Sérophobie, les gays en parlent

Transcription

Sérophobie, les gays en parlent
>> été 2009
#04
SUISSE
Dossier
Sérophobie,
les gays en parlent !
II
>> Sommaire
V
VI
Comité de rédaction :
Nicolas Charpentier, Giancarlo Foglietta, Deborah
Glejser, Hervé Langlais, Xavier Lavatelli, Miguel
Limpo, Diego Lindlau, Guillaume Mandicourt,
Catarina Pereira, David Perrot, Dominique Poupry,
Céline Schaer, Cornelia Tinguely, Valéry.
III
VI
Edito
Dossier
Swiss, Sex and Sun
Sérophobie, les gays en parlent !
Coordination éditoriale :
Nicolas Charpentier,
Tél. : 022 700 15 00,
courriel : [email protected]
Par Nicolas Charpentier.
Remaides Suisse a enquêté sur un phénomène,
celui de la sérophobie ou encore le rejet d’une
personne parce qu’elle est séropositive. Le
phénomène est notamment vécu chez les
hommes gays, écoutons-les.
04
Suisse #
S
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ID
A
REM
Diffusion, abonnements
et petites annonces en Suisse :
Tél. : 022 700 15 00,
courriel : [email protected]
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Actus
Photo, news, vu sur internet, etc.
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V
Interview
Maquette : Nicolas Ducret.
Photos et illustrations avec nos remerciements :
Nicolas Charpentier, Nicolas Ducret, Stéphane Blot,
Yul studio, Romain, Rash Brax, Sofie Lauer, Kollr
Tawiz (Tomasz Sporek, www.kollr.prv.pl).
Remerciements à Jean François Laforgerie
(pour la relecture) et à Sofie Lauer, Sabrina Roduit
et Raoul Gasquez (pour leurs contributions).
Impression :
Corlet Roto, 53300 Ambrières-les-Vallées.
Trimestriel. Tirage : 3 000 ex., ISSN : 11620544.
CPPAP N°1212 H 82735.
Les articles publiés dans Remaides peuvent être
reproduits avec mention de la source.
La reproduction des photos, des illustrations et des
témoignages est interdite, sauf accord de l’auteur.
La reproduction des petites annonces est interdite.
Pénalisation en Suisse :
Vers la dépénalisation de l’exposition
au VIH
Témoin
Vous faites l’actualité
Dominique a vu ses prestations de santé
suspendues faute d’avoir payé ses primes
d’assurance maladie. Elle explique son
“parcours du combattant” pour se soigner.
A l’occasion d’un débat entre juristes
et médecins, Remaides Suisse a rencontré
Antonella Cereghetti, avocate à Lausanne,
qui a été amenée à défendre une personne
séropositive poursuivie pour avoir exposé
sa partenaire au VIH sans qu’aucune
contamination ait eu lieu.
Remaides Suisse
Groupe sida Genève, rue Pierre Fatio 17,
1204 Genève. Fax : 022 700 15 47.
Remaides sur internet :
www.groupesida.ch/filrouge
Antenne genevoise de l'Aide Suisse contre le Sida
Avec le soutien de l'Aide Suisse contre le Sida
et de ses antennes et membres romands
ainsi que de la République et canton de Genève.
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III
Edito <<
Swiss, Sex and Sun
our un numéro de l’été, Remaides Suisse se devait d’aborder un sujet que chacun affectionne lorsqu’il se fait dorer
la pilule au soleil : les rencontres et le sexe ! Cela devrait
être un sujet positif et léger, mais nous sommes encore allés dénicher ce qui ne va pas. Ce qui ne va pas et ce que vous rapportez
comme étant une énième discrimination liée à la séropositivité :
trop de rejets dans les rencontres, notamment entre hommes,
lorsque l’on parle de son VIH. Pourtant, me direz-vous : pourquoi
regarde t-on encore la personne séropositive d’un si mauvais
œil ? Surtout, quand on sait qu’une personne séropositive sous
traitement, dans la majorité des cas, ne peut pas transmettre
sexuellement le virus. Eh oui, c’est le résultat d’une charge virale
indétectable, notamment grâce à un traitement efficace. Ne faudrait-il pas le clamer haut et fort ? C’est déjà fait ! Ne faudrait-il
pas alors clamer, haut et fort, que l’image des séropositifs que
certains entretiennent est fausse et qu'elle fait tant de mal ?
