n°3377 6 décembre 2013
Transcription
n°3377 6 décembre 2013
DOSSIER Églises romanes et retables baroques Les beautés secrètes de la Corrèze Sornac, chapelle en granit et mégalithe christianisé. par Marie-Gabrielle Leblanc Photos : John Pole baroque du XVII siècle en noyer sculpté, un des De chapelles romanes un peu secrètes deux plus grands de France avec celui de Prades dans les Pyrénées-Orientales. Il est curieux de no en retables baroques inattendus, de ter qu’ils sont tous deux dédiés à la vie de saint majestueux tympans romans en Mises Pierre. Celui de Naves est l’œuvre des frères Du hamel, qui y ont travaillé en duo pendant 54 ans… au tombeau de la Renaissance, de l’âpre C’est le premier retable baroque de la région, vous allez en découvrir bien d’autres. beauté montagnarde du plateau de Gimel-les-Cascades, au nord-est du Tulle, at Millevaches à la douceur déjà périgourdine tire les amateurs de randonnée par ses trois cas cades où l’eau de la Montane tombe de 140 m et méridionale du sud du Limousin, au fond des gorges. Mais aussi, plus paisiblement, la Corrèze a cent atouts La cathédrale de Tulle. par son église qui recèle un des plus beaux reliquaires en émail cham pour s’attacher l’amateur plevé de Limoges du XII siècle : la châsse de saint Étienne. d’art et de nature. Corrèze, plus au nord, est un e e L Corrèze, moitié sud de l’an cienne province du Limousin qu’on appelait avant la Révolu tion le Bas-Limousin — la moi tié nord correspond à la HauteVienne — est moins connue que d’autres régions telles que la Tou raine, l’Auvergne ou le Périgord. Et pourtant, que de beautés, célèbres ou cachées. Partons à la découverte, en commençant par un petit circuit dans la montagne limou sine, au nord-est du département, puis en re descendant vers le sud. Nous partirons de Tulle, ville escarpée haute et basse de part et d’autre de la rivière Corrèze très encaissée ; elle mérite une visite pour sa petite cathédrale, le cloître et son musée, la belle église ronde des Carmes (fin XVIIe, elle est désaffectée), et le quartier du XVIe siècle surnommé « l’Enclos ». à 2 km au nord de Tulle, Naves possède un trésor dans son église : l’immense retable a 8 FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2013 beau village de granit dont l’église possède un retable baroque sculpté par Jean Tournié, de Gourdon, dont nous verrons de nombreux retables dans le sud du département. Meymac est au pied du plateau de Millevaches. Maisons anciennes authentiquement gothiques en granit avec toîts d’ardoises (dont une des nombreuses maisons des vicomtes de Ventadour dans la ré gion), et demeures pseudo-moye nâgeuses des riches négociants cohabitent. La maison aux deux tourelles et à la Vénus de Milo fut construite pour le premier courtier en vin de Bordeaux au XIXe siècle, domicilié à « Meymac près Bor deaux » (tout de même éloigné de 300 km…). L’église, la place, l’hô tel-Dieu et la halle forment un ensemble tout en granit. L’église Saint-Léger fut érigée au XIIe siècle Vue sur les vergers de myrtilles et le plateau de Millevaches depuis l'hôtellerie du monastère du Jassonneix. pour l’abbaye bénédictine fondée en 1085 par Ar chambaud III, vicomte de Comborn. Elle a un beau chœur gothique primitif, et une curieuse Vierge noire coiffée d’un turban. Ici, un détour monastique s’impose. Il importe, pour y arriver, de délaisser la grande départemen tale et d’emprunter la très belle Route des Hêtres qui prend son temps pour aller vers le nord ; c’est l’ancien tracé de la D979, la D979E. Vous décou vrirez, en pleine na ture, Le Jassonneix, un prieuré de moniales cisterciennes installé dans un petit châ teau du XVIIIe siècle, avec une belle église toute