Histoire - Union des oenologues de France

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Histoire - Union des oenologues de France
Histoire
Histoire du titrage de l’alcool
des eaux-de-vie et du vin.
Des aréomètres aux alcoomètres.
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T E C H N I Q U E
par Jean-Claude Martin
Sup-Agro Montpellier, 2, place Pierre Viala - 34060 Montpellier Cedex 01
Depuis longtemps, le consommateur s’interroge sur la conformité
légalement définie ou sur la qualité attendue lors d’un achat de produit ;
car il redoute un risque d’altération naturelle ou une dégradation
frauduleuse. Dès le XVIIème siècle, avec l’essor du mercantilisme
européen, les négociants et les Pouvoirs Publics se focalisent sur
l’honnêteté des transactions en établissant des catégories clairement
identifiables ; mais les vérifications des qualités nécessitent un appel
aux scientifiques pour établir des mesures incontestables et juridiquement opposables. Les boissons alcoolisées sont d’autant plus
concernées que leur valeur d’échange est élevée et qu’elles alimentent
à la fois un commerce international prospère et une fiscalité d’État
conséquente. La base de leur qualité fondamentale est le constituant
principal, l’alcool ou éthanol. Ainsi, des instruments spécialisés sont
mis au point en Europe, plus particulièrement en Angleterre et en
France, pour assurer sa conformité.
Toutefois, tant Pline que Galien ne le mentionnent dans les écrits
qui nous sont parvenus. Au VIème siècle, Priscien le grammairien le
décrit précisément dans son poème en latin De ponderibus et
mensuris ; il amorce la théorie du poids spécifique ou de la densité
relative (par rapport à l’eau pour un liquide) et il indique une application de ce pèse-liqueur aux vins pour en révéler les différences
selon les origines. Pendant près de dix siècles, les références relatives
à l’usage de cet instrument font défaut. Il faut attendre le XVIIème
siècle pour voir Caselli reprendre ce sujet dans le cadre du traitement
des maladies par voie thermale (Traité des eaux courantes - 1628).
En 1675, Boyle reprend le sujet et redécouvre le principe de l’hydromètre (hydrometer). Avec le siècle des Lumières, en particulier dans
la seconde moitié du XVIIIème siècle, de nombreux physiciens se
penchent sur la question de densité et l’application à des instruments
de mesure. Dans ses Leçons de physique expérimentale (1759), l’abbé
Nollet mentionne l’instrument fabriqué par Capy, apprécié comme
habile ouvrier. Il fournit une série de recommandations sur son emploi
et une table établie par Musschenbroek relative au poids spécifique
de quelques solides et liquides, lequel défend son aréomètre en métal,
malgré son coût jugé trop élevé pour un usage courant.
Cet article met en lumière l’engagement des grands chimistes et
physiciens pour apporter toujours plus de précision et de rapidité
dans ces analyses. Il débute avec les premiers aréomètres de
l’Antiquité, indiquant les différences de densité des eaux thermales ;
puis il développe la question de la qualité des eaux-de-vie, en premier,
et du vin, ensuite, sous le rapport de la richesse en alcool ou éthanol.
Au XVIIème siècle, les Anglais et les Hollandais mettent au point les
premiers instruments, autour d’un test très élémentaire, dit Preuve
de Hollande. Ensuite, les scientifiques affinent leur approche théorique
et technique, avant d’adopter le degré centésimal et d’aboutir aux
alcoomètres officiellement reconnus. Ainsi, les échelles des degrés,
liées aux densités, évoluent vers une représentation du pourcentage d’alcool pur, l’éthanol, avec Gay-Lussac. Telle est l’histoire de ce
parcours jusqu’au cours du XXème siècle.
L’aréomètre de Fahrenheit offre une remarquable exactitude, mais
son maniement est difficile pour le commerce.
En conséquence, cette multiplicité d’investigations autour des
Assier-Perica, Montagny et Brisson, Hassenfraz, Gasbois et Lavoisier,
favorise la création d’une extrême diversité d’aréomètres. Dès lors,
les interprétations deviennent délicates, confuses ; les conflits se font
jour lors des transactions et se soldent par des procès peu favorables
à la fluidité des échanges.