P
C’est l’été, revenons-en au sexe. Le sexe,
c’est la vie, c’est le plaisir, c’est beau, c’est
fort, c’est tendre, c’est le pied ! Surtout
depuis mai 68. Sauf que ça s’est arrêté en
84. L’effet sida a tout stoppé. Ce que l’on
appelle souvent la “libération sexuelle”
représente comme un début avorté de
révolution pour nos libertés à tous et
toutes, notre droit à jouir quand on est un
homme hétéro, bi ou homo ou quand on
est une femme hétéro, bi ou homo, notre
droit d’avoir ou pas des enfants. Nos baby
boomers ont imposé une culture neuve et
dépoussiérée de la morale religieuse et de
la censure. Ce fut un élan majeur vers
l’égalité des sexes et des sexualités.
Seulement voilà, alors que la syphilis était
contrôlée et les contraceptifs bien rôdés,
le sida a permis à la morale de revenir au
galop. La lutte contre le sida : outil des
conservateurs, me direz-vous ? Peut être bien que oui ! Quel
séropositif n’a pas senti un regard pesant lorsqu’il évoquait sa
situation, éprouvé le malaise en entendant défiler tous ces noms
d’oiseaux : pédé, toxico, et bien d’autres. Il semble aujourd’hui
nécessaire de parler encore plus de sexualité, mais pas pour dire
aux gens de s'en protéger, aux jeunes de s'en protéger… A trop
insister sur les règles du safer sex pour tout le monde, l’effet
négatif n’est-il pas finalement que l’on se protège plus de l’autre
que du virus ? Et l’autre, n’est pas un ennemi, mais un partenaire.
L’autre n’est pas un malade, mais peut être une personne séropositive hautement responsable.
A y regarder de plus près, les relations entre séropositifs et séronégatifs montrent un besoin urgent d'échanges et le plus bel
exemple de partage entre séropositifs et séronégatifs, ce sont les
couples sérodifférents qui nous le donnent chaque jour.
Nicolas Charpentier
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>> Actus
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Suisse #
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REM
Premières Assises
contre l'homophobie à Genève
Les 4 et 5 septembre auront lieu les Premières Assises
contre l'homophobie à Genève. Organisées par la Fédération Genevoise des Associations LGBT (360°, Dialogai,
Lestime, Think out), ces Assises ont pour objectif d'insuffler une nouvelle dynamique aux associations et
institutions pour lutter contre les discriminations liées à
l'orientation sexuelle. L'accent sera mis sur les jeunes,
particulièrement touchés par l'homophobie et ses conséquences. Plus d'informations sur le site de la fédération :
www.federationlgbt-geneve.ch
Angelina
Dans le numéro précédent, nous annoncions des changements positifs dans la vie
d’Angelina. Depuis, l’avenir s’est, une nouvelle fois, obscurci pour elle, son dernier
recours ayant été inexplicablement rejeté
pas les autorités suisses. Déterminée à
rester parmi nous, Angelina est parvenue
à financer les 600 francs nécessaires à
une nouvelle demande de réexamen de
son dossier et travaille toujours pour faire
reconnaître ses droits. Soutenez-la, signez
la pétition : www.sidaction.ch
Révision de l’AI, la revanche
2012 serait l’année de l’entrée en vigueur d’une sixième révision de l’Assurance Invalidité. Énième révision afin de sortir ses comptes du rouge. D’ici là, une consultation va
durer jusqu’à fin 2009, et un texte sera présenté au Parlement en 2010. Sur quoi porte le
débat ? Un accent fort serait mis sur la “réadaptation des rentiers”. S’il s’agit de poursuivre la diminution du nombre des rentes, quelles conséquences pour les personnes
bénéficiaires ? Remaides Suisse suivra cette information et vous invite à partager votre
expérience : suspension, refus de rente ou simple opinion. Contactez Remaides Suisse :
[email protected]
La diversité sexuelle,
un défi pour l’éducation
C’est le titre d’une série d’articles proposée par le magasine 360° depuis le début
de l’année, dans la perspective des Premières Assises de l’homophobie, afin
d’alimenter la réflexion sur ce sujet et de
présenter des “initiatives ou des personnalités qui font bouger les choses”.
