La citoyenneté européenne L`avènement d`une
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La citoyenneté européenne L`avènement d`une
La citoyenneté européenne L’avènement d’une citoyenneté européenne a été considéré à l’origine de la construction européenne comme un élément central du processus. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter ce que disait Jean Monnet le 30 avril 1952 : « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes. » Traité de Maastricht, article 8 ( 1992 ): « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. » • Confusion entre citoyenneté et nationalité • Coquille vide puisqu’il suffit d’avoir la nationalité d’un Etat membre pour être citoyen européen. I Qu’est-ce-que la citoyenneté ? Concept forgé par les Grecs à partir de l’étymologie polis. - Polis = la cité Le citoyen est celui qui participe aux affaires de la cité Celui qui décide Celui qui agit en commun avec d’autres citoyens. Qui sont ces autres citoyens ? - Sont-ce ceux de son milieu natif ( l’asty ), de sa sphère sociale ? - Ou ceux qui correspondent à la sphère proprement politique, c’est-à-dire à une communauté par décision ? L’étymologie ne suffit pas. Il nous faut reprendre la différence faite par les grecs entre : - Eunomie - Et isonomie a) L’eunomie ( Solon 640 – 558 avant JC ) - Citoyenneté sociale - Ordre communautaire dans la cité correspondant à un équilibre de justice Arrangement juste des différentes composantes de la communauté Idée de justice distributive ( reprise par John Rawls ) Ce qui prime c’est l’ordre sur le pouvoir Il ne s’agit pas encore de démocratie b) L’isonomie ( Clisthène VIème siècle avant JC ) - Rupture entre le plan politique et le plan social - Utilisation du critère d’égalité arithmétique ( iso = le même ) - Transformation de la notion de citoyenneté : il faut ne retenir qu’un critère strictement politique pour postuler une égalité arithmétique. La démocratie est l’instauration d’un ordre politique artificiel c.a.d.oublieux : Des différences naturelles Des différences sociales ( parenté, richesse ) Cette égalité est limitative : elle ne concerne que ce qui est public. Le seul commun n’est que le politique. Mais puisque c’est une communauté instaurée elle implique : Décision Responsabilité Le citoyen : A des projets en commun Dialogue avec d’autres qui n’appartiennent pas à son sang, sa famille, son village. Pluralité de regards, communauté de décision. II Qu’est-ce-que la citoyenneté nationale ? A ) Qu’est-ce-qu’ une nation ? - Nasci = naître - Natio = la naissance : Des petits d’une portée d’un animal Ensemble humain né en même temps ou dans un même lieu Le terme français apparaît au 18ème siècle et qualifie des groupes unifiés par : - Prise de conscience d’un passé traditionnel - Espérances communes pour réaliser dans l’avenir une destinée en fonction de ce passé et d’un idéal. La nation est de l’ordre du vécu, du viscéral, du sentiment. Renan dans sa célèbre conférence à la Sorbonne en 1882 « Qu’estce-qu’ une nation ? » nous dit que la nation est une âme. « C’est un principe spirituel constitué de deux choses qui n’en font qu’une : tout d’abord, avoir fait de grandes choses ensemble et ensuite, vouloir en faire encore » Il y a dans la nation une dimension du présent référé à la fois au passé glorieux et à l’avenir pour lequel on a des projets. Il y a toujours dans cette idée de nation le désir de perpétuer une solidarité. Enfin il n’y a pas de nation sans passé militaire car c’est la guerre qui a accouché de la nation. C’est un passé douloureux qui a produit cet enfantement : la nation est enfantée. La nation est symboliquement un être vivant. Il ne s’agit pas d’une collection, d’une addition mais d’une collectivité solidaire. D’où une nation ne se décrète pas, ne se construit pas de façon décisionnelle. Une nation naît par les faits qui ont lié une population ( le passé, les guerres, l’héroïsme, les morts ). C’est viscéralement une famille. B Paradoxe de la citoyenneté nationale 1 Ce n’est pas la citoyenneté ultra-libérale Terme inapproprié d’ailleurs car il ne s’agit plus de citoyenneté C’est l’idée que le citoyen ne se différencie pas vraiment de l’individu qui fait valoir ses intérêts pré-politiques. En conséquence il a surtout des droits. Il attend de sa citoyenneté des avantages et, en contrepartie, se plie à quelques nécessités comme celle d’aller voter (qui n’est d’ailleurs plus vraiment considérée comme une obligation ) ou celle de payer ses impôts. Le bien commun a disparu ainsi que le vouloir vivre ensemble. 