Entretien avec Jacques Kraemer

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Entretien avec Jacques Kraemer
Entretien avec Jacques Kraemer
En 1963 quand vous avez lancé le TPL, y avait-il déjà l’idée de centre dramatique ?
L’idée de départ était totalement éloignée de l’idée de création de structure, de centre
dramatique, de créer un théâtre dur ou de toute idée d’entreprise. Le désir était de faire un théâtre
révolutionnaire, qui puisse agir sur le réel et qui gagne un public. C’était un rêve de théâtre
populaire, mais pas populaire au sens banal, populaire au sens d’un engagement complet, auprès
d’une région, auprès d’une population, auprès de - puisqu’à l’époque c’était comme ça - de la classe
ouvrière, un théâtre engagé dans les luttes. Avec une conception du théâtre comme élément
indispensable, qui pouvait participer aux luttes, par l’éveil au théâtre, à la culture, avec des auteurs
classiques comme Molière, ou contemporains. Comme Adamov ou des classiques contemporains,
mais qui étaient moins classiques qu’aujourd’hui, comme Brecht. En fait, et je le revendique, c’était
complètement romantique et utopique, comme le concept même de révolution.
C’est là-dedans que je me suis engagé avec quelques camarades, avec toute la ferveur de
mes 25 ans à l’époque et les cyniques peuvent rigoler, avec la naïveté aussi. Il faut se resituer à
l’époque. En 63 le communisme reste une idée active, un espoir pour beaucoup ici : les ouvriers, les
cadres syndicaux, politiques. Le PC à l’époque a encore 1 électeur sur 4 ou 5 qui votent pour lui. Il
représente un horizon, un espoir. La conception du théâtre à ce moment là est inspirée par ces
choses là. Moi j’étais élève au conservatoire à Paris donc à priori dans une orientation classique.
Nous étions au temps de la guerre d’Algérie. Il y avait une politisation intensive et accélérée des
jeunes ; on devait aller faire la guerre en Algérie. Il y avait des manifestations, auxquelles parfois je
participais, et c’était une idée combattante, militante du théâtre. Et au conservatoire, je travaillais
des classiques avec des professeurs qui étaient plutôt des traditionnalistes, même s’ils avaient
beaucoup de talent, comme Fernand Ledoux.
En dehors du conservatoire, j’adhérais à l’idéal et aux idées communistes et je lisais
« l’Huma », mais aussi les « Lettres Françaises », le journal d’Aragon. Et pour en revenir au théâtre, ça
a eu une influence déterminante sur moi, la revue « Théâtre Populaire » - où travaillaient Barthes,
Dort, Dusselbrecht, Rogneau … - qui était très engagée et qui prolongeait le choc qu’avait été la
découverte du Théâtre de Brecht en 54 au théâtre des nations. Cette même découverte qui avait
frappé Vilar à sa grande époque, mais qui avait surtout complètement déterminé la jeune
génération. Je pense aussi à Planchon, dont j’avais vu les spectacles et qui représentait pour moi un
idéal théâtral, ainsi que Brecht, Strehler, Adamov. J’avais eu comme prof aussi Jean Marie Serreau,
mais j’avais pas bien perçu l’influence qu’il pouvait avoir, donc c’est surtout ceux que je viens de citer
qui m’ont influencé. C’est sur cet idéal et cette connaissance de Planchon, les lectures de Brecht,
Piscator, etc, que je me suis lancé dans cette aventure complètement romantique sans aucune idée
d’entreprise ou de quoi que ce soit d’autre que cet idéal à mettre en œuvre dans une relation à un
public, à une population, à un territoire.
Donc au départ l’idée était simplement de « faire du théâtre » ?
