Histoire - Union des oenologues de France
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Histoire - Union des oenologues de France
Histoire Histoire du titrage de l’alcool des eaux-de-vie et du vin. Des aréomètres aux alcoomètres. C A H I E R T E C H N I Q U E par Jean-Claude Martin Sup-Agro Montpellier, 2, place Pierre Viala - 34060 Montpellier Cedex 01 Depuis longtemps, le consommateur s’interroge sur la conformité légalement définie ou sur la qualité attendue lors d’un achat de produit ; car il redoute un risque d’altération naturelle ou une dégradation frauduleuse. Dès le XVIIème siècle, avec l’essor du mercantilisme européen, les négociants et les Pouvoirs Publics se focalisent sur l’honnêteté des transactions en établissant des catégories clairement identifiables ; mais les vérifications des qualités nécessitent un appel aux scientifiques pour établir des mesures incontestables et juridiquement opposables. Les boissons alcoolisées sont d’autant plus concernées que leur valeur d’échange est élevée et qu’elles alimentent à la fois un commerce international prospère et une fiscalité d’État conséquente. La base de leur qualité fondamentale est le constituant principal, l’alcool ou éthanol. Ainsi, des instruments spécialisés sont mis au point en Europe, plus particulièrement en Angleterre et en France, pour assurer sa conformité. Toutefois, tant Pline que Galien ne le mentionnent dans les écrits qui nous sont parvenus. Au VIème siècle, Priscien le grammairien le décrit précisément dans son poème en latin De ponderibus et mensuris ; il amorce la théorie du poids spécifique ou de la densité relative (par rapport à l’eau pour un liquide) et il indique une application de ce pèse-liqueur aux vins pour en révéler les différences selon les origines. Pendant près de dix siècles, les références relatives à l’usage de cet instrument font défaut. Il faut attendre le XVIIème siècle pour voir Caselli reprendre ce sujet dans le cadre du traitement des maladies par voie thermale (Traité des eaux courantes - 1628). En 1675, Boyle reprend le sujet et redécouvre le principe de l’hydromètre (hydrometer). Avec le siècle des Lumières, en particulier dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, de nombreux physiciens se penchent sur la question de densité et l’application à des instruments de mesure. Dans ses Leçons de physique expérimentale (1759), l’abbé Nollet mentionne l’instrument fabriqué par Capy, apprécié comme habile ouvrier. Il fournit une série de recommandations sur son emploi et une table établie par Musschenbroek relative au poids spécifique de quelques solides et liquides, lequel défend son aréomètre en métal, malgré son coût jugé trop élevé pour un usage courant. Cet article met en lumière l’engagement des grands chimistes et physiciens pour apporter toujours plus de précision et de rapidité dans ces analyses. Il débute avec les premiers aréomètres de l’Antiquité, indiquant les différences de densité des eaux thermales ; puis il développe la question de la qualité des eaux-de-vie, en premier, et du vin, ensuite, sous le rapport de la richesse en alcool ou éthanol. Au XVIIème siècle, les Anglais et les Hollandais mettent au point les premiers instruments, autour d’un test très élémentaire, dit Preuve de Hollande. Ensuite, les scientifiques affinent leur approche théorique et technique, avant d’adopter le degré centésimal et d’aboutir aux alcoomètres officiellement reconnus. Ainsi, les échelles des degrés, liées aux densités, évoluent vers une représentation du pourcentage d’alcool pur, l’éthanol, avec Gay-Lussac. Telle est l’histoire de ce parcours jusqu’au cours du XXème siècle. L’aréomètre de Fahrenheit offre une remarquable exactitude, mais son maniement est difficile pour le commerce. En conséquence, cette multiplicité d’investigations autour des Assier-Perica, Montagny et Brisson, Hassenfraz, Gasbois et Lavoisier, favorise la création d’une extrême diversité d’aréomètres. Dès lors, les interprétations deviennent délicates, confuses ; les conflits se font jour lors des transactions et se soldent par des procès peu favorables à la fluidité