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Pour une meilleure gouvernance du
développement durable
A côté de l’économie verte, la gouvernance du développement durable est l’un des deux thèmes au
centre de la prochaine Conférence de Rio+20. A commencer par une réforme institutionnelle au sein des
structures des Nations unies. Mais pas seulement. Dans un monde ou la loi du marché s’impose en maître
une régulation s’avère nécessaire. La question est aussi comment allier meilleure gouvernance et
démocratie participative. Or, dans le document préparatoire à la Conférence de Rio (zéro draft), l’équité et
la participation comme telles n’apparaissent pas. « L’intensification de la production de nourriture » est
préférée aux principes de souveraineté alimentaire (priorité donnée à une agriculture familiale
soutenable). Pourtant, l’essentiel se joue autour de la distribution et la répartition des terres, la
dégradation des sols, le lien entre production et consommation locale, l’organisation logistique, la lutte
contre le dumping et les crédits à l’exportation jusqu’à la présence éventuelle de corruption ou de conflits
dans une région. « Au total, les pays africains souffrent généralement plus de la mal gouvernance que de
1
l’absence de ressources, y compris celles humaines » . Le Prix Nobel de la Paix, Amartya Sen, avait
démontré que la cause profonde de la faim dans le monde relève davantage d’un déficit démocratique que
2
d’une insuffisance alimentaire . On le voit, les questions de gouvernance sont fondamentales. A
commencer, par les programmes des Nations unies.
Les Nations unies face à ses institutions
Des réformes institutionnelles au sein des structures des Nations unies pour le développement durable
sont à l’agenda. Une Commission du développement durable (CDD) assure, depuis 1992, le suivi des
engagements pris à Rio lors des assemblées annuelles et des réunions à caractère régional (l’ONU partage
le monde en 5 grandes régions). Pour plus d’efficacité et de visibilité il serait bon de faire remonter la CDD
dans l’architecture des Nations unies. « Parmi les idées qui circulent il y a celle de créer un Conseil
mondial du développement durable, à l’instar du Conseil des droits de l’Homme. Une autre idée est de
transformer l’ECOSOC, le Conseil économique et social des Nations unies, pour en faire une grosse
3
machinerie du développement durable » .
Le PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) a un statut de programme, ce qui est
insuffisant pour l’implémentation des mesures qu’il recommande. Là aussi, il faudrait que le PNUE
acquière le statut d’agence des Nations Unies comme c’est le cas pour d’autres matières (FMI, Banque
Mondiale, UNESCO, OIT). On évoque aussi la nécessité d’une simplification et d’un renforcement du système
des accords multilatéraux sur l’environnement (AME) pour en faire une seule plateforme, plus cohérente.
De fait, on hésite entre regrouper les compétences et les rendre plus spécifiques. Mais dans tous les cas,
dans les institutions internationales, le développement durable (environnemental, social et économique)
n’est ni assez transversal, ni assez pourvu de poids, de visibilité et de légitimité aux yeux de la
communauté internationale.
Un autre problème est le manque de cohérence des positions des représentants des Etats dans les
différentes instances de l’ONU, selon les ministères d’où ils sont issus dans leurs pays respectifs. Par
exemple, sur les questions agricoles, les ministères de l’agriculture et ceux de l’environnement peuvent
parler d’une voix discordante.
Des réformes internes aux Nations unies ont déjà eu lieu. Au Sommet mondial de 2005, les pays Membres
ont établi « la mise en œuvre des réformes actuelles tendant à assurer dans les pays une présence des
Nations unies qui soit plus efficace, rationnelle, cohérente et concertée et qui donne de meilleurs
1
Participation citoyenne, bonne gouvernance et développement durable : les conditions de la durabilité sociale des actions de
développement, Siaka Coulibaly : http://www.francophonie-durable.org/documents/colloque-ouaga-a5-coulibaly.pdf
2
Agir ici pour la souveraineté alimentaire : http://www.oxfammagasinsdumonde.be/2012/04/agir-ici-pour-la-souverainetealimentaire/
3
Esprit de Rio, es-tu là ? Quatre regards sur vingt ans de développement durable, interview de Nadine Gouzée, responsable de la task
force Développement durable au Bureau du Plan, in Imagine, no. 91, mai-juin 2012
résultats, et à renforcer le rôle du haut fonctionnaire présent dans un pays, avec un cadre commun de
4
gestion, de programmation et de suivi » . Le principe
d'unité d'action des Nations unies a permis de
petites avancées vers une meilleure cohérence des agences des Nations unies sur le terrain. « Mais le
véritable problème persistant reste la cohérence de l'ensemble du système international, pas seulement
des Nations unies : les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le FMI, les
5
banques régionales de développement et autres doivent également faire partie de la solution» .