récente de style cistercien contempo rain. La communauté est célèbre pour ses confitures, parmi les meilleures de toutes les confitures monas Soudeilles Pietà (XVe siècle). Office au prieuré tiques selon les experts… Une visite à la boutique cistercien du Jassonneix. s’impose, pour découvrir comment elles marient la myrtille à la menthe, à la gentiane ou aux noix, la fraise au vin Merlot et la framboise au Sauvignon, ou encore les célèbres confits de plantes, hibiscus, sauge, verveine ou romarin. Les sœurs vivent de la culture des petits fruits rouges (myrtilles, mûres, groseilles, framboises et caseilles) et embauchent des cueilleurs au pair l’été pour la récolte. Leur église est un des rares sanctuaires en France dédié à Notre-Dame de Guadalupe. Le mo FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2012 9 Chapelle en granit à Lestrade sur le plateau de Millevaches. Chapelle de Saint-Sulpice-les-Bois sur le plateau de Millevaches. nastère a une petite hôtellerie (il faut réserver à l’avance car c’est très demandé) pour se reposer en ce lieu bucolique et forestier où le temps est rythmé par la prière monastique et la liturgie. Nous montons à présent vers le plateau de Millevaches (du celte batz c’est-à-dire source), la montagne limousine tapissée de bruyères et de myrtilles, « le toît du limousin », « le château d’eau de la France », qui culmine à 977 m. Il est à cheval sur la Corrèze et la Creuse, l’ancienne province de la Marche. Lestrade, Sornac, possèdent des petites églises intimes en granit. Celle de Saint-Sulpice-les-Bois recèle un petit retable baroque naïf et plein Baroque naïf à de charme. Saint-Sulpice-des-Bois. à Saint-Setiers, dont le nom est la déforma tion de saint Sagittaire, un disciple de saint Mar tial évangélisateur du plateau et martyr tué par les druides, dont le pèlerinage est le 13 mai, on découvre sa curieuse statue ornée de rubans mul ticolores. Le Rat de Peyrelevade. Peyrelevade, joli village aux toîts d’ar doise, possède aussi deux beaux retables baroques. Encore plus au nord, Le Rat de Peyrelevade (Rat signifie « roc ») est atteint par un chemin bordé de pierres mégali thiques moussues. On débouche devant la chapelle du XVIIe siècle et des rochers aux formes étranges, dont un vaguement en forme de rat. Le culte des druides y a cédé la place au pèlerinage de saint Roch (encore un jeu de mot). De ce belvédère ombragé la vue se déploie jusqu’à la Creuse. Si vous avez du temps, vous pouvez poursuivre vers la partie creusoise du pla teau de Millevaches, plus austère mais non sans charmes, comme l’attachante Felletin, sa manufacture de tapisseries et son église aux vitraux d’Henri Guérin. Mais nous allons commencer à redes cendre vers le sud. à Saint-Angel, on est 10 FRANCECatholique n°33377 6 décembre 2013 L'église cistercienne contemporaine du monastère du Jassonneix. surpris par la spectaculaire église fortifiée en gra nit, dédiée à l’archange Michel comme beaucoup de lieux élevés. Son retable-tabernacle en bois doré est un assez rare exemple de l’art religieux rocaille du XVIIIe siècle. Entre Meymac et Égletons, Davignac est encore une autre église tout en camaïeu de gris, ardoise et granit, avec son clocher-porche effilé comme une aiguille. à l’intérieur, par contraste, que de couleurs ! Le retable baroque fut restauré en 1950 et retrouva alors ses joyeuses teintes d’époque. Il occupe tout le mur du fond et la représentation sculptée de l’Annonciation et de l’Adora tion des bergers est particulièrement touchante. Un splendide bas-relief en pierre polychromée du XVIe siècle, l’Adoration des mages, est à noter aussi. La chapelle du cimetière, à deux pas, pos sède un retable baroque naïf et la statue