Une indicible extase. J’avais même la réponse à 100 000 €. Elle me
dit même pas merci en me quittant.
Mon eczéma me brûle la queue, je rêve d’une douche, d’une nouvelle peau.
Dehors il fait chaud, je sors, je suis tout crasseux dans mon costume trois pièces,
son col de l’utérus accrochée en nœud-papillon fringant à ma glotte.
Je rentre dans la bagnole et j’ouvre les fenêtres immédiatement, il fait chaud
aussi là-dedans. Je tourne la clé, une nocturne de Chopin passe à la radio, chef
d’œuvre d’ivoire éternel.

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