Tatouage,à tout âge?

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Tatouage,à tout âge?
Dermagazine
Le magazine de la santé et de la beauté de la peau
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Tatouage,à tout âge?
Bien sûr nous ne parlons pas ici du tatouage à l’œuvre dans les pratiques ancestrales,
tatouages culturellement inscrits comme dans les sociétés tribales de l’époque
précolombienne, les sociétés polynésienne et asiatique, où règne toujours dans de tels usages,
la fonction symbolique.
Donc dans sa version moderne, il s’agissait au départ dans le tatouage, d’une mode qui avait
d’abord commencé par conquérir les jeunes générations, pratique flirtant ouvertement avec la
sympathique provocation et la non moins joyeuse révolte par lesquelles on se détache
habituellement des idéaux, des attentes, des espoirs de nos ainés. Par exemple tel enfant
choyé, habillé avec soin, entouré et préservé de toutes les laideurs alentour, n’hésitera
pas à sortir des chemins esthétisants de ses parents en se faisant tatouer une horreur au
beau milieu de la figure, en se faisant couper les cheveux à effrayer les plus débonnaires et
surtout en faisant ajouter quelques trous supplémentaires percés en des endroits insolites du
corps de préférence, histoire d‘y recevoir quelques piques, boules, antennes, bref des objets
bizarroïdes en rapport avec cette période planante de leurs vies d‘OVNI. Car en devenant le
prototype d’un épouvantail qui récuse et renverse les valeurs parentales, surgit bien entendu
cette question : m’aime-t-on seulement pour mon image, lisse et belle ou maintenant que je
suis défiguré, pour autre chose que l’image ? M’aime-t-on vraiment ? Est-ce que je compte ?
Donc rien de plus courant, de plus commun, qui dénote en son fond d’une démarche
absolument juste.
Là où nous trouverions à commencer à y redire, c’est lorsque nous constatons que cette
logique à l’œuvre chez le très jeune adulte semble devenir la référence générale, la nouvelle
norme de masse. On a ensuite vu toutes les différentes périodes de la vie s’adonner à la
pratique du tatouage, peut-être pour s’assurer une cure de jeunisme à défaut de jouvence ?
Doit-on en conclure aussi que les adultes d’aujourd’hui n’ont plus aucune mémoire ? A mois
que ce ne soit la progression du règne de l’ignorance qui les frappe ? Faut-il rappeler que le
tatouage est encore pratiqué sur les bêtes pour les identifier à leur troupeau, tout comme jadis,
on marquait les esclaves ? Il y avait à Rome une façon de procéder qui alliait le raffinement à la
cruauté : lorsqu’un message de la plus haute importance devait être transmis dans le plus
grand secret, on le tatouait sur le crane rasé de l’esclave qui ne pouvait donc pas en connaitre
le contenu. Et une fois qu’il s’était présenté au destinataire, on lui coupait la tête bien entendu,
confidentialité oblige ! Belle métaphore de l’homme moderne condamné à porter des insignes
ou des signes dont il ne connait même pas la teneur ou la valeur. S’il fallait « enfoncer le clou »,
nous aurions l’impertinence de reparler ce que la seconde guerre mondiale a souligné jusqu’à
l’horreur : les camps nazis et ses déportés tatoués d’un numéro excluant même qu’ils aient un
nom. Rabaissement des plus infamants.
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Devrait-on entendre dans ce bref parcours que l’engouement contemporain pour le tatouage
n’est rien d’autre qu’une passion pour ces inscriptions, telles des lettres visibles sur le corps,
qui ne font que dénoter une forme d’esclavage de celui qui les porte, dans l‘ignorance la plus
radicale : et de cette inféodation et de sa signification ? Mais alors esclavage vis-à-vis de quoi,
dirions-nous ? La vie humaine depuis l’antiquité grecque se divise entre deux courants par
rapport auxquels il est demandé à chacun de se déterminer. La prévalence doit-elle aller au
désir mais au détriment de la jouissance, ou au contraire aller à la jouissance mais au détriment
du désir ? En effet nous n’avons pas le choix : c’est ou le désir, ou la jouissance.
Classiquement le désir a toujours été reconnu comme le propre de l’Homme, ce qui l’élève et
fait de lui un être à part dans le monde animal. Aujourd’hui, beaucoup d’indices montrent que
pour certains, c’est la jouissance qui est devenue leur spécificité. Donc l’esclavage que nous
évoquions à l’instant est celui éprouvé vis-à-vis de la jouissance, même si celle-ci se présente
toujours comme un pas supplémentaire accompli vers l’affranchissement et la liberté, ce qui
n’est qu’une illusion de plus car cette jouissance ne fait que redoubler l’aliénation de celui qui
s’y engage. Au lieu que les contraintes auxquelles le sujet a affaire soient seulement d’ordre
symbolique comme l’implique tout désir, cette aliénation issue de la jouissance ne correspond
pas à un allègement mais à un renforcement, car elle change de statut pour devenir réelle,
cette fois. Un remède pire que le mal, donc. Un exemple ? Le toxicomane qui veut s’affranchir
des contraintes symboliques liées au désir telles qu’elles existent entre un homme et une
femme - à savoir les difficultés de la rencontre, le malentendu habituel - peut s’engager dans
une pure jouissance d’allure moins compliquée en se contentant à la place, d’un objet
chimique. Il croit avancer en liberté or nous savons que très vite, c’est au contraire un immense
esclavage au produit cause de cette jouissance qu’il va découvrir, jusqu’à se retrouver dans
une impasse parfois indéfectible.
Bien sûr que l’erreur est humaine et chacun peut se tromper. Ce n’est pas parce que
quelqu’un n’est préoccupé que par sa jouissance, qu’un jour ou l’autre, il ne va pas tenter sa
conversion vers le désir. D’ailleurs la psychanalyse permet tout à fait ce type de
métamorphose. Dans la vie, les impasses ne sont pas toujours définitives ! Si le tatouage
dénote, l’exposition au regard, d’un choix préférentiel pour la jouissance, le retour en arrière
n’est pourtant pas interdit : avec le laser le tatouage est lui aussi devenu également réversible.
Il n’est plus indélébile. Alors si d’aventure vous changez de bord et que vous décidez de
fonctionner au désir, profitez-en pour faire peau neuve et merci la science !
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