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Intervention d’éducation à l’image
« Etre femme, faire un film » : retours sur le cinéma par les femmes et
la vidéo féministe
Le texte présenté ici est issu d’une formation dispensée par Joël Danet de Vidéo
Les beaux Jours, adressée à un public de lycéens, mise en place par la
Médiathèque de Forbach le 20 novembre 2014.
Pour créer et s’exprimer par le cinéma, les femmes ont dû déconstruire le regard
que les hommes ont porté sur elles de film en film. Elles lui ont substitué le leur, à
partir de leur personnalité et de leur expérience. Pendant les années cinquante,
quelques cinéastes femmes ont réalisé des œuvres représentatives de cette
évolution déterminante.
Le mouvement féministe qui a éclos dans les décennies suivantes a donné lieu à
une production vidéo abondante également prise en charge par des femmes. Il
s’agissait de relayer l’actualité de sa lutte qui a pris la forme de manifestations et
de rassemblements spectaculaires, de diffuser la parole militante au-delà du
périmètre de portée d’un micro ou d’un porte voix sur la place publique.
L’équipement léger du tournage vidéo a rendu autonomes les femmes vidéastes
qui pouvaient s’immerger dans les luttes et suivre leurs parcours.
Voir aujourd’hui les films féministes, c’est découvrir ou retrouver une production
audacieuse, réactive à l’air du temps, faite dans l’urgence, avec les moyens du
bord, captivante à ces différents titres. C’est aussi revenir à une production qui a
inspiré de nombreuses femmes réalisatrices. A leur tour, elles ont trouvé dans le
genre documentaire le registre et le dispositif appropriés à leur désir d’expression.
Cette présentation propose une approche historique qui invite à réfléchir sur
l’héritage que laissent ces initiatives de femmes cinéastes et militantes au moment
où de nouvelles luttes s’engagent pour l’égalité.
1. Cinéaste au féminin
- prendre sa place dans un environnement masculin, se réapproprier l’image
des femmes à l’écran
- deux figures de cinéastes femmes : Nelly Kaplan, Agnès Varda
2. la création vidéo et le féminisme
- les luttes féministes relayées par la vidéo : films de l’instant, diffusion
alternatives (Carole Roussopoulos)
- parler à l’image : destins de femmes contre stéréotypes masculins (Kate
Millett, Delphine Seyrig)
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Matériel :
Un vidéo projecteur, un raccord son-image du vidéoprojecteur à un ordinateur
portable apporté par l’intervenant.
Regards d’hommes
Pour créer et s’exprimer par le cinéma, les femmes ont dû déconstruire le regard
que les hommes ont porté sur elles de film en film. Si, depuis les débuts du
cinéma, elles sont abondamment présentes à l’écran, c’est selon les désirs et les
projections des hommes. En 1957, Jacques Siclier, auteur de La femme dans le
cinéma français, remarque : « De même que ce ne sont pas les femmes qui sont
le plus souvent assises dans le métro ou dans les trains bondés, de même ce
n’est pas le visage exact de la femme française qui apparaît à l’écran, mais
simplement la conception qu’en ont les hommes. Et nos actrices, si puissante que
soit leur personnalité, sont façonnées au gré de cette conception » (p. 11)
Le monopole du regard masculin, établi de longue date au sein de la profession, a
pesé sur les actrices qui se sont senties tenues de lui correspondre. Cette
pression subie est au cœur du documentaire que Delphine Seyrig a réalisé en
1974 : Sois belle et tais-toi. Américaines ou françaises, ayant débuté leurs
carrières dans les années cinquante ou soixante, les actrices qu'elle interroge
témoignent de leurs conditions de travail aliénantes. A mesure que nous les
écoutons, nous apprenons qu’elles ne se reconnaissent nullement dans les
personnages qu’elles ont incarnés, ni en tant qu’actrices, ni en tant que femmes.
Par ailleurs, nous observons un décalage troublant entre leur présence à l’écran
et celle dont nous avons le souvenir : elles parlent, rient, ont des gestes
spontanés en décalage avec l’image que leurs films ont véhiculé. Même les plus
connues comme Shirley Mc Laine ou Jane Fonda font part des pressions qu’elles
ont connu pour modifier leur apparence physique selon les codes du glamour
officiel, ceux que les hommes ont érigé.
