Allocution de Julie Dickson dans le cadre du Forum sur - OSFI-BSIF

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Allocution de Julie Dickson dans le cadre du Forum sur - OSFI-BSIF
Allocution de Julie Dickson, surintendante des
institutions financières
Bureau du surintendant des institutions
financières Canada (BSIF)
dans le cadre du
Forum sur invitation concernant les services
financiers 2011
Cambridge (Ontario)
Le 27 avril 2011
L’ÉNONCÉ FAIT FOI
Pour de plus amples renseignements :
Brock Kruger
Communications et consultations
[email protected]
www.osfi-bsif.gc.ca
Allocution de Julie Dickson, surintendante des institutions financières
Bureau du surintendant des institutions financières Canada (BSIF)
dans le cadre du
Forum sur invitation concernant les services financiers 2011
Cambridge (Ontario)
Le 27 avril 2011
Introduction
Je vous remercie de m’avoir invitée à me joindre à vous de nouveau cette année.
J’aimerais d’abord traiter brièvement de l’état du système financier mondial. Comme l’a
fait remarquer le Conseil de stabilité financière (CSF), les risques qu’encourt le système
financier demeurent élevés. Dans certains pays, les risques souverains se sont
cristallisés. Certains systèmes bancaires montrent des signes de faiblesse, et la
situation financière d’un certain nombre de pays demeure nettement préoccupante. Les
risques de changement soudain des conditions de financement, des pertes de crédit et
des courbes de rendement font en sorte que les banques doivent être très prudentes.
Au même moment, les faibles taux d’intérêt poussent les investisseurs à rechercher le
rendement ailleurs. Cette recherche peut favoriser la création de produits financiers
complexes qui augmentent l’exposition au risque de liquidité. Le Conseil de stabilité
financière surveille la situation et a publié un document sur les risques associés à
certains fonds cotés en bourse (FCB) que l’on a surtout observés en Europe. 1
Nous assistons également à une reprise à deux vitesses de l’économie mondiale – le
redressement est très rapide dans les économies émergentes et plutôt hésitant dans de
nombreux pays industrialisés. Cela engendre des défis pour les organismes de
réglementation bancaire aux deux extrémités du spectre. Celles des économies de
marché émergentes doivent se méfier de l’inflation du prix des actifs et de la croissance
excessive du crédit, alors que celles d’autres pays s’inquiètent davantage de la hausse
des niveaux de fonds propres des banques. Qui plus est, l’élimination des
assouplissements quantitatifs aux États-Unis et les craintes que soulève la situation
budgétaire de ce pays nous amènent en terrain inconnu.
Au Canada, puisque notre système bancaire a généralement mieux fait que ceux
d’autres pays, nous devons nous méfier de la complaisance. En effet, comme le
système canadien s’est bien comporté, on pourrait avoir tendance à croire que les
autres sont les seuls à devoir tirer des enseignements de la crise, ou à dire que les
multiples nouvelles mesures applicables aux banques canadiennes pénalise injustement
ces dernières. Le passé ne saurait être garant de l’avenir.
1
Note du CSF du 12 avril 2011 sur les fonds cotés en bourse (en anglais seulement);
http://www.financialstabilityboard.org/publications/r_110412b.pdf.
1
Bâle III est-il la solution?
L’un des grands enseignements tirés de la crise est qu’il importe de réglementer et de
surveiller adéquatement les banques. Dans bien des pays, la situation financière et le
taux de chômage découlent en bonne partie de la mesure où ces pays ont bien
réglementé et surveillé leurs systèmes bancaires.
Bien qu’il soit extrêmement important de trouver la bonne solution, on ne s’entend en fait
guère sur ce que cela veut dire au juste. Universitaires, banquiers et organismes de
réglementation sont plongés dans un débat animé à propos de ce qui est raisonnable et
de ce qui serait efficace.
La question des normes de fonds propres des banques en donne un bon exemple. Un
large débat est en cours à l’heure actuelle sur le niveau de fonds propres le plus
susceptible de réduire la probabilité des faillites et des crises du système bancaire.
Il faut aussi se rappeler qu’avant la crise, il y a eu de multiples débats sur la
réglementation optimale. Par exemple, avant la crise, un certain nombre d’universitaires
et d’organismes de réglementation faisaient plutôt aveuglément confiance à la théorie
des marchés efficients. Cette foi aveugle a engendré la pratique d’une réglementation
« allégée » dans certains pays dont les systèmes financiers ont ensuite connu de graves
problèmes.