des échanges. II - La mesure de la qualité des eaux-de-vie à la fin XVIIème siècle I - Les premiers aéromètres D’Archimède au XVIIème siècle De tous temps, la connaissance de la pureté d’un métal et de la composition d’une substance a préoccupé les hommes. Selon Vitruve, en 212 a. J-C., Hiéron II, roi de Syracuse, sollicite Archimède pour vérifier si sa couronne est véritablement en or massif. S’appuyant sur ce qui devient son principe, il ouvre la voie aux avancées scientifiques de premier plan en introduisant le concept de ‘force’, de densité relative par rapport à l’eau, pour réaliser plus tard des mesures et fabriquer des instruments. Après cette application aux métaux précieux, l’approche physique se porte sur des constituants plus complexes. Ainsi, les Romains, très attentifs et sensibles aux vertus thérapeutiques des eaux thermales, recherchent le moyen d’appréhender cette diversité ; ils l’expliquent par la présence d’éléments plus ou moins lourds, à l’origine d’un pouvoir curatif spécifique. Selon les sources évoquées par Hoefer dans son Histoire de la Chimie, ils disposent d’un petit instrument, l’hydroscopium, ou éprouve-liqueur pour évaluer les différences de poids spécifiques des eaux. Dans une lettre particulière, Synésius en fournit une description à la savante Hypathie : il est constitué d’un tube cylindrique, avec des lignes transversales pour indiquer la profondeur d’enfoncement dans le liquide, l’équilibre en plongée rectiligne est assuré par un lest en bout, un petit poids conique , le baryllium. Il est bien l’ancêtre des densimètres actuels. R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E Au XVIIème siècle, les Anglais et les Hollandais contrôlent le commerce des alcools, essentiellement les eaux-de-vie de vin et le rhum. En effet, ce marché, notamment à l’exportation, est de première importance économique, car ces liquides très demandés se conservent et voyagent bien. En contrepartie, la qualité est très hétérogène, y compris sur le plan sanitaire, et les fraudes et falsifications sont pratiquées fréquemment pour en tirer un plus grand profit. Dès 1687, les eaux-de-vie des Charentes exportées par La Rochelle sont classées en trois catégories dont le profil reste un peu approximatif. La remise en ordre repose sur un préalable : une identification la plus précise possible du titre en alcool. Pour cela, il faut un accord sur une méthode d’évaluation et sur l’instrument de mesure adéquat, car il n’exista pas encore de méthode d’analyse chimique, cette discipline étant encore méconnue. Les recherches s’orientent vers la confection de cet instrument intermédiaire et vers la constitution d’échelles pour percevoir les différences de “force”. En Angleterre, en 1740, un Acte de Douanes et Accises (Customs and Excise) valide un accord avec les brasseurs et distillateurs pour l’usage de l’hydromètre de Clarke, qui améliore l’hydromètre du savant irlandais Boyle (1627-1691). Cet instrument est ajusté pour flotter jusqu’à une marque P gravée sur la tige en correspondance avec une eau-de-vie respectant un niveau d’alcool, dit ‘Proof Spirit’, à une température de 51° Fahrenheit. Il est remplacé par l’hydromètre de 18 F É V R I E R / M A R S 2 0 1 1 N ° 2 4 5 En effet, le règlement français de 1729 prescrit le même procédé de l’épreuve du feu de la poudre et de la liqueur dans une cuillère, procédé critiqué par Chaptal pour son manque de rigueur scientifique (Chaptal, Chimie appliquée aux arts ; p. 238). Dès lors, le premier titre des eaux-de-vie va s’établir sur cette dernière dénomination, niveau obtenu le plus ordinairement par les distillateurs. L’alcoométrie se bâtit à partir de ce test, dont le contenu scientifique est peu défini à cette époque. Des tables vont ensuite apporter des correctifs selon la température du liquide. En 1741, Paulin, docteur en médecine de Montpellier, présente à la Société Royale de Montpellier (14 août 1741) une proposition d’un nouvel appareil pour connaître la force de l’eau-de-vie et de l’esprit-de-vin (qu’il appelle alkool). Cet appareil ressemble assez à un baromètre double, avec mercure au fond de deux