Le Concile de Trente – Les obstacles a son

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Le Concile de Trente – Les obstacles a son
DÉPARTEMENT D’HISTOIRE
Faculté des lettres et sciences humaines
Université de Sherbrooke
Le concile de Trente : les obstacles politiques à son application
Par
Cassandra Fortin
Travail présenté à
René Paquin
Dans le cadre du cours
HST 505
Les Réformes religieuses
Sherbrooke
9 janvier 2013
2
Durant les années 1510, François I est en position de force en Italie. Fort de sa position
politique, il se permet de négocier un accord avec le pape Léon X, à son avantage. En
1516, ils s’entendent sur le Concordat de Bologne qui établit les futures relations entre la
monarchie française et le pouvoir pontifical. Accordant au roi le pouvoir de nomination
chez les évêques, le pape obtient du roi, à son tour, la garantie de ne jamais être contesté
dans de futurs conciles généraux1. Avec ce concordat s’amorce une distance entre les
deux autorités temporelle et spirituelle. L’arrivée de Luther et de sa réforme amène des
tensions dans les relations entre l’État et l’Église, laquelle tarde l’ouverture d’un concile
œcuménique. L’ouverture du concile de Trente est très attendu, mais il est retardé et
ajourné de nombreuses fois, pour finalement se terminer en 1563. À partir de ce moment,
c’est au pape de veiller à l’application des décrets du concile dans les pays chrétiens.
Cependant, les relations entre l’Église et l’État de France rendent l’application de ce
concile difficile, en raison de nombreux obstacles.
Ainsi, l’hypothèse défendue dans ce travail est que les obstacles rencontrés en France, au
16e siècle, lors de l’application des décrets formulés durant le concile de Trente, sont
d’ordre politique : la conscience nationale et les tensions entre les catholiques et les
réformés amènent l’État à vouloir garder un équilibre politique, lequel équilibre est
conservé par le gallicanisme, par conséquent, les relations entre l’État et l’Église pour
l’application de la réforme sont difficiles.
Ce travail se divise en trois parties. Pour commencer, il sera question de l’unité des
Français, protestants et catholiques, dans la conscience nationale ainsi que des tensions
vives entre les deux groupes. Ensuite, la tradition du gallicanisme amenant la régente,
Catherine de Médicis, à adopter une politique de tolérance sera traitée et finalement, les
relations de tensions entre l’Église et l’État de France feront partie de la troisième
section.
1
Léopold Ranke, Histoire de la papauté pendant les XVIe et XVIIe siècles, Paris, Éditions Robert Laffont,
1986, p. 99.
3
1.
La conscience nationale et le peuple
Le premier obstacle politique à l’application des décrets du concile de Trente en France,
au 16e siècle, est la conscience nationale des Français. Avec leur attachement à des
éléments unificateurs, les Français, protestants et catholiques, malgré les guerres de
religion, coexistent dans la même société et se défendent contre le synode romain.
1.1 La conscience nationale en France au 16e siècle
La conscience nationale en France, depuis le Moyen Âge, tire ses sources du roi et du
gallicanisme. Le roi de France est un élément unificateur : « le roi symbolise donc un
élément d’unité exceptionnellement fort; bien plus, il souligne en même temps le
caractère un peu mystique et surnaturel de cette unité »2. L’État et le Roi ne faisant qu’un,
la conscience nationale de la France en vient à considérer que tout acte contre le roi est
un acte contre la nation. Le concile de Trente est ainsi perçu par les Français comme un
acte d’autorité contre le roi de France. Cette perception d’agression vient aussi de la
tradition gallicane. Les mythes et légendes du gallicanisme sont fondamentaux pour les
Français. Ils gardent dans leur mémoire collective une célèbre phrase de Saint-Jérôme :
« Seule la Gaule n’a pas de monstre »3. L’absence d’hérésie sur le territoire français est
leur plus grande fierté et ce, depuis l’époque de la Gaule. Jusqu’aux Guerres des religion,
les intellectuels sont encore les promoteurs de cette image de la France. À titre
d’exemple, Érasme de Rotterdam est certain que la France est sans hérésie et que
l’hérésie de l’Allemagne ne peut pas pénétrer les frontières de la France4.