Que le projet et la mise en œuvre de ce film ait été entièrement porté par Delphine
Seyrig n’est pas un hasard : en tant qu’actrice, elle a contribué à entretenir le
stéréotype romantique de la beauté inaccessible et tourmentée. Ainsi dans
L’année dernière à Marienbad d’Alain Robbe-Grillet (1961), présence fugace,
rencontre fuyante et obsédante, ou dans Baisers volés de François Truffaut
(1968), inspirant à Antoine Doisnel ce commentaire : « Ce n’est pas une femme,
c’est une apparition. » C’est en partie en réaction au statut qu’elle a acquis par
ces rôles, et dont elle s’est sentie prisonnière, qu’elle s’est engagée avec
virulence dans le combat féministe, particulièrement dans les années soixante-dix.
Accéder à la caméra
Certes, des cinéastes hommes ont cherché à contrarier l’image stéréotypée des
femmes, à faire vivre des personnages féminins qui marquent par l’originalité de
leur caractère, leur personnalité physique, voire la spécificité de leurs désirs. Nous
pouvons penser à Jules Dassin, John Cassavetes, Antonioni… Les films des deux
premiers montrent des personnages de femmes débordant de vitalité, à la
personnalité originale, affichant un comportement naturel, tout aussi séduisantes
que les personnages codés par le glamour traditionnel. Chez Antonioni,
l'incommunicabilité caractérise ses mises en scène de couples. C'est une
manière, pour l'homme-réalisateur, d'assumer que quelque chose lui échappe des
désirs et des attentes propres aux femmes. Il reste que tous ces films participent
encore encore d’un discours d’homme qui se substitue à celui que les femmes
sont appelées à porter sur leur compte. Cette carence est liée à la difficulté qu’ont
longtemps connu les femmes pour accéder au statut de réalisatrice. Selon
Jacques Siclier, elles sont devenues de plus en plus nombreuses à y parvenir
après guerre. Il remarque cependant :
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« La femme metteur en scène est donc désormais une réalité qui n’est pas au
goût de tout le monde. Il n’est que d’observer les réactions des critiques
cinématographiques masculins devant un film de femme : Jacqueline Audry en
sait quelque chose. Il n’est pas un de ses films qui aient été accueillis autrement
que par un intérêt poli, une désinvolture condescendante ou un dédain
manifeste. » (Jacques SICLIER, La femme dans le cinéma français, Paris, 1957,
p. 133).
En se plaçant derrière la caméra, les réalisatrices ont été amenés à affronter les
stéréotypes à la source de la plupart des représentations de la femme, lesquelles
représentations, par l’impact populaire du cinéma, devaient renforcer à leur tour
ces stéréotypes : la femme fatale, la mère dévouée, la prostituée au grand cœur,
galerie inamovible qui constitue le registre sexiste de « la femme éternelle ».
Deux réalisatrices vont contribuer de manière déterminante à ce changement de
regard à partir des années soixante : Nelly Kaplan, et Agnès Varda. Avec La
fiancée du pirate qu’elle réalise en 1969, Nelly Kaplan, qui a fréquenté le cercle
surréaliste tardif et a été l’assistante d’Abel Gance dans ses dernières années de
carrière, a cherché à donner une revanche à la femme considérée comme objet
de désir. Marie, villageoise belle et jeune, considérée comme une souillon et un
objet sexuel par les villageois qui la côtoient, se sert de ses attraits pour
entreprendre sa vengeance. Elle attise le désir de tous les notables du village
qu’elle juge responsables de ses malheurs en leur imposant le commerce de la
prostitution selon ses considérations tarifaires. Bernadette Laffont interprète Marie
avec sensualité et humour, faisant succomber les hommes de son entourage,
exaspérant leurs épouses qui ne veulent se remettre en question. A la sortie, le
film, par sa liberté, a été interdit en salles aux moins de dix-huit ans. La fiancée du
pirate met en scène une femme qui se venge des hommes qui l’ont asservi et
prend le dessus dans le duel sexuel qui l’oppose à eux. Par ailleurs, le bric-à-brac
qu’elle entasse dans sa cabane à coup d’achat irraisonnés ne lui sert à rien : c’est
le négatif de l’intérieur vouée à la ménagère moderne, équipé avec tous les
appareils ménagers de pointe pour mieux la contraindre aux tâches domestiques.