II - La mesure de la qualité des eaux-de-vie
à la fin XVIIème siècle
I - Les premiers aéromètres
D’Archimède au XVIIème siècle
De tous temps, la connaissance de la pureté d’un métal et de la
composition d’une substance a préoccupé les hommes. Selon Vitruve,
en 212 a. J-C., Hiéron II, roi de Syracuse, sollicite Archimède pour
vérifier si sa couronne est véritablement en or massif. S’appuyant sur
ce qui devient son principe, il ouvre la voie aux avancées scientifiques
de premier plan en introduisant le concept de ‘force’, de densité
relative par rapport à l’eau, pour réaliser plus tard des mesures et
fabriquer des instruments.
Après cette application aux métaux précieux, l’approche physique
se porte sur des constituants plus complexes. Ainsi, les Romains,
très attentifs et sensibles aux vertus thérapeutiques des eaux
thermales, recherchent le moyen d’appréhender cette diversité ;
ils l’expliquent par la présence d’éléments plus ou moins lourds,
à l’origine d’un pouvoir curatif spécifique. Selon les sources évoquées
par Hoefer dans son Histoire de la Chimie, ils disposent d’un petit
instrument, l’hydroscopium, ou éprouve-liqueur pour évaluer les
différences de poids spécifiques des eaux. Dans une lettre particulière,
Synésius en fournit une description à la savante Hypathie : il est
constitué d’un tube cylindrique, avec des lignes transversales pour
indiquer la profondeur d’enfoncement dans le liquide, l’équilibre en
plongée rectiligne est assuré par un lest en bout, un petit poids
conique , le baryllium. Il est bien l’ancêtre des densimètres actuels.
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Au XVIIème siècle, les Anglais et les Hollandais contrôlent le commerce
des alcools, essentiellement les eaux-de-vie de vin et le rhum. En effet,
ce marché, notamment à l’exportation, est de première importance
économique, car ces liquides très demandés se conservent et voyagent
bien. En contrepartie, la qualité est très hétérogène, y compris sur
le plan sanitaire, et les fraudes et falsifications sont pratiquées
fréquemment pour en tirer un plus grand profit. Dès 1687,
les eaux-de-vie des Charentes exportées par La Rochelle sont classées
en trois catégories dont le profil reste un peu approximatif.
La remise en ordre repose sur un préalable : une identification la
plus précise possible du titre en alcool. Pour cela, il faut un accord
sur une méthode d’évaluation et sur l’instrument de mesure adéquat,
car il n’exista pas encore de méthode d’analyse chimique, cette
discipline étant encore méconnue. Les recherches s’orientent vers
la confection de cet instrument intermédiaire et vers la constitution
d’échelles pour percevoir les différences de “force”.
En Angleterre, en 1740, un Acte de Douanes et Accises (Customs and
Excise) valide un accord avec les brasseurs et distillateurs pour l’usage
de l’hydromètre de Clarke, qui améliore l’hydromètre du savant
irlandais Boyle (1627-1691). Cet instrument est ajusté pour flotter
jusqu’à une marque P gravée sur la tige en correspondance avec
une eau-de-vie respectant un niveau d’alcool, dit ‘Proof Spirit’, à une
température de 51° Fahrenheit. Il est remplacé par l’hydromètre de
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En effet, le règlement français de 1729 prescrit le même procédé de
l’épreuve du feu de la poudre et de la liqueur dans une cuillère,
procédé critiqué par Chaptal pour son manque de rigueur scientifique
(Chaptal, Chimie appliquée aux arts ; p. 238). Dès lors, le premier titre
des eaux-de-vie va s’établir sur cette dernière dénomination, niveau
obtenu le plus ordinairement par les distillateurs. L’alcoométrie se
bâtit à partir de ce test, dont le contenu scientifique est peu défini à
cette époque. Des tables vont ensuite apporter des correctifs selon
la température du liquide.
En 1741, Paulin, docteur en médecine de Montpellier, présente à la
Société Royale de Montpellier (14 août 1741) une proposition d’un nouvel
appareil pour connaître la force de l’eau-de-vie et de l’esprit-de-vin
(qu’il appelle alkool). Cet appareil ressemble assez à un baromètre
double, avec mercure au fond de deux tubes communiquant, leur
remplissage permet de comparer la force de deux eaux-de-vie en
regardant la hauteur du mercure. Dans la pratique, cet instrument
présente trop de risques de conflit, tant pour l’acheteur que pour
le distillateur.