Le débat en cours porte sur la question de savoir si des fonds propres plus élevés
procurent des avantages sans fin, ou s’il existe une relation en U entre les fonds propres
et le profil de risque des banques. L’existence d’une relation en U signifierait que le profil
de risque des banques et la probabilité de faillite sont élevés lorsque les niveaux de
fonds propres sont bas, et qu’ils le sont aussi lorsque les niveaux de fonds propres sont
élevés. Existe-t-il une courbe en U? S’il existe bel et bien une relation en U, la mesure
dans laquelle nous pouvons augmenter les fonds propres de façon utile sans engendrer
de retombées négatives est-elle élevée ou réduite?
En novembre 2010, 20 universitaires ont signé une lettre publiée dans le Financial
Times intitulée « Much more bank equity is needed and is not Socially Costly » 2 . D’après
cette lettre, nous pouvons accroître largement les fonds propres et nous pouvons aller
beaucoup plus loin que Bâle III, peut-être jusqu’à 20 % des actifs pondérés en fonction
des risques. Ce chiffre est devenu le nouveau point de mire de la discussion des
universitaires; ces derniers parlent des fonds propres de base, comme ceux de
catégorie 1, et parfois même des fonds propres corporels.
Le débat a été relancé avec la publication d’un document par la Banque d’Angleterre en
janvier 2011. 3 D’après ce document, même des augmentations proportionnellement
importantes des fonds propres des banques sont susceptibles d’avoir un modeste
impact à long terme sur les coûts d’emprunt à la charge des clients des banques. Les
auteurs concluent que le montant de fonds propres vraisemblablement souhaitable pour
les banques est beaucoup plus élevé que celui dont elles ont disposé ces dernières
2
« Healthy banking system is the goal, not profitable banks », dans Financial Times, 9 novembre 2010;
http://www.gsb.stanford.edu/news/research/admatiFTletter11.09.10.pdf.
3
o
Document de travail n 31, Optimal bank capital, David Miles, Jing Yang et Gilberto Marcheggiano, 27 janvier 2011;
http://www.bankofengland.co.uk/publications/externalmpcpapers/extmpcpaper0031revised.pdf.
2
années, et supérieur aux cibles minimales convenues dans le cadre de Bâle III. Ils
estiment que des niveaux de fonds propres de l’ordre de 15 % à 20 % conviendraient.
La presse a largement fait état de ces chiffes.
Ces études universitaires ont été amplement discutées. Certains organismes de
réglementation ont souscrit avec enthousiasme aux conclusions, soulignant que les
craintes du secteur des services financiers voulant que des fonds propres plus élevés
fassent grimper les coûts (et fassent donc augmenter les taux sur les prêts et diminuer
ceux offerts aux épargnants) sont exagérées, comme le démontre le théorème de
Modigliani-Miller de 1958 4 . D’après ce théorème, plus on utilise de fonds propres, plus la
volatilité du rendement de ces derniers diminue. La sûreté des créances augmente
aussi. Par conséquent, le taux de rendement requis des deux sources de fonds chute.
Chacun y trouverait son compte puisque les banques disposeront de plus de fonds
propres et que les investisseurs seront heureux d’accepter un rendement moindre et
plus stable. Dans ces circonstances, les banques ne seront pas incitées à prendre plus
de risques pour maintenir le rendement des fonds propres.
Le scepticisme et le rôle du jugement
À titre de dirigeante d’un organisme de réglementation, je m’inquiète de tout ce qui
engendre des risques excessifs. Les organismes de réglementation doivent être
sceptiques et poser beaucoup de questions à propos de tout ce qui leur est dit – par les
banques et par d’autres, y compris les universitaires. Même si leur contribution à notre
profession est des plus importantes, les universitaires emploient tout de même des
formules comme « toutes autres choses étant égales ». Les universitaires essaient de
modéliser le monde réel, et ils doivent formuler de nombreuses hypothèses. Le
théorème de Modigliani-Miller fait abstraction de beaucoup de choses – comme les
impôts, les frais de faillite, les frais d’agence et l’information asymétrique. Il néglige aussi
le fait que les entreprises sont gérées par des êtres en chair et en os – des gens qui ont
un ego, des gens qui ont toutes sortes de motivations, et des gens qui font des choses
irrationnelles.