www.360.ch
Vu sur internet
La photo
Le message de la campagne Love Life 2009 : “Pas eu le
temps de penser au préservatif ?” à voir en vidéo sur
www.lovelife.ch
L’Aide Suisse contre le Sida a lancé une
newsletter internet d’information pour les
personnes séropositives. Infos thérapeutiques, droits, prestations, prenez votre
dictionnaire, c’est en allemand.
http://news.aids.ch
Témoin
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Vous faites l’actualité
Suspension des prestations
“C'est un vrai parcours du combattant
pour obtenir mes médicaments”
’ai été licenciée il y a plusieurs années à cause du VIH.
Une fois au chômage, c’était financièrement dur et je
n’arrivais plus à payer mes primes d'assurance. J’ai
retrouvé du travail pour deux ans et me suis alors annoncée à
l’Office des poursuites pour commencer à rembourser.
Depuis la suspension de la prise en charge de mes coûts médicaux par mon assurance, c'est un vrai parcours du combattant
pour obtenir mes médicaments. Je dois demander à mon médecin une ordonnance qui ne soit pas datée de plus de deux
semaines. La fois dernière, la mienne était dépassée et je me suis
retrouvée très embêtée car c’était pendant les fêtes de pâques,
mon médecin était en vacances et légalement personne ne pouvait me la renouveler. Cela me fait aller deux fois plus souvent
chez le médecin, ce qui me coûte deux fois plus cher. L’assurance
ne me rembourse évidemment pas du fait de la suspension des
prestations. Ensuite, ma pharmacie doit me faire un papier disant
que j’ai une suspension des prestations. Je me rends alors à l’hôpital pour un tampon. De là, il faut que je commande les
médicaments qui arriveront dans une autre pharmacie faisant
partie du système officiel de l’hôpital. Autre chose, mon traitement psy me revient à 8 francs de plus lorsque je le paye
moi-même à cause de la suspension des prestations. Je suis
maintenant prise en charge depuis le 3 avril par l’Hospice général, en attendant une décision de l’AI (Assurance Invalidité).
L’Hospice Général paye mon assurance maladie, mais je suis toujours en suspension de prestations. La caisse maladie ne rentre
“J
Suspension des prestations :
des assureurs agissent
Dernièrement les assureurs Visana et Vivacare ont signé une
convention avec le canton pour ne plus suspendre les prestations, ce qui n’est toujours pas le cas du Groupe Mutuel.
Plus d’info : http://www.ge.ch/sam/informations-assurancesuspend-paiement-soins-medicaments.asp
pas en matière tant que je n’ai pas remboursé la totalité de la
somme. Je ne paye plus mon psy, mais il ne peut pas me laisser
dans la nature alors il accepte d’avancer le traitement depuis ma
suspension en février. C’est très compliqué administrativement,
ça part dans tous les sens.
En ce moment, je prends la moitié de ma trithérapie pour m’économiser. Je sais que ce n’est pas bon, mais je ne peux pas faire la
navette. Mon problème, c’est d’aller chercher des médicaments,
car depuis ici il me faut 45 minutes jusqu’à l’hôpital. Je ne peux
pas toujours solliciter quelqu’un pour m’accompagner. C’est
injuste, je me retrouve dans la merde alors que j’ai voulu être
honnête et m’annoncer pour rembourser.”