Ainsi, une étape semble être franchie dans un contexte scientifique
serein, mais une polémique oppose Baumé et Cartier, autour de la
notion d’inventeur : est-ce le concepteur de l’instrument ou le fabricant
lui-même ? En faisant fabriquer une vingtaine d’exemplaires de son
aréomètre par Cartier, un tourneur en orfèvrerie, Baumé dévoile,
sans protection juridique, un savoir scientifique vers un savoir-faire
d’artisan, celui de Cartier, qui désormais est à même de s’émanciper
de lui ! Dès lors, Cartier s’empresse de présenter ‘son’ pèse-liqueur
à l’Académie, avec un malin subterfuge dans les graduations.
Incapable de changer toute la structure, entre autres les extrêmes
de l’échelle, Cartier modifie à la marge les nombres comme le montre
le tableau de comparaison ci-joint (Tableau 2, en annexe p.19).
Baumé réplique à ce qu’il juge une usurpation, le 16 septembre
1771, dans le Journal L’Avant Coureur. Malgré cela, Cartier demande
et obtient un privilège exclusif pour la fabrication. Déçu, Baumé
déclare que pareille aventure n’aurait pu arriver à Réaumur !
Les Arrêts des 3 et 4 avril 1771, confirmés plus tard par l’édit du 17
février 1782, marquent la reconnaissance définitive de l’aréomètre
de Cartier. Un exemplaire étalon est déposé au greffe de la Cour des
Aides ; son emploi est légalisé pour le commerce. L’Académie royale
confirme son maniement dans une note spéciale car des plaintes
et des réclamations surgissent dans l’interprétation des graduations
sensibles. En effet, trois mentions désignent les eaux-de-vie dans
le commerce :
Eau-de-vie simple : 18 à 22 degrés Cartier,
Eau-de-vie double : 22 à 32°,
Alcool ou Esprit-de-vin rectifié : 33 à 44°.
La première catégorie reprend les eaux-de-vie reconnues comme
Preuve de Hollande, soit 18° Cartier minimum, et à la preuve d’huile,
22° Cartier. Ainsi, la zone 23-24 degrés offre un terrain pour de multiples contestations entre les fabricants d’eaux-de-vie et le négoce.
Pendant des décennies, les inventions se poursuivent ; une grande
diversité d’aréomètres apparaît, ainsi que des thermomètres en
complément.
Trente ans plus tard, les États du Languedoc, présidés par l’archevêque
de Narbonne, ouvrent le concours suivant : “Déterminer les différents
degrés de spirituosité des eaux-de-vie ou esprits-de-vin, par le moyen
le plus sûr et en même temps le plus simple et le plus applicable aux
usages du commerce. (Chaptal. Chimie appliquée aux Arts ; p.238.)”
En 1772, la Société Royale de Montpellier décerne le prix correspondant
aux Mémoires de l’abbé Poncelet et de Pouget, avec la collaboration
de Bories. Cependant, les résultats sont jugés insuffisants et le
concours ouvert à nouveau, en 1773. Bories l’emporte seul et le
commerce adopte sa proposition pour ses transactions. Chaptal
souligne sa valeur en raison des corrections liées à la prise en
compte de la température.
En 1816, l’Administration confirme l’aréomètre Cartier comme étalon
(loi du 14 avril 1816) pour la perception des droits sur les eaux-de-vie,
en retenant trois catégories :
Eaux-de-vie simples : au dessous de 22 degrés Cartier,
Eaux-de-vie rectifiées : de 22° à 28° exclusivement,
Esprits ou eaux-de-vie : 28° et au-dessus.
L’aréomètre Cartier est gradué à la température de 10 degrés
Réaumur, marque 10 degrés dans l’eau pure et 44°25 dans l’alcool pur.
Une telle classification fiscale incite alors à produire des liqueurs
les plus titrées en alcool, ce que critiquent certains usagers qui ne
trouvent alors pas des eaux-de-vie à leur convenance selon leurs
usages.