de Jésus adolescent. Soudeilles nous accueille avec son église Saint-Martin et le tombeau gothique, en grès rose, généralement attribué au vi comte de Ventadour Ebles V, dans un grand enfeu avec une Crucifixion et saint Martin sculptés : quelle simple et noble beauté ! Il est représenté en chevalier, mais s’était fait moine à l’abbaye de Grandmont. Toutefois on ouvrit le tombeau au XIXe siècle, et on y trouva aussi les squelettes d’une femme et d’un enfant. Toutes les hypothèses fu rent émises (il s’est fait moine après être devenu veuf, il s’est séparé de son épouse pour entrer au monastère, ou bien c’est sa sœur et son neveu, les anticléricaux dirent bien sûr que c’était sa maîtresse et son enfant naturel), mais faute de documents, la tombe garda son mystère… à côté, une magnifique Pietà en pierre polychromée du XVe siècle rappelle fortement les Pietà au vergnates du Cantal voisin, avec la guimpe Le château-hôtellerie du monastère du Jassonneix. église fortifiée de Saint-Angel. Curemonte, ses trois châteaux et ses trois églises. tuyautée et le grand voile. Cette mise en scène vaient au transport fluvial des marchandises. Les dramatique des Cinq plaies de Notre-Seigneur re gabares de Dordogne ou courreaux, acheminaient flète bien la piété volontiers tragique de la fin du le bois limousin vers Bordeaux pour la tonnellerie. Tympan roman Moyen Age. de Carennac - l'Apocalypse. Certaines remontaient, hâlées par des bœufs, en Et Darnets enfin, une des rapportant en Limousin du sel, rares églises en France dédiées des produits coloniaux et du à saint Maurice, ce saint copte, poisson séché, mais la plupart chef de la Légion thébaine, des gabares faisaient un aller évangélisateur du Valais suisse simple vers Bordeaux et étaient où il fut martyrisé. Il est repré vendues avec la cargaison pour senté sur le tabernacle du XVIe finir elles aussi en tonneaux. siècle avec saint Antoine, autre Le voyage était extrêmement grand saint copte. périlleux, la Dordogne étant Un détour par les ruines du une rivière rapide, fantasque, château de Ventadour s’impose. traîtresse et en un mot dange Sur un promontoire escarpé do reuse malgré une fausse appa minant les gorges de la Luzège, rence de tranquillité. Les sports les formidables ruines nous rap de canoë y sont réservés à des pellent que le château des vicomtes, puis ducs, sportifs chevronnés. des myrtilles au fut au XIIe siècle le berceau de la poésie lyrique Cueillette Comment ne pas penser ici aux vers d’Edmond monastère du Jassonneix. des troubadours, fréquenté à l'époque par les Rostand dans Cyrano de Bergerac, quand Cyrano plus grands, à commencer par le duc d'Aquitaine, évoque pour les Cadets de Gascogne leur pays Guillaume de Poitiers, ami d'Ebles II. Pas natal, durant le terrible siège d’Arras : très loin, à 5 km d'Égletons (on est tou « C’est la verte douceur des soirs sur la jours dans la communauté de communes Dordogne, / Écoutez, les Gascons, c’est de Ventadour) l'église de Rosiers-d'Egle toute la Gascogne ! » tons, origine et baptistère de deux papes Les Tours de Merle, plus à l’est, sont Réalisation limousins du XIVe siècle, Clément VI et des confitures, aux confins de l’Auvergne. Ces sept châ Grégoire XI.