Du côté du financement des politiques climatiques, un processus a été mis en place lors de la conférence
6
de Cancun de 2010, pour mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 d’aide des pays développés
vis-à-vis des pays à faible revenu, pour soutenir une transition verte. Ce fonds est censé rassembler tous
les fonds climat existants. Mais la Banque mondiale ne peut rester gestionnaire du Fonds au-delà de 3
ans. En outre, sa mise en œuvre doit se faire en concertation avec tous les acteurs, et particulièrement
les populations locales (indigènes, paysans,…).
Le FEM (Fonds pour l’environnement mondial) est l’instrument de financement le plus important pour
l’économie verte. Cependant, en 2007, l’architecture du financement des actions mondiales pour
l’environnement a connu de rapides changements. Le changement climatique occupe la place centrale
tandis que 14 nouvelles initiatives de financement ont vu le jour. La multiplication des fonds « soulève de
nombreuses questions sur la future architecture de la finance environnementale mondiale – en
7
particulier, quel rôle et quelles fonctions le FEM devrait jouer dans cette structure » .
D’autres institutions des Nations unies couvrent des matières essentielles connexes au développement
durable. « Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale des Nations unies (CSA) a démontré, au cours de
sa réunion annuelle qui s’est conclue samedi 22 octobre à Rome, qu’il est à la hauteur de son rôle
d’institution centrale de gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire, de l’agriculture et de la
nutrition. Cependant, plusieurs gouvernements, notamment des pays exportateurs membres du G20, ne
sont pas encore prêts à faire face aux causes profondes des défaillances du système alimentaire mondial
8
ni à reconnaître les vérités qui dérangent sur les lacunes de leurs politiques » . Comment avancer, faute
de consensus ?
D’autres négociations s’éternisent. « Les principaux processus intergouvernementaux tels que le Cycle de
Doha et les pourparlers sur un successeur au Protocole de Kyoto sur le climat ne sont pas loin de
9
ressembler à des « zombies multilatéraux » (titubant sans cesse, sans jamais expirer tout à fait) » .
Le manque de représentativité des décideurs du monde est aussi un grief fait aux institutions, aux
réunions internationales comme les G8, le G20 : « La gouvernance mondiale, au sein des grandes
10
institutions a tout d’un régime censitaire » . Or, il s’agit ici des groupes de pays les mieux pourvus en
moyens pour un rééquilibrage Nord Sud, pour un développement durable.
Le principe des 3 F (first, further et faster) - à savoir les premiers à agir, pour aller le plus loin et le plus vite
- rappelle en résumé les responsabilités des pays à l’empreinte environnementale la plus lourde. Il s’agit
d’un préalable à toute reprise de confiance des pays du Sud envers les plus développés. Il faut se
rappeler que la Conférence de Johannesburg, en 2002, avait vu une relative désaffection des pays du Sud
qui ne croyaient plus à la prise en compte de leurs priorités, au vu du peu de résultats obtenus depuis la
première conférence de Rio.
4
5
Résolution A/60/1 de l’Assemblée générale des Nations unies (2005) : http://www.un.org/fr/ga/deliveringasone/index.shtml
Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University,
Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-foodsystem-270511-fr.pdf
6
Communiqué de presse de la CCNUCC (Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques), 12 décembre 2010
7
New finance for climate change and the environment, G. Porter, N. Bird, N. Kaur et L. Peskett, WWF, 2008 :
http://www.worldwildlife.org/what/howwedoit/conservationfinance/WWFBinaryitem10912.pdf
8
Les progrès accomplis au Comité de Sécurité Alimentaire, Oxfam Solidarité, http://www.oxfamsol.be/fr/Les-progres-accomplis-auComite-de.html
9
Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University,
Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-foodsystem-270511-fr.pdf
10
Inégalités Nord-Sud et développement durable, CGT, 2005 : http://www.cgt.fr/IMG/pdf_InegalitesNordSud.pdf
Enfin le manque de moyens des institutions internationales, est récurrent et cela d’autant plus que
certains pays et non des moindre, comme les Etats-Unis, ne payent pas toujours leurs cotisations.