Dominique
VI
>> Dossier
e
ES Suiss
REMAID
Rappelez-vous des tapiolles, sales pédés, tapettes, pédales, et divers enculés.
Aujourd’hui on veut du TBM, très bien monté, en santé (bonne de préférence),
de la petite salope passive et du SSR seulement (safer sex rules) si t’es
#04
séropo ! Il y a de ces images que l’on aime pas se voir renvoyer à la figure
car elles représentent tout ce que l’on peut soi-même détester. En même temps, c’est
plus fort que tout, chacun est plus ou moins discriminant sans en avoir conscience.
Sérophobie,
les gays en parlent !
l y a de ces effets qui ne sont pas envisagés, au début, quand on découvre une façon
de lutter contre le VIH, comme celle du choix du partenaire ou sérosorting. Technique
qui était à l’origine une manière de mieux échanger sur son propre statut sérologique
et celui de l’autre. Autrement dit une opportunité pour communiquer. Il apparait que dans
l’usage, aujourd’hui, se cachent les peurs de certains ou l’hypocrisie des autres. Mais
quel effet ? L’effet que des hommes séropositifs se sentent mis de côté dans leurs relations intimes s’ils évoquent leur séropositivité. Que le contexte des rencontres entre
hommes ne favorise pas la discussion sur son statut sérologique mais bien tout le
contraire. Remaides Suisse a essayé d’en savoir plus sur ces rejets ressentis et sur les
actions “positives” mises en place pour lutter ensemble.
I
VII
“C’est un rejet qui touche à autre
chose que simplement l’apparence
ou le critère physique”
Vincent Jobin, responsable santé sexuelle à l'association homosexuelle genevoise Dialogai
Checkpoint à Genève, partage avec les lecteurs de Remaides Suisse son point de vue sur
le sujet des discriminations liées à la séropositivité chez les hommes gays aujourd'hui.
La séropositivité est un
instrument de discrimination
dans les relations sexuelles.
Qu’en est-il selon toi ?
Je constate que pour faire des rencontres
sur internet, les personnes séropositives
ne se présentent pas comme telles car
elles ont à gérer la question potentielle du
rejet. Les hommes ne parlent pas ou peu
de leur statut sérologique, notamment
dans le réseau gay, parce que s’ils en parlaient ils pensent qu'ils auraient à gérer
ensuite une forme de visibilité non désirée
dans leur environnement. C'est difficile
d'assumer pleinement sa séropositivité en
2009, car cela renvoie aux interrogations :
“Mais comment t’es-tu contaminé ? Tu es
un idiot, tu devais bien connaître les
risques”.
Nous sommes dans une société qui ne
pardonne pas ou peu. On se rend compte
à Checkpoint (centre de conseils et de
dépistage VIH pour les hommes qui ont
des rapports sexuels avec d'autres
hommes) que beaucoup d'usagers ne
connaissent pas de personne séropositive
dans leur entourage, notamment les
moins de trente ans. Nous constatons que
les jeunes gays ne connaissent pas grand
chose du VIH et lorsque certains découvrent leur séropositivité, la question est
toujours la même : “Quand est-ce que je
vais mourir ?”
La perception de la mortalité des débuts
de l’épidémie persiste. Cela se reflète lors
des rencontres car certains hommes séronégatifs n’ont pas envie d’avoir un rapport
avec un homme séropositif. C’est un rejet
qui touche à autre chose que simplement
l’apparence ou les critères physiques. Ce
mode de protection semble être en augmentation et est renforcé par le manque
de visibilité des personnes séropositives
qui sont de moins en moins actrices et
vectrices de messages préventifs.
Ce qui ressort c’est un besoin
criant de communication entre
les hommes…
Oui, et cela pose une question : à partir de
quand une personne séropositive devrait
le dire à son partenaire ? A la première
rencontre, la deuxième ou troisième fois ?