Pour élaborer les règles de fonds propres de Bâle III, que certains universitaires et
praticiens ont critiquées, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) a dû, lui
aussi, formuler de nombreuses hypothèses, tout comme les universitaires.
Le CBCB devait estimer l’impact de fonds propres plus importants sur la production de
l’économie. À cette fin, il s’est appuyé sur les travaux de la Banque des règlements
internationaux (BRI), qui a employé une méthode différente de celle de l’étude de la
Banque d’Angleterre que j’ai mentionnée tout à l’heure.
Pour tenter de cerner les coûts et les avantages de fonds propres plus élevés, la BRI et
la Banque d’Angleterre ont toutes deux examiné tant la probabilité que le coût des
crises. Mais quelles crises doit-on considérer? Les guerres? Les catastrophes
naturelles? Ou faut-il considérer des crises qui ne touchent que les banques, comme ce
qu’a fait la BRI? Jusqu’où faut-il remonter? La Banque d’Angleterre a reculé de 200 ans;
4
Modigliani s’est vu conférer le prix Nobel de l’économie en 1985 grâce à ce théorème et à d’autres
contributions intellectuelles.
3
la BRI n’est pas allée aussi loin, reconnaissant probablement que la structure des
systèmes financiers ont beaucoup changé dans l’intervalle.
Quand le CBCB a examiné en rétrospective les pertes réelles subies par les banques
dans un certain nombre de pays sur un certain nombre de cycles, il a dû faire beaucoup
de choix. Combien de pays faut-il considérer? Combien de banques dans chaque pays?
Comment faut-il tenir compte des différents modèles bancaires (un pays donné a
peut-être instauré un système principalement axé sur la clientèle de détail, alors qu’un
autre dispose d’énormes banques d’investissement)? Comment faut-il composer avec
les différences au plan de la surveillance et du profil de risque général (p. ex., certains
pays peuvent appliquer un régime de surveillance intensif, ou des systèmes
hypothécaires plus sûrs en raison d’exigences plus rigoureuses quant au ratio
prêt-valeur ou de l’absence d’incitatifs comme la non-déductibilité des intérêts)?
Comment choisir une norme à appliquer à l’échelle planétaire alors que certaines
banques de l’échantillon mondial ont perdu deux fois plus que la moyenne, et huit fois
plus que les banques dont les pertes ont été les plus faibles?
Une autre question importante sur laquelle le CBCB s’est penché est la façon d’intégrer
tous les autres éléments de réforme du secteur des services financiers qui sont conçus
pour accroître la sécurité, comme l’insistance accrue sur la structure décisionnelle, la
rémunération et les testaments, de même que la myriade de changements apportés aux
fonds propres par l’entremise de nouvelles exigences par rapport au risque de crédit de
contrepartie et aux expositions du portefeuille de négociation.
Enfin, le CBCB devait envisager le risque que l’application de normes de fonds propres
relativement élevées incite les banques à déplacer certaines activités bancaires vers le
secteur bancaire non régulé, à l’abri de la supervision exercée par les organismes de
réglementation. Le secteur bancaire non régulé est un autre dossier que le CSF a ciblé
dans un document publié ce mois-ci 5 .
Le CBCB a instauré une norme de fonds propres corporels (FPC) de 7 %; elle peut
paraître semblable à la norme de 7 % en vigueur au Canada, mais elle est nettement
plus élevée parce que la définition des fonds propres a changé. De plus, on ne peut
comparer directement à la norme de 7 % du CBCB à la fourchette de 15 % à 20 % de la
Banque d’Angleterre mentionnée par les médias puisque cette dernière représente le
ratio des fonds propres de catégorie 1 aux FPC et repose sur les définitions contenues
dans Bâle II.
Bref, il faut être très prudent lorsque l’on compare les niveaux de fonds propres
suggérés par différentes études et se prononcer sur le niveau de fonds propres qui
convient.
Le BSIF a annoncé que les banques canadiennes devront respecter les cibles de
Bâle III au début de la période de transition, qui commencera en janvier 2013. On nous
a demandé si nous irions au-delà des exigences ultimes de Bâle III. Nous avons
répondu que nous évaluons constamment les fonds propres. Pour le moment, nous
nous en tenons aux exigences de Bâle III; cela pourrait toutefois changer à mesure que
nous irons de l’avant.