La logique sectorielle des plans d’action
Souvent la logique sectorielle domine la mise en œuvre des plans d’action. La multitude des plans
d’action environnementaux (PNAE) qui ont fait suite à la conférence de Rio de 1992, n’était pas intégrée
aux stratégies officielles du développement dans les pays en développement. « De ce fait, ils n’ont pas
été considérés comme prioritaires et n’ont pas reçu le soutien des ministères clés (ministère des
11
Finances, en particulier), des institutions de Bretton Woods et de l’ensemble des donateurs » .
Les plans d’action d’adaptation (PANA) en matière de changement climatique et destinés aux pays les
moins avancés, sont élaborés par les ministères de l’Environnement, « d’où les difficultés liées à leurs
ressources limitées et à leur faible poids politique, ainsi qu’au peu de soutien et d’implication des autres
12
ministères» . De plus, la nature systémique du développement durable demande qu’on traite
conjointement les matières liées entre elles. Ainsi en va-t-il pour le changement climatique, la
déforestation, l’agriculture, le transport, l’énergie …
Certains efforts sont pourtant consentis : « récemment une tendance se développe pour une cohérence
plus affirmée des actions réalisées en fonction de logiques thématiques (gouvernance de proximité,
aménagement du territoire, services publics locaux, eau, développement durable) dans la continuité des
engagements de Johannesburg et Kyoto, avec un développement des réflexions à l’échelle des régions en
13
liaison avec l’ensemble des acteurs du territoire » .
Cependant, on peut regretter que les programmes environnementaux - de la conception à l’exécution empruntent la logique top-down. Souvent experts et technocrates, auxquels succèdent des
bureaucrates, ne tiennent pas assez compte du savoir des populations locales, notamment leur
expérience d’adaptation face aux transformations. Même si certaines initiatives existent comme des
14
projets d’écotourisme ou des Fonds multi-bailleurs pour les écosystèmes en danger critique (CEPF) ,
soutenus par des ONG locales issues de la société civile, l’appropriation par les populations locales est la
vraie difficulté de ces projets. De même, les politiques élaborées et exécutées sans concertation
suffisante avec les organisations paysannes et la société civile sont un échec.
En résumé : « de manière générale, les efforts réalisés par le passé pour intégrer les questions
environnementales dans les politiques de développement ont été caractérisés par trois principaux
défauts. Ils n’ont pas été totalement intégrés dans la stratégie de développement des pays. Ils ont été
poursuivis sous la forme d’approches technocratiques, du haut vers le bas. Enfin, ils n’ont pas été
15
soutenus d’une façon systématique par les pays développés » .
Des Objectifs du Millénaire aux Objectifs de développement
durable
Des Objectifs mondiaux de développement durable (Sustainable Development Goals ou SDGs) sont
envisagés à l’issue de Rio+20. Ils pourraient intégrer tout ou partie des Objectifs du Millénaire pour le
Développement. Toutefois ces derniers s’adressaient davantage aux pays en développement et incluaient
une majorité d’objectifs sociaux. Pour ne pas perdre au change, garder la priorité sociale et continuer le
travail sur les Objectifs du Millénaire jusqu’en 2015, il faudra rester vigilant.
D’autre part, la communication gagnerait à être meilleure que celle qui a prévalu pour les Objectifs du
Millénaire. Ceci notamment vis-à-vis des pays les moins développés afin qu’ils connaissent mieux les
opportunités concrètes offertes au niveau local.
11
Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, P. Jacquet et J. Loup, in Regards sur la Terre 2009, p. 193
Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, ibid.
13
Les coopérations au développement durable en question dans les pays du Sud, Géraldine Froger, in Développement durable et
territoires, Vol. 1, no. 1, Mai 2010 : http://developpementdurable.revues.org/8364
14
Critical Ecosystem Partnership Fund
15
Le développement durable, une nécessité pour les pays du Sud, P. Jacquet et J. Loup, Regards sur la Terre, 2009, p. 183 :
12
http://www.pierrejacquet.fr/IMG/pdf/Chap8.pdf
Enfin, à l’époque, les Objectifs du Millénaire ont été plutôt lancés que négociés. On peut parier que ce ne
sera plus le cas pour les Objectifs du Développement Durable. Les pays du Sud vont sans doute veiller aux
engagements pris par les pays du Nord avant de s’impliquer. Il en va de la crédibilité des intentions
affichées par les pays les plus riches.
Ces objectifs de développement durable devraient intégrer les conventions sur le climat, la biodiversité et
le développement durable. Ce dernier, à son tour, intègrerait des objectifs de consommation et de
production car, surtout chez nous, l’impact environnemental en est très important.