Est-ce que la relation va s’arrêter là ? Quel
était l’objectif ? Juste avoir du sexe, ou
construire autre chose ? Je crois qu’à la
première rencontre qui se fait dans un
endroit anonyme, un sauna, sur internet,
on a affaire à une personne anonyme, on
ne se connait pas, on ne peut pas exiger
quoique ce soit. Par contre après, c’est
différent : peut être a-t-on échangé le
numéro de téléphone, ou rencontré cette
personne chez elle… A ce moment là, on
a affaire à quelqu'un d'identifié.
Qu’est-ce qui peut être fait pour
soutenir les hommes gays dans
leur vie affective et mieux lutter
contre le sida ?
Je pense qu’il existe des projets potentiels
communs, comme construire son couple
ou une famille par exemple. Cela donne du
sens pour soi. Cela signifie quelque chose,
c’est une quête spirituelle en soi. A la question : à quoi ça sert d’être gay ? La réponse
est très individuelle et ramène à sa propre
solitude existentielle. Et je pense que c’est
un problème pour beaucoup. Seuls 40 %
des gays vivent dans le cadre d'une relation stable, donc une grande majorité
d'homosexuels vivent seuls alors que c'est
un besoin complètement légitime. N'est-ce
pas difficile de déclarer son statut sérologique lorsque l'on sait que les relations
entre hommes sont souvent de courte
durée (la moyenne est de six mois) ?
VIII
Je vois aussi une forme de solidarité en
fonction du statut sérologique comme
Séronet ou l'association LHIVE qui permettent aux personnes séropositives de
se retrouver, d'entrer en contact entre
elles et ainsi de pouvoir partager les
choses de la vie de tous les jours. Il y a
aussi certaines personnes séronégatives
qui tentent d'entrer en contact avec des
personnes de même statut sérologique
qu’elles. Et puis parfois il y a ceux qui se
retrouvent et composent les couples sérodifférents. Certains recherchent de l’info,
car ils sont amoureux et désirent aller de
l’avant, sur ce qu’ils peuvent faire ou ne
pas faire pour envisager de construire une
relation durable. Dans ce contexte, les personnes séropositives se sentent souvent
beaucoup plus à même de parler de leur
vécu avec comme soutien l'appui de leur
partenaire. Cela montre à la fois qu'il est
envisageable de vivre une relation saine
avec quelqu'un de statut sérologique différent et permet ainsi de lutter contre
cette forme de discriminitation.
Dossier réalisé par Nicolas Charpentier
Illustrations : Nicolas Ducret
“Sur mon profil, j'ai fait état de mon
statut sérologique”
Félix est séropositif et ardent promoteur de la réduction des risques. Il a accepté
de témoigner pour Remaides Suisse afin de dénoncer ces situations de rejet.
'ai fait assez souvent l'expérience de ce genre de discriminations. Le cas le plus récent s'est passé avec un jeune
homme de 22 ans, que j'ai connu sur un site de rencontres gaies. Détail important, sur mon profil, j'ai fait état de mon
statut sérologique et de mon traitement anti-VIH réussi avec une
charge virale indétectable. Comme nous avons chatté assez longtemps avant de passer aux actes, je ne lui ai pas reparlé de mon
statut. Quand nous en sommes arrivés au sexe, tout s'est passé
très normalement et agréablement, jusqu'au moment où il a
voulu que je le pénètre. J'ai sorti un femidom (préservatif féminin)
et il a fait la grimace, en demandant si ce genre de truc était capable de protéger du sida. Je lui ai rappelé que j'avais une virémie
indétectable et que même si on n'utilisait aucune protection,
“J
c'était hautement improbable que je lui transmette mon VIH. A ce
moment-là, il a fait un bond de 5 mètres “Quoi ! Tu es séropositif ?!”. Il ne s'était pas donné la peine de lire le texte de mon
profil… On a fini ce qu'on avait commencé, de manière assez
cavalière, mais il a refusé de se faire pénétrer, même avec un
femidom, et il n'a plus pratiqué de fellation sur moi, contrairement
aux instants précédents. Après quoi, il a refusé de continuer à
avoir des rapports avec moi, sans donner de raisons précises.