5
Note du CSF du 12 avril 2011 sur le système bancaire non régulé (en anglais seulement);
http://www.financialstabilityboard.org/publications/r_110412a.pdf.
4
Bâle III vise à réduire la probabilité des faillites. Dans sa foulée, on a beaucoup discuté
de la question de savoir s’il faudrait appliquer une exigence supplémentaire aux
institutions financières d’importance systémique (IFIS) mondiales pour composer avec
les coûts sociaux attribuables à ces entités (comme les coûts que les pollueurs imposent
à la société). Même si l’élaboration d’une telle proposition soulève de nombreuses
questions, les problèmes posés par les IFIS sont concrets et doivent être résolus.
Les règles de fonds propres donnent lieu à une surveillance rigoureuse
Il est impératif de noter que la valeur des fonds propres déclarée par une banque est
identique à celle des intervenants qui en répondent. Cela comprend la haute direction de
la banque, les vérificateurs internes et externes, ainsi que les organismes de
réglementation bancaire. Ces derniers doivent être à l’affût des pratiques qui gonflent les
chiffres sur les fonds propres et qu’emploient, par exemple, les banques qui évitent de
décoter les mauvaises créances en dépit de preuves du contraire; les banques qui
choisissent d’interpréter certaines règles de fonds propres à la lettre au lieu d’en
respecter l’esprit; les banques qui se fient aveuglément à un modèle; les banques qui
souscrivent des activités d’après les exigences des règles de fonds propres plutôt qu’en
fonction de ce que pourraient être les risques réels à mesure que les produits et les
circonstances évoluent (de sorte qu’elles font le plein d’activités qui pourraient être
risquées mais auxquelles les règles de fonds propres attribuent à tort un coefficient
réduit de pondération des risques); et les banques qui présument que les fonds propres
constituent l’aboutissement de l’analyse (p. ex., les banques ne doivent pas présumer
que les créances souveraines ne comportent jamais de risque).
Quelles que soient les normes de fonds propres, il faut se demander dans quelle
mesure il est rassurant d’appliquer la même mesure des fonds propres à l’échelle
mondiale sachant que les systèmes de surveillance diffèrent de façon significative d’un
pays à l’autre. Il se peut que les organismes de réglementation ne soient pas disposés à
agir, qu’ils n’aient pas les compétences et les ressources nécessaires pour agir, ou
encore qu’ils estiment que des niveaux de fonds propres élevés compensent pour à peu
près tout le reste.
Par conséquent, la sûreté du système dépend de la qualité de la haute direction des
banques et de ce que les organismes de réglementation aient la volonté et la capacité
d’agir. Elle dépend aussi de la qualité des renseignements que les banques
communiquent aux marchés puisque ces derniers ont besoin d’information pour se
prononcer sur le degré d’incertitude des estimations associées aux ratios de fonds
propres. Je suis encouragée par la décision du CSF de tenir des tables rondes avec des
investisseurs pour déterminer si l’information sur les risques divulguée à l’heure actuelle
par les multinationales bancaires est adéquate. J’éprouve une grande satisfaction à
constater que le Conseil porte attention à la question de la surveillance et ait mis sur
pied un comité d’étude sur l’assiduité et l’efficacité des mesures de surveillance, dont on
m’a confié la présidence.
5
Conclusion
En conclusion, comme vous pouvez le constater d’après mes commentaires, je crois
que nous devons aborder avec prudence les modifications du système de
réglementation. Nous devons aussi procéder prudemment à la comparaison de projets
ayant trait aux fonds propres qui reposent sur des hypothèses et des définitions très
divergentes. Enfin, nous aurions tort de présumer qu’en relevant les niveaux de fonds
propres, le reste se fera tout seul.
Pour qu’un régime de fonds propres, quel qu’il soit, fonctionne, les organismes de
réglementation doivent avoir l’expertise du monde réel et les compétences spécialisées
nécessaires pour superviser les praticiens du marché, exécuter des mandats axés sur la
fonction importante et spécialisée que constituent la surveillance et la réglementation, et
manifester la volonté d’agir et l’indépendance opérationnelle pour le faire. Mais ces
initiatives sont loin de se limiter à l’établissement de règles de fonds propres, et les
universitaires s’y sont beaucoup moins intéressés. Il faut que cela change.
Je vous remercie.
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