ND Paix - conférence Jean-Marie PETITCLERC
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ND Paix - conférence Jean-Marie PETITCLERC
Éduquer dans une société déboussolée Voilà plus d'un an, l'Eglise Catholique de France a lancé le projet Diaconia 2013. Les évêques et les responsables de l'Eglise faisaient le constat suivant et lançaient cette invitation : ''En ce temps de crise économique et sociale, les pauvretés, d’aujourd’hui, sont peut-être moins nouvelles que radicales, par suite de la détérioration fréquente du tissu familial, l’insuffisance des logements, l’augmentation du chômage et la dégradation du prix de vente des produits agricoles. Dureté des conditions de travail, solitudes, addictions, fragilités psychiques, relationnelles ou culturelles accentuent chez beaucoup le sentiment d’exclusion. […] Nous appelons les catholiques en France afin qu’ils proposent des initiatives concrètes et adaptées, qui soient à l’origine d’un "vivre autrement" (fin de citation). L'engagement au service de la solidarité et de la fraternité ne devant pas être l'affaire de professionnels ou de spécialistes, ce sont tous les baptisés qui étaient invités à répondre à cet appel. La paroisse Notre-Dame de la Paix a retenu cette invitation et en a fait son projet pour les deux années pastorales 2012-2013 et 2013-2014. En cette rentrée scolaire la communauté chrétienne de ND de la Paix entame à présent la deuxième partie de ce projet. Nous avons donc souhaité organiser ce week-end la Fête de la Fraternité. Des membres de notre communauté participant, au nom de leur engagement chrétien dans la société, à un groupe de solidarité sur le quartier ou plus largement dans Montpellier, ont invité les associations auxquelles ils appartiennent à venir présenter ici leur action. Les stands présentés pendant le week-end témoignaient de ces engagements, bénévoles, généreux, militants et de conviction. Au cœur de notre week-end de fête nous souhaitions prendre du temps pour réfléchir ensemble à ces grandes questions de la solidarité. Parmi les grands thèmes qui nous préoccupent, il y a celui de l'éducation. Voilà pourquoi nous avons invité Jean-Marie PETITCLERC à venir nous faire part de son expérience. Jean-Marie PETITCLERC a 60 ans, il est prêtre, salésien, éducateur spécialisé et polytechnicien. Il est l'auteur de nombreux ouvrages qui s'adressent particulièrement aux parents, grands-parents, catéchistes, éducateurs, professeurs, enseignants, animateurs, chefs-cheftaines et autres. Il a travaillé, non pas avec des délinquants, parce qu'il n'aime pas le terme, mais disons avec des jeunes en situation de fragilité ou de précarité. Il dirige à présent l'association Le Valdocco, près de Lyon, qui réalise des actions auprès des jeunes en faveur de la prévention, de l’éducation et de l’insertion professionnelle. Ce samedi 28 septembre 2013 il a accepté de nous témoigner de sa longue expérience et de nous entretenir de la grande question de l'éducation dans une société souvent déboussolée. Aujourd'hui l'adolescent appartient à trois cercles : celui de la famille, celui de l'école, celui de la cité (la rue, les copains, le sport, les activités extrascolaires, et dorénavant les réseaux sociaux). Dans chacun de ces cercles il y a une cadre et un vocabulaire. Face au cercle de la cité (il ne faut pas comprendre la cité comme la banlieue, mais comme le lieu où le jeune est citoyen) les parents sont de moins à moins à l'aise et de plus en plus désarçonnés. Un des problèmes liés à l'éducation aujourd'hui c'est que, entre ces trois cercles, il y a peu de passerelles, voire pas du tout, et surtout que les adultes de chacune de ces sphères ne se connaissent pas, s'ignorent et même se discréditent. Aujourd'hui, pour grandir comme citoyens, dans une société post-institutionnelle et néolibérale, les adolescents ont droit à côtoyer des adultes qui devraient être cohérents. On sait combien il est bien plus difficile d'éduquer des enfants dans une société en évolution que dans une ère stable. La révolution du numérique accélère ce phénomène... Améliorer la qualité de la relation entre jeunes et adultes est pourtant un enjeu majeur. Améliorer les relations entre les adultes de chacun de ces sphères aussi. Un parent ne devrait jamais dénigrer le travail d'un enseignant, un enseignant ne jamais "casser du sucre sur le dos" d'un éducateur et un éducateur ne jamais discréditer des parents. Un bébé qui est né au début du XXIème siècle n'est ni plus ni moins violent qu'un enfant né il y a 60 ans. La violence est naturelle, la convivialité et la paix étant les fruits de l'éducation et de l'apprentissage du vivre ensemble. Les adolescents d'aujourd'hui sont souvent incapables de résister à la moindre frustration parce que peu d'adultes ont osé leur dire NON quand cela étant nécessaire. Il existe donc des conflits entre les générations, mais ces conflits ne sont pas irrémédiables. Gérer un conflit, cela s'apprend, grâce notamment à la médiation, au dialogue, à l'écoute. "Ne tardez pas à vous occuper de la jeunesse, sinon elle ne tardera pas à s'occuper de vous" disait Jean Bosco. On sait combien les parents, les enseignants et les éducateurs ont plus de difficultés aujourd'hui