Voilà… Des histoires comme ça, il y en a légion. A mon avis, cette
attitude est la conséquence de la manière dont on a enseigné la
prévention et la santé sexuelle aux jeunes, ceux qui sont “nés
avec le sida”.”
Félix
IX
Au Québec, on fait campagne pour
se respecter entre mecs
Riyas Fadel, coordinateur de projets à la COCQ-Sida, parle des discriminations
liées au VIH entre gays, notamment sur Internet.
ous avons fait le constat de ces discriminations au
travers des actions de terrain. Notamment, la façon
de s'exprimer de certains hommes, sur les chats ou
les sites internet, où les séropositifs se font “pointer”, “outer”. Il y
en a même qui marquent dans leur profil “cherche seulement
mec en santé”. Ça fait pour le moins bizarre de dire ça. Qu'est-ce
que cela signifie “en santé” ? A la COCQ-Sida, nous entendons
bien qu'une personne mal informée, ou qui ne se sent pas à l’aise,
n'ait pas envie de coucher avec une personne séropositive. Mais
ce qui compte c'est la façon de le dire.
Quand on regarde les termes utilisés sur Internet et en le rapprochant de cette idée de sérophobie, qui est calquée sur celle de
l’homophobie, cela permet d’aller chercher la façon dont on traite
les séropositifs dans la communauté gay et de parler de ces subtilités dans le language qui sont discriminatoires, mais dont les
gens ne se rendent pas compte.
“N
PLAN Q
SANS CAPOTE SI
T'ES SÉRONEG
AVEC TEST RÉCENT
À MONTRER
Concernant notre campagne de cet été, nous voulions utiliser la
vidéo, pour que chacun puisse se l’envoyer par Internet. Il s’agit
d’un spot avec deux hommes qui en sont aux préliminaires et qui
sont assez passionnés. Ils s’embrassent, se déshabillent. Puis, l’un
des deux chuchote à l’oreille de l’autre sans que l’on entende ce
qu’il dit. L’autre le repousse alors violemment dans le “placard”. Il
y a aussi des actions de rue, du théatre, avec des personnes qui
porteraient des tee-shirts marqués “Séropositif” et iraient s’asseoir un peu partout. Ils arriveraient sur une terrasse et la
sépareraient en deux, en disant il y a une section Séropositifs et
une section Séronégatifs. Tout cela pour dire que quand on discrimine, on fait de la ségrégation et on oblige la personne à
retourner dans le “placard”.”
En savoir plus : www.stopserophobie.org
X
Antonella Cereghetti est avocate à Lausanne, elle a été amenée à défendre
une personne séropositive qui était poursuivie pour avoir exposé sa
partenaire au VIH sans qu’aucune contamination ait eu lieu. Elle revient
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pour Remaides Suisse sur son expérience et nous livre sa position sur
la pénalisation, actuelle, de l’exposition au VIH.
>> Interview
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ES Suiss
REMAID
Pénalisation en Suisse :
Vers la dépénalisation
de l’exposition au VIH
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Les récentes décisions de justice vont-elles
changer la manière de défendre les personnes
séropositives ?
Certainement. Mais l’important serait que le Tribunal fédéral
confirme cette décision genevoise [occasion manquée, voir encadré page XI]. C’est aussi un espoir que la justice entende les
médecins. Cela nous permettrait de sortir de l’obscurantisme dans
lequel nous sommes plongés depuis quelques années concernant
les questions de condamnation de rapports sexuels non protégés,
et démontrerait qu’il ne faut jamais arrêter de se battre. Les
choses bougent.
Pensez-vous que quelque chose change dans la
manière de voir le sida ?
Je ne suis pas aussi optimiste. Le débat de ce soir (voir encadré)
a montré qu’il y a encore beaucoup de résistance. Cela dit, si les
tribunaux peuvent arrêter de condamner sans distinction les personnes séropositives qui ont des rapports non protégés, c’est déjà
un mieux. Je suis contre la pénalisation de la transmission du VIH
et j’irais même plus loin que la plupart de mes confrères car je suis
contre cette pénalisation pratiquement dans toutes les situations.