Si la pauvreté absolue a baissé, la pauvreté relative a augmenté, aussi, mais pas seulement, à cause de la
crise économique actuelle. En effet, le manque de volonté politique a fait que, malgré les Objectifs du
Millénaire, la surexploitation des populations défavorisées reste une constante. Il résulte aussi que « les
solutions proposées se limitent à augmenter les ressources des pays en développement dans les
secteurs sociaux visés, sans remettre en cause l’architecture financière internationale et les règles du
16
commerce mondial » .
Le Secrétaire général des Nations unies résume ainsi la situation : « Si les progrès accomplis sont
insuffisants, ce n’est pas parce qu’il est impossible d’atteindre les objectifs du millénaire, ou parce que
les délais sont trop courts, mais parce que les engagements ne sont pas respectés, que les ressources ou
la volonté mobilisées sont insuffisantes, que le principe de responsabilité n’est pas respecté et que le
17
développement durable recueille un intérêt limité » .
Et l’Europe ?
Dans l’Union européenne, une partie importante des compétences en matière environnementale a été
transférée aux institutions européennes. Ainsi, les Etats membres sont contraints à appliquer les
directives et règlements de la Commission. En regard d’autres Etats, l’Union européenne fait figure
d’exemple dans un certain nombre de règlementations environnementales. Mais il vaudrait mieux que les
règles de libre-échange portent la marque du développement durable. Autrement dit, l’Europe ferait bien
de calibrer les droits de douane sur le respect de principes sociaux et environnementaux, de manière
évolutive, afin d’encourager les pays tiers à adopter les mêmes règles.
Dans une communication de 2011, la Commission européenne suggère des instruments réglementaires
traditionnels fondés sur les mécanismes de marché (taxes, permis négociables, subventions
environnementales, incitations fiscales destinées aux PME, écotaxes et prix de rachat). Parmi les
propositions, relevons une qui touche le travail : « Des réformes fiscales déplaçant le poids de la fiscalité
du travail vers les activités ayant des impacts environnementaux et l’énergie peuvent être bénéfiques à la
18
fois pour l’emploi et pour l’environnement » .
En outre, les politiques belges et européennes (commerciales, agricoles, climatiques, de santé, de
coopération, etc…) devraient être cohérentes entre elles et contribuer à éliminer la faim, soutenir le
développement, contenir le réchauffement climatique, préserver l’environnement, renforcer l’agriculture
familiale et durable. Au niveau national toute mesure doit impliquer des institutions telles que les comités
économiques et sociaux nationaux et les conseils nationaux pour le développement durable qui devraient
être accrus et de manière transversale.
Penser aux pays les moins avancés, c’est aussi tenir compte de ceux qui en viennent, en raison de
problèmes économiques, de gouvernance ou d’environnement. « Ainsi, on parle toujours du fossé NordSud, mais que dire du mur virtuel ou réel que dressent les pays industrialisés face à l’afflux des
demandeurs d’asile ? (…) Si le pays riches restent un paradis désirable pour tant d’humains en déroute,
16
Les objectifs du millénaire : un bilan critique 10 ans après leur adoption, Arnaud Zacharie, CNCD-11.11.11, Septembre 2010, p. 16 :
http://www.cncd.be/Les-objectifs-du-millenaire-un
17
Tenir les engagements pris : bilan prospectif visant à promouvoir un programme d’action concerté afin de réaliser les objectifs du
millénaire pour le développement d’ici à 2015, Rapport du Secrétaire général, Assemblée générale des Nations unies, 12 février 2010,
p.
18
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des
régions, 20.06.2011, p. 9
c’est bien parce que trois principes de la déclaration de Rio ont failli : l’équité dans la satisfaction du
droit au développement, l’élimination de la pauvreté et le principe de responsabilité commune mais
19
différenciée » .
Les enjeux géostratégiques 20 ans après
Lors de la Conférence de Rio de 1992, on bénéficiait de l’euphorie lié à la fin de la guerre froide. Un monde
multipolaire voyait le jour : « certes le monde bipolaire a bel et bien disparu, mais au profit de la
consécration de la globalisation néolibérale qui a donné la priorité au pilier économique, par rapport au
20
pilier social et environnemental » . Par ailleurs, les attentats du 11 septembre ont joué sur les relations
entre Etats. La crise financière de 2008 a confirmé le poids des marchés et affaibli les finances publiques.
Les enjeux électoraux dans certains pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne pourront aussi jouer, lors du
prochain Sommet de juin.