tubes communiquant, leur remplissage permet de comparer la force de deux eaux-de-vie en regardant la hauteur du mercure. Dans la pratique, cet instrument présente trop de risques de conflit, tant pour l’acheteur que pour le distillateur. Ainsi, une étape semble être franchie dans un contexte scientifique serein, mais une polémique oppose Baumé et Cartier, autour de la notion d’inventeur : est-ce le concepteur de l’instrument ou le fabricant lui-même ? En faisant fabriquer une vingtaine d’exemplaires de son aréomètre par Cartier, un tourneur en orfèvrerie, Baumé dévoile, sans protection juridique, un savoir scientifique vers un savoir-faire d’artisan, celui de Cartier, qui désormais est à même de s’émanciper de lui ! Dès lors, Cartier s’empresse de présenter ‘son’ pèse-liqueur à l’Académie, avec un malin subterfuge dans les graduations. Incapable de changer toute la structure, entre autres les extrêmes de l’échelle, Cartier modifie à la marge les nombres comme le montre le tableau de comparaison ci-joint (Tableau 2, en annexe p.19). Baumé réplique à ce qu’il juge une usurpation, le 16 septembre 1771, dans le Journal L’Avant Coureur. Malgré cela, Cartier demande et obtient un privilège exclusif pour la fabrication. Déçu, Baumé déclare que pareille aventure n’aurait pu arriver à Réaumur ! Les Arrêts des 3 et 4 avril 1771, confirmés plus tard par l’édit du 17 février 1782, marquent la reconnaissance définitive de l’aréomètre de Cartier. Un exemplaire étalon est déposé au greffe de la Cour des Aides ; son emploi est légalisé pour le commerce. L’Académie royale confirme son maniement dans une note spéciale car des plaintes et des réclamations surgissent dans l’interprétation des graduations sensibles. En effet, trois mentions désignent les eaux-de-vie dans le commerce : Eau-de-vie simple : 18 à 22 degrés Cartier, Eau-de-vie double : 22 à 32°, Alcool ou Esprit-de-vin rectifié : 33 à 44°. La première catégorie reprend les eaux-de-vie reconnues comme Preuve de Hollande, soit 18° Cartier minimum, et à la preuve d’huile, 22° Cartier. Ainsi, la zone 23-24 degrés offre un terrain pour de multiples contestations entre les fabricants d’eaux-de-vie et le négoce. Pendant des décennies, les inventions se poursuivent ; une grande diversité d’aréomètres apparaît, ainsi que des thermomètres en complément. Trente ans plus tard, les États du Languedoc, présidés par l’archevêque de Narbonne, ouvrent le concours suivant : “Déterminer les différents degrés de spirituosité des eaux-de-vie ou esprits-de-vin, par le moyen le plus sûr et en même temps le plus simple et le plus applicable aux usages du commerce. (Chaptal. Chimie appliquée aux Arts ; p.238.)” En 1772, la Société Royale de Montpellier décerne le prix correspondant aux Mémoires de l’abbé Poncelet et de Pouget, avec la collaboration de Bories. Cependant, les résultats sont jugés insuffisants et le concours ouvert à nouveau, en 1773. Bories l’emporte seul et le commerce adopte sa proposition pour ses transactions. Chaptal souligne sa valeur en raison des corrections liées à la prise en compte de la température. En 1816, l’Administration confirme l’aréomètre Cartier comme étalon (loi du 14 avril 1816) pour la perception des droits sur les eaux-de-vie, en retenant trois catégories : Eaux-de-vie simples : au dessous de 22 degrés Cartier, Eaux-de-vie rectifiées : de 22° à 28° exclusivement, Esprits ou eaux-de-vie : 28° et au-dessus. L’aréomètre Cartier est gradué à la température de 10 degrés Réaumur, marque 10 degrés dans l’eau pure et 44°25 dans l’alcool pur. Une telle classification fiscale incite alors à produire des liqueurs les plus titrées en alcool, ce que critiquent certains usagers qui ne trouvent alors pas des eaux-de-vie à leur convenance selon leurs usages. En 1781, l’abbé Rozier en fournit une description détaillée dans son Dictionnaire d’agriculture. Bories classe les eaux-de-vie en trois catégories : la Preuve de Hollande, le Trois-Cinq et le Trois-Six. Avec Gay-Lussac, l’approche scientifique repose sur le taux réel en éthanol, molécule désormais mieux connue. Ce grand chimiste est sollicité, sous le premier