L`innovation : repères historiques, définition, enjeux

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L`innovation : repères historiques, définition, enjeux
L’innovation : repères historiques, définition, enjeux
Conseils de lecture
- Doc 1 : repérez 1/ la différence essentielle entre les deux vagues d’invention technique au XIXè siècle,
2/ comment l’innovation technique contribue à creuser les écarts entre nations au XIXème siècle.
- Doc 2 : distinguez et illustrez la double définition de l’innovation.
- Doc 3 : 1/ repérez les principales motivations des entreprises à innover (et les mécanismes économiques qui
les sous-tendent), 2/ comprenez pourquoi le fait que l’innovation soit un bien public peut poser des difficultés.
1 RIOUX Jean-Pierre (1971), La révolution industrielle 1780-1870, Paris, Seuil, coll. « Points », p. 68-72 La première vague technique reposait souvent sur des recherches patientes d'artisans devenus techniciens féconds. Vers 1840-­‐1850, tout se modifie. Une nouvelle vague des inventions déferle, qui va occuper des zones nouvelles, consolider les positions acquises et lier le progrès technologique à celui des sciences. On assiste d'abord à des perfectionnements, en puissance et en rendement, des machines existantes. Sur la machine à vapeur, on renforce les chaudières, on place des cylindres horizontaux, on les couple en accroissant la puissance dans les machines « compound » ; en 1884, la turbine de Parsons donne une nouvelle vigueur à l'usage de la vapeur. De multiples inventions plus mineures modifient radicalement les conditions de travail de secteurs nouveaux de la production. Les pièces interchangeables, sur un système pratiqué très tôt aux États-­‐Unis par Whitney et North, permettent d'abaisser les prix de revient et l'amortissement des machines. La vis, l'écrou, le boulon permettent partout des assemblages compliqués. Une série de machines assure de nouvelles percées du secteur moderne : la presse hydraulique, les filetages de précision, le marteau-­‐pilon, le marteau-­‐piqueur pneumatique, les machines-­‐outils (fraiseuses, raboteuses, aléseuses) avec ou sans tourelles, la machine à coudre, les rotatives d'imprimerie, les machines à écrire, les moissonneuses, les batteuses. Pêle-­‐mêle, elles triomphent après 1860 et généralisent le système industriel de production de masse. D'autres inventions modifient radicalement la vie quotidienne des zones industrielles : l'allumette, la montre à bas prix, la boîte de fer-­‐blanc cerclée pour les conserves alimentaires, la céramique domestique, la lampe à pétrole, le ciment. Et l'avenir est désormais mieux assuré, car les techniques s'appuient sur la recherche scientifique. Il avait fallu attendre un quart de siècle après son invention pour découvrir la théorie physique de la machine à vapeur. Désormais l'esprit scientifique s'impose à la technique. Les découvertes fondamentales de la physique nouvelle, conservation de l'énergie, analyse spectrale, thermodynamique, phénomènes vibratoires, dynamo, ont des applications concrètes : l'électricité se répand pour l'éclairage urbain ou domestique dès 1870 ; la dynamo de Gramme en 1869 permet d'envisager un moteur électrique. Le télégraphe électrique remplace celui de Chappe. La houille blanche actionne les premières turbines dans les Alpes dès 1869 grâce à Bergès. Enfin, la chimie moderne naît. À la fin du XVIIIe siècle, elle avait révélé ses possibilités industrielles : l'étude du chlore par Berthollet en 1772 avait permis de créer en 1777 la première usine produisant de l'eau de Javel ; la découverte par Leblanc de la soude industrielle en 1791 est à l'origine de grandes entreprises comme Saint-­‐Gobain en 1806 ou Kuhlmann en 1825. Après 1850, la chimie maîtrise mieux son domaine : Mendeleïev classe les éléments, Sainte-­‐Claire Deville isole l'aluminium en 1854, Berthelot assure le lien entre chimie minérale et chimie organique par la première synthèse, celle de l'acétylène, en 1863. Désormais recherche et application industrielles vont de pair. En 1860 Bayer et Weskutt fondent une usine produisant la teinture d'aniline qu'ils viennent de découvrir, et l'Allemagne devient la grande productrice de colorants synthétiques. L'engrais chimique, la dynamite, la pharmacie industrielle, les bakélites sont découverts vers 1860-­‐1870, donnant une nouvelle vigueur à l'industrie nouvelle. Couronnant cet immense effort, l'utilisation de sources nouvelles d'énergie prépare un étalement de la révolution industrielle pour la fin du siècle, avec le pétrole, l'électricité et le moteur à explosion. Le relais par la science lance donc la croissance industrielle accélérée : le mouvement s'entretiendra désormais par lui-­‐même. (…) Mais cette vision optimiste ne doit pas trop abuser. L'essor scientifique et technique est bientôt parfaitement maîtrisé par les entrepreneurs, utilisé par eux en fonction des possibilités et des espoirs de profit. Par exemple, la Russie du milieu du XIXe siècle voit s'accumuler les inventions (machine à filer de Glinkov, acier fondu d'Anouzov, cisailles de Zvorykine) qui ne reçoivent pas d'application massive, car le pays n'est pas mûr pour la révolution industrielle. La supériorité technique de la Grande-­‐Bretagne, la nécessité de débaucher à grands frais ses 1