En 1781, l’abbé Rozier en fournit une description détaillée dans son
Dictionnaire d’agriculture. Bories classe les eaux-de-vie en trois
catégories : la Preuve de Hollande, le Trois-Cinq et le Trois-Six.
Avec Gay-Lussac, l’approche scientifique repose sur le taux réel en
éthanol, molécule désormais mieux connue. Ce grand chimiste est
sollicité, sous le premier Empire, pour mettre au point les moyens de
détection des altérations ou fraudes des produits. À la suite de bien
d’autres physiciens, dont déjà Boyle qui, en 1650, estime la densité
de l’esprit de vin (éthanol) à 0,866, Gay-Lussac fournit un moindre
poids : 0,7947, à la température de 15° centigrades (à 20° C, la valeur
officielle de la masse volumique de l’éthanol est : 0,78924 g-cm3,
la densité : 0,78924). Cette valeur est contrôlée et certifiée par de
nombreux savants du monde entier ; elle sert de référence à toute
l’industrie des alcools. Gay-Lussac crée alors son alcoomètre sur
une nouvelle base métrique, dite centésimale. À partir de 1824,
son emploi se généralise et le commerce des eaux-de-vie retrouve
une certaine sérénité.
De son coté, à Paris, Baumé, pharmacien, étudie cette question de
l’aréomètre, à la suite des essais de Réaumur. Il en fournit des
explications dans les diverses éditions de son ouvrage Éléments de
Pharmacie. En 1768, il conçoit un pèse-liqueur pour connaître le degré
de rectification des boissons spiritueuses. L’échelle des graduations
est étalonnée à partir de l’eau pure et d’une solution bien précise
obtenue avec une certaine quantité de sel marin purifié et bien sec.
Entre les deux termes obtenus, il établit une plage de 50 degrés,
qu’il inverse par rapport à la solution alcaline ci-dessus pour son
application à l’esprit-de-vin. Dès lors, en respectant ses instructions,
tous les pèse-liqueurs sont comparables, quoique fabriqués par
différents ouvriers. Dans le Journal L’Avant Coureur de 1768, il rend
public une description fidèle de son aréomètre et d’une table sur
les degrés de rectification. C’est une grande avancée par rapport
à Réaumur, dont l’appareil est des plus secrets quant à ses caractéristiques ! Le 10 mai 1769, Baumé lit son mémoire à l’Académie,
qui nomme alors des Commissaires pour vérifier ses résultats.
Les Journaux de Médecine d’octobre et novembre 1770 publient son
mémoire sous un titre plutôt surprenant Recherches sur plusieurs
phénomènes que l’eau présente au moment de sa congélation.
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Toutefois, la question des échelles de degré et des dénominations
commerciales demeure encore dans la pratique. (Voir les 2 tableaux
en p.19).
Si un instrument nouveau finit par éliminer rapidement un plus
ancien, obsolète, il n’en n’est pas de même des échelles de qualités
alcoolique qui survivent jusqu’au milieu du XXème siècle, par des
expressions populaires. Avant l’admission définitive et sans partage
du pourcentage d’alcool – éthanol- pur, système le plus incontestable
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Sikes, suite à l’Hydrometer Act de 1818. Les distilleries de whiskies
adoptent aussi ce nouvel instrument, après, en 1817, la distillerie
Teaninich, dans le Ross-shire, en Écosse. Pour déterminer ce niveau
de référence en alcool, la méthode adoptée est celle de la flamme.
Différentes options sont pratiquées antérieurement, dites“épreuves”
des perles ou chapelet, sur charbons enflammés, de durée d’évaporation sur cuivre chaud. Celle retenue et appliquée au rhum dans
un premier temps repose sur la combustion de la poudre à canon.
Pourquoi la poudre à canon ? Au XVIIIème siècle, les marins anglais
sont aussi payés en rhum ; ils ne veulent évidemment pas de produit
mouillé. Le test de la poudre à canon, substance disponible, est utilisé :
le rhum est accepté s’il n’empêche pas la poudre à canon de brûler,
dans le cas contraire, il est jugé frelaté ! C’est du “Proof Spirit”, qui,
par construction, s’apparente au vocable retenu en français de Preuve
de Hollande.
