Relations entre les Amérindiens et les esclaves

Transcription

Relations entre les Amérindiens et les esclaves
Mardi 10 juin 2014
Place des chaînes brisées
Alexis Tiouka
La mémoire orale
Les Anciens témoins
et transmetteurs
d’histoires et de
l’Histoire.
Ouvrage co-rédigé
par Félix Tiouka et
Gérard Collomb.
Paru chez Ibis Rouge.
“Quand les Espagnols étaient arrivés, ils ont vu qu’il y avait de l’or, alors
ils sont repartis pour chercher des armes, des fusils… Beaucoup de
bateaux sont revenus, les chamanes excitaient contre eux les grands
requins, et aussi les esprits des eaux. Les bateaux coulèrent…
Les Espagnols durent à nouveau repartir, les Kali'na avaient gagné la
bataille. Mais ils sont revenus avec un prêtre, ils amenaient aussi des
barriques de rhum, de vin, beaucoup de cadeaux, des haches, des sabres,
des miroirs, du tissu…Le prêtre est arrivé, il s'est agenouillé avec sa Bible
en face du chef… C’est parce qu’ils avaient déjà beaucoup combattu, que
beaucoup de sang avait déjà coulé, que les Espagnols l'avaient fait venir.
Le prêtre s’est agenouillé devant le chef, il a avancé vers lui, en lui
présentant les cadeaux, mais les Kali'na les refusaient. Le prêtre a fait
amener les barriques de rhum et de vin. Les Kali'na se saoulèrent et
tombèrent, ivres. Les Espagnols les tuèrent à coup de bâtons sur la tête.
Tu vois mon fils, les gens de Dieu ont tué beaucoup de Kali'na…
Ensuite, les Blancs ont voulu prendre les Kali'na comme esclaves, mais
ils ne se sont pas soumis. Alors les Kali'na ont été contraints de partir,
vers l'est, vers l’ouest, dans la forêt, d’autres sont partis vers le
Brésil… Voilà pourquoi il y a des Kali'na à l’intérieur, ce sont les
descendants de ceux qui se sont enfuis. ”
SAINT-LAURENT DU MARONI, VILLAGE PIERRE.
Mobilités
territoriales dues
à la colonisation
Un déplacement
progressif vers
l’Ouest.
Un témoignage
1838, le Gouverneur Ducamper :
« Ces Indiens habitaient
Quelques dates
1820 : occupation de la
région située à l’Ouest de
l’Iracoubo
Après 1830 : fondation du
bourg de Mana
antérieurement sur les rives du
Maroni, mais peu satisfaits des
Hollandais, ils sont venus s'établir sur
la Mana et ils vivent en très bonne
intelligence avec les habitants de la
nouvelle colonie ; […] Quoique ces
hommes ne puissent être considérés
comme appartenant à la population de
Mana, ils y viennent cependant si
fréquemment que l'on est entièrement
familiarisé avec eux. Ils se rendent
même souvent utiles lorsque l'on a
besoin de gibier ou de poisson, ou que
l'on a à employer leurs pirogues pour
de longues courses ; ils pagayent bien
et longtemps.»
Rapport du Gouverneur Ducamper,
1/09/1838, Archives départementales
de la Guyane, Série X, 160, 186.
Un témoignage
Quelques dates
1846 : création d’Albina
1858 : installation des
établissements
pénitentiaires
1855 : ruée vers l’or
« Contraints de partager un espace au sein
duquel ils avaient jusqu’alors pu inscrire
leurs activités et leur imaginaire, ils vont
toutefois affirmer symboliquement leur
inscription territoriale dans l'ouest
guyanais, à travers un récit fondateur qui
fait des villages de la basse Mana et du bas
Maroni le coeur d’un « pays Kali’na » en
Guyane. Ce récit relate un véritable
recommencement du monde après
l'effondrement démographique et le
fractionnement politique entraînés par la
présence européenne ; il rapporte les efforts
auxquels se sont livrés des chamanes kali’na
pour faire revenir les morts sur terre, dans
l’ancien village Ulemali Unti, sur le cours
inférieur de la Mana où, dit-on, « tous les
Kali'na s'étaient rassemblés » (Collomb
2001a). La référence à cet épisode connu
sous le nom « Epaka’non » demeure
aujourd’hui encore un des éléments forts de
la tradition orale chez les Kali’na tilewuyu,
une des références qu’ils peuvent mobiliser
pour bâtir une identité collective et fonder
leur inscription territoriale dans la basse
Mana et le bas Maroni. » (Collomb).