Cette vision de pureté en France tombe en désillusion à la suite de l’Affaire des placards,
où François I admet finalement la présence de dissidents en France, malgré le fait que
d’autres dissidents, comme les Cathares, sont déjà en France5. À partir de ce moment, une
rupture s’opère en France, car les Français catholiques prennent conscience qu’il existe
sur leur territoire une Église étrangère. Plus encore, l’unité dans la foi n’existe plus. Une
2
Myriam Yardeni, La conscience nationale en France pendant les guerres de religion (1559-1598),
Louvain/Paris, Éditions Nauwelaerts et Béatrice-Nauwelaerts, 1971, p. 16.
3
Alain Tallon, Conscience nationale et sentiment religieux en France au XVIe siècle, Paris, Presses
Universitaire de France, 2002, p. 46.
4
Ibid, p. 47.
5
Tallon, La conscience, p. 48.
4
distanciation entre la conscience nationale et le sentiment religieux se met en place. En
France, il y a deux « nations » qui se rapportent à la « véritable Église »6. Il ne faut
toutefois pas voir cette division comme un emmurement des deux religions. Tous deux
sont convaincus que : « l’excellence d’un État est en fonction directe du degré d’unité
atteint dans les différents domaines »7, mais plus encore, la suprématie du roi reste une
obsession pour la population, qui reprend le slogan de Guillaume Postel : « une foy, une
loy, un roy »8. Les deux « nations » s’opposent face à Rome9. Paolo Sarpi, représentant
des contestataires catholiques français, est l’homme qui a représenté la critique la plus
importante contre le concile de Trente, soit que le concile, au lieu d’être convoqué pour
une réforme de la religion chrétienne, est plutôt « le théâtre d’une lutte entre les États
temporels et la papauté pour le contrôle de l’Église »10. Malgré le peu de contestataires
catholiques, le fait est que les catholiques aussi critiquent le concile. Ils le considèrent
comme un synode romain qui ne représente pas les autres nations11. Ainsi, malgré les
distances entre le sentiment religieux et la conscience nationale, les deux « nations »
s’opposent aux décrets du concile de Trente, lequel ne peut représenter leurs intérêts pour
la société comme pour leurs intérêts particuliers.
1.2 Protestants et catholiques : coexistence et guerre
Au-delà de la conscience nationale, c’est une société de deux religions qui coexistent en
France. Bien qu’ils ne prêchent pas la même religion, les deux groupes vivent ensemble,
travaillent ensemble, ils font partie de la même société12. Les deux groupes sont
convaincus que ce n’est qu’une question de temps avant que protestants et catholiques se
réunissent à nouveau13. Malgré le désir d’un maintien d’unité politique, il faut relever les
tensions entre les deux groupes. Les réformés ont parfaitement conscience de leur
6
Tallon, La conscience, p. 58.
Yardeni, op. cit., p. 77.
8
Ibid, p. 78.
9
Tallon, La conscience, p. 57.
10
Alain Tallon, Le concile de Trente, Paris, Les Éditions du cerf, 2000, p. 90.
11
Francis Rapp, « La naissance de l’Europe moderne », dans Jean Bernhard et al, L’Époque de la réforme
et du concile de Trente, volume 14 de Gabriel Lebras et al. Histoire du Droit et des Institutions de l’Église
en Occident, Paris, Éditions Cujas, 1990, p. 96.
12
Bernard Hours, L’Église et la vie religieuse dans la France moderne : XVIe –XVIIIe siècle, Paris, Presses
Universitaires de France, 2000, p. 153.
13
Hours, op. cit., p. 81.
7
5
particularité en matière religieuse. Ils se considèrent supérieurs, plus instruits et dans la
vraie foi, contrairement aux catholiques enfermés dans une religion désuète et décalée14.
Face à eux, il y a des catholiques insatisfaits de la longue série de politiques de tolérance.
Avec l’avancement du protestantisme, les catholiques sont pris d’un esprit de croisade
pour reconvertir ces hérétiques, ce qui explique les luttes armées entre les deux religions
dans la deuxième moitié du 16e siècle15. Bien qu’entrecoupés d’accords de cessez-le-feu,
les Guerres de religion sont la représentation des tensions entre les groupes religieux. Il
faut attendre la signature de l’Édit de Nantes pour en finir avec les Guerres de religion.