Le scandale de La fiancée du pirate est lié à la désinvolture du personnage
féminin vis-à-vis du commerce sexuel et de sa relation aux biens, proposant une
subversion du modèle de la femme moyenne des Trente Glorieuses, déterminé
par le modernisme qui change son cadre de vie et le conservatisme qui la
maintient dans un rôle secondaire de femme au foyer. Cependant, le personnage
incarné par Bernadette Laffont s’impose par son pouvoir de séduction, attisant le
désir des hommes sans jamais le combler. En quelque sorte, elle s’inscrit dans la
continuité des séductrices, comme Carmen de Mérimée, Nana de Zola, ou L’ange
bleu de Pabst, qui ont conquis leur position dominante par le désir qu’elles étaient
à mêmes d’inspirer aux hommes.
Se mettre en scène
Agnès Varda positionne différemment le rapport de force qui oppose les hommes
et les femmes dans la représentation cinématographique. Il ne s’agit plus de
l’inverser mais de changer les stéréotypes physiques qui commandent la mise en
scène des femmes. Empruntant volontiers le genre documentaire, elle se met
elle-même en scène pour apporter une approche autobiographique à ses sujets.
Parmi ses nombreux courts métrages, Opéra mouffe (1958), qui consiste
essentiellement en un portrait de la rue Mouffetard, commence par une vue de la
réalisatrice nue, de dos, puis une autre sur son ventre arrondi de femme enceinte.
Le regard que le film donne du marché privilégie des scènes banales par une
insistance qui les rend insolites. Le point de vue subjectif est revendiqué, faisant
des analogies entre la panse des légumes et le ventre arrondi montré
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précédemment. Quand le film montre un couteau qui s’enfonce dans le légume,
c’est la femme réalisatrice qui fait part de sa peur fantasmatique d’être éventrée.
Varda explique :
« J’étais fière de me balader avec mon gros ballon et en même temps, j’avais peur
d’être éventrée, que quelqu’un ose me toucher. Ce sont ces peurs primales que
j’ai voulu retranscrire. C’est une vision beaucoup plus physique, plus violente, pas
du tout sentimentale, qui a permis à certains pères de comprendre ce que pouvait
ressentir leur compagne. » (Autour du 1er mai, consulté le 30 – 04 – 2014).
C’est sa condition physique et l’état psychologique qui lui est associé qui
influencent le regard sur le réel environnant et déterminent la mise en scène du
film, éminemment féminine puisque l’homme ne peut atteindre la condition en
question. Dans Les glaneurs et la glaneuse qu’elle réalise en 2000, documentaire
qui traite de la question des rebuts et du recyclage, Varda instille des séquences
où elle se met en scène vieillissante, inquiète de son corps qui se ride, de ses
cheveux qui ont blanchi. Par cette mise en scène de soi, elle élargit la
représentation féminine à la réalité de toutes les femmes, montre la diversité de
leurs apparences, donne une voix à leur sensibilité intime, émotions qu’elles
seules, en tant que femmes, peuvent exprimer - sinon comprendre.
Avec son court métrage Réponse de femme, réalisé en 1975, Varda rend
explicites ses convictions féministes. Il s’agit d’une commande d’Antenne 2,
inspirée par la décision politique de faire de la même année 1975 celle de la
femme, mesure décidée par l’ONU et orchestrée par Françoise Giroud alors
première secrétaire à la condition féminine. La chaine a demandé à différents
réalisateurs de répondre à la question : « Qu’est-ce qu’être femme ? »Varda a
répondu par un ciné tract intitulé : Notre corps – notre sexe où elle met en scène,
souvent sur un fond neutre qui augmente le rapport frontal, des femmes
inconnues, parfois vêtues, parfois nues, de tous âges, et apparemment, de toutes
conditions. Regardant la caméra dans les yeux, elles interpellent les
téléspectateurs sur leurs propres représentations, évoquant tour à tour le désir
sexuel, le désir ou non d’enfants, les représentations restrictives et mensongères
véhiculées par l’imagerie publicitaire. Certains d’entre eux se sont plaints à la
chaîne après la diffusion du film. Une telle réaction coïncide avec son intention : il
s’agit de faire réagir, de provoquer le débat. En cela, Varda rejoint les femmes
militantes qui ont employé le film pour amplifier l’impact de leurs messages.
Mener et relayer la lutte par les images
Le générique de Notre corps-notre sexe précise : « écrit et réalisé par Agnès
Varda ». De cette façon, elle indique que c'est elle seule qui a écrit les répliquesslogans que se partagent toutes les femmes qui figurent dans le film, y compris
celle-ci : « Je suis l'unique, je suis toutes les femmes ». Mais est-ce bien le cas ?
