Les dix commandements de Steve Jobs

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Les dix commandements de Steve Jobs
Les dix commandements de
Steve Jobs
Etudiant en rupture de ban, entrepreneur risque-tout,
patron despote, ce visionnaire atypique a révolutionné
l’industrie du numérique en rejetant les dogmes.
Différemment, tu penseras
"Think different!" Rien n’incarne mieux "l’esprit Jobs" que sa campagne de publicité
d’octobre 1997. Steve Jobs vient de reprendre les rênes d’un Apple en perdition. Il
commande à l’agence TBWA/Chiat/Day une affiche et des clips télévisés où défilent
les photos en noir et blanc de géants de la science, de la politique ou des arts. Aucun
produit Apple n’apparaît dans ces pubs, seulement le logo d’alors : une pomme
multicolore.
D’Albert Einstein à Martin Luther King, du Mahatma Gandhi à Pablo Picasso, Jobs
choisit lui-même ses "héros", et ce texte qui sonne comme un autoportrait : "En
hommage aux fous. Aux rebelles. Aux fauteurs de troubles… Ceux qui voient les
choses différemment. Alors que certains les voient fous, nous voyons des génies.
Parce que les gens qui sont assez fous pour penser qu’ils peuvent changer le monde
sont ceux qui le font."
Esthétique minimaliste, anticonformisme viscéral, ambition folle : né en 1955 d’un
professeur de sciences politiques syrien et d’une mère célibataire qui a décidé de ne
pas l’élever, la vie de Jobs, adopté à sa naissance par un couple de Californiens
modestes, a été marquée par ces valeurs. C’est aussi cette (contre)culture qu’il a
installée chez Apple.
Ta spécificité, tu cultiveras
La décision la plus iconoclaste et la plus identitaire de la firme de Cupertino
est d’avoir toujours refusé de séparer le logiciel Mac OS de l’ordinateur luimême.
Sous l’impulsion de son grand rival Bill Gates, le fondateur de Microsoft, la
micro-informatique mondiale s’est structurée à la fin des années 1980
autour d’un autre standard – Windows – servant de cœur à une multitude
d’appareils fabriqués par des constructeurs concurrents : hier IBM et Hewlett
Packard, aujourd’hui Dell ou Samsung…
Convaincu de l’immense supériorité de ses produits, Steve Jobs, lui, a
toujours refusé de vendre à autrui son Mac OS, le premier à utiliser des
icônes conviviales, ensuite copiées par Windows. "J’ai toujours voulu
posséder et contrôler la technologie primaire dans tout ce que nous faisons",
confiera-t-il à "Business Week?". Une attitude qu’il prolonge à l’ère internet.
La religion du produit, tu auras
Le rêve de Bill Gates était de mettre un ordinateur personnel dans chaque
foyer, celui de Steve Jobs de construire des produits "démentiellement
géniaux". Sans se soucier des attentes du marché : "La plupart du temps, les
gens ne savent pas ce qu’ils veulent avant que vous le leur montriez !" Il
fallait qu’Apple conçoive le produit capable de le bluffer lui-même.
Jobs n’aime cependant pas la technologie pour la technologie. Dans le couple
des cofondateurs d’Apple, en avril 1976, l’inventeur fou, c’était "l’autre
Steve" Wozniak. Jobs, lui, a eu l’art de transformer les trouvailles de son ami
en produits utiles. "Il faut une culture très orientée du produit, même dans
une société de technologie", a-t-il toujours affirmé.
La beauté, tu honoreras
Dans sa première maison, à Palo Alto, le jeune Steve n’avait presque pas de
mobilier, il couchait sur un matelas par terre, mais il accrochait aux murs des
photos en noir et blanc signées Ansel Adams.
Son sens de l’esthétique s’exprime aussi bien dans la manière dont il se
nourrit (il est végétarien), dont il s’habille, avec ses sempiternels polos noirs,
dans le dessin de ses produits ou l’escalier de verre de ses Apple Stores. A
ses débuts, Steve apportait ce souci de pureté jusque dans le design des
circuits intégrés de ses Apple II, ou l’agencement de ses chaînes de
montage !
A cette époque, l’idée même qu’un ordinateur doive être beau était
saugrenue. Depuis 1998 et la ligne des iMac oblongs aux couleurs acidulées,
c’est le designer britannique Jonathan Ive qui règne sur le look Apple. Mais,
attention, pas question de faire joli pour faire joli ! La beauté des formes et
des matériaux doit aussi être un gage de facilité d’utilisation. Elégance,
sobriété, convivialité : capable de s’enthousiasmer pour le design d’une
machine à laver Miele, Jobs a toujours gardé le point de vue de l’usager.
L’innovation, tu chériras
Comme beaucoup d’entrepreneurs de la Silicon Valley, Jobs vénère
l’innovation. Il a toujours été le premier à se débarrasser des technologies
qu’il estimait dépassées : les disquettes remplacées par des clés USB, ou la
souris transformée en Trackpad… Question d’état d’esprit : "L’innovation n’a
rien à voir avec la quantité de dollars que vous consacrez à la R&D […]. Ce
n’est pas une question d’argent. Cela dépend des hommes, du leadership et
de ce que vous avez pigé."