Empire, pour mettre au point les moyens de détection des altérations ou fraudes des produits. À la suite de bien d’autres physiciens, dont déjà Boyle qui, en 1650, estime la densité de l’esprit de vin (éthanol) à 0,866, Gay-Lussac fournit un moindre poids : 0,7947, à la température de 15° centigrades (à 20° C, la valeur officielle de la masse volumique de l’éthanol est : 0,78924 g-cm3, la densité : 0,78924). Cette valeur est contrôlée et certifiée par de nombreux savants du monde entier ; elle sert de référence à toute l’industrie des alcools. Gay-Lussac crée alors son alcoomètre sur une nouvelle base métrique, dite centésimale. À partir de 1824, son emploi se généralise et le commerce des eaux-de-vie retrouve une certaine sérénité. De son coté, à Paris, Baumé, pharmacien, étudie cette question de l’aréomètre, à la suite des essais de Réaumur. Il en fournit des explications dans les diverses éditions de son ouvrage Éléments de Pharmacie. En 1768, il conçoit un pèse-liqueur pour connaître le degré de rectification des boissons spiritueuses. L’échelle des graduations est étalonnée à partir de l’eau pure et d’une solution bien précise obtenue avec une certaine quantité de sel marin purifié et bien sec. Entre les deux termes obtenus, il établit une plage de 50 degrés, qu’il inverse par rapport à la solution alcaline ci-dessus pour son application à l’esprit-de-vin. Dès lors, en respectant ses instructions, tous les pèse-liqueurs sont comparables, quoique fabriqués par différents ouvriers. Dans le Journal L’Avant Coureur de 1768, il rend public une description fidèle de son aréomètre et d’une table sur les degrés de rectification. C’est une grande avancée par rapport à Réaumur, dont l’appareil est des plus secrets quant à ses caractéristiques ! Le 10 mai 1769, Baumé lit son mémoire à l’Académie, qui nomme alors des Commissaires pour vérifier ses résultats. Les Journaux de Médecine d’octobre et novembre 1770 publient son mémoire sous un titre plutôt surprenant Recherches sur plusieurs phénomènes que l’eau présente au moment de sa congélation. R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E Toutefois, la question des échelles de degré et des dénominations commerciales demeure encore dans la pratique. (Voir les 2 tableaux en p.19). Si un instrument nouveau finit par éliminer rapidement un plus ancien, obsolète, il n’en n’est pas de même des échelles de qualités alcoolique qui survivent jusqu’au milieu du XXème siècle, par des expressions populaires. Avant l’admission définitive et sans partage du pourcentage d’alcool – éthanol- pur, système le plus incontestable 19 F É V R I E R / M A R S 2 0 1 1 N ° 2 4 5 C A H I E R Sikes, suite à l’Hydrometer Act de 1818. Les distilleries de whiskies adoptent aussi ce nouvel instrument, après, en 1817, la distillerie Teaninich, dans le Ross-shire, en Écosse. Pour déterminer ce niveau de référence en alcool, la méthode adoptée est celle de la flamme. Différentes options sont pratiquées antérieurement, dites“épreuves” des perles ou chapelet, sur charbons enflammés, de durée d’évaporation sur cuivre chaud. Celle retenue et appliquée au rhum dans un premier temps repose sur la combustion de la poudre à canon. Pourquoi la poudre à canon ? Au XVIIIème siècle, les marins anglais sont aussi payés en rhum ; ils ne veulent évidemment pas de produit mouillé. Le test de la poudre à canon, substance disponible, est utilisé : le rhum est accepté s’il n’empêche pas la poudre à canon de brûler, dans le cas contraire, il est jugé frelaté ! C’est du “Proof Spirit”, qui, par construction, s’apparente au vocable retenu en français de Preuve de Hollande. T E C H N I Q U E Histoire Histoire C A H I E R T E C H N I Q U E scientifiquement et juridiquement, les autres échelles vont tenter de subsister et de se rapprocher du système centésimal jusqu’au milieu du XXème siècle. Le monde anglo-saxon fait correspondre le Proof Spirit à 57,14 degrés centésimal Gay-Lussac, soit 57,14 % abv (alcohol by volume) et, en termes fractionnaire, un ratio proche de 4/7. La Preuve de Hollande est le nom donné par le négoce au premier produit de la distillation ; c’est en quelque sorte le premier niveau d’eau-de-vie apte à la vente ! Elle s’avère inférieure en force alcoolique à la Proof Spirit, mais il ressort une certaine marge de variation selon les sources. Par rapport au degré Cartier, elle fluctue entre 18 et 22° Cartier. La Maison rustique du XIXème siècle attribue un écart moindre 19 à 20° Cartier, Dujardin est plus restrictif : 18,5 – 19° Cartier. Par rapport au degré centésimal Gay-Lussac, elle se situe entre 50 et 53° Centésimal, dans le premier cas, 47 – 50° centésimal dans le second. Selon Dubrunfaut, le midi de la France utilise des dénominations empiriques et approximatives, à partir d’expressions fractionnaires qui se veulent en continuité avec la Preuve de Hollande (Dubrunfaut, Traité de l’art de la distillation, p.244.) Comme le rappelle Chaptal, le point de départ est la première distillation qui aboutit à la Preuve de Hollande ; cette liqueur reprise pour une deuxième distillation en donne une plus puissante appelée trois-cinq, car trois parties de celle-ci, mêlées à deux d’eau, redonneraient la Preuve de Hollande. Quant au trois-six commun dans le midi, son nom a pour origine une manipulation analogue : une dilution de moitié avec de l’eau (3/6) produit une liqueur de faible Preuve de Hollande, soit autour de 16 degrés Cartier ; d’où les concordances - trois-six - 33°-33°5 Cartier - 85 à 86° centésimal - dans les tables jointes (Ibid., p.245.) Le Tableau 1 donne les caractéristiques de toutes les échelles. Dans leur Dictionnaire des altérations et falsifications des substances alimentaires, médicamenteuses et commerciales, Chevallier et Baudrimont ne mentionnent plus ces vieilles dénominations (Tableau 2). Seule survit l’approche centésimale, amplement justifiée par les connaissances en chimie. Sur ces bases, une fiscalité spécifique est mise en place : en France, la loi du 24 juin 1824 initie la perception de droits fiscaux, en rapport avec le taux d’alcool pur (Jullien, Manuel du sommelier, p.56 et suiv. Voir aussi Tarifs de droits d’entrée et d’octroi dans Paris, 1930.) Conclusion Le mercantilisme européen est, une fois encore, un puissant stimulant intellectuel pour la science et l’innovation technologique, comme le révèle cet exemple du titrage de l’alcool. En maitrisant l’authentification de la qualité de ses eaux-de-vie, whiskies, rhums et vins, il s’assure la maîtrise mondiale de ces marchés dans un cadre exempt de soupçons sur ce critère stratégique. Toutefois, l’État français et les villes y trouvent aussi une base rationnelle pour assoir leur fiscalité ! Historiquement, l’Europe fait preuve d’une remarquable ténacité en se préoccupant, depuis l’Antiquité, de la valeur marchande des liqueurs issues de la distillation de ses grains, sucres et raisins. Ses pouvoirs politiques sont requis pour assurer un commerce dénué de fraudes et de falsifications, en particulier sur la teneur en alcool de ses boissons. Ses scientifiques développent des tests pour contrôler une caractéristique fondamentale : la densité. Les innovations techniques portent alors sur les instruments, qui sont améliorés au niveau précision et facilité d’emploi. La parfaite connaissance de la nature chimique de l’alcool, l’éthanol, et de son origine fermentaire permet au français Gay-Lussac d’établir une relation simple correspondant à la teneur, en pourcentage d’alcool pur dans la liqueur, rendant obsolètes les différentes échelles et dénominations précédentes laborieusement acquises depuis le XVIIème siècle. Le succès économique actuel de cette activité agro-industrielle repose aussi sur ces fondements historiques. Références bibliographiques III - La détermination du degré alcoolique des vins Depuis Aristote et Théophraste, la présence d’une substance inflammable est connue dans le vin. Elle est associée à la qualité et son évaluation est recherchée pour sa valorisation monétaire. Plusieurs voies sont possibles. Dès que la relation entre le sucre et l’alcool est établie, le pèse-liqueur employé dans du moût de raisin peut être utilisé. C’est le gleuco-oenomètre, plus tard appelé mustimètre, dont une table de