Noursoultan Nazarbaïev : « Nous voulons devenir un hub

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Noursoultan Nazarbaïev : « Nous voulons devenir un hub
Noursoultan Nazarbaïev : « Nous voulons
devenir un hub diplomatique ! »
Le président du Kazakhstan
propose sa médiation dans
les principaux conflits du
continent euroasiatique.
RENAUD GIRARD
Issu d’une famille d’éleveurs des montagnes du sud du pays,
devenu ouvrier métallurgiste, Noursoultan Nazarbaïev est éduqué dans
les écoles du Parti communiste des années 1960. Il en gravit tous les
échelons, pour en devenir le premier secrétaire en 1989, car il est
apprécié de Gorbatchev. À l’indépendance, en 1991, il devient président
du pays. S’exprimant en russe, il a reçu Le Figaro dans son immense
palais, situé au centre d’Astana, nouvelle capitale édifiée en pleine
steppe au début des années 2000.
LE FIGARO. - Le 27 août 2015, vous avez signé, à Astana, un accord
avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), pour constituer au
Kazakhstan une banque de l’uranium accessible à tous les pays du monde.
Quelle était votre idée ?
Noursoultan NAZARBAÏEV.- Après la chute de l’URSS, le
Kazakhstan s’est retrouvé avec le quatrième arsenal de missiles
nucléaires du monde. Nous y avons renoncé librement. Depuis, nous
luttons sans relâche pour un monde exempt d’armes nucléaires.
Toutes les fois que j’ai rencontré les leaders iraniens, je leur ai
donné le Kazakhstan en exemple. Je leur ai expliqué que c’est grâce en
grande partie à notre refus de détenir l’arme nucléaire que nous avions
pu attirer autant d’investisseurs étrangers et moderniser notre pays. C’est
là que l’idée m’est venue : si les barres d’uranium enrichi à 4 %
destinées aux centrales électriques étaient stockées dans un endroit
neutre et accessible à tous, les États n’auraient plus besoin de chercher à
enrichir par eux-mêmes.
Le Kazakhstan possède d’immenses réserves d’uranium et une
longue expérience d’extraction et d’enrichissement. Nous avons donc
créé cette banque en accord avec l’AIEA. Nous ne cherchons pas à en
tirer un profit commercial quelconque. L’essentiel est que le Kazakhstan
contribue une fois de plus à la non-prolifération.
Sur la crise ukrainienne, vous avez été un parrain du processus de
Minsk. Lorsque le président Hollande est venu à Astana en visite officielle le
5 décembre 2014, il paraît que vous lui avez conseillé de s’arrêter au retour à
Moscou, pour s’entretenir avec le président Poutine, et vous avez arrangé le
rendez-vous…
C’est exact. Cinq mois auparavant, j’avais invité les présidents
Porochenko et Poutine à se rencontrer à Astana. Cette rencontre a
finalement eu lieu en août 2014, mais à Minsk. Ce fut un sommet entre
le Haut Représentant de l’UE, Poutine, Porochenko, Loukachenko et
moi-même. Mais à partir de cette rencontre jusqu’au mois de décembre
2014, il ne s’est diplomatiquement rien passé. Le conflit continuait à
s’aggraver.
Alors, quand le président Hollande m’a demandé ce qu’on devrait
faire pour régler la crise, je lui ai qu’il fallait que l’Allemagne et la
France soient plus entreprenantes dans leurs efforts de rapprochement
des positions de la Russie et de l’Ukraine.
Les pays européens doivent être les premiers intéressés à résoudre
cette crise. Car les sanctions les affectent, comme elles pénalisent la
Russie et aussi, par répercussion, le Kazakhstan.
Ensuite, je suis allé à Berlin voir Merkel, puis à Kiev voir
Porochenko, puis à Moscou voir Poutine, pour les convaincre de la
nécessité d’une rencontre commune. Elle a finalement eu lieu à Minsk
en février 2015.
N’êtes-vous pas déçu ? Le processus de Minsk 2 semble ne pas beaucoup
progresser…
La résolution du conflit n’est toujours pas trouvée. Or, dans ces
conventions de Minsk 2, tout est fixé : on sait ce que doit faire la partie
russe dans la zone orientale de l’Ukraine et ce que Kiev doit faire de son
côté. Le 16 septembre 2015, je me suis entretenu avec Poutine à Sotchi.
Le Parlement ukrainien s’était engagé à octroyer un statut spécial aux
régions de Donetsk et de Louhansk, avec le droit de conserver la langue
et la culture russes, et avec une forte autonomie. Il l’a fait, mais la loi
n’est toujours pas entrée en vigueur.
Le président Porochenko refuse d’ouvrir un dialogue direct avec
les administrations actuelles des régions de Donetsk et de Louhansk. Or,
pour la Russie, c’est un point important : elle dit ne pas vouloir
abandonner la population russe de ces deux régions.
Si, demain, Kiev confère une réelle autonomie à ces deux régions,
on obtiendra notre sortie de crise.
L’Europe doit-elle conserver son régime de sanctions à l’égard de la
Russie ?
Non. Ces sanctions n’ont servi à rien politiquement. Considérez le
passé de la Russie. C’est un pays fort. Ce n’est pas avec des sanctions
que vous allez lui faire changer de politique ! Ces sanctions pénalisent
des gens qui n’ont rien à voir avec le dossier ukrainien, comme les PME
russes ou les éleveurs français. Il convient de séparer la politique et
l’économie. La France devrait tout faire pour empêcher une escalade de
la tension sur le terrain et une aggravation des sanctions. Il est nécessaire
de continuer dans la voie diplomatique pour résoudre cette crise.
Quelle est votre opinion sur le dossier syrien ?
La composante militaire la plus importante de Daech provient des
débris de l’armée de Saddam Hussein. En Irak, l’État a été détruit. En
Syrie, on est en train de détruire l’État. Un territoire où l’État s’estompe
est toujours un sol fertile pour l’apparition de groupes terroristes. Il ne
faut donc pas détruire les États en place ! C’est l’ingérence dans les
affaires d’autrui, contredisant toutes les conventions internationales, qui
a causé l’actuelle crise des réfugiés. Tant qu’on continuera à intervenir
dans les affaires intérieures des États en détruisant leur souveraineté, on
aura toujours les mêmes retours de boomerang !
Vous êtes neutre et vous avez de gros moyens ; j’ai l’impression que
votre ambition politique principale est désormais de faire d’Astana un hub
diplomatique…
Effectivement, dans cette région, Astana est la place la plus
commode. Nous avons par exemple initié la Conférence pour
l’interaction et les mesures de confiance en Asie, qui réunit 30 États
asiatiques, y compris la Chine, l’Inde et le Pakistan. Nous tenons
régulièrement à Astana les Congrès des leaders des religions mondiales
et traditionnelles. Nous avons convoqué dans notre capitale un sommet
de l’OSCE et un sommet de l’Organisation de la coopération islamique.
Oui, nous voulons devenir un hub diplomatique, dans cette région en
plein bouleversement, qui est à la frontière entre l’Occident et
l’Orient…■
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