Apple est le seul acteur de l’informatique traditionnelle à avoir réussi son
virage internet. Il a compris, avant tout le monde, que l’ère du PC
appartenait au passé. Et il a su imaginer à la fois les outils internet et leur
modèle économique : de la musique en ligne sur iPod à la multitude
d’applications pour iPhone et iPad, sur lesquelles Apple touche une
commission de 30%.
Ton sillon, tu creuseras
Le manque de compatibilité du Macintosh avec le monde des PC sous
Windows a condamné Apple à une part de marché confidentielle, hier 3%,
aujourd’hui environ 8%. Professant qu’il fabriquait des BMW… pas des
Volkswagen, Jobs a toujours affecté de s’en moquer.
Encore fallait-il, pour que cela ne tue pas Apple, faire de grosses marges sur
chaque produit. Ce qui est devenu vrai à partir de l’iMac. Ensuite, grâce au
coup de génie de l’iPod-iTunes, Steve Jobs s’est octroyé 80% du marché du
téléchargement légal de musique. Succès réédité avec l’iPhone, puis l’iPad.
L’"App Store" est une véritable vache à lait. Avec un bénéfice net de 7,7
milliards de dollars pour des ventes de 28,5 milliards sur le seul trimestre
clos en juin 2011, Apple est une des entreprises les plus profitables au
monde. Et son trésor de guerre s’élève à 76 milliards de dollars !
Tes propres magasins, tu développeras
La crise économique vide les magasins ? Pas les Apple Store. Les ventes des
quelque 300 boutiques Apple sur la planète battent des records. En 2001,
pourtant, pas un analyste ne pariait sur leur réussite. Les rares constructeurs
informatiques à s’y risquer s’en étaient mordu les doigts.
Qu’importe. "Steve Jobs était persuadé que si les consommateurs pouvaient
manipuler ses Mac, ils seraient conquis", dit l’analyste Tim Bajarin, de
Creatives Strategies. Service de qualité, ambiance de cybercafé, Apple est le
seul constructeur informatique chez qui l’on peut prendre rendez-vous pour
faire réparer son appareil, ou s’en faire expliquer le fonctionnement.
L’échec, tu sublimeras
Steve Jobs ressemble à ces héros hollywoodiens secoués par les épreuves,
mais qui ne s’avouent jamais vaincus. En 1985, il est viré d’Apple par John
Sculley, le président qu’il avait lui-même recruté chez Coca-Cola. Il
confessera plus tard aux étudiants de Stanford : "J’avais perdu ce qui était le
centre de toute ma vie d’adulte et j’étais anéanti."
Pas pour longtemps : il créé NeXT Computer quelques mois plus tard, et
rachète Pixar à George Lucas l’année suivante ! Même combativité, dix ans
plus tard, quand il reprend les commandes d’un Apple moribond. Ou quand il
apprend en 2004 qu’il est atteint par une forme rare de cancer du pancréas.
Sans compromis, tu dirigeras
"Hero-Shithead-Roller coaster", littéralement «Héros-Tête de merdeMontagnes russes?» : c’est l’expression inventée par les collaborateurs de
Steve Jobs, pour décrire son style de management. Véritable dictateur, il
règne sur une équipe aux ordres, transie d’admiration.
Délais impossibles, diktats sur les performances, contrôle absolu des détails…
Les anciens d’Apple racontent des scènes d’insultes, d’humiliation et de
licenciements, auxquels seuls les surdoués ont résisté. "Ce n’est pas toujours
facile de travailler avec Steve", reconnaît Jay Elliot, ex-collaborateur d’Apple
et fondateur de Migo Software. "On ne change pas le monde en étant
gentil", aime à répéter le Français Jean-Louis Gassée, ex-numéro deux
d’Apple.
Secret, tu resteras
Peu de patrons ont fait autant d’unes de magazines. Pourtant, Apple est la
seule entreprise au monde à ne jamais communiquer en dehors de ses
annonces millimétrées pour ses produits et de grand-messes rituelles, où
Steve Jobs fait son show devant une foule de fans triés sur le volet. Sinon,
motus. Parler à la presse est un motif de licenciement.
En revenant chez Apple, Jobs avait affiché dans son bureau un poster de la
Seconde Guerre mondiale : "Loose lips might sink ship" ("Le bavardage peut
couler le navire"). Jobs lui-même ne s’est réellement livré qu’une fois, devant
les étudiants du campus de Stanford. Son conseil : "Votre temps est limité,
alors ne le perdez pas à vivre la vie de quelqu’un d’autre. Ne vous laissez pas
piéger par le dogme." Et surtout : "Restez affamés, restez fous !"
L’Apple d’après-Steve saura-t-il le rester ? Le jour de sa nomination, son
successeur désigné, Tim Cook, a promis à ses troupes : "Steve a bâti une
entreprise et une culture qui ne ressemblent à aucune autre dans le monde,
et nous allons rester fidèles à cela – c’est notre ADN." Good luck !
Dominique Nora

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