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scientifiquement et juridiquement, les autres échelles vont tenter
de subsister et de se rapprocher du système centésimal jusqu’au
milieu du XXème siècle.
Le monde anglo-saxon fait correspondre le Proof Spirit à 57,14 degrés
centésimal Gay-Lussac, soit 57,14 % abv (alcohol by volume) et, en termes
fractionnaire, un ratio proche de 4/7.
La Preuve de Hollande est le nom donné par le négoce au premier
produit de la distillation ; c’est en quelque sorte le premier niveau
d’eau-de-vie apte à la vente ! Elle s’avère inférieure en force alcoolique
à la Proof Spirit, mais il ressort une certaine marge de variation selon
les sources. Par rapport au degré Cartier, elle fluctue entre 18 et 22°
Cartier. La Maison rustique du XIXème siècle attribue un écart moindre
19 à 20° Cartier, Dujardin est plus restrictif : 18,5 – 19° Cartier. Par
rapport au degré centésimal Gay-Lussac, elle se situe entre 50 et
53° Centésimal, dans le premier cas, 47 – 50° centésimal dans le second.
Selon Dubrunfaut, le midi de la France utilise des dénominations
empiriques et approximatives, à partir d’expressions fractionnaires
qui se veulent en continuité avec la Preuve de Hollande
(Dubrunfaut, Traité de l’art de la distillation, p.244.) Comme le
rappelle Chaptal, le point de départ est la première distillation qui
aboutit à la Preuve de Hollande ; cette liqueur reprise pour une
deuxième distillation en donne une plus puissante appelée trois-cinq,
car trois parties de celle-ci, mêlées à deux d’eau, redonneraient
la Preuve de Hollande. Quant au trois-six commun dans le midi,
son nom a pour origine une manipulation analogue : une dilution
de moitié avec de l’eau (3/6) produit une liqueur de faible Preuve
de Hollande, soit autour de 16 degrés Cartier ; d’où les concordances
- trois-six - 33°-33°5 Cartier - 85 à 86° centésimal - dans les tables
jointes (Ibid., p.245.) Le Tableau 1 donne les caractéristiques de
toutes les échelles. Dans leur Dictionnaire des altérations et falsifications des substances alimentaires, médicamenteuses et commerciales, Chevallier et Baudrimont ne mentionnent plus ces vieilles
dénominations (Tableau 2).
Seule survit l’approche centésimale, amplement justifiée par les
connaissances en chimie.
Sur ces bases, une fiscalité spécifique est mise en place : en France,
la loi du 24 juin 1824 initie la perception de droits fiscaux, en rapport
avec le taux d’alcool pur (Jullien, Manuel du sommelier, p.56 et
suiv. Voir aussi Tarifs de droits d’entrée et d’octroi dans Paris, 1930.)
Conclusion
Le mercantilisme européen est, une fois encore, un puissant stimulant
intellectuel pour la science et l’innovation technologique, comme
le révèle cet exemple du titrage de l’alcool. En maitrisant l’authentification de la qualité de ses eaux-de-vie, whiskies, rhums et vins,
il s’assure la maîtrise mondiale de ces marchés dans un cadre
exempt de soupçons sur ce critère stratégique. Toutefois, l’État
français et les villes y trouvent aussi une base rationnelle pour assoir
leur fiscalité !
Historiquement, l’Europe fait preuve d’une remarquable ténacité
en se préoccupant, depuis l’Antiquité, de la valeur marchande des
liqueurs issues de la distillation de ses grains, sucres et raisins.
Ses pouvoirs politiques sont requis pour assurer un commerce dénué
de fraudes et de falsifications, en particulier sur la teneur en alcool de
ses boissons. Ses scientifiques développent des tests pour contrôler
une caractéristique fondamentale : la densité. Les innovations
techniques portent alors sur les instruments, qui sont améliorés
au niveau précision et facilité d’emploi. La parfaite connaissance
de la nature chimique de l’alcool, l’éthanol, et de son origine
fermentaire permet au français Gay-Lussac d’établir une relation
simple correspondant à la teneur, en pourcentage d’alcool pur dans
la liqueur, rendant obsolètes les différentes échelles et dénominations
précédentes laborieusement acquises depuis le XVIIème siècle.