* spécialité des teaux forts surplombant par 30 m d’àcisterciennes pic un méandre de la Maronne furent Au nord du barrage d’Argentat, le pe du Jassonneix. bâtis au XIIe siècle par chacun des fils tit château du Gibanel reflète sa sobre de la famille. Les Anglais et les brigands silhouette de granit et d’ardoise aux deux échouèrent devant Merle, dont l’appari fortes tours carrées, dans les eaux de la tion de l’artillerie eut seule raison, avec retenue de la Dordogne, devant l’écrin de les huguenots en 1574. Au XVIIe siècle, verdure de la montagne. ce lieu singulier fut occupé par plusieurs à Argentat, il fait bon déjeuner dans familles nobles et la garnison de faucon les restaurants sur le quai de la Dor niers du duc de Noailles, en une sorte de dogne, surplombée par les balcons de cité aristocratique. bois peints des maisons à tourelles et à Reygades, à 15 km au-dessus de la toîts de lauzes, un style d’habitat très Dordogne, possède un joyau bien caché : pittoresque que l’on voit aussi à Tulle sur une exceptionnelle Mise au tombeau en les quais de la Corrèze. Quelques gabares pierre polychromée du XVe siècle. Nico sont encore amarrées, qui évoquent le dème et Joseph d’Arimathie, Marie, saint « temps des gabariers » de la vieille chan Jean, Madeleine, Marie Cléophas et Ma son. Ces petits bateaux à fond plat ser FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2013 11 Vierge en argent du XIIe siècle à Beaulieu sur Dordogne. rie Salomé, visages juvéniles et atours du Moyen Âge, déploient autour du Christ mort la lente et hiératique liturgie de la douleur. Un beau texte est lu par Jean Piat dans le son et lumière permanent. Vaut le détour ! Beaulieu-sur-Dordogne, tout au sud du dé partement, mérite bien son nom. L’endroit a tant de charme, sur la rive droite de la rivière, qu’en 855, Raoul, ar chevêque de Bourges, le baptise Bellus Locus Retable baroque de Davignac. et y fonde une abbaye. La chapelle des Pénitents reflète son haut clocher-mur roman à arcades dans la rivière. L’abbatiale Saint-Pierre est une des deux plus belles façades romanes de la région avec celle de Carennac. Le tympan de 1125 serait dû à des sculpteurs toulousains comme à Moissac, Collonges-la-Rouge, Souillac et Carennac, mais certainement pas le même atelier qu’à Carennac car la composition en est très dif férente. Le Jugement dernier de Beaulieu est traité un peu dans la manière de Vézelay et Autun : interminables personnages dégingandés à l’infini, anges sonnant de la trompe. Les person nages du trumeau et des piédroits, eux, rappel lent nettement Moissac. Les dragons, chimères et autres monstres des deux registres du linteau Le retable baroque de Lostanges. 12 FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2013 Vierge noire au turban de Meymac. font typiquement partie du bestiaire roman. Dans le déambulatoire, on admire un beau retable ba roque de l’Assomption, ainsi qu’un autre, tout en bleu et or, dans la chapelle de saints Prime et Fé licien : le Christ remet les clés à saint Pierre. Et le trésor conserve une Vierge romane en majesté du XIIe siècle, en argent. On est vraiment ici tout à la fin du centre de la France et déjà bien proche du Midi. L’église romane de Carennac, ancien prieuré bénédictin, est au nord du Lot tout près de la Corrèze, elle mérite largement le — très pe tit — détour. Sa situation près du château est admirable. Le tympan du portail, du XIIe siècle, est hiératique, solennel et de composition géométrique. Il combine le thème de l’Apoca lypse comme à Moissac — la vision du Fils de l’Homme sur son trône au chapitre 4 —, et ce lui du Jugement dernier comme à Conques ou Beaulieu-sur Dordogne, avec les douze apôtres qui entourent le Christ pour l’assister dans le jugement des vivants et des morts. Le Seigneur trône dans une mandorle, forme en amande qui signifie la théophanie. Il est entouré par les quatre Vivants de l’Apocalypse qui symboli sent les quatre évangélistes, mais la particula rité est qu’Il n’est pas environné des vingt-quatre Vieillards mais des douze apôtres. Dans le cloître, on admire une belle Mise au tombeau d’un style très proche de celle de Reygade, avec les mêmes sept personnages