Quant aux opinions publiques, elles sont plus ou moins prises en compte par leurs dirigeants selon le type
de régime, l’orientation politique, l’agenda interne. En Europe, l’austérité, le chômage et la crise de l’Euro
occupent le devant de la scène, médias compris. Les pays émergents sont pris entre croissance et
inégalités au sein de leurs populations. Enfin les pays les moins avancés sont ceux qui sont en droit
d’attendre le plus d’une conférence mondiale mais qui sont aussi le moins représentés et le moins
médiatisés.
Tous ces facteurs peuvent aller à contresens de la Conférence de Rio, malgré son vaste programme. De
plus, même si un consensus se dégageait de l’ensemble, est-ce que cela s’assortirait de politiques
suffisamment contraignantes et d’une feuille de route concrète ? Un échec serait pourtant grave : « le fait
d’avoir défini un programme aussi ambitieux fait courir le risque qu’un échec du sommet vienne
21
marginaliser encore davantage le développement durable dans les priorités politiques internationales » .
Le système économique
gouvernance ?
à
l’épreuve
d’une
meilleure
Comment une meilleure gouvernance pourrait-elle jouer sur l’économie ? Pour certaines parties prenantes
s’attaquer aux vraies causes des inégalités comme de la dégradation de l’environnement signifie mettre
en cause le système économique tout entier. Or les pays les plus pauvres de la planète n’ont souvent
comme interlocuteurs que des acteurs économiques. Rio 2012 pourrait être une opportunité pour la
société civile de prendre sa place dans le face à face entre Etats et Business.
Des politiques commerciales plus régulées, subordonnées aux droits humains et à la préservation des
biens communs ? Le droit d’usage soutenable remplacerait le droit d’échange (commerce) pour les
ressources appartenant au patrimoine de l’humanité. En tous cas, soutenir des modes de production et de
consommation plus durables fait partie de thématiques prévues à la Conférence de Rio.
Parmi les solutions proposées par le PNUE : « les politiques destinées à assurer un soutien efficace et à
impliquer le secteur privé prévoient notamment l’utilisation d’objectifs, de pénalités et d’incitations
comme les « feed-in laws » (lois fixant des tarifs minimums garantis pour les énergies renouvelables) et
les normes d’efficience pour les bâtiments et les appareils, ainsi que des activités dynamiques de
22
recherche et développement. » .
Certains investisseurs institutionnels à long terme tels que les fonds de pension et les compagnies
d’assurances envisagent la possibilité de réduire les risques ESG (environnemental, social et de
gouvernance) par la constitution de portefeuilles « verts ». Un cadre réglementaire et un système intégré
19
Eponger ou fermer le robinet ?, in Regards croisés sur le développement durable : Boîte à outils à l’usage de la société civile,
Associations 21, p. 18, 2011
20
Quitte ou double pour le développement durable, Arnaud Zacharie, CNCD-11 11 11, in Imagine demain le monde, no. 91, mai-juin
2012, p. 32
21
22
Quitte ou double pour le développement durable, ibid.
Emplois verts : Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone, PNUE, 2008
de reporting seraient des outils complémentaires à l’application des critères ESG. Les politiques de
responsabilité sociétale des entreprises (RSE) font partie des solutions avancées par le secteur privé en
matière de développement durable.
Mais pour beaucoup d’ONG et de courants politiques alternatifs, il faut passer à la vitesse supérieure et
s’attaquer ni plus ni moins à la régulation des marchés.
Régulation des marchés
Depuis la Conférence de Rio de 1992, on a assisté à la montée en puissance de certains acteurs
économiques, comme les entreprises multinationales, les marchés financiers, les agences de notation
financière… Les contre pouvoir n’ont pas suivi. Les politiques de l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, les
Banques centrales sont soumises aux enjeux géostratégiques ou se révèlent inégalitaires. Ajoutons
l’absence d’une vraie fiscalité internationale sur la spéculation. Or, pour Oxfam, développement durable et
« laisser faire » sont incompatibles. « Le terme régulation est important pour les ONG. Il s’agit de se donner
un cadre pour aller vers le respect de règles sociales et environnementales à l’échelle internationale. De
s’imposer des règles de gestion de l’offre et de la demande afin de maintenir l’exploitation des ressources
23
en dessous de la biocapacité terrestre et dans le respect des droits humains » .
Les instruments devraient être incitatifs, mais, au besoin coercitifs. Or, dans la Déclaration de Rio de
1992, la régulation n’est pas à l’ordre du jour : « Les Etats devraient coopérer en vue de promouvoir un
système économique mondial favorisant la croissance et le développement durable dans tous les pays. Ils
ne doivent pas se servir des politiques de l’environnement comme prétexte pour justifier des restrictions
aux échanges commerciaux ».