La non utilisation de préservatif ne relève pas du droit pénal, mais
de la santé publique.
Vous avez été amenée à défendre des personnes
séropositives. Avez-vous utilisé les arguments du
rapport de la Commission fédérale(1), et si oui,
comment ont-ils été reçus ?
J’ai amené ces arguments lors d’un procès, mais c’était juste
avant la publication des recommandations suisses. Le médecin
infectiologue qui est venu témoigner n’a pas été suivi. Je pense
que c’est une des raisons qui a fait que le Pr. Hirschel a pris publiquement position sur ces questions. Cela nous permet d’avoir des
arguments supplémentaires afin de mieux défendre les personnes
séropositives devant les tribunaux.
XI
Que pensez-vous de la multiplication de ce genre
de procès ?
Que retenez-vous des échanges de ce soir (voir
encadré) ?
Il y a une illusion chez les victimes qui pensent que la justice
pourra réparer quelque chose. La justice n’est pas là pour ça, cela
ne relève pas du pénal. De plus, la vérité judiciaire n’est pas la
vérité tout court. Souvent les victimes sont déçues de la réponse
qu’elles obtiennent sur le plan juridique.
L’immense incompréhension entre le monde judiciaire et le
monde médical. Les deux spécialités se posent la question de
savoir quoi faire du risque résiduel, hypothétique, mais n’y répondent pas de la même manière. Les médecins répondent en disant
qu’ils n’ont pas de certitude, mais que les recherches montrent
qu’il n’y a pas de contamination. Les juristes répondent en disant
qu’ils veulent des certitudes pour arrêter de punir.
Propos recueillis par Sofie Lauer
(1) Commission fédérale sur les problèmes liés au sida (CFPS)
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La dépénalisation de l’exposition au VIH en débat
Quinze mois après l’annonce de la Commission fédérale(1) et dans la foulée des récentes décisions de la justice genevoise (des
acquittements dans deux affaires sur la base de ces conclusions scientifiques, voir Remaides Suisse n° 71), un état des lieux sur
les répercussions de ces recommandations suisses a été réalisé le 17 juin 2009, lors d’une conférence-débat sur le thème de
la dépénalisation de l’exposition au VIH à Nyon et à l’initiative du Groupe sida Genève. Cette conférence a réuni des médecins
VIH de Suisse romande, des juristes et des avocats pour échanger les points de vue sur la question de la condamnation des personnes séropositives avirémiques ayant des relations sexuelles non protégées. Outre le fait que les questions concernant
l’appréciation d’un risque négligeable fédèrent de plus en plus de partisans institutionnels ou associatifs (voir la prise de position du Conseil national du sida en France, voir page 18, et celle de la Deutsche Aids Hilfe en Allemagne), ces discussions ont
souligné la différence d’appréciation entre les juristes et les médecins au moment de son évaluation et du poids que l’on peut
lui donner dans une procédure pénale. La question que les juristes doivent se poser aujourd’hui est de savoir ce qu’ils veulent
faire de cette étude et comment appréhender un risque résiduel aussi faible. Sur quoi se basera-t-on désormais pour affirmer
que le fait d’avoir des relations sexuelles sous trithérapie efficace engendre un risque ?
Il était attendu que le Tribunal fédéral prenne enfin en considération la notion de risque pratiquement inexistant pour ne plus
sanctionner un comportement réprimé très sévèrement jusqu’à ce jour en Suisse. Or le Tribunal fédéral n’a pas voulu modifier
sa jurisprudence sur la base des décisions genevoises, en annulant le recours sur la forme sans se prononcer sur le fond. Il
reste à espérer que la perception de la réalité du VIH/sida qu’ont les tribunaux cantonaux se rapproche dorénavant de celle
du monde judiciaire genevois et ne fasse plus l’objet d’une discrimination quant à la pénalisation d’une maladie qui, désormais, est considérée, à l’instar d’autres affections, comme chronique.
Raoul Gasquez