Chaque femme se pense-t-elle de la même façon ? Les associations féministes
qui se sont constituées à la fin des années soixante, dans le sillage de mai 68, ont
autant cherché à obtenir leur émancipation citoyenne (après le droit de vote, le
droit à la contraception, à l’IVG, à la condition égale dans le milieu professionnel)
qu‘à favoriser une parole de femme sur les femmes. Dans une émission diffusée à
la télévision française le 20 juillet 1971, (réalisée par un homme : François-Raoul
Duval) « Kate Millett et la condition de la femme » (du nom de la théoricienne
féministe américaine), une des membres du MLF (Emmanuelle de Lesseps ?),
affirme ne rien savoir des capacités intellectuelles et créatives des femmes, celles
que la société patriarcale empêche d'éclore : « On ne sait pas ce qu'on veut faire.
On sait qu'on n'a jamais rien fait qui vienne profondément de nous. On va nous
dire : 'les femmes ne sont pas créatrices'. Elles ont une créativité à trouver. » En
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1974, Viviane Forrester élargit son propos : « Le regard des femmes, on ne le
connaît pas. Que voit-il ? Comment découpe-t-il, invente-t-il, déchiffre-t-il le
monde ? Je ne sais pas. Je connais mon regard, le regard d’une femme, mais le
monde vu par d’autres, Je connais celui des hommes seulement. » (dans Images
de la culture, ‘C’est avec la vidéo que nous nous raconterons‘ de Hélène
Fleckinger, août 2005, p.4). Cette interrogation s’exprime dans un contexte qui
vise à faire changer cette situation : elle est parue dans une publication de
l’association Musidora qui a mis en place le premier festival de films de femmes.
C’est cette carence d’expression que les militantes cherchent à combler en
multipliant les groupes de paroles de femmes. L'emploi du film vise à seconder
cette dynamique. Il s'agit d'amplifier la diffusion du message, de multiplier les
initiatives de tournage à l’usage de projections-rencontres. Le film existe pour faire
savoir et susciter l'échange. La principale réalisatrice du mouvement féministe,
Carole Roussopoulos, explique : « Ce n’était pas du tout pour faire de l’art. Les
groupes de vidéo militante n’avaient rien à voir avec le milieu du cinéma. C’était
vraiment pour faire de l’animation dans les quartiers, pour parler des problèmes
sociaux. » (« Féminisme, cinéma et émancipation : Carole Roussopoulos » par
Hélène Fleckinger, le 15 sept. 2009.) Cette évolution est facilitée par l’apparition
de caméras vidéo portables qui permet aux femmes d’être physiquement
autonomes sur le tournage.
Filmer les femmes en débat
L’objectif des productions vidéo féministes est double :
-
prendre à parti les hommes en les contraignant à admettre que les femmes
tiennent un discours politique au même titre qu’eux, et en premier lieu, en
tant que femmes dans une société sous domination masculine
interroger les femmes sur les stéréotypes féminins qu’elles ont intégré qui
les maintiennent en minorité dans le débat social
Le film Y a qu’à pas baiser est significatif en ce sens. Réalisé en 1971 dans le
sillage des manifestations féministes pour le droit à l’avortement, le titre est inspiré
par la réaction d’une femme âgée qu’une militante interroge dans la rue. Cette
phrase, retournée contre elle, prise en dérision, cristallise le combat qui se mène
au sein des femmes, en partie lié aux différentes générations de femmes que ce
combat met en jeu. Le film montre plusieurs femmes qui se tiennent sur le trottoir,
assistant au défilé. Interrogées, elles affirment qu'elles approuvent sa
revendication, mais lorsqu'elles sont invitées à le rejoindre, elles déclinent. L'une
d'elles prend son âge pour prétexte. La moue résignée d'une autre exprime ses
obstacles intérieurs.