Cependant les marchés publics durables (green procurements) sont importants pour les marchés de biens
et de services durables tandis que les subventions sont un puissant catalyseur pour une transition verte.
A l’inverse, si elles transforment, des activités non durables en activités artificiellement bon marché ou à
faible risque, elles faussent le marché par rapport à l’investissement dans des solutions vertes. C’est le
cas des subventions baissant le coût d’utilisation des combustibles fossiles qui donnent un sursis, à
court terme. Pourtant, même si moins rentable politiquement, les subventions pour l’isolation des
bâtiments seraient bien plus utiles, à long terme.
Investir dans les énergies renouvelables tombe sous le sens mais réguler les marchés des matières
premières devrait aussi être une priorité des institutions internationales. Le pétrole représente 10 à 15%
du total des importations des pays africains importateurs de pétrole et absorbe en moyenne plus de 30%
24
du revenu de leurs exportations , 45% pour l’Inde et plus de la moitié pour des pays comme le Kenya et le
Sénégal. Un gouffre sans fin ?
La gouvernance au secours de la résilience des populations
Par un effet d’une part de rétroaction et d’autre part d’inertie, certains phénomènes de pénurie de
ressources naturelles et de changement climatique vont se produire, quoiqu’on fasse. D’autres pourraient
être encore freinés ou évités. La question se pose donc, dès maintenant, des capacités de résilience des
populations qui est la capacité à gérer collectivement toutes formes de risques, tant au niveau national
qu’international. Dennis Meadows, co-auteur, du best seller prémonitoire, La limite de la croissance, invite
scientifiques et politiques à penser en termes de chocs de rupture présents et à venir. Prévoir des sources
alternatives (redundancy), des grands modules de stockage (buffering) et améliorer l’efficience des
25
dispositifs (efficiency) sont ses maîtres mots .
23
Brigitte Gloire, Oxfam Solidarité, Esprit de Rio, es-tu là ? Quatre regards sur vingt ans de développement durable, in Imagine demain
le monde, no. 91, mai-juin 2012
24
Meeting trade and development challenges in an era of high and volatile energy prices : oil and gas in LDCs and African countries,
CNUCED (2006), p. 4
25
« Il faut construire rapidement de la résilience », entretien avec Dennis Meadows, in Imagine, no. 91, mai-juin 2012, p. 20
« Une chose est sûre : les chocs et les tensions vont changer la donne. À défaut d'une impulsion mondiale
majeure en faveur de l'universalisation de la sécurité alimentaire et du développement durable, la
volatilité (des prix des denrées alimentaires, du cours du pétrole, des impacts climatiques ou autres) va
s'intensifier continuellement. À terme, cela devrait forcer les responsables de l'élaboration des politiques
à s'engager plus sérieusement et à soutenir pour ce faire le leadership et l'espace politique qui font
26
actuellement défaut » .
Selon les latitudes, le niveau économique du pays, le système politique et juridique, les infrastructures, la
couverture sociale, les effets des chocs seront variables, donc la résilience exigée de la part des
populations aussi. La gouvernance des Etats d’une part et leur représentativité sur le plan international
d’autre part sont deux facteurs déterminants. Les îles du Pacifique qui risquent d’être submergées en
raison de la montée des eaux seraient en droit d’attendre d’une conférence mondiale comme celle de Rio
des mesures planétaires adéquates. Plus nombreuses, les populations des côtes, comme celle du
Bengladesh, déplacée par millions, en 2007, espèrent un même sursaut démocratique après le silence
assourdissant de la communauté internationale et des médias, à l’époque. Qu’en sera-t-il ?
La participation de la société civile
Parmi les principes fondateurs du développement durable, « la participation » est la base de l’édifice. Le
principe 1 de la déclaration de Rio 1992 stipule que « les êtres humains sont au centre des préoccupations
relatives au développement durable ». Le principe 10 prévoit le droit de chaque citoyen d’avoir accès aux
informations relatives à l’environnement et d’avoir le droit de participer aux processus de prise de
décision. Il établit explicitement que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est
d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient (…) ». Que cela signifie-til en concret ?