ouvriers et ses techniciens pour installer une industrie nouvelle, celle d'acheter ses machines, peuvent enfoncer un pays dans la subordination, comme l'Espagne ou l'Irlande. Pour d'autres au contraire, comme la France ou l'Allemagne, l'orgueil national refuse l'économie dominante et impose des formes originales de progrès techniques, rentabilise les produits dont les Anglais ne dominent pas la vente. Parfois aussi, le progrès technique se ralentit lorsque les affaires prospèrent. Mais qu'intervienne une conversion au libre-­‐échange (c'est le cas de la France après le traité avec l'Angleterre de 1860) ou que se déclenche une crise économique sérieuse, une reconversion nécessaire impose l'utilisation de techniques nouvelles. Des secteurs sont ainsi rentabilisés, comme la métallurgie et le textile français. Mais tout aussi bien des zones condamnées peuvent survivre grâce à une adaptation technique faite à temps, des secteurs artisanaux se maintenir. En fait, « la technique n'est pas une donnée, mais une variable » (1). Elle s'impose facilement lorsqu'il s'agit de conquérir un nouveau marché qui ne dérange pas les vieilles pratiques des autres secteurs. Dans la métallurgie par exemple, la production courante est laissée aux anciens ateliers et les usines nouvelles s'intéressent surtout aux rails, aux canalisations. Puisant dans le flot des nouveautés scientifiques, l'innovation technique est strictement canalisée vers les secteurs d'urgence et les grosses entreprises capables d'acheter et de rentabiliser un matériel sans cesse plus coûteux. L'explication de cette tendance est strictement économique : certains secteurs innovent parce qu'il s'agit d'y pousser la division et la rentabilité du travail, qu'il y faut lutter contre le trend (2) séculaire de baisse des prix et compenser par une production accrue la baisse tendancielle des taux de profit. La technique et la science, servantes du capitalisme, contribuent à abaisser les prix de revient et à maintenir le profit. Après seulement, les idéologies du progrès scientifique et du positivisme pourront donner aux bonnes consciences bourgeoises les alibis les plus variés et confondre profit et civilisation. (1) B. GILLE, « Recherches sur le problème de l'innovation », Cahiers de l'I.S.E.A., série AD, n° 1, 1961. (2) Tendance séculaire monotonique, à la hausse ou à la baisse, des productions et des prix 2 Livre Vert sur l’innovation, Commissions Européenne, 1995 (extrait) Téléchargeable sur http://europa.eu/documents/comm/green_papers/pdf/com95_688_fr.pdf L’innovation : un phénomène aux multiples facettes Le terme "innovation" comporte une certaine ambiguïté: dans le langage courant, il désigne à la fois un processus et son résultat. Selon la définition qu'en propose l'OCDE dans son "manuel de Frascati", il s'agit de la transformation d'une idée en un produit ou service commercialisables, un procédé de fabrication ou de distribution opérationnel, nouveaux ou améliorés, ou encore une nouvelle méthode de service social. C'est le processus que l'on désigne ainsi. A l'inverse, quand on évoque par le mot "innovation" le produit, l'équipement, le service nouveau ou amélioré qui s'impose sur le marché, l'accent est mis sur le résultat du processus. Cette ambiguïté peut être source de confusion: quand on évoque la diffusion de l'innovation, fait-­‐on référence à la diffusion du processus, c'est-­‐à-­‐dire des méthodes, des pratiques qui permettent d'innover, ou bien à la diffusion des résultats, c'est-­‐à-­‐dire des produits nouveaux ? La différence est de taille. Dans le premier sens du terme (processus d'innovation) on s'attache à la manière dont l'innovation est conçue et produite, aux différentes étapes qui y conduisent (créativité, marketing, recherche et développement, conception, production et distribution) et à leur articulation. Il ne s'agit pas d'un processus linéaire, aux séquences bien délimitées et à l'enchaînement automatique, mais plutôt d'un système d'interactions, d'allers et retours, entre différentes fonctions et différents acteurs dont l'expérience, la connaissance, le savoir-­‐faire se renforcent mutuellement et s'accumulent. D'où l'importance de plus en plus grande prêtée dans la pratique aux mécanismes d'interactions internes à l'entreprise (collaboration entre les différentes unités, association et participation des salariés à l'innovation organisationnelle) mais aussi aux réseaux qui associent l'entreprise à son environnement (autres