La Liberté - Les hommes bafoués ont leur foyer

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La Liberté - Les hommes bafoués ont leur foyer
LA LIBERTÉ
LE FAIT DU JOUR
3
JEUDI 10 DÉCEMBRE 2009
VIOLENCE
Les hommes bafoués ont leur foyer
ARIANE GIGON, ZURICH
«Ce lieu est
nécessaire»
«Zwüschehalt», ou «arrêt intermédiaire»: c’est le nom de la première
maison pour hommes battus de
Suisse, qui ouvre près d’Aarau – le
nom du village est volontairement
caché au public – ce jeudi, journée
internationale des droits de
l’homme. «Ce n’est évidemment
pas un hasard», dit Olivier Hunziker, président de l’association
«Pères et mères pour une éducation responsable» (VeV), qui finance ce projet.
La maison permettra d’accueillir jusqu’à dix personnes,
hommes et enfants compris, pour
des durées n’excédant pas, en
principe, deux mois. Conseils et
aide pratique seront dispensés en
attendant que le pensionnaire
puisse trouver une solution.
Une «autre maison pour
hommes» s’ouvre ces jours à Erlenbach, au bord du lac de Zurich.
Elle est avant tout destinée aux
hommes qui, du jour au lendemain, perdent foyer et famille suite à une séparation. Les deux initiatives
sont
totalement
indépendantes l’une de l’autre.
> Elsbeth Aeschlimann est
directrice du Bureau de
conseil aux victimes
«Opferberatung Zürich».
Interview.
Peut-on estimer la proportion d’hommes
victimes de violence domestique?
Nous partons de l’idée qu’il y a une grande
zone grise, car les hommes n’osent pas en
parler et sont plus isolés, socialement, que
les femmes. S’ils parlent de ce qu’ils subissent, ils se verront souvent répondre «tu
dois pouvoir régler ça» et se sentiront
encore plus découragés et rabaissés.
Quand ça dégénère
«De notre côté, nous ne distinguons pas entre les cas de séparation difficile et les cas de violence, explique Olivier Hunziker,
car on sait que les situations
conflictuelles peuvent dégénérer», poursuit ce père lui-même
divorcé, qui assure la garde
conjointe avec son ex-épouse.
Bien des hommes se trouvent
complètement coincés, entre retourner à la maison «pour les enfants» et ne pas y retourner.
Selon Olivier Hunziker, «souvent, l’entourage et la police n’ont
de la compréhension que s’il y a
violence physique. Or elle est le
plus souvent psychologique. De
plus, quand les policiers interpellés sur un lieu de dispute ne sont
pas sûrs d’une situation, mais qu’il
faut séparer un couple, ils ont tendance à exclure l’homme…»
Cornelia Kranich, coresponsable du Bureau cantonal zurichois d’intervention contre la violence domestique (IST), n’est pas
d’accord: «Le principe est le même
dans tous les cas: celui qui bat doit
partir. Et nous l’appliquons avec
fermeté, même si cela est parfois
complexe quand il y a des enfants
et que c’est la femme qui doit quit- police – interdiction du domicile
ter le domicile.»
pendant 14 jours et (ou) interdiction de contact – 67 l’ont été contre
des femmes, soit 6% des cas.»
Une minorité de cas
La responsable ne veut pas miCornelia Kranich salue néannimiser la violence contre les moins la création de ces nouveaux
hommes, mais insiste pour que le foyers. «Il est positif que de tels rephénomène ne soit pas surévalué. fuges voient le jour, mais sur une
«Dans le canton de Zurich, sur 1625 base privée. Il ne faut pas oublier
interventions de la police pour vio- que toutes les maisons d’accueil
lence domestique en 2008, les pour femmes de Suisse manquent
plaintes émanaient des hommes cruellement de places et que les
dans 25% des cas. Mais, sur 1065 cas qui y sont pris en charge sont
mesures de protection prises par la de plus en plus graves.»
«Sans pouvoir encore quantifier le phénomène, car on n’a pas
encore réalisé les études nécessaires, nous pensons qu’il faut
beaucoup plus d’éléments en
amont pour qu’une femme devienne violente. La présence de
maladies semble fréquente», lance encore la spécialiste, avant de
conclure: «J’ai vu une seule fois un
homme grièvement blessé par
une femme. Les blessures infligées
aux femmes sont, en revanche,
souvent extrêmes.» I
«UNE VIOLENCE PSYCHOLOGIQUE EXTRÊME»
André Müller, 45 ans, chef cuisinier et directeur de
«ZwüscheHalt», est lui-même victime de violence.
«Excepté des gifles, je n’ai pas été victime de violence physique. J’ai en revanche subi une violence
psychologique extrême. Ma femme critiquait absolument tout et rabaissait systématiquement mes activités. Elle perdait son sang-froid et jetait des objets.
En 2000, deux semaines avant Noël, elle m’a dit de
quitter l’appartement et a menacé d’appeler la
police. Ma plus grande erreur a été d’obtempérer et
de lui laisser ma fille, qui avait 2 ans à l’époque. La
procédure de divorce a duré 8 ans.»
«Depuis un an et demi, ma fille et sa mère habitent
en Hollande. J’ai parfois fait le voyage pour me faire,
pratiquement, fermer la porte au nez sans pouvoir
voir ma fille. J’ai le droit de l’appeler une demi-heure
tous les dimanches. Si j’avais eu un endroit où aller, il
y a neuf ans, j’aurais pu demander conseil et me faire
aider, au lieu de subir les événements.» AG
La création de maisons d’accueil pour
hommes est-elle une bonne chose?
C’est absolument nécessaire. Aujourd’hui,
avec la loi sur la violence domestique qui
existe dans plusieurs cantons, la police peut
ordonner au conjoint violent de quitter le
domicile pour au moins 14 jours. Quand
c’est l’homme qui est victime, la chose est
plus difficile, car la femme, même violente,
s’occupe souvent des enfants. Les hommes
décident souvent de partir, même en étant
victimes. Leur mettre un lieu à disposition
pour parler et demander conseil est une
excellente chose. Cela permet aussi d’éloigner la pression qu’ils subissent, laquelle
peut aussi, parfois, les pousser à la violence.
Il semble que les hommes victimes
soient moins gravement blessés que les
femmes victimes…
Je ne peux pas confirmer cela dans tous les
cas. Etant physiquement plus forts, les
hommes perçoivent la violence physique
différemment. Pour eux, une gifle ne relève
pas de la violence physique, mais psychologique, car elle les rabaisse. Cela dit, les
femmes tuent aussi. On ne peut pas faire de
généralités.
Ne craignez-vous pas qu’on oublie que
les femmes restent les principales victimes de violence domestique?
Ce n’est pas parce qu’on parle d’un groupe
de victimes qu’il faut en négliger un autre.
Si on sort du cliché «femme gentille,
homme méchant», ce n’est pas pour
tomber dans le travers inverse! Il faut regarder par-dessus la clôture des jardins. Les
hommes victimes doivent se battre pour
faire reconnaître leur souffrance, comme
les femmes il y a 20 ans.
PROPOS RECUEILLIS PAR AG

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