entourant le Christ. Elle était Curemonte retable baroque. Puy-d’Arnac retable baroque. elle aussi polychromée, mais en 1896 le curé prit l’initiative malencontreuse de la décaper entière ment… Si vous disposez de temps, le Quercy est à deux pas avec toutes ses merveilles, le Gouffre de Padi rac, les grottes de Lacave, Rocamadour… Mais nous, nous remontons en Corrèze vers le nord, direction Queyssac sur son promontoire. Du sommet de la tour, le panorama est vaste sur la vallée de la Dordogne jusqu’au Périgord d’un côté, jusqu’à Turenne de l’autre. Nous reprenons la découverte des retables baroques en suivant la « Routes des retables en bas-pays corrézien. Les évêques fervents issus du concile de Trente, sous Louis XIII, visitaient inlassablement leurs diocèses, en vrais pas teurs. Ils restauraient la Foi et les sacrements, rénovaient des sanctuaires parfois fort déla brés. Les Tournié, une dynastie de sculpteurs qui se consacra pendant 200 ans à la décora tion des églises, étaient du diocèse de Cahors. C'est leur atelier de Gourdon qui réalisa les plus beaux retables corréziens à Lostanges, Turenne, Altillac, Puy d'Arnac, Noailhac et Corrèze. Retable de Naves, Altillac, non loin de Beaulieu, mérite un arrêt détail la Tempête apaisée. pour son retable, ses lambris de 1676 et son bap tistère. Cadet Rousselle a trois maisons, et Curemonte, classé parmi les plus beaux villages de France, a « trois châteaux, trois églises ». Les trois châteaux forts appartenaient à trois familles différentes, Retable baroque de saint Pierre en l'église de Beaulieu sur Dordogne. Retable baroque de Turenne. vassales des vicomtes de Turenne. Il faut chercher les points de vue sur le village par les routes qui le sur plombent et découvrir la vue d’ensemble sur ses maisons nobles à tourelles des XVIe et XVIIe siècles, aux toîts de tuiles. L’église paroissiale du XIIe siècle, avec son clocher-peigne, possède, sous ses croisées d’ogives polychromées, un savoureux retable baroque très coloré de vermillon, orange, vert, bleu et or, avec la Crucifixion et de curieux anges-caryatides de profil. Sur son piton rocheux d’où la vue sur la vallée de la Dordogne est grandiose, l’église de Puy-d’Arnac dévoile un décor original : trois retables baroques dont, au maître-autel, un su perbe retable-tabernacle tout en bois doré, avec une loggia pour exposer l’ostensoir surmontée du Christ ressuscité, combiné avec une belle toile de 1642 sur la Lapidation de saint Étienne, et des lambris Louis XIII turquoise et corail. Les retables latéraux, du Sacré Cœur et de la Vierge, étincellent de tous leurs ors : quelle créativité artistique que celle du « grand-siècle des âmes ». Le retable de Lostanges est une véritable ca Retable tabernacle de Saint-Angel (XVIIIe siècle). FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2012 13 Mise au tombeau de Reygades (XVe siècle). Mise au tombeau de Carennac (XVIe siècle). Davignac. Bas-relief de l'Adoration des mages. Soudeilles. Tombeau d'Ebles de Ventadour (XIIIe siècle). 14 FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2012 Portail roman de l'église de Carennac. téchèse sculptée. C’est un retable-tabernacle en bois tourné et sculpté, ciselé comme une pièce d’orfèvrerie, d’une ornementation exubérante, aux couleurs riantes. On peut en faire la lecture verticalement et horizontalement, comme les re tables baroques de Savoie. Les bustes du Christ et de la Vierge ne sont plus de l’art populaire, mais du grand art baroque tout court, qui ne serait pas déplacé dans une église jésuite de grande ville. La localité mérite aussi la visite de son jardin bota nique. Collonges-la-Rouge, tout en grès rouge avec des toîts de lauzes, est