Mais pas n’importe quel théâtre… Effectivement ce qui est toujours moteur, c’est ce désir de
faire du théâtre, et ça peut prendre plein de formes différentes. Chez moi, ça c’est inscrit dans cette
histoire que je viens de dire : la guerre d’Algérie, l’idéal communiste, tout ce courant dans le théâtre
qui était très fort, très séduisant et qui semblait offrir des possibilités de renouvellement, en sortant
le théâtre de ses circuits confinés traditionnels, que ce soit à Paris ou en province. Et ça participait,
car la foi soulève quelques montagnes, à ce mouvement qui était né après la seconde Guerre
Mondiale de la décentralisation. Je pense qu’au départ les fondateurs, les pionniers de la
décentralisation et même Jean Vilar, n’étaient pas animés par l’idée de créer une structure, de créer
un truc, mais par un idéal théâtral, social, historique, …
C’est dire l’importance de l’histoire et de la politique pour ce théâtre là et c’est tout le
courant brechtien, Piscator etc, et par exemple en France Planchon qui était très important. Moi, j’ai
commencé en Lorraine et - ce n’est pas un hasard - en même temps qu’Ariane Mnouchkine lançait
son théâtre du soleil, Bernard Sobel, le Théâtre de Gennevilliers et quelques autres qui seraient trop
long à citer. C’est dans ce courant là que s’est inscrit la fondation du Théâtre Populaire de Lorraine
dont la première représentation a eu lieu le 28 sept 63 avec la reprise d’une pièce d’Adamov créée
par Planchon, « Paolo Paoli », que nous avons reprise à ce moment là et qu’on a joué à l’hôtel des
mines à Metz avenue Foch. C’était la première représentation du TPL, avec la présence du maire de
l’époque qui l’a très mal pris et du gouverneur militaire, le général Massu, qui est parti à l’entracte,
parce que la pièce était plutôt anticléricale, antimilitariste et anticapitaliste. Il suffit de lire la pièce
d’Adamov, très intéressante d’ailleurs. Donc tout était fait pour nous aliéner, nous mettre à dos la
bourgeoisie locale, tout de suite. Ce qui est arrivé. Mais par contre le TPL, dans ses premières années
un peu « héroïques », a bénéficié d’une ferveur, d’un mouvement autour de son activité de la part
des syndicats, des partis de gauche mais aussi des jeunes, qui s’y reconnaissaient beaucoup. On
jouait beaucoup dans les collèges, les lycées et on leur était très sympathiques. Ca a été une période
absolument exaltante, très dure, mais on était plein d’énergie, de foi et d’enthousiasme.
Donc immédiatement, vous vous mettez à dos tous les décideurs de la ville. Comment avez-vous
pu survivre financièrement et passer toute cette période sans le soutien des pouvoirs publics ?
C’est en effet inimaginable aujourd’hui, d’autant qu’à l’époque le statut d’intermittent
n’existait pas donc il n’était pas question de percevoir quoi que ce soit. On a survécu, d’abord, en
vivant dans la misère, mais à 20-25 ans… ce n’est pas très important. On vivait en collectivité, on
bouffait des sandwiches, on faisait tout : la technique, l’administration et on n’avait pratiquement
pas de salaire, ou si peu… Nous étions professionnels parce qu’on ne faisait rien d’autre. On ne faisait
pas les 35h, on faisait les 70 h au moins ! On s’est rapidement endettés. L’histoire des premières
années a été l’histoire de difficultés matérielles énormes. Et ça fait partie de l’histoire du TPL, qui a
été mis en faillite, mais plus tard. Pendant des années on administrait les dettes.
On a quand même eu des aides. Il y avait des souscriptions, quelques subventions de
municipalités communistes sympathisantes de la région. Il y avait l’association des amis du TPL, les
gens cotisaient, aidaient. Il y avait les recettes : on faisait beaucoup de matinées scolaires. On avait
absolument besoin de ces recettes pour survivre ! Bon, ça se discute les matinées scolaires, mais
quand on n’a pas d’argent les recettes sont les bienvenues. C’était quand même une activité
théâtrale où l’on faisait partager notre plaisir de faire du théâtre et notre foi dans cet idéal. Après, les
choses évoluent assez vite et on se retrouve en 66 avec les premières subventions qui deviennent
plus substantielles mais n’empêchent pas les difficultés, parce que on court toujours après le fric et la
mise en liquidation intervient plus tard. On s’est retrouvés avec les premières subventions du Conseil
général - je rappelle que les régions n’existaient pas - puis de l’Etat Le ministère de la culture a
commencé à intervenir environ 3 ou 4 ans après qu’on se soit créé. Comme certains autres, nous
n’avons pas été envoyés en mission par le ministère avec des subventions. On a commencé un peu
comme des sauvages, sans rien ne demander à personne, selon nos convictions et on s’est efforcés
de survivre et de créer des moyens de travailler au fur et à mesure qu’on avançait.