Les groupes reconnus lors de la Conférence de Rio 1992 comme composantes de la « société civile » sont
les ONG, les syndicats, les producteurs fermiers, les femmes, les jeunes, les entreprises et l’industrie, les
pouvoirs locaux, les populations indigènes et les scientifiques. L’UNESCO entend par société civile l’autoorganisation de la société en dehors du cadre étatique et commercial. L’Union européenne reprend sous
ce terme les organisations syndicales et patronales, les ONG, les associations professionnelles, les
organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la
vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des Eglises et communautés religieuses.
Si les définitions diffèrent, le rôle des ONG dans les grandes conférences internationales est essentiel.
Qu’il s’agisse de droits humains ou d’environnement, donc de développement durable, multiplier les
parties prenantes est synonyme de démocratie. Sur le plan individuel les choix sont souvent faussés : « si
la société civile met si souvent l’accent sur la dynamique collective, c’est bien parce que le marché
27
renvoie constamment le consommateur à son individualité » .
Parmi les initiatives de la société civile on peut évoquer celles du mouvement altermondialiste. Il peut être
vu comme combinant plusieurs démarches : « la résistance aux logiques dominantes, la recherche des
alternatives, la négociation en situation. Ce mouvement articule plusieurs formes d’expression : les
luttes ; les pratiques solidaires ; les réflexions et l’élaboration. L’ensemble de ces dimensions alimente le
débat démocratique et citoyen qui caractérise ce mouvement (…) nouvel espoir né du refus de la fatalité ;
c’est le sens de l’affirmation un autre monde est possible. Nous ne vivons pas La fin de l’Histoire ni Le
Choc des Civilisations ».28
Pourtant, il faudrait renforcer encore le rôle la société civile au niveau des Nations unies. Parmi les
missions confiées au PNUE figure d’ailleurs l’objectif de « fournir les moyens de stimuler la participation
26
Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University,
Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-foodsystem-270511-fr.pdf
27
Responsabilité individuelle ou collective ? in Regards croisés sur le développement durable : Boîte à outils à l’usage de la société
civile, Associations 21, 2011, p.15
28
Développement durable et altermondialisme, Gustave Massiah : www.encyclopedie-dd.org
active des citoyens et mettre en avant l’intérêt de la contribution des organisations nongouvernementales pour la préservation et le développement de l’environnement ».
Une gouvernance globale ou polycentrique ?
En l’absence d’un parlement mondial et d’une définition commune du bien commun quelle gouvernance
mondiale espérer ? Les rencontres mondiales autour des questions environnementales sont généralistes
ou plus spécifiques, comme, par exemple, les Sommets sur l’eau. Reste que face à la complexité des
enjeux et à l’interaction avec d’autres perspectives (économiques et sociales) ou géographiques, seule
une gouvernance mondiale serait à même d’agir plus largement.
Mais les Etats restent sur une conception hierarchique, passéiste du monde alors que de nouveaux
moyens de communication (internet), d’échange de biens ou de services et de mobilité internationale
accrue s’imposent. De plus, la peur de perdre leur souveraineté reste un obstacle majeur. « La question de
la gouvernance globale est souvent abordée dans un cadre statique. Elle recouvre pourtant
29
essentiellement des processus, des arrangements et des compromis en évolution constante » . Une plus
grande souplesse dans le dialogue est-elle à inventer ?
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A côté d’une gouvernance mondiale, on parle d’une gouvernance polycentrique . Cette dernière verrait
chaque institution assumer des responsabilités propres à son niveau d’intervention afin de ne pas
dépendre d’une hiérarchie et d’un pouvoir externe. Les expériences locales, citoyennes, les forums
participatifs revendiquent des moyens plus importants pour s’institutionnaliser. Des centres de décision
délocalisés sont préférés, au nom d’une représentativité bottom-up. Le fait que les fonctionnaires ne sont
pas forcément formés à l’association des citoyens aux décisions publiques est parfois un frein.
La gouvernance au niveau local
Devant la taille des phénomènes, certains optent pour des approches à un niveau plus local que les
niveaux internationaux ou même nationaux, pour faire face à des problèmes universels. Un exemple de
meilleure gouvernance : l’Agenda 21 au niveau local qui est en avance sur la construction d’indicateurs,
d’expériences d’évaluation, de reporting (rapport annuel par exemple), et de participation des citoyens,
dont les élèves des écoles. En matière d’énergie, par exemple, les projets d’énergie renouvelable,
développés au niveau des villes et des villages, rassemblent les citoyens et pouvoirs locaux autour de
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projets concrets. Les projets de Villes en transition font de même. C’est le cas aussi pour d’initiatives
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33
telles que les Communes de commerce équitable , Ca passe par ma commune qui voient le même
principe s’appliquer au niveau de la consommation responsable. Même constat pour les Jeunes magasins
du monde d’Oxfam-Magasins du monde34 qui invitent les jeunes des écoles secondaires à se former au
commerce équitable (vente de produits) et à s’éduquer aux enjeux sociaux et mondiaux (éducation
permanente).