2 Mais ce n’est pas non plus une citoyenneté purement politique Il y a dans cette association des deux termes une difficulté : - La nationalité m’échoit par droit du sang ou droit du sol - La citoyenneté est une attitude politique fondée non sur la filiation ou le lieu mais sur le contrat et la participation active à la vie de la cité. Et cette participation active parce que volontaire relève d’une décision libre. La volonté de destin commun demande une éducation. La citoyenneté s’éduque par un long processus. La nationalité n’est pas choisie, elle est échue, sauf exception. III Une citoyenneté européenne est-elle possible ? A Le frein institutionnel Nous allons prendre, pour clarifier la difficulté, l’aide du concept utilisé par le Professeur Jean Baechler : la politie. 1) Qu’est-ce que la politie ? Une politie est un acteur collectif qui doit résoudre le problème posé par la conversion d’énergie, d’intelligence et de volonté individuelles en volonté, intelligence et énergie collective. Par nature et par définition une politie est équipée des procédures permettant d’espérer une réalisation satisfaisante du bien commun, c’est-à-dire de la paix par la justice. Mais elle est aussi confrontée à l’extérieur à un ou plusieurs autres acteurs collectifs de définition identique impliquant que tout conflit entre polities peut toujours dégénérer en guerre. Depuis Aristote on sait que la différence fondamentale entre une alliance de polities et une politie consiste dans le fait qu’une guerre est toujours possible entre alliés alors qu’entre citoyens d’une même politie elle devient illégitime et illégale et ne peut prendre que la figure d’une guerre civile. A l’origine de la construction européenne l’intention était bien d’en faire une politie pour éviter dorénavant toute guerre civile entre citoyens européens, les deux guerres du XXème siècle sur le continent européen étant considérées par les pères de l’Europe comme des guerres fratricides. 2) L’union européenne n’est pas une politie aujourd’hui - La Commission européenne n’émane pas des citoyens européens. - Le Conseil européen non plus puisque ses membres ont, sans doute, été élus dans leurs pays respectifs, mais ils l’ont été pour gérer les problèmes de leur pays et non ceux de l’Europe. - Le Parlement européen semble mieux correspondre aux exigences d’une politie mais ses membres ne sont pas élus par des citoyens européens en tant que tels mais par des citoyens nationaux qui élisent des députés de leur pays au Parlement européen. Les campagnes pour les élections au Parlement européen dépendent de tactiques nationales. En Europe nous sommes encore en grande partie dans l’ordre de l’international. N’oublions pas que ce sont les Européens qui ont inventé : Le concert des nations Le droit international. Nous sommes dans une quasi-politie ( ni alliance ni politie ) : - Politie en tant que l’Europe définie des règles de jeu et la capacité à les respecter . - Mais quasi parce qu’elle est toujours incapable de se constituer en acteur collectif sur la scène mondiale pour deux raisons : -les Etats tiennent à leur souveraineté en matière de politique internationale -la citoyenneté européenne n’existe pas suffisamment pour considérer que l’Europe peut décider en tant qu’acteur collectif. B L’immanquable parallèle avec la nation Pour réfléchir ce que pourrait être la citoyenneté européenne dans une politie européenne on ne parvient pas à sortir du modèle national de politie et particulièrement en France puisque la nation française et la politie France se confondent du fait de l’énorme poids de notre tradition d’Etat-nation. La nation est une invention européenne, exportée avec plus ou moins de bonheur ailleurs. Mais le lien politie-nation est purement contingent, historique. Il n’existe ni dans la tribu, ni dans la cité, ni dans les sociétés à castes, ni dans le système féodal , ni dans l’empire. Il n’a jamais existé de nation européenne. Il n’en existera jamais Il n’y a pas de nation helvétique mais une politie helvétique. Il n’y a pas de nation chinoise mais une aire culturelle chinoise qui va même jusqu’à produire un nationalisme. Il y a une aire culturelle européenne du fait que l’Europe est une civilisation dotée d’une anthropologie et d’un riche patrimoine. Les politiques français ont voulu, par cette construction européenne, se donner l’illusion de la grande nation, l’Europe devenant l’occasion de la grandeur française restaurée. Cette attitude ne permet pas de faire éclore une citoyenneté européenne. C Quel avenir pour la citoyenneté européenne ? 