Donc c’était des débuts un peu rocambolesques…
On peu appeler ça « période héroïque »… Moi j’ai appelé ça la « Lumpendécentralisation »
C’est un terme emprunté au marxisme. Il y avait le prolétariat, les pauvres, et le
« Lumpenprolétariat », qui intégrait les gens sans travail, sans papiers, SDF, … C’est la catégorie
sociale en dessous du prolétariat !
C’est un peu une plaisanterie de ma part.
La décentralisation a été dure, mais bien plus pour nous que, par exemple, pour la comédie de l’est,
qui a été envoyée en mission par le ministère, avec des subventions et des moyens. Ce n’était pas
facile pour eux non plus, mais quand même relativement professionnalisé. Nous, on a démarré
comme des sauvages, à partir de zéro, on n’avait rien. Donc pas question de s’acheter des fringues,
ou quoi que ce soit, on était pauvres.
Vous en parliez un peu tout à l’heure, on est tout à fait dans la vision romantique de l’artiste avec
une vie de bohême …
Moi j’ai vécu ça dans l’exaltation la plus complète, et en plus ça correspondait à notre
engagement, au côté des pauvres, contre la bourgeoisie. Donc c’était pas « on a le cœur à gauche et
le portefeuille à droite », comme on dit méchamment, comme les troupes qui vont de 3 étoiles en 3
étoiles, qui sont normalement défrayées. Nous on gagnait quelque chose de dérisoire, on louait un
appartement, on avait 6 mois à un an de retard dans les loyers. Pour la bouffe on mangeait des
sandwiches ou on faisait des pâtes et de la sauce tomate.
Aujourd’hui encore je reste assez remonté contre la société de fric et d’argent, je trouve que l’argent
pourri tout…
Attention, je ne suis pas contre le subventionnement, au contraire je trouve que le théâtre
n’a pas assez de moyens.
Pouvez-vous parler de la période où vous avez dû partir de Metz pour Villerupt, avec « Noëlle de
Joie » ?
Ça a été dès le début avec Paolo Paoli en 63. Tout de suite le TPL s’est situé pour ce qu’il
était, c'est-à-dire une troupe pratiquant un théâtre à visée révolutionnaire, fortement critique vis-àvis du pouvoir en place, contre les structures, avec un discours brechtien, godardien, à la Planchon
aussi , mais lui a toujours pris des précautions que je ne prenais pas - certains pourraient dire un peu
extrémiste - un peu provocateur quand même, mais avec une très grande conviction. Le répertoire
était en conséquence. On a été davantage soutenu quand on jouait du répertoire. Mais là où ça a
commencé à devenir explosif c’est quand j’ai commencé à écrire mes pièces après 68, parce que là,
c’était sur des sujets locaux. A l’époque faire une pièce sur les mines de fer qui attaquait le patronat,
alors que le patronat était tout puissant à l’époque, c’était culoté. Ce fut surtout avec « Minette »
qu’on a été victime de la répression, et le patronat de la sidérurgie est intervenu auprès des pouvoirs
politiques pour essayer de nous supprimer les subventions, les maigres subventions qu’on avait.
Comme on était engagés dans un combat, on l’a continué, selon l’expression de 68 « ce n’est qu’un
début, continuons le combat ». Mes pièces étaient toutes orientées comme ça, « les immigrés », « la
liquidation de monsieur Joseph K », « Le retour du Graully », qui gratinait le maire de Metz, Monsieur
Rausch.
« Minette », et « le retour du Graully » avaient déjà fait en sorte que les relations entre les
pouvoirs locaux et le TPL soient tendues, mais le comble a été atteint quand on a attaqué le
Républicain Lorrain avec ma pièce « Noëlle de Joie ». Là, ça a été un conflit très violent mais en
même temps très spectaculaire. On avait des soutiens aussi des syndicats des partis de gauche, du
public, c’était un vrai combat, c’était une époque où la lutte des classes était encore très intense,
dans les années qui ont suivi 68.
Là on a eu droit au boycott complet dans le Républicain Lorrain. Ils refusaient même les
publicités payantes ! La patronne, Madame Puhl-Demange, qui a maintenant disparu, avait donné
l’ordre que l’on n’ait plus une ligne dans le journal. Elle manquait complètement d’humour ! Et
même du sens des proportions… Elle est intervenue auprès du Président de la République pour qu’il
nous sucre les subventions, et à l’honneur du Ministère de la Culture, il ne nous les a pas coupées.
Toutes les subventions locales ont quant à elles été supprimées, la seule subvention que nous avions
était donc celle du ministère.