Les nouvelles formes d’expression de la démocratie
D’une autre nature, mais inspirées par le même principe de démocratie participative, les initiatives des
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derniers mois telles que le mouvement des Indignés et Occupy , le manifeste du G1000 à Bruxelles , les
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assemblées de citoyens islandais marquent la volonté de se faire entendre autrement que par le seul
vote. Pierre Rabhi qui a lancé la campagne Soyons tous candidats lors des présidentielles françaises ne
29
Développement durable : quelles dynamiques ?, Cahier du GEMDEV no. 29 (Groupement d’intérêt scientifique pour l’étude de la
mondialisation et du développement), 2003 : http://www.gemdev.org/publications/cahiers/cahiers29_res.htm
30
Polycentric systems for coping with collective action and global environmental change, no. 20, 2010, p.550-557
31
http://villesentransition.net/
32
http://www.cdce.be/
33
http://www.oxfammagasinsdumonde.be/campagnes/ca-passe-par-ma-commune/
34
http://www.oxfammagasinsdumonde.be/s-engager/jm-oxfam/
35
www.occupytogether.org
36
www.G1000.org
37
L’expérience islandaise, in Imagine demain le monde, no. 91, mai-juin 2012, p. 35
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dit pas autre chose. Un Audit citoyen sur la dette est aussi une idée française reprise en Belgique par le
39
CADTM .
Ces initiatives désirent collectiviser la parole de chacun là où leur sont offertes privatisation des intérêts
publics et parole top-down. Certains établissent que le vote est le principal instrument de démocratie,
d’autres veulent étendre le concept à la participation des citoyens aux instances, au débat public de
manière permanente.
« Le modèle « agrégatif » de la démocratie libérale considère le processus politique comme un simple
arbitrage par le vote entre les préférences données a priori et dont la formation est antérieure au
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processus électoral. Le modèle est le marché , non le forum. (…) Cependant, il existe un autre modèle de
démocratie, le modèle « délibératif » dans lequel le processus politique a précisément pour objet la
création d’une vision commune du bien – ou du juste. Le vote proprement dit a moins d’importance que la
délibération. C’est de celle-ci que vient la légitimité des décisions, davantage que du vote ou de la
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négociation entre des parties cherchant à défendre leurs intérêts privés » .
En matière de résilience, de politique Nord Sud et de développement, une ONG comme Oxfam met la
gouvernance au centre de tous les débats. Garde fou ou force d’interpellation, sa mobilisation est
permanente, partout où plus de justice et d’équité sont nécessaires. Encore davantage en présence
d’urgences. Or la Conférence de Rio s’ouvrira sur un constat tel que toute opportunité devra être saisie,
ensemble, comme on réagit face à un choc. « Une part du rôle politique des organisations telles qu'Oxfam
consiste à anticiper et à se préparer à exploiter les ouvertures politiques qui se dessinent au lendemain
d'un choc, lorsqu'évoluent les priorités politiques et que naît une volonté soudaine de penser à
l'impensable aux yeux des responsables de l'élaboration des politiques et du grand public, même si cette
transition ne dure pas. Cela requiert de s'investir dans la mise en place d'une planification anticipée, à la
fois sur le type de politique à défendre lorsqu'une opportunité se présente et sur les modèles de coalitions
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requis pour les matérialiser » .
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www.audit-citoyen.org
www.cadtm.org
40
The market and the forum : Three varieties of political theory, J. Elster, in Deliberative democracy. Essays on Reason and Politics, J.
Bohman and W. Rehg (eds), The MIT Press, Cambridge, Mass., 1999, p.3-33,
41
Les indicateurs de développement durable : un défi scientifique, un enjeu démocratique, Paul-Marie Boulanger Les séminaires de
l’IDDRI no. 12, p. 13 : http://www.iddri.org/Publications/Collections/Idees-pour-le-debat/Les-indicateurs-de-developpementdurable-un-defi-scientifique,un-enjeu-democratique
42
Gouvernance pour un système alimentaire résilient, Alex Evans, Center on International Cooperation, New York University,
Documents de discussion d’Oxfam, 2011 : http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/dp-governance-resilient-foodsystem-270511-fr.pdf