Pour Michel de l’Hospital, au commencement même des Guerres de religion, l’unité
entre protestants et catholiques est rompue. Pour lui, il ne s’agit plus de défendre une
unité religieuse, mais bien une unité politique pour le maintien du royaume de France16.
Ainsi, la conscience nationale des Français, tirant ses sources d’une tradition gallicane,
reste assez forte pour rallier les deux groupes religieux sous un élément commun contre
la papauté de Rome. Même en coexistant ensemble, les tensions restent vives entre les
deux groupes pris dans les Guerres de religion qui durent toute la seconde moitié du 16e
siècle.
2.
Le gallicanisme et la monarchie
Un autre obstacle politique à l’application des décrets du concile de Trente en France est
le gallicanisme, par lequel les libertés gallicanes de l’autorité temporelle et spirituelle et
les droits ancestraux s’opposent au concile romain. Avec lui, le programme de
pacification de Catherine de Médicis, puis les Guerres de religion font obstacle au
concile.
2.1 Le gallicanisme : les libertés gallicanes et le concile de Trente
Le gallicanisme est un concept confus qui n’a pas de définition unique. La seule qui
semble appropriée pour le propos présenté est celle de Victor Martin : « le gallicanisme
14
Hours, op. cit., p. 154.
Ibid, p. 156.
16
Ibid, p. 83.
15
6
consiste dans l’accord du roi et du clergé pour gouverner l’Église de France en contrôlant
et en réfrénant l’ingérence du Saint-Siège et en prétendant s’appuyer sur des droits
anciennement acquis »17. Deux éléments fondamentaux sont présentés, soit l’ingérence
du Saint-Siège et les droits. Le gallicanisme est avant tout un refus de l’autorité papale
sur les institutions françaises, rejet expliqué par les libertés gallicanes. Implicitement, les
libertés gallicanes signifient que le roi n’a pas de supérieur temporel. Il s’agit, pour le
monarque, de ne pas être sous le pape ou son subordonné, ni religieusement, ni
juridiquement18. C’est à lui de maintenir les libertés gallicanes, ce qui justifie son
empiètement dans la juridiction ecclésiastique tout comme son droit de regard sur les
publications de Rome, lesquelles doivent passer par lui avant d’être publiées en France19.
Ces libertés gallicanes font le pont entre le refus de l’autorité papale et les droits anciens.
Le gallicanisme, par sa tradition, est une réalité politique en France, mais plus encore, il
est l’histoire du christianisme de France. La mémoire gallicane, dont les récits fondateurs
en sont les composantes, comme l’histoire de Pierre de Cugnières, qui a défendu
« l’autorité de l’Église française en matière de juridiction séculière »20, est en
effervescence à la suite du Concile de Trente. Des hommes comme Nicolas Bergeron
rappellent le droit du Parlement de Paris d’être en opposition face au Saint-Siège21. Le
souci du maintien des privilèges et des coutumes nationales est le responsable de l’échec
de l’application du concile de Trente. La tradition gallicane, présente dans toutes les
sphères de la société française, est rejetée dans les décrets du concile de Trente par son
caractère d’ingérence dans les affaires religieuses22. Malgré tout, la France est
convaincue de sa bonne chrétienté. M. Dubruel résume le gallicanisme français en ces
mots : « [c’est] un compromis pratique, puis théorique entre l’égoïsme de notre
patriotisme et l’universalisme de notre religion »23.
17
Victor Martin, Le Gallicanisme et la Réforme catholique : Essai historique sur l’introduction en France
des décrets du concile de Trente (1563-1615), Genève, Slatkine-Megariotis Reprints, 1975 (1919), p. 373.
18
Alec Mellor, Histoire de l’anticléricalisme français, Paris, Mame, 1966, p. 38.
19
Hours, op. cit., p. 293.
20
Grégoire Holtz, « Nicolas Bergeron (1584-1588) et la construction de la culture gallicane », Revue de
l’histoire des religions, volume 226, n°3 (2009), pp.429 – 443.
21
Ibid, p. 434.
22
Léopold Willaert, La restauration catholique (1563-1648), volume 18, tome 1, dans Augustin Fliche et
Victor Martin, éds. L’histoire de l’Église, Paris, Secrétariat des Publications, 1960, p. 376.