On a quand même tourné. On jouait dans notre petit théâtre du Saulcy. On s’y est installés
juste après l’élection de Rausch, qui - comme on comptait beaucoup de fervents soutiens à Metz et
qu’il y avait eu des manifestations dans les rues pour soutenir le TPL - avait pris l’engagement au
cours de sa campagne électorale de faire revenir le TPL à Metz et de nous subventionner. A ce
moment là, il n’avait aucune sympathie pour nous. Il nous a attribué un ancien réfectoire délabré qui
servait de repaire pour les clochards et qui était dans un état pas possible. On l’a retapé de nos
mains. C’était extrêmement fatiguant. On en a fait un théâtre (qui depuis a été rasé, et un vrai
théâtre y a été reconstruit). Pourtant, c’était sympa ce lieu, c’était un peu une petite cartoucherie de
Vincennes… Les gens adoraient venir. Quand on a joué « Histoire de l’oncle Jakob », on a joué
pendant un mois et ça ne désemplissait pas !
On retrouve un peu cette ambiance ici au théâtre en bois, mais avec des moyens plus
confortables… Nous c’était vraiment très précaire. Notre bureau aux trinitaires, il faisait 3x2m et
c’était la CGT qui nous l’avait prêté. Nous étions 3 dans ce bureau (au Saulcy il n’y avait que le
hangar).
Mais on n’était pas les seuls, à l’époque : au théâtre de la tempête, les bureaux de Jean
Marie Serreau, c’étaient des Algecos… Mais ça s’est lancé comme ça la décentralisation…
Cette installation au Saulcy, c’était avant que vous ne partiez à Thionville ?
Thionville c’est politique, mais tout ça est très lié à la politique… Et encore aujourd’hui, le
théâtre a toujours affaire aux pouvoirs politiques. Des Théâtres Nationaux les plus dotés aux petites
compagnies les plus désargentées, nous avons toujours affaire au politique puisqu’on a besoin de
financements publics. S’il n’y a pas de financements publics, il n’y a plus de théâtre. En 77, à
Thionville, c’est la gauche qui est élue, et comme je l’ai dit, la gauche et le TPL étaient en affinités
profonde. Il se trouve que les 3 hommes qui ont dirigé la mairie de Thionville, le maire Dominique
Souffrin, son premier adjoint Gilles Edelson et l’adjoint à la culture Gilles Morel, étaient des amis, des
camarades très proches. Cela a rendu évidente mon installation thionvilloise. Là, c’était un travail
ensemble. Ce n’était pas un rapport d’un théâtre à des tutelles, mais un rapport d’idéal partagé.
Voilà ce que j’ai eu la chance de connaître à Thionville. A partir de 77, nous étions sur les mêmes
idées, les mêmes espoirs et des relations d’amitié, de confiance, de compréhension. C’est sur ces
bases que j’ai travaillé à Thionville pendant les 5 années que j’y ai passé.
Vous êtes donc venu à Thionville plus par affinité que par obligation de partir de Metz ?
La différence c’était qu’au Saulcy à Metz, on vivait seulement d’une subvention d’état. En
venant à Thionville – tout en conservant une programmation au Saulcy - on avait l’occasion de
travailler avec nos amis de la mairie qui était des gens qui voyaient nos spectacles et nous
soutenaient. On a discuté avec eux de ce qu’on pouvait faire de mieux, il n’y a jamais eu de conflits
ou d’incompréhensions entre nous.
Evidemment il y avait des limites, mais je ne leur demandais pas la lune. Tout de suite en 77
on a fait la petite salle. C’était mon idée. Dès notre arrivée, parce que la grande salle était « dure ».
Je crois, qu’on n’a même pas fait de contrat, ou si on l’a fait, ça n’avait aucune importance car c’était
une action commune, j’étais libre de prendre les salles quand je voulais. Je m’occupais de la
programmation municipale.