Un autre film féministe, diffusé en 1975, fait part du débat qui éclot parmi les
femmes : «Miso
et Maso vont en bateau », réalisé par le collectif : « Les
Insoumuses ». Il s'agit d'un détournement vidéo d'une émission télévisuelle
consacrée à « l'année de la femme » qui vient de s'écouler. Animée par Bernard
Pivot, elle réunit des intellectuels, des hommes de média, et Françoise Giroud,
alors secrétaire d’État à la condition féminine. L'émission est restituée en
intégralité, mais interrompue par des panneaux manuscrits sur lesquels des
militantes expriment leurs réactions. Si elles dénoncent les propos sexistes des
invités, elles se scandalisent également de l'incapacité de Françoise Giroud à
assumer elle-même cette dénonciation, en tant que femmes, responsable
politique appelée à représenter les femmes. Le carton de la fin du film, rédigé
d'une écriture manuscrite comme la plupart des cartons des films féministes, est
un texte-manifeste qui vise à relancer le débat de la représentation : « Aucune
image de la télévision ne peut ni ne veut nous refléter. C’est par la vidéo que nous
nous raconterons. » Cette assertion fait fi de démarches télévisuelles qui ont visé
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à donner la parole aux femmes, sinon à leur en confier la réalisation. Outre le
sujet du 20 juillet 1971, « Kate Millett et la condition de la femme », déjà cité, il
faudrait ajouter l’émission « Dim Dam Dom », produits par Daisy de Galard,
diffusée de 1965 à 1970, dont les contenus traitaient régulièrement de la condition
des femmes dans la société française. Par ailleurs, c’est la même la cause des
femmes que les Insoumuses et Françoise Giroud défendent. De même que le
débat au sein des femmes est généré par le côtoiement des générations
auxquelles elles appartiennent, il est avivé par des positionnements politiques
inconciliables parmi les activistes de la lutte qui se mène en leur nom. Il est vrai, à
voir « Miso et Maso vont en bateau », que l’on est frappé par le ton conciliant avec
lequel Françoise Giroud accueille les assauts de misogynie de la part des
hommes journalistes et intellectuels auxquels elle est confrontée. Le film dénonce
la modération capitularde à laquelle s’astreint la femme de responsabilités, isolée
dans la sphère de décision à laquelle elle a accédé.
Des images pour toutes les femmes
Nous identifions dans les réalisations féministes les éléments qui caractérisent le
film militant : saisir l’événement saillant d’un conflit social (cinéma d’intervention)
et susciter le débat en donnant la parole à ceux qui ne l’ont pas. Longtemps à
l’usage de la lutte ouvrière, ces potentialités revendicatives et mobilisatrices du
cinéma sont prises à leur compte par les militantes féministes. De même que les
films socialistes se portent sur tous les fronts de la lutte prolétarienne, la
production féministe s’emploie à refléter la diversité des situations qu’engage la
lutte égalitaire qu’elle seconde. Or, cette dynamique l’amène à porter le débat au
sein même de la population ouvrière, pendant le temps d’une lutte menée en son
nom, comme en témoignent les films « Christiane » et « Monique ». Réalisés en
1973 dans le contexte de la grève dans les usines LIP, ils mènent naturellement
de la parole ouvrière à la parole des femmes ouvrières, ouvrant de cette façon un
nouveau front de revendications : les femmes ont autant à dire que les hommes
sur la condition prolétaire, or elles ne sont pas à mêmes de le faire. Ce sont les
prénoms des femmes interrogées qui informent le titre des films féministes où
elles apparaissent. Elles y deviennent sujet à part entière, voire constituent leur
unique centre d’intérêt. Avec « Christiane et Monique », réalisé plus tard, en 1976,
nous constatons l’autonomisation de la lutte féministe au sein de lutte ouvrière.
L’ouvrière prénommée Christiane explique les difficultés qu’elle a rencontrées
pour prendre la parole au sein d’un meeting. Dans le même film apparaît l’ouvrière
prénommée Monique, déjà interrogée dans le film éponyme, réalisé en 1973, où
elle réagissait à l’actualité de la lutte dans les usines. Reprenant la parole trois
ans après, elle fait état des comportements sexistes au sein de l’organisation qui
mène cette lutte. De cette façon, le film militant s’ouvre à une démarche réflexive,
ouverte à l’auto-critique qui fait écho au slogan : « Il y a situation pire que
prolétaire, c’est femme de prolétaire ».