23
Tallon, Conscience nationale, p. 373.
7
Les libertés gallicanes, par la multitude d’interprétations dont elles sont l’objet, ont été le
propre des catholiques tout comme des protestants à la suite du concile de Trente. Pour
les catholiques, entre autres les parlementaires, les libertés gallicanes sont l’argument
présenté pour refuser la réception des décrets du concile de Trente comme loi du
royaume24. À leurs yeux, le pape usurpe des droits mythiques acquis par la nation
française, rappelant que « la puissance du pape y est bornée par les canons et règles des
anciens conciles de l’Église reçus dans ce royaume »25. Pour les évêques catholiques,
même s’ils sont en accord avec les décrets du concile de Trente, ils sont moins réceptifs à
abandonner leur autorité comme « juges et gardiens de la foi dans l’Église locale »26,
puisque leurs pouvoirs « ne sont pas une dérivation des pouvoirs du pape, mais qu’ils les
tiennent directement de Dieu en vertu de leur consécration »27. Pour les protestants
français, outre leur fidélité à la nouvelle Église, les libertés gallicanes sont aussi un point
de protestation avec l’Église de Rome. Après la clôture de la septième session, Jean
Calvin écrit déjà une critique, Acta Synodi Tridentinae cum antidoto, qui tente de
démontrer que les canons décrétés par le concile ne sont pas conformes à la doctrine
révélée par la Sainte Écriture28. À la clôture du concile de Trente, plusieurs protestants
contestent par écrit le concile, comme Charles Du Moulin avec Le Conseil sur le faict du
concile de Trente (1564) et Innocent Gentillet et Le Bureau du concile de Trente
(1586)29. Dans ces trois discours, la corde gallicane reste importante et le but ultime de
cet aspect est de montrer que le concile de Trente est contraire à l’autorité du roi30. Par
ces trois figures, « les protestants se posent comme les défenseurs de la séparation entre
les sphères politique et religieuse, temporelle et spirituelle. En aucun cas le pape ne peut
intervenir dans les affaires du royaume »31.
24
Hours, op. cit., p. 293.
Ibid.
26
Ibid, p. 294.
27
Ibid.
28
Robert M. Kingdon, « Some French Reactions of the Council of Trent », Church History, volume 33,
n°2, 1964, pp. 149 – 156.
29
Hugue Daussy, « La réception du concile de Trente par les protestants français », dans Marie Viallon,
Autour du concile de Trente : Actes de la table ronde de Lyon (28 février 2003), Saint-Étienne, Publication
de l’Université de Saint-Étienne, 2006, pp. 117 – 131.
30
Ibid, p. 124.
31
Ibid, p. 126.
25
8
2.2 Catherine de Médicis et les Guerres de religion
Comme mentionné précédemment, le gallicanisme est une tradition en France et les
politiques royales mises en place avec l’expansion de la réforme en sont le reflet. À
compter de 1550, l’affaiblissement de la monarchie se ressent et les protestants
deviennent de plus en plus nombreux et plus forts. Un « parti protestant » se forme entre
1559 et 1562 et ce parti fait entrer le débat religieux sur la place politique32. La tournure
des événements et la conscience d’un nationalisme français fort amènent Catherine de
Médicis à mettre en application la seule politique praticable dans cette situation, sans
mettre le royaume à feu et à sac, une politique de tolérance33. Avec les libertés de
conscience reconnues par l’Édit d’Amboise34 et la clôture du concile de Trente, il ne faut
pas croire que Catherine de Médicis rejette le concile. La conjoncture sociale et politique
dans son royaume ainsi que la tradition gallicane lui donnent des prétextes pour contester
le concile et se dérober pour son application35. Catherine de Médicis entreprend d’établir
une concorde dans son royaume. À la suite de l’Édit d’Amboise suit l’Édit de SaintGermain, accordant la liberté de conscience et légitime l’organisation des Églises
réformées36. Ces édits signés par Catherine de Médicis sont des solutions temporaires à la
crise religieuse en France et aux guerres entre les deux parties. Accepter les décrets du
Concile de Trente revient à annuler ces édits et recommencer les hostilités37. Malgré sa
bonne volonté de garder intact le royaume de France, l’Édit de Saint-Germain est
l’élément déclencheur des Guerres de religion en France qui se terminent qu’au
commencement du 17e siècle38. Bien que Catherine de Médicis reste régente jusqu’en
1563, sa prépondérance politique demeure importante dans la décennie qui suit, amenant
ainsi le roi, Charles IX, à continuer son programme de pacification39. Ainsi, le
programme de pacification de Catherine de Médicis, à la suite du concile de Trente,
conteste les décrets prononcés et les guerres de religion qui vont suivre son programme
représentent un obstacle politique important à l’application des décrets du concile.