Une présence dans les habitations jusqu’à la fin du 18 e au
Surinam
“ Il est à Cayenne une autre sorte d'esclaves qui, s'ils ne sont pas aussi
propres que les nègres à la culture de la terre, le sont bien davantage au
dedans de la maison, pour la pêche, la chasse et autres menus services ;
ce sont des Indiens et Indiennes naturels du pays, mais au loin dans les
terres, pris en guerre ou autrement par ceux habitants les côtes. On
avait coutume d'aller à la traite de ces esclaves chez les Indiens des
environs du Cap de Nord. Un courcourou faisait le prix de chaque tête.
Un courcourou est un panier assorti de certaine quantité et qualité des
marchandises comme toiles blanches, haches, serpes, palettes de fer
propres à creuser des trous pour placer en terre les pieux et fourches
dont les cases sont construites, de la menue rassade blanche et bleue,
des trompes petits instruments de fer dont jouent les laquais les
mettant à la bouche, des rasoirs de balle, de petits miroirs de trois ou
quatre sols, et des couteaux à manche d'os. ” (Mémoire concernant la
colonie de Cayenne, par d'Albon, 1709-1710, AN C14 [Guyane] 06/89).
Le Gouverneur Fiedmont s'élevait encore en 1767
contre ces pratiques en apprenant que des Galibis,
encouragés par les planteurs du Suriname,
s’apprêtaient à remonter le Maroni “ pour tomber sur
les Emerillons, les détruire ou faire esclaves pour les
vendre ; que plusieurs ont été tués ou vendus à
Suriname il y a quelques mois par ceux de Marony qui
font encore de nouveaux préparatifs contre les Indiens
qui sont sur notre territoire. ” (Instructions données
par Fiedmont à Brisson et Beaulieu. AN, C14 [Guyane],
34/38, 16 mars 1767.)
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Au Surinam
La création de
nouveaux conflits
Une modification
des rapports établis
traditionnellement
Source : Koelewijn
Cees, Peter Rivière
(1987).
La mémoire de ces
guerres
Les Tiriyo au
Surinam.
Source image :
http://fr.wikipedia.or
g/wiki/Tiriy%C3%B3
La création de
villages
Bas Itany (rivière
Lawa), bas Marwini
Les expéditions avaient aussi pour but de se procurer
des épouses :
“Quand les Indiens des deux tribus se rendaient en
visite les uns chez les autres, les Galibis, avec leurs
marchandises qu'ils tenaient de la côte, les Galibis
qui manquaient de femmes, dit toujours la
tradition, les Galibis séduisaient et enlevaient les
femmes des Roucouyennes [c'est-à-dire des
Wayana].” Grenand 1982.
H. Coudreau, cité par Grenand 1982, p. 289.
1767 : le gouverneur Fiedmont
“Comme il nous est revenu que la nation des Émerillons, qui ne respirent que la
paix et ne désirent que d'éviter la guerre injuste à laquelle les forcent les Indiens
des Hollandais et dont toutes nos autres nations ressentiront bientôt les cruels
effets, ne peut abandonner ses établissements pour s'en préserver sans s'exposer
d'un autre côté à la disette jusqu'à ce qu'elle ait pourvu par de nouvelles
plantations à sa subsistance ; que les agresseurs sont excités par des nègres
mulâtres et autres sujets de Surinam qui ont intérêt à la perpétuer et qui la
peuvent porter dans le centre de notre province, qu'ils se proposent d'y venir
encore faire des courses en force et à main armée, pour tomber sur les
Émerillons, les détruire ou faire esclaves pour les vendre ; que plusieurs ont été
tués ou vendus à Surinam il y a quelques mois par ceux de Marony qui font
encore de nouveaux préparatifs contre les Indiens qui sont sur notre territoire.”
Quelques années plus tard, il relève encore que des Kali'na remontent le
Maroni "pour se joindre à d'autres nations pour aller faire des courses sur les
atotos, qu'ils massacrent pour enlever les jeunes femmes et enfants que les
hollandais leur achètent".
Instructions données par Fiedmont à Brisson et Beaulieu. Archives nationales C14, 34/38, 16 mars 1767.
La fin des
expéditions
Fin du 18e siècle.
Source image :
http://webtice.acguyane.fr/histgeo/I
MG/pdf/livret_peda
gogique.pdf
2 e moitié du 18 e siècle
Des tentatives
ratées de
sédentarisation
Le captitaine souhaite
obtenir “des outils pour
abattre des bois et
cultiver la terre. Il
demande que le roi lui
fasse l'avance de quatre
vaches et juments
pleines pour se livrer à
la population de ces
bestiaux, et il a engagé
un Blanc du voisinage
(le sieur Jacquet), pour
donner les instructions
nécessaires dans les
commencements sur les
soins à en prendre”.