L’approche genrée du film ouvrier rejoint celle qui concerne le cinéma
d’exploitation dont nous avons parlé plus haut. Les militantes féministes ont
observé dès les débuts des années soixante-dix que les femmes n'avaient pas eu
accès à la parole ou à la représentation politique ni pendant le mouvement de mai
68, ni pendant les grèves ouvrières qui ont suivi. Un film comme « La reprise du
travail dans les usines Wonder » s'il se concentre sur un personnage de femme,
est le fait d’une équipe d’hommes, celle constituée par des étudiants de l’IDHEC
mené par Jacques Willemont. Jacques Mandelbaum a écrit à son sujet : « il en
ressort qu'entre le réformisme communiste et le jusqu'auboutisme gauchiste, c'est
la jeune femme, dans son refus viscéral, dans sa fulminante solitude, qui emporte
cinématographiquement le morceau. » Pour autant, elle ne reste pas au sein du
débat pour contribuer à le structurer, mais se limite à une apparition fascinante qui
l'électrise sans en changer la donne. Comme les clichés montrant des femmes
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pendant les manifestations, portant un drapeau ou opposant une fleur à un canon
de fusil : ce sont davantage des icônes de la lutte que des personnes politiques
qu'on écoute. Il reste aux femmes à s'approprier le discours tenu à leur sujet en
commençant par le générer et le médier.
En portant les films féministes réalisés dans le contexte des grèves ouvrières,
Vidéo out est restée dans une configuration politique balisée par la lutte syndicale.
Il lui restait à atteindre les catégories marginales de femmes dont aucune
organisation n’a structuré durablement la parole, comme les prostituées. Là
encore, la production a mis à profit un événement contestataire : au printemps
1975, quelques deux cents femmes ont occupé l’église de Saint-Nizier à Lyon
pour protester contre le harcèlement policier et la pression fiscale dont elles font
l’objet. Le film « Les prostituées de Lyon parlent » réalisé à cette occasion relaie la
parole, claire et digne, de leur représentante. A l'extérieur de l'église, l'équipe
militante a aménagé l'installation de moniteurs vidéo qui relaient la captation des
entretiens. La seconde partie du film montre les passants qui se sont massé
devant les écrans. Le contrechamp scrute leurs visages attentifs. Ce n'est plus
uniquement la manifestation, c'est la médiation vidéo qui s'impose dans l'espace
public pour le transformer en forum, ou plutôt, pour révéler sa vocation à le
devenir. Par ailleurs, le film a mis un visage, une voix, à des femmes qui sont
habituellement représentées comme des silhouettes anonymes stationnant au
coin de la rue, objets de désir qui fascinent comme des statues animées. Le
dispositif mis en œuvre dans « Les prostituées… » met l’espace urbain en
perspective et le révèle comme espace politique d’interpellation et d’information. Il
rapporte en l’amplifiant la parole qui se dit de l’autre côté du mur que longent les
passants, mettant au grand jour la souffrance anonyme que la rue secrète.
Carole Roussopolos a fondé en 1982 le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir
consacré à la mémoire de la lutte des femmes telle que la vidéo l’a captée. C’est
un effort pour que ses films dépassent le cadre ponctuel du cinéma d’intervention
et constituent autant d’étapes d’une lutte qui se poursuit.
Par ailleurs, la démarche d’Agnès Varda annonce l’implication de femmes de plus
en plus nombreuses dans la création cinématographique. Cette évolution
égalitaire s’observe en particulier dans le cinéma documentaire. Varda expliquait
au début des années 2000 que l’avènement des caméras légères avait achevé
son émancipation de réalisatrice. Devenue autonome au tournage, elle était à
même de suivre ses intuitions :
Il ya aussi le côté ‘carnet de notes’ , quelque chose qui se passe dans la solitude
des idées ou des envies d’images liées à ne impression personnelle, et peut-être
que avec cette pensée ou cette petite impression, on n’irait pas jusqu’à dire à un
opérateur : « Tu veux bien filmer ma main parce que j’ai des taches…’ Ça me fait
suer, je n’ai pas envie de lui demander ça, je n’ai pas envie qu’il les regarde, j’ai
envie de les regarder moi-même. » (« Le numérique entre immédiateté et
solitude », une table ronde avec Alain Cavalier, Caroline Champetier, Raymond
Depardon, Thierry Frémaux, Thierry Jousse et Agnès Varda dans Les Cahiers du
cinéma, juil..-aout 2001).
Sans doute les femmes documentaristes qui se sont révélées dans les mêmes
années (Claire Simon, Solveig Anspach, Dominique Cabrera, Claudine Bories…)
ont initié leur démarche à partir d’un semblable constat. Libres de décider de leur
environnement technique, elles étaient à mêmes de développer un regard féminin
sur le réel, répondant ainsi aux vœux de Viviane Forrester exprimés vingt ans plus
tôt.
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