32
Hours, op. cit., p. 102.
Martin, op. cit., p. 4.
34
Ibid, p. 41.
35
Tallon, Concile de Trente, p. 86.
36
Hours, op. cit., p. 102.
37
Martin, op. cit., p. 41.
38
Hours, op. cit., p. 102.
39
Ibid, p. 103.
33
9
Ainsi, l’héritage du gallicanisme, comme les libertés gallicanes qui prônent l’autorité du
roi sur le pape et les mythes des récits fondateurs, amènent les catholiques comme les
protestants à contester le concile de Trente. De cette constatation, Catherine de Médicis
met en place un programme de pacification entre les deux Églises pour maintenir une
unité politique, faisant ainsi ombrage aux décrets du concile de Trente.
3.
Les relations entre l’Église et l’État
Avec le raffermissement du pouvoir du pape et la tendance absolutisme qui touche la
France au 16e siècle, les relations politiques entre les deux pouvoirs sont tendues et les
intérêts particuliers de chacun entrent en contradiction avec l’autre. Cette tension entre
les deux parties est le dernier obstacle politique à l’application des décrets du concile de
Trente en France, au 16e siècle.
3.1 Raffermissement de l’autorité papale
De toutes les réformes décrétées lors du Concile de Trente, un nouvel élément fait surface
et s’impose : le pouvoir du pape est renforcé. Le concile de Trente, par sa mission de
restructurer son Église en désuétude, impose une nouvelle hiérarchie ecclésiastique. La
hiérarchisation de l’Église a un double aspect. Elle est à la fois une force religieuse et une
force politique et par ce fait, doit avoir un chef en puissance, le pape40. Cette
réorganisation de l’institution est très importante, car elle met au jour le rôle que le pape
sera appelé à jouer dans l’avenir, celui de l’autorité religieuse centralisée. Pour ainsi dire,
le pape devient maître de son royaume. Avec l’affermissement de son autorité, la papauté
passe de la défensive à l’offensive d’une conquête spirituelle en Europe41. Les papes
tridentins vont avoir à leur disposition, pour la conquête spirituelle de l’Europe, une
nouvelle force armée qui va jouer un rôle important dans l’application de la réforme
catholique : la Compagnie de Jésus. Ils établissent des premières écoles en Allemagne, où
les protestants sont en nombre plus important, tout comme ils vont aussi s’établir aux
40
Claude Sutto, « Étienne Pasquier et les libertés de l’Église gallicane », Revue d’histoire de l’Amérique
française, vol. 23, n°2, 1969, pp. 246 – 284.
41
Ranke, op. cit., p. 325.
10
Pays-Bas et en France. Ils vont bien évidemment trouver en France des oppositions
farouches à leur mission.
À ce sujet, Étienne Pasquier est un grand opposant aux Jésuites et à leur mission
chrétienne. Il a compris que les Jésuites jouent un rôle central et actif dans la mise en
place de la Réforme catholique et ceux-ci ne s’adaptent pas aux particularités locales, ni
au nationalisme naissant en France42. Il leur attribue des abus, tel que la corruption de la
jeunesse, mais pire encore, les Jésuites sont sous l’autorité du pape et ce, peu importe où
ils se trouvent. Ils sont donc une menace au pouvoir séculier, au roi de France et ils
divisent les catholiques en camps opposés, pour ou contre l’application du concile de
Trente43. Ils enveniment les relations entre les protestants et les catholiques qui
augmentent la tension au sein du royaume de France. Il n’est pas le seul à voir les Jésuites
comme une menace. Dans les grandes villes et surtout à Paris, l’établissement des
Jésuites est une menace directe aux privilèges de la Sorbonne, le Parlement et
l’archevêque44, lesquels privilèges sont un lègue de la tradition gallicane, tel que vu
précédemment. Ainsi, la nouvelle hiérarchisation de l’Église à la suite du concile de
Trente amène un plus grand pouvoir au pape qui, avec les Jésuites, entend implanter la
Réforme catholique malgré les oppositions françaises.
