Source LE TELEGRAMME heure américaine

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11 novembre 2012 / Erwan Chartier-Le Floch
1917-1918. Brest à l'heure américaine
Pontanézen, un quartier de Lambézellec, est transformé en vaste camp par le général américain
Pershing. Photo Archives municipales et communautaires de Brest
C'est aujourd'hui un épisode un peu oublié de la Première Guerre mondiale, mais dès 1917, les
Américains arrivent en force à Brest, leur port principal pour le débarquement de troupes et de
matériel. Dans une effervescence extraordinaire, la cité du Ponant va vivre de longs mois à
l'heure Yankee et verra même passer un président américain.
Au début de l'année 1917, la situation devient difficile pour la France et la Grande-Bretagne. Depuis
deux ans, la guerre s'est embourbée dans les tranchées. Certes, en 1916, les Allemands ont été
repoussés à Verdun, mais l'offensive alliée de la Somme a été un échec, très coûteux en hommes.
L'armée française commence à avoir des difficultés à remplacer ses effectifs, tandis que le moral n'est
guère au plus haut. Les mutineries se multiplient. Dans le courant de 1917, deux événements –la
situation en Russie et l'implication des USA- vont fortement influer sur le conflit. La révolution russe
débouchera sur la victoire des Bolchéviques qui font la paix avec le deuxième Reich. Les Allemands
rapatrient, dès lors, plusieurs divisions et des centaines de milliers d'hommes sur le front de l'Ouest.
L'Amérique dans la guerre
Mais Français et Britanniques vont pouvoir compter sur un nouvel acteur, les puissants États-Unis
d'Amérique. Depuis quelques années, l'opinion publique américaine se préparait à une intervention,
notamment après le torpillage par un sous-marin allemand du Lusitania, un paquebot avec lequel
périssent 124 Américains. Mais c'est surtout l'interception d'une dépêche allemande, en février1917,
poussant les Mexicains à attaquer les USA, qui les précipitent dans le conflit. Le président Wilson
signe l'entrée en guerre le6avril. Dès le mois de juillet, un premier contingent de Marines arrive à
Saint-Nazaire. Ils sont les éclaireurs d'une armée de 80 divisions que les USA mettent en place,
soutenus par leur extraordinaire machine industrielle. Rapidement, c'est cependant Brest (1) qui sera
choisie comme port principal de débarquement. Sa position géographique permet de réduire le temps
de traversée et sa rade profonde est appropriée au passage des grands navires.
1
Près de 804 000 soldats américains débarqueront dans le port de Brest.
Pontanézen et les boys
Les Américains arrivent à Brest le 12 novembre. Ces 12.000 premiers hommes sont chargés
d'organiser le débarquement et l'entraînement des troupes avant leur envoi sur le front. Le général
Pershing, le commandant en chef des troupes américaines voit les choses en grand et ne veut pas
s'engager avant d'avoir suffisamment de troupes, à savoir un million d'hommes. Pontanézen, un
quartier de Lambézellec est transformé en vaste camp par le génie américain (2). En un temps record,
des baraques et des entrepôts immenses sont construits, grâce notamment à une scierie importée
d'outre-Atlantique. Des travaux sont engagés sur le port de commerce (3) ou pour agrandir la gare.
Des voies de chemin de fer sont posées, notamment pour relier «Ponty», le camp de Pontanézen
comme le surnomment les Yankees. Il atteindra près de 700 ha. Les baraques accueillent jusqu'à
50.000 hommes et plus d'une quarantaine de mille autres sous des tentes. Au plus fort de son activité,
90.000hommes y transitent, soit l'équivalent de la population brestoise d'alors ! Les Américains
construisent également des infrastructures, notamment une station de pompage d'eau, à Kérinou. On
monte des salles de cinéma, de sport, de théâtre. Après une traversée souvent éprouvante, les soldats
US peuvent se détendre avant de rejoindre le front.
Jazz à l'ouest
Le 27décembre 1917, le lieutenant noir James Reese Europe, débarque du Pocahontas sur les quais de
Brest. Il dirige un ensemble musical, un brassband, une sorte de fanfare qui, aussitôt à terre,
commence à jouer une musique étonnante, extraordinaire qui résonne dans toute la ville et stupéfait
les Brestois. Ils sont parmi les premiers Européens continentaux à découvrir le jazz ! Le brassband
américain se lance même dans une «Marseillaise» pleine de swing qui laisse pantois les passants.
James Reese Europe n'était pas n'importe qui, mais l'un des meilleurs chefs d'orchestre de New York
et on lui doit, en partie, l'invention du fox-trot. Il avait été l'un des premiers noirs à enregistrer en
studio, en 1913. Engagé en 1915 dans l'armée, il va constituer un ensemble incomparable d'une
soixantaine de musiciens, les plus talentueux d'Harlem et de Porto Rico. C'est cette formation qui
arrive à Brest pour remonter le moral des troupes et qui introduira le jazz dans toute l'Europe. La
discrimination étant en vigueur dans l'armée américaine, ces Noirs seront en effet intégrés à l'armée
française où l'on surnomme l'orchestre le «Hell fighter band». Ils rembarquent en janvier1919,
toujours à Brest, et sont accueillis triomphalement à New York.
Un port stratégique
L'un des enjeux pour les Américains est aussi de neutraliser les sous-marins allemands, basés dans les
ports belges et qui infestent la Manche. Avec la Marine française, d'importants moyens sont mis en
œuvre pour contrer les U-Boot, notamment le déploiement d'hydravions chasseurs de submersibles.
Une base américaine est ainsi construite sur l'île d'Erc'h, à Plouguerneau. Treize avions y étaient
stationnés avec un demi-millier d'Américains. L'entrée en jeu des troupes américaines va accélérer
l'issue de la guerre. Épuisée, l'Allemagne demande la paix. L'armistice est signé le 11novembre 1918.
L'aventure américaine de Brest n'est pas terminée, car c'est par ce port que les troupes rembarquent.
Les derniers navires quittent la Bretagne en août1919. C'est aussi à Brest que débarque,
triomphalement, le président Wilson, le 13décembre 1918, sur le chemin de la conférence de la paix.
Il y repassera après la signature du traité de Versailles.
Pour en savoir plus : Les différents ouvrages du journaliste Roger Laouenan, dans la série «Les Bretons dans la grande
guerre», éditions Coop Breizh. Collectif, «Mémoire et trauma de la grande Guerre, Bretagne, Catalogne, Corse,
Euskadi, Occitanie», éditions TIR, 2010. «Brest», Alain Boulaire, René Le Bihan, éditions Palantines, Quimper, 2004.
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La base n° 5, possédant même son propre journal, le « Pontanezen Duckboard »
On notera aussi sur la carte le projet d’extension, par la poldérisation, du port de commerce