Source : Archives nationales - C14, 60/71,
3 mars 1786, Fitz-Maurice et Lescallier au
Ministre de la Marine et des Colonies. Le
Roux Yannick, L'habitation guyanaise
sous l'Ancien régime, Thèse de doctorat
de l'Ehess, Paris 1995.
il faut “ramener ces nations que la mauvaise conduite des
habitants envers eux et tous les malheurs de la colonie avaient
éloignés et rendus contraires à leurs intérêts ; regagner leur
confiance et amitié ; les attirer dans l'intérieur de la colonie et
dans le voisinage ; les engager à s'y fixer, exciter et encourager les
mariages des colons avec des Indiennes, s'instruire de tout ce qui
se passera entre eux, de leurs marchés conventions et habitudes
avec les Blancs ou les esclaves ; avoir attention qu'il ne soit exigé
d'eux aucun travail forcé et contraire à leurs inclinations ; que le
salaire dont on sera convenu avec eux de gré à gré soit
exactement payé ; empêcher tout ce qui pourrait troubler leur
tranquillité et la liberté dont ils doivent jouir comme les autres
colons et sujets du Roi dont ils ont également la protection ;
vérifier leurs plaintes contre les habitants et autres, pour qu'il
leur soit rendu […] satisfaisante justice ; les engager ainsi que
les colons à courir sur tous les déserteurs soit blancs soit
noirs et les arrêter morts ou vifs tant sur mer que sur terre ;
et enfin veiller avec le plus grand soin aux intérêts de
toutes ces nations relativement à ceux de la colonie.”
Fiedmont au Ministre de la Marine et des Colonies, 11 mars 1767,
Archives nationales -C/14/ 34/029
Les Mulato
L’acceptation
la chasse
Le
métissage
L’accueil
des
réfugiés
NoirsMarrons
La peur et
l’alliance
avec les
colons
"Les indiens de cette partie nord, qui allaient souvent à Surinam y
servaient de guides aux détachements des hollandais contre les nègres
marrons, et par conséquence ils étaient en guerre contre eux. Ils furent
d'abord effrayés du passage des nègres et abandonnèrent leurs
établissements pour venir se mettre sous la protection du fort de
Marony, que je leur avais dit avoir fortifié pour leur sûreté contre ces
nègres« - Réponse au Mémoire de l'abbé Jacquemin, Archives
nationales/Outre-mer - DFC Guyane 355, 1784.
De retour de la Guyane hollandaise, Malouet notait en 1777 “que les
marrons hollandais, poursuivis vigoureusement, avaient passé le
Maroni et se réfugiaient chez les Français. Que M. de Fiedmont faisait
des préparatifs pour les attaquer et que nos indiens, épouvantés de
l'incursion de ces nègres qui s'emparaient de leurs places à vivre,
fuyaient aussi sur la côte, abandonnant l'intérieur des bois et des
rivières à ces nouveaux hôtes.”. Malouet, Relation de son voyage à
Surinam, Archives nationales/Outre-mer - DFC Guyane 63/289 à 344.
"Après le passage de la rivière de Maroni par ces nègres sur nos
possessions […], (les indiens) naviguaient sans crainte dans cette rivière,
ils furent cependant effrayés en remontant dans une pirogue lorsqu'ils
ont rencontré sept des nègres qu'ils voulaient inutilement éviter ; ils
furent bientôt joints par une de ces pirogues avec un pavillon blanc en
leur criant banaré qui veut dire ami en langue indienne, et les
amenèrent au rivage où ils furent accueillis avec beaucoup de
démonstrations d'amitié et furent invités à manger de leur pêche. Le
chef de la pirogue indienne qui va souvent à Surinam entend le jargon
des nègres. Un chef d'un établissement des marrons réfugiés lui assure
qu'ils n'étaient point ennemi des indiens […], qu'au contraire ils
voulaient faire banaré […]. Ensuite il tira du sang de sa main, qu'il fit
tomber dans un vase, l'indien en a fait de même ; ils ont mêlé leur sang,
et l'ont bu.[…]".
Rapport du Gouverneur Fiedmont, 29 avril 1780, Archives nationales C14, 52 / 015.
Jusqu’aux années 1980 avec les Aluku et les Ndyuka :
- Cohabitation (exemple du village de Bigiston)
- Emprunts culturels croisés
- Échanges économiques
- Respect de la culture de l’autre
À partir de la guerre civile au Surinam les relations
changent à cause des jeux d’alliances qui se sont noués
à cette époque.
Les Peuples qui ne cultivent pas leurs mémoires ne
seront jamais capables, de construire leur propre
histoire et manqueront d'indépendance et de
souveraineté.
Ils ne seront pas capable d’interpréter leur passé,
d'affronter leur présent ou de projeter leur futur.
Citation Alexis TIOUKA
Je vous remercie
Collomb, G. et Tiouka, F. DATE. Na’na Kali’na. Une
histoire des Amérindiens en Guyane. Cayenne : Ibis
Rouge.
Koelewijn Cees and Peter Rivière, Oral literature of
the Trio Indians of Surinam. Dordrecht, Foris
Publications, 1987, p.279.