3.2 La monarchie française et l’absolutisme
Au milieu du 16e siècle, les représentants du pouvoir temporel, les rois et les empereurs
commencent à tendre vers l’absolutisme. En France, les tensions entre les protestants et
les catholiques et l’héritage du gallicanisme et ses libertés amènent la régente à pratiquer
une politique de pacification entre les deux groupes religieux. Il a été vu que cette
manœuvre est le fruit d’une conjoncture sociale, mais également politique. Le maintien
d’un « entre-deux religieux » par Catherine de Médicis permet de mettre le roi comme
l’élément au-delà des deux parties, exaltant ainsi l’absolutisme du roi45. Rallier les deux
« nations » sous le roi entre en pleine contradiction avec les désirs pontificaux à la suite
42
Sutto, loc. cit., p. 273.
Ibid, p. 276.
44
Ranke, op. cit., p. 344.
45
Hours, op. cit., p. 111.
43
11
du concile de Trente. Le raffermissement de l’autorité papale l’amène à vouloir avoir
contrôle de l’autorité morale sur les individus des royaumes. L’autorité morale du pape et
le contrôle sur les individus en viennent à devenir une autorité temporelle. Cette autorité
papale temporelle est vivement contestée par l’État qui y voit une superposition de deux
pouvoirs juridiques sur un même territoire46. De plus, pour l’application des décrets du
concile de Trente, les royaumes devaient en faire la loi d’État47. Il va sans dire que cette
situation ne concorde pas avec les intérêts nationaux du royaume, ni les intérêts
particuliers du pouvoir royal48. Vu comme une force étrangère, l’État de France se doit
« d’entraver les directives dogmatiques et disciplinaires »49 que le Saint-Siège tente
d’implanter. Ainsi, la tendance absolutisme du royaume de France et la demande de
l’application du concile comme loi du royaume amènent l’autorité royale à contester la
décision papale et à refuser l’application du concile sur son territoire.
Ainsi, le pape, en voulant raffermir son contrôle sur l’autorité morale des individus et par
sa force de frappe, la Compagnie de Jésus, s’oppose aux pouvoirs temporels du roi de
France, qui, par la tendance absolutisme de l’heure, tiennent à réunir ses sujets divisés
sous sa propre autorité. La divergence d’intention entre les deux parties constitue un
obstacle à l’application du concile de Trente en France.
Conclusion
En conclusion, l’hypothèse présentée dans ce travail était que les obstacles à l’application
des décrets du concile de Trente en France, durant le 16e siècle, étaient d’ordre politique.
La conscience nationale, sous les éléments unificateurs du roi et du gallicanisme, rallie
les deux groupes religieux, qui même en état de guerre, forment une force unique contre
le pouvoir papal. Reprenant le gallicanisme et les revendications de ses libertés, cette
tradition amène les protestants tout comme les catholiques à contester le concile de
Trente. Face à cette situation, Catherine de Médicis met en place une politique de
pacification pour maintenir une unité politique, à défaut d’une unité religieuse. La
46
Willaert, op. cit., p. 364.
Sutto, loc. cit., p. 252.
48
Hours, op. cit., p. 136.
49
Willaert, op. cit., p. 364.
47
12
position politique du royaume de France met en valeur les tensions politiques entre la
papauté, qui veut raffermir son autorité sur les individus et la couronne de France, qui
avec ses tendances absolutistes, tend à maintenir « l’entre-deux religieux » pour garantir
son autorité. Il convient de mentionner que cette recherche est limitée dans le temps et
l’espace, touchant uniquement la France durant le 16e siècle. Les obstacles à l’application
du concile de Trente en France continuent au 17e siècle, tout comme les obstacles au
concile n’ont pas uniquement touché la France. La conscience nationale a été brièvement
traitée dans ce travail, mais il serait pertinent dans une recherche ultérieure d’approfondir
ce phénomène, entre autres durant les Guerres de religion, afin de voir s’il a joué un rôle
prédominant et déterminant dans le conflit religieux.
13
BIBLIOGRAPHIE
Synthèse
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