Appel « Concentration Vs Diversité » 14 octobre 2010

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Appel « Concentration Vs Diversité » 14 octobre 2010
Appel « Concentration Vs Diversité »
14 octobre 2010
Nous, jusqu’à nouvel ordre, acteurs de la filière des musiques actuelles, au nom de
la défense de la diversité culturelle, nous ne collaborerons pas, de quelque manière que
ce soit, avec les entreprises multinationales industrielles se positionnant directement ou
via leurs émanations dans le secteur de la musique live.
Contre le processus de concentration financière et économique à l’œuvre dans
l’économie des musiques populaires et actuelles en France, mobilisons-nous !
Qui sommes nous, d’où venons nous ?
Il y a quelques années, la musique live était soutenue, d’un côté, par des micros entreprises
ainsi qu’un très grand nombre d’associations militantes ; de l’autre, par l’industrie du disque qui
intervenait en particulier via le « tour support » (où le disque soutenait les tournées des artistes).
La mondialisation avait, jusque-là, relativement épargné en France la filière de la musique live qui
fonctionne dans une logique non lucrative ou relativement «artisanale». Celle-ci est constituée
d’une multitude d’acteurs rassemblée autour des artistes (producteurs de spectacles, salles de
concerts, festivals, labels discographiques, médias,…) de tailles et de formes économiques très
variables, sans négliger le poids croissant des politiques publiques en faveur de lieux de diffusion
ou de festivals façonnant ainsi un modèle français unique en son genre.
Ce paysage est par ailleurs caractérisé par son ouverture d’accès (sans barrières économiques)
facilitant l’entrée dans la filière de nouveaux acteurs culturels et/ou économiques (producteurs,
festivals, lieux de diffusion...). Il a non seulement facilité l'accès des publics aux concerts, mais a
également favorisé une diversité des expressions artistiques et culturelles, anticipant sur les
accords internationaux adoptés sur ce thème, notamment la Convention de l‘Unesco sur la
diversité culturelle (Clt-2005/Convention diversité-cult Rev) ratifiés par la France et l’Union
Européenne. Ce paysage a aussi fortement contribué au soutien et au renouvellement des artistes
français, permettant ainsi à la France de rattraper une partie de son retard sur la scène anglosaxonne.
Si la logique de marché a toujours été présente dans nos métiers, elle ne constitue qu’un
environnement économique dans lequel nous évoluons, mais en aucun cas une finalité. Nous
considérons que nous devons soutenir la créativité et l’innovation musicales, présenter des
artistes à un public, et non des produits à des consommateurs déjà conquis. La musique que nous
défendons est avant tout porteuse de sens. Elle est autant expression d’identités que support de
dialogues interculturels. Elle est source d’épanouissement, de créativité et d’émancipation
individuelle autant que collective.
Les nouvelles stratégies industrielles du secteur
La filière professionnelle dont l’activité consiste à organiser et/ou produire des concerts de
musiques populaires et actuelles / amplifiées est en pleine mutation.
D’abord cette mutation à l’oeuvre est caractérisée par l’arrivée de nouveaux acteurs financiers
(Live Nation, AEG, GL Events…) sur ce marché considéré par ces multinationales comme un
domaine d’intervention lucratif, relevant clairement, selon eux, du business du divertissement (de
l’entertainment) et d’enjeux de stratégie commerciale à grande échelle.
Ensuite, la crise du disque de ces dernières années est indubitablement un facteur important et
déclenchant de cette transformation, puisqu’elle induit de nouveaux positionnements de la part de
majors du disque rachetant des producteurs privés.
Après l’Amérique du nord, l’Angleterre, les Pays-bas, la Belgique où Live Nation détient la majorité
de la filière musicale via les festivals, les contrats d’artistes et les lieux de diffusion, l’arrivée de
multinationales de l’entertainment sur le territoire français est effectif depuis ces deux dernières
années. Aujourd’hui elles investissent lourdement afin de prendre très rapidement de fortes parts
de marché. Elles rachètent des entreprises ou coproduisent avec des acteurs français (production
de spectacles, salles de concerts, festivals, vente de billetterie).
Un risque à court terme
Nous sommes donc aujourd’hui confrontés au risque majeur d’une concentration
économique qui permet insidieusement de fixer de nouvelles règles du jeu selon la seule logique
économique et financière, ayant pour seule finalité le versement de dividendes à des actionnaires.
Cela va provoquer, à moyen terme, la disparition de nombreux acteurs de la filière, une
standardisation des « produits artistiques et culturels », une marginalisation d’un grand nombre
d’artistes, exclus du système car non rentables, et une réduction de l’offre en quantité et en
diversité pour les publics.
En fait, le risque de concentration dans ce secteur par quelques multinationales est donc réel, et
nous apparaît comme un danger pour la diversité culturelle, pour cette pluralité d’initiatives et de
projets qui a fait du secteur musical français un des plus développés à l’échelle européenne. Cette
concentration menace également de détruire le travail territorial qui s’est construit en proximité
avec les populations dans une économie plurielle.
Notre appel à une réaction
Dans ce contexte, nous interpellons les pouvoirs publics, français et européens qui,
conscients des enjeux politiques à l’œuvre, doivent prendre leurs responsabilités pour organiser
une régulation du marché qui contrecarre les phénomènes de concentration. Les références
françaises et européennes à la préservation de la diversité culturelle et à la place de la culture
dans nos sociétés doivent trouver ici une résonance concrète et ne pas servir d’alibi à une
économie dite créative destructrice du vivre ensemble. L’exemple de la remise en cause de licence
d’entrepreneur de spectacles dû à la transposition de la directive « service », issue de la
communauté européenne, est à ce titre un bon exemple de dérégulation.
Nous interpellons plus particulièrement les pouvoirs publics locaux qui, et c’est déjà le cas à Arras,
Nice ou Biarritz…, s’associent à des multinationales pour s’offrir de grands événements leur
garantissant un retour sur image et une communication à moindres frais, sans se soucier de
l’intérêt général des populations, ni des conditions d’un développement durable de leurs
territoires, ni des conséquences de tels actes pour la filière de la musique live.
Par ailleurs, cet appel a pour objectif d’informer et de sensibiliser les artistes et les publics aux
enjeux fondamentaux qui bouleversent nos activités. Il nous semble important que chaque citoyen
dispose d’éléments de compréhension afin qu’il sache faire la différence entre « être considéré
comme un spectateur citoyen » et « être considéré comme un consommateur de produits
culturels » pour agir en connaissance de cause.
De même, les artistes ont leur rôle à jouer dans ces questions. Ils doivent prendre toute leur place
dans ces débats et ne pas se méprendre sur les valeurs et le modèle économique qu'ils servent
par leur travail. Les artistes qui sont liés à ces industries fragilisent le développement harmonieux
et diversifié de ces musiques en France et pénalisent les populations d’aujourd’hui et de demain
par leur démarche en soutenant un processus de concentration des moyens par quelques-uns.
Enfin, nous sommes convaincus qu’une solidarité de filière doit s’opérer afin que tous ses acteurs,
pour qui la musique n’est pas « un business du divertissement » se mobilisent, réaffirment leurs
valeurs et trouvent de nouvelles solutions collectives, y compris en termes économiques.
Ainsi, par notre interpellation, nous entendons affirmer qu’une démarche éthique
révélant qu'une autre économie de l'art et de la culture est possible dans notre pays.

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