conversion fournit le degré final après fermentation alcoolique. La deuxième possibilité est l’aréomètre appliqué au vin lui-même. En 1815, Allègre fils en fabrique un, dénommé oenomètre ; il comprend huit à dix degrés, mais l’Administration fiscale d’État ne l’admet plus en 1855. En effet, son choix se porte sur la mesure directe de l’alcool extrait dans l’échantillon de vin à analyser. Pour cela, Gay-Lussac dispose d’un alambic ; mais Salleron fabrique un modèle de petite taille, plus maniable. Alambic de Salleron et alcoomètre centésimal de Gay-Lussac deviennent les deux instruments reconnus pour les opérations commerciales et fiscales, jusqu’en 1880. F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E A. Chaptal, 1807. Chimie appliquée aux Arts. Déterville, Paris. Chevallier et Baudrimont , 1878. Dictionnaire des altérations et falsifications des substances alimentaires, médicamenteuses et commerciales. 5ème édition Paris. Baumé, 1768. Éléments de pharmacie théorique et pratique. Samson, Paris. M. Dubrunfaut, 1825. Traité complet de l’art de la distillation. Stapleaux. Bruxelles. J. Dujardin, 1900. Recherches rétrospectives sur l’art de la distillation – Historique de l’Alcool, de l’Alambic et de l’Alcoométrie. Paris. Cependant, au cours du dernier quart du XIXème siècle, les tensions s’avivent sur l’intérêt et la justification de l’alcoolisation des vins, improprement dénommée vinage. Outre les effets sur la santé, la question fiscale est toujours sous-jacente, avec les droits de circulation des alcools et des vins. L’État intervient, une fois encore, pour harmoniser et normaliser les alcoomètres Gay-Lussac, et pour contrôler leur circulation, en réponse à de nombreuses plaintes. Le Journal Officiel du 27 décembre 1884 publie la nouvelle graduation centésimale, en y intégrant des densités spéciales différentes de celles de Gay-Lussac. Ainsi, grâce à la densimétrie, la connaissance du taux en alcool, R E V U E futur ou acquis, progresse suffisamment pour pacifier les relations commerciales. Toutefois, l’inventivité des physiciens n’a de cesse la recherche d’améliorations. Au XXème siècle, l’ébulliométrie (appareil de Maligand) et la réfractométrie sont à leur tour sollicitées, illustrant la nature des deux stimulants de la recherche : précision et vitesse d’exécution. F. Hoëfer, 1842. Histoire de la chimie, depuis les temps les plus reculés. Hachette, Paris. A. Jullien, 1813. Sommelier, Encyclopédie Roret. 6ème édit. 1845. Paris. F. Rozier, 1781. Cours complet d’Agriculture théorique, pratique, économique et de médecine rurale et vétérinaire. Serpente, Paris. 20 F É V R I E R / M A R S 2 0 1 1 N ° 2 4 5 Histoire 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 28 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 10 10,92 11,84 12,76 13,67 14,59 15,51 16,43 17,35 18,26 19,18 20,1 21,02 21,94 22,85 23,77 24,69 25,61 26,53 27,44 28,38 29,29 30,31 31,13 32,04 32,96 33,88 34,8 35,72 36,63 37,56 38,45 38,4 40,31 41,32 42,14 43,06 43,19 48 44,9 Alcoomètre centésimal 0 5 10 17 23 29 34 39 43 47 50 53 56 59 61 64 66 69 71 73 75 77 79 81 83 84 86 88 89 91 92 93 94 96 97 98 99 100 Tableau 2 : Les échelles des aréomètres Baumé, Cartier et l’alcoomètre Gay-Lussac. Source : Chevallier et Baudrimont, Dictionnaire des altérations et falsifications des substances alimentaires, médicamenteuses et commerciales, p.92. Vous avez réalisé une expérimentation, des essais, une découverte, vous avez testé un nouveau produit ou une nouvelle méthode, etc. Si vous souhaitez le faire savoir, adressez-nous votre texte. Après examen par notre Comité de lecture, votre étude sera publiée dans la Revue Française d’Œnologie et disponible sur le site : www.oenologuesdefrance.com. Nos coordonnées : Tél : 04 67 58 69 06 R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E Email : [email protected] 21 F É V R I E R / M A R S 2 0 1 1 N ° 2 4 5 T E C H N I Q U E Tableau 1 : Les dénominations des liquides alcoolisés et les échelles Cartier et Gay-Lussac. Source : Dujardin J. Recherches rétrospectives sur l’art de la distillation, p.236. Aéromètre Cartier C A H I E R Aéromètre Baumé