entreprises, services d'appui, centres de compétences, laboratoires de recherche, etc.). La relation avec les utilisateurs, la prise en compte de la demande exprimée, l'anticipation des besoins du marché et de la société revêtent une importance tout aussi grande sinon plus, que la maîtrise des technologies. Dans la seconde acception (l'innovation résultat), on s'attache au produit, procédé ou service nouveau. On distingue alors l'innovation radicale ou de rupture (ainsi le lancement d'un nouveau vaccin, le disque compact) et l'innovation progressive qui modifie, par améliorations successives, les produits, procédés ou services (par exemple, l'introduction de microprocesseurs 32 bits à la place de ceux à 16 bits dans les équipements électroniques, ou l'introduction de l'Airbag dans les automobiles). 2
3 OCDE (2005)* : Le Manuel d’Oslo – La mesure des activités scientifiques et technologiques, 3ème édition Téléchargeable sur www.oecd.org/dataoecd/35/58/2367554.pdf Il est capital de comprendre pourquoi le changement technologique se produit, pourquoi les entreprises innovent. La raison, selon les travaux de Schumpeter, est que les entreprises cherchent à s’assurer des rentes. Un nouveau dispositif technologique procure certains avantages à l’innovateur. Lorsqu’il s’agit d’une innovation de procédé aboutissant à des gains de productivité, la firme bénéficie d’un avantage de coût sur ses concurrentes et elle est alors en mesure d’obtenir une meilleure marge bénéficiaire sur le prix du marché en vigueur ou, selon l’élasticité de la demande, elle peut tirer parti tout à la fois de ses prix plus bas et de sa marge bénéficiaire plus élevée pour gagner des parts de marché sur ses concurrents et chercher à se procurer de nouvelles rentes. Lorsqu’il s’agit d’une innovation de produits, la firme jouit d’une position de monopole grâce soit à un brevet (monopole légal) soit au temps que mettent ses concurrents à l’imiter. Forte de ce monopole, la firme est à même de fixer des prix supérieurs à ceux qui seraient possibles sur un marché concurrentiel et elle bénéficie donc d’une rente. D’autres travaux ont mis l’accent sur l’intérêt qu’a une firme à prendre position par rapport à ses concurrentes. Les entreprises innovent pour préserver leur position concurrentielle et aussi pour se procurer un avantage compétitif. Une firme peut réagir à une innovation d’une concurrente en innovant elle-­‐même pour ne pas perdre des parts de marché. Ou encore, elle peut prendre les devants et innover pour s’assurer sur le marché une position stratégique vis-­‐à-­‐vis de ses concurrentes, par exemple en élaborant et en s’efforçant d’imposer des normes techniques plus élevées pour les produits qu’elle fabrique. Le changement technologique ne va pas sans heurts. Les technologies nouvelles sont en concurrence avec celles qui sont bien établies et, dans bien des cas, elles s’y substituent. Les processus de diffusion technologique sont souvent très lents et impliquent habituellement des améliorations progressives aux technologies nouvelles et déjà rodées. Au milieu de ces turbulences, des firmes nouvelles prennent la place de celles moins aptes à s’adapter. Le changement technologique entraîne une réallocation des ressources, y compris des ressources humaines, entre les secteurs et entre les entreprises. Comme Schumpeter l’a souligné, le changement technologique peut être synonyme de destruction créatrice. Il peut être aussi une source de soutien et d’avantages réciproques entre concurrents, producteurs et clients. Une grande partie du savoir technologique présente les caractéristiques d’un bien public, étant donné que le mettre à la disposition de multiples utilisateurs revient moins cher que le créer et que, une fois diffusé, on ne peut plus en refuser l’accès à ces utilisateurs. Cette caractéristique pose deux grands problèmes aux innovateurs privés. Le premier a trait aux retombées positives de l’innovation (externalités positives), c’est-­‐à-­‐dire au fait que la rentabilité sociale de l’innovation est généralement plus élevée que la rentabilité privée (les clients et les concurrents bénéficient des innovations d’une entreprise). Le second problème est une autre facette du premier – le savoir ne peut faire l’objet d’une appropriation. Dans ce cas, la firme ne peut retirer tous les bénéfices générés par son innovation, ce qui peut amoindrir l’incitation à investir dans des activités d’innovation. Ainsi, lorsque le savoir technologique a les caractéristiques d’un bien public, les forces du marché qui, autrement, inciteraient les entreprises à innover, ne jouent pas (défaillance du marché). * Le Manuel d’Oslo est la principale source internationale de principes directeurs en matière de collecte et d’utilisation d’informations sur les activités d’innovation dans l’industrie. 3

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