un des plus singu liers villages de France. Le retable de l’époque de Louis XIV est puissamment original : en forme de triptyque sur fond vert émeraude et or, il rythme l’espace par un grand Christ en croix sculpté, di verses statues et les instruments de la Passion très réalistes, encadrés dans des panneaux plaqués sur le fond. C’était une étape sur la branche secondaire li mousine du chemin de Compostelle reconstitué. Au Moyen Âge, les pèlerins flamands emprun taient en Limousin des itinéraires dits « route de Bruges ». à La Souterraine, ils pouvaient passer par Saint-Léonard, puis ils quittaient la route de Véze lay, droit vers le sud à travers l’actuelle Corrèze au lieu d'obliquer vers Limoges : Uzerche, perchée sur un éperon rocheux surplombant la Vézère, Vigeois, Donzenac, Brive, Turenne, et le haut-lieu de Ro camadour. Un autre itinéraire secondaire traverse Tympan roman de Beaulieu sur Dordogne, le Jugement dernier. Le portail roman de Beaulieu sur Dordogne. aussi le Bas-Limousin, mais plus à l'est : en Creuse, Bourganeuf et sa commanderie d'Hospitaliers de Jérusalem, Chaumeil, puis Corrèze, Naves, Tulle, Aubazine, Collonges, et Rocamadour. Ils rejoi gnent alors Cahors et la route du Puy. Turenne, voilà encore un village spectaculaire, dominé par le château des vicomtes de Turenne. Dans l’église SaintPantaléon, le parti adopté par l’atelier Tournié est encore une fois très novateur par la com binaison du bois sculpté, de la fresque et de la toile peinte. Le retable-tabernacle en bois doré, d’une exceptionnelle finesse, comporte deux tabernacles superposés, surmontés d’une loggia pour l’exposition du Saint Sacrement. En effet cet art du retable, au XVIIe siècle, s’inspire directement des recommandations du concile de Trente sur la mise à l’honneur des sacrements face aux protestants. Quatre colonnes torses en chêne l’encadrent (la colonne torse s’appelle l’« ordre salomonique », en référence au temple de Salomon, c’est une création du Bernin et de l’époque baroque). Elle portent presque tou jours des pampres de vigne, allusion à l’Eucharis tie. Derrière, des fresques en trompe-l’œil imitent du marbre et des statues dans des niches. Au-des sus, une toile peinte figure la Crucifixion, mais le Une gabarre à Argentat. Soudeilles tombeau d'Ebles de Ventadour (XIIIe siècle). Christ, la Vierge et saint Jean y sont en relief… Unique ! Brive ne présente pas d’intérêt artistique mais une prière au sanctuaire des grottes de saint An toine s’impose : saint Antoine de Padoue a prêché dans la région au XIIIe siècle, et obtenu le miracle de la pluie, qui ne tombait pas sur ses auditeurs en plein air. Aubazine, enfin, est célèbre par son église cistercienne ro mane, jadis siège de l’abbaye fondée au XIIe siècle par saint Étienne d’Obazine qui a son tombeau dans l’abbatiale. C’est toute l’âpre pureté du roman cis tercien, la plus austère des archi tectures monastiques. Tout le contraste artistique de la Corrèze est là, entre la rugosité primitive de l’architecture romane, et le chatoiement des ors et des couleurs du baroque. Deux formes de piété pour une même Foi. n www.monastere-du-jassoneix.com Route des retables. à la fin des années 1990, lorsqu’il était évêque de Tulle, Mgr Patrick Le Gal, eut l’initiative avec la conservatrice du musée de Tulle de promouvoir la Route des retables en Corrèze. Une belle brochure a été réalisée. Comité départemental du Tourisme, quai Baluze 19000 Tulle. Tél. : 05.55. 29.98.78. www.tulle-coeur-correze.com * Luc de Goustine et Jean Vinatier, Rosiers-d'Egletons, son église, ses papes limousins, 32 p. illustrées quadri, 18x22, éd. Carrefour Ventadour, 2013, 8 €. FRANCECatholique n°3377 6 décembre 2012 15