qu'hier à mettre un œuvre un processus éducatif durable. Notre décennie traverse une crise de la relation d'autorité à cause de trois grandes crises. Mais il faut distinguer l'autorité du pouvoir. En 1950 un instituteur ou un curé avait du pouvoir parce qu'ils l'avaient reçu de l'institution. Leur pouvoir faisait autorité. L'autorité cela se reçoit de la personne auprès de qui on l'exerce. Aujourd'hui un enseignant n'a plus de pouvoir, mais il doit toujours faire preuve d'autorité. Les trois crises que nous traversons : 1. La crise de l'apprentissage du vivre ensemble. Cela s'apprend en premier lieu dans la famille. C'est le lieu où les parents doivent apprendre à l'enfant qu'il n'est pas tout puissant, qu'il ne vit pas seul, que tout n'est pas permis et qu'il y a des règles. Cela s'apprend avec des NON posés, expliqués, appliqués. 2. La crise de l'école. Quand il y a 32 élèves de 4ème dans une même salle de classe, des règles sont nécessaire. Ces règles sont d'autant plus difficiles à mettre en place et à appliquer s'il n'y a pas de règle à la maison chez la plupart des élèves de cette classe ! 3. La crise de la projection dans l'avenir. Beaucoup de jeunes sont dans la conduire de l'instant, du "tout tout-de-suite". La toxicomanie fait planer un moment, mais fait retomber très vite encore plus bas. On entend souvent dire qu'aujourd'hui les jeunes n'ont plus le sens de l'effort. Mais l'effort pour l'effort c'est du masochisme. L'effort est important s'il permet de viser un objectif et de l'atteindre. Mais aujourd'hui la cible est souvent dans le brouillard. Difficile pour un brillant élèves de Terminale S d'apprendre et de comprendre la complexité des "dérivés" si ce jeune de 17 ans ne sait pas ce qu'il fera après le bac, et, s'il le sait, ce à quoi conduira l'école supérieure qu'il fera après 2 ans de classes préparatoires. Qu'est-ce qu'enseigner ? Enseigner, c'est certes transmettre un savoir, mais c'est surtout donner du sens à l'avenir d'un adulte du XXIème siècle. Chez les jeunes Français de 15-17 ans, il faut savoir que 11 % d'entre eux se sont posé au moins une fois la question du suicide. Ce phénomène est encore plus marqué dans les pays dits riches que dans les pays émergeants parce que dans ces pays-là le discours des adultes est plus positif ! Attention donc au discours de l'adulte sur l'avenir qui influe beaucoup sur le moral des enfants. Il faudrait que tous les parents soient capables d'enthousiasmer leurs enfants pour leur lendemain. On espère que si ce ne sont pas les parents qui sont capable de les enthousiasmer, ce sont d'autres adultes (éducateurs, animateurs, chefs scouts, etc.) Chez les adolescents d'aujourd'hui, il existe trois grandes peurs : la peur de la pollution, la peur du chômage et la peur de la destruction de la planète. Or, les jeunes occidentaux d'aujourd'hui sont la première génération à pouvoir vivre en paix, sans avoir peur de la destruction de leur pays par ses voisins. Merci l'Europe de la paix ! On a réussi, mais on ne sait malheureusement pas en parler positivement... En conséquence, voici trois défis à relever : 1. Le défi de la confiance. On peut fonder l'autorité sur la confiance. Si on n'a pas confiance en soi on ne peut pas faire confiance en l'autre. Il faut faire attention de ne pas réduire l'adolescent à ses actes. Un prof ne devrait jamais dire à un élève en lui rendant une copie "tu es nul", mais seulement "ta copie est nulle" et sous-entendre "mais tu es capable de mieux". Il faut faire confiance pour permettre au jeune d'avoir confiance en lui. 2. Le défi de l'Alliance. L'adulte doit toujours être bien positionné vis-à-vis de l'enfant ou de l'adolescent. Il doit avoir la bonne proximité, celle qui rassure, qui encourage, mais il doit aussi avoir la juste distance, celle qui permet de respirer et de prendre son envol. 3. Le défi de l'espérance. Il faut voir toujours dans le jeune, l'enfant qu'il est encore, mais aussi, déjà, l'adulte qu'il est en train de devenir. Eduquer est souvent ingrat parce que la gratitude n'est pas la qualité première d'un enfant. Mais l'adulte n'éduque par pour lui ou pour attendre quelque-chose en retour. Il éduque par amour, il éduque pour accompagner l'adolescent dans son projet. Il doit donc sécuriser le jeune et risquer avec lui la confiance... L'adulte doit responsabiliser le jeune pour le monde de demain, sans trop le charger non plus, en le responsabilisant à la hauteur de ses épaules. En conclusion, le défi de l'éducation c'est donc faire confiance (croire), faire Alliance (aimer), et espérer. Nous sommes donc invités à développer la relation à l'enfant ou à l'adolescent. Pour cela il faut avoir une relation de même nature qu'avec le Christ et une relation de même nature que le Christ. Je crois en toi comme je crois au Christ et comme le Christ croit en toi. Je te fais confiance, comme j'ai confiance au Christ et comme le Christ te fait confiance. Je t'aime, comme j'aime le Christ et comme le Christ t'aime. Notes prises par Pierre Brugidou Les derniers ouvrages de Jean-Marie PETITCLERC que l'on peut conseiller sont : Quand nos ados boudent la foi MEDIASPAUL Éduquer aujourd'hui pour demain SALVATOR Éducation non violente L'AIRE DE FAMILLE