1) Que donne la citoyenneté européenne aujourd’hui ? - libre circulation au sein de l’Europe - droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales dans l’Etat membre de résidence - droit de bénéficier de la protection diplomatique de tout Etat membre - droit de pétition devant le Parlement européen. Ce à quoi il faut ajouter l’effet de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui a permis la reconnaissance, dans de nombreux cas, des mêmes droits que les résidents du pays d’accueil aux citoyens européens. Ainsi le principe qui prévaut désormais est bien celui de l’égalité de traitement entre les nationaux et les Européens qu’il s’agisse : • De l’accès à l’emploi • De l’égalité de salaire et des conditions de travail • Des divers avantages sociaux et fiscaux mis en place par les Etats. Tout ceci donne des droits aux individus des différentes nationalités européennes. Mais, à y regarder, nous sommes bien ici dans la citoyenneté ultralibérale. Peut-on parler de solidarité et de communauté de destin ? 2) Quelles sont les difficultés ? a) Le modèle national est inefficace aujourd’hui Le sentiment de solidarité et de communauté de destin a été développé dans l’Etat-nation par la scolarisation. Or la logique des droits individuels au détriment des droits collectifs rend extrêmement difficile l’éducation à la citoyenneté nationale qui reposait sur l’idée d’une solidarité par identité. b) Il est inapproprié puisque ce qui fait la spécificité et la valeur de l’Europe c’est sa diversité. Uniformiser pour parvenir à une solidarité ne peut être la bonne méthode pour la citoyenneté européenne. c) Comment parvenir à une communauté de décision dans une pluralité de regards ? - Tout d’abord cela demande une éducation au respect d’autrui dans sa différence. L’universalisme républicain ne nous a pas appris à tenir compte de la nécessité pour la personne à s’identifier à une culture. - Mais en même temps cela demande de veiller à maintenir les limites du communautarisme Communautarisme : confusion du politique et du culturel. C’est l’affirmation d’un droit à la différence qui réduit la sphère politique à l’identification culturelle considérée comme supérieure aux autres cultures. Le nationalisme est, d’ailleurs, une hypertrophie du communautarisme. Nous emprunterons pour pointer ce qui serait souhaitable, mais si difficile, pour parvenir à une citoyenneté européenne, la notion formée par Paul Ricoeur d’universel contextuel Qui devrait permettre de revisiter la possibilité : - D’un droit à la reconnaissance de la pluralité - De droits collectifs protecteurs de collectivités vulnérables - D’une hospitalité à la différence. Cette réflexion sur la nécessité de s’ouvrir à un universel contextuel , bien évidemment, n’aurait aucune utilité si elle n’était accompagnée d’ une sensibilisation de tous les Européens à leurs responsabilités de citoyens et une éducation à l’Europe qui leur permette d’avoir un affectio pour cette Europe qui est la leur. Selon Habermas construire la citoyenneté européenne pourrait consister à rechercher « les traces d’une raison qui rassemble sans effacer les distances, tisse des liens sans uniformiser, souligne ce que partagent des étrangers, mais autorise l’autre à conserver sa particularité ». Bibliographie succincte : - Paul Ricoeur – Soi-même comme un autre ( Seuil ) - Yves Hersant- Europes, anthologie critique et commentée( Robert Laffont- Bouquins) - Edgard Morin- Penser l’Europe ( Folio ) - Jürgen Habermas- Après l’Etat-nation ( Fayard ) - Anne Marie Thiesse- La création des identités nationales ( Seuil ) - Larry Siedentrop- La démocratie en Europe ( Buchet et Chastel )