Le succès économique actuel de cette activité agro-industrielle
repose aussi sur ces fondements historiques.
Références bibliographiques
III - La détermination du degré
alcoolique des vins
Depuis Aristote et Théophraste, la présence d’une substance inflammable est connue dans le vin. Elle est associée à la qualité et son
évaluation est recherchée pour sa valorisation monétaire. Plusieurs
voies sont possibles. Dès que la relation entre le sucre et l’alcool est
établie, le pèse-liqueur employé dans du moût de raisin peut être
utilisé. C’est le gleuco-oenomètre, plus tard appelé mustimètre, dont
une table de conversion fournit le degré final après fermentation
alcoolique.
La deuxième possibilité est l’aréomètre appliqué au vin lui-même.
En 1815, Allègre fils en fabrique un, dénommé oenomètre ; il comprend
huit à dix degrés, mais l’Administration fiscale d’État ne l’admet plus
en 1855. En effet, son choix se porte sur la mesure directe de l’alcool
extrait dans l’échantillon de vin à analyser. Pour cela, Gay-Lussac
dispose d’un alambic ; mais Salleron fabrique un modèle de petite
taille, plus maniable. Alambic de Salleron et alcoomètre centésimal
de Gay-Lussac deviennent les deux instruments reconnus pour les
opérations commerciales et fiscales, jusqu’en 1880.
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A. Chaptal, 1807.
Chimie appliquée aux Arts.
Déterville, Paris.
Chevallier et Baudrimont , 1878.
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5ème édition Paris.
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Éléments de pharmacie théorique et pratique.
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M. Dubrunfaut, 1825.
Traité complet de l’art de la distillation.
Stapleaux. Bruxelles.
J. Dujardin, 1900.
Recherches rétrospectives sur l’art de la distillation – Historique de
l’Alcool, de l’Alambic et de l’Alcoométrie.
Paris.
Cependant, au cours du dernier quart du XIXème siècle, les tensions
s’avivent sur l’intérêt et la justification de l’alcoolisation des vins,
improprement dénommée vinage. Outre les effets sur la santé,
la question fiscale est toujours sous-jacente, avec les droits de
circulation des alcools et des vins. L’État intervient, une fois encore,
pour harmoniser et normaliser les alcoomètres Gay-Lussac, et pour
contrôler leur circulation, en réponse à de nombreuses plaintes.
Le Journal Officiel du 27 décembre 1884 publie la nouvelle graduation
centésimale, en y intégrant des densités spéciales différentes de celles
de Gay-Lussac.
Ainsi, grâce à la densimétrie, la connaissance du taux en alcool,
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futur ou acquis, progresse suffisamment pour pacifier les relations
commerciales. Toutefois, l’inventivité des physiciens n’a de cesse la
recherche d’améliorations. Au XXème siècle, l’ébulliométrie (appareil
de Maligand) et la réfractométrie sont à leur tour sollicitées, illustrant
la nature des deux stimulants de la recherche : précision et vitesse
d’exécution.
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Histoire de la chimie, depuis les temps les plus reculés.
Hachette, Paris.
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Sommelier, Encyclopédie Roret.
6ème édit. 1845. Paris.
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Cours complet d’Agriculture théorique, pratique, économique et de
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Tableau 2 : Les échelles des aréomètres Baumé,
Cartier et l’alcoomètre Gay-Lussac.
Source : Chevallier et Baudrimont,
Dictionnaire des altérations et falsifications
des substances alimentaires, médicamenteuses
et commerciales, p.92.
Vous avez réalisé une expérimentation, des essais, une découverte, vous avez testé un nouveau produit
ou une nouvelle méthode, etc. Si vous souhaitez le faire savoir, adressez-nous votre texte.
Après examen par notre Comité de lecture, votre étude sera publiée dans la Revue Française d’Œnologie
et disponible sur le site : www.oenologuesdefrance.com.
Nos coordonnées : Tél : 04 67 58 69 06
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Tableau 1 : Les dénominations des liquides alcoolisés
et les échelles Cartier et Gay-Lussac.
Source : Dujardin J. Recherches rétrospectives sur l’art de la distillation, p.236.
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