La première saison (77-78) était formidable. On disposait des 2 salles du théâtre. On y a
installé nos bureaux (donc tout d’un coup on avait vraiment des bureaux). On a conservé le Saulcy, et
on a commencé une implantation à Longwy. C’était une salle plus difficile mais on y jouait avec le
soutien de certains là haut. Ce qui fait que quand on créait un spectacle, on arrivait à le jouer 15 fois
dans la petite salle, 15 fois au Saulcy, 5 fois à Longwy, et même plus ! On avait donc une autonomie
de plus de 30 représentations, ce qui est quand même énorme. Et c’était souvent plein ! Après
comme les moyens n’ont pas suivi, je n’ai pas pu développer un grand centre dramatique à l’échelle
dont je pouvais rêver. En 82, j’ai préféré quitter la région, estimant que, au fond, j’avais entendu le
slogan disant « ça suffit » en 68. Je me suis dit « ca fait presque 20 ans, ça suffit aussi ! »
Je suis parti à Paris et j’ai créé ma compagnie. J’ai fait des mises en scène où j’étais accueilli.
J’ai enseigné, notamment à la rue blanche. Ma compagnie allait travailler où elle pouvait. Je n’ai
jamais arrêté. J’ai présenté des spectacles à Paris dans différents théâtres, à Avignon, jusqu'à ce que
je sois nommé directeur du Théâtre de Chartres en 93, et naturellement, j’ai implanté ma compagnie
à Chartres. Aujourd’hui je ne suis plus directeur du Théâtre de Chartres mais ma compagnie y est
toujours.
Est-ce que votre expérience au TPL résonne encore aujourd’hui dans votre travail artistique ?
Beaucoup. Bien que les conditions historiques aient changés. Les pays communistes ont
disparu ou sont devenus d’abominables dictatures. Enfin ils l’étaient, mais on ne le savait pas.
Comme la Chine que tout le monde sait capitaliste mais qui est une dictature. A l’époque, il y avait un
leurre, on croyait que les démocraties populaires, l’union soviétique étaient des pays certes pas
parfaits, mais que l’on croyait engagés dans une voie positive. Le parti communiste, qui était très
vivant, est aujourd’hui mourant. Ce qui est resté, c’est ma foi dans le théâtre, dans la capacité du
théâtre à avoir une fonction sociale, et la conviction de la nécessité vitale de l’art théâtral. Moi je ne
renie rien de ce que j’ai fait, que ce soit à Metz, à Villerupt, à Thionville. Au contraire j’en ai une
certaine fierté et je m’inscris complètement dans cette continuité. Et j’espère que vous le verrez dans
le spectacle qu’on est en train de répéter.
Je pense être fidèle au jeune homme que j’ai été, et d’une certaine façon, je pense que je
vais finir comme le disais Jean Marie Serreau, « Jeune compagnie ». Finalement, je n’ai jamais
vraiment été dans l’institution : quand j’ai quitté le TPL, il n’avait pas de statut. Le CDR est arrivé bien
après, et je n’ai jamais eu l’occasion de diriger un centre dramatique. Le théâtre de Chartres était un
théâtre municipal quand je suis arrivé et puis on a obtenu le label de théâtre missionné, mais c’est un
sous-label de rien du tout. Ils m’ont donné le label, mais ils n’ont pas mis un centime de plus.
Qu’est-ce que ça vous fait de revenir ici aujourd’hui pour créer un spectacle, dans la structure que
vous avez créé ; devenue aujourd’hui un centre dramatique national ?
Ca me fait très plaisir, que ce qui avait été lancé comme ça dans cette exaltation romantique
ait pu tenir la route… Ça prouve que l’idée n’était pas idiote, sinon ça aurait disparu. On s’est inscrit
dans un courant qui a transformé la physionomie théâtrale du pays. Par exemple, quand le TPL a été
créé, c’était la première troupe professionnelle en Lorraine, et les 7 comédiens qui ont lancé le TPL
(dont je faisais partie), avec « le jeu de l’amour et du hasard », de Marivaux et « Paolo Paoli »,
d’Adamov, même si on était sous-payés, on était les premiers comédiens professionnels, c'est-à-dire
vivant du théâtre en lorraine.
C’était réellement le désert théâtral. A Bussang, ils n’employaient pas de professionnels. Il
n’y avait pas de théâtre à Nancy à part l’opéra, comme à Metz. Ils produisaient des opérettes mais en
tant que compagnie, comme il y en a beaucoup aujourd’hui, on était les premiers. Et c’était un peu
comme ça aussi partout en France. Il y a eu en 50 ans, (un peu plus en comptant depuis la fin de la 2e
Guerre Mondiale), avec les débuts de la décentralisation, un développement extraordinaire ; un
bouleversement du théâtre.
Propos recueillis le 9 mars 2011
par Matthieu OCTAVE

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