Murray, l`autre cannibale

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Murray, l`autre cannibale
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TENNIS
Le Journal de l’Île
Murray, l’autre cannibale
APRÈS TROIS MOIS D’EXERCICE cadenassés par Nadal, seul l’Écossais semble en mesure de tenir le rythme. Ça va chauffer sur terre !
Au terme d’un premier trimestre marqué par la gloutonnerie de Nadal et la
voracité de Murray, le circuit débarque
sur la terre battue avec le sentiment que
s’ouvre une ère nouvelle. Federer en
proie à de gros doutes existentiels, Djokovic parfois raplapla, le numéro 1 mondial incontesté Rafael Nadal devrait
étendre les limites de son empire en
gambadant sur l’ocre, sans que l’on sache encore si l’Écossais sera en mesure
de surfer sur son élan sur une surface
qu’il n’a pas encore apprivoisée. Dans
ce nouvel ordre mondial, les Français,
volontaires, mais pas encore étincelants,
ont toujours leur mot à dire.
mondial ? Frustration énorme face au
constat de la petite déchéance qui arrive
inexorablement ?
Jeune tigre râleur puis champion zen
et inarrêtable, le mythique Federer accède à une nouvelle phase de sa carrière
dont il n’a visiblement pas encore intégré tous les codes de fonctionnement.
Le meilleur joueur de l’histoire du jeu,
entièrement dévoué dans cette quête de
perfection, doit apprendre à frayer avec
le commun des mortels et à louvoyer
avec les affres du quotidien. Adepte du
coach partiel (Higueras) ou de l’entraîneur au bout du fil (Roche), aujourd’hui
en compagnonnage avec l’entraîneur
Et si, stupéfaction, il se prenait les
pieds dans le tapis ocre ? Il l’a avoué luimême à Miami lors de sa défaite, un problème d’ordre privé le tarabuste. On a
donc ressorti des placards une rumeur
sortie par un tabloïd anglais après le dernier Wimbledon : des parents au bord
du divorce.
Plus sérieux : qu’en est-il de cette tendinite au genou droit qui l’avait offert
en pâture à Murray à Rotterdam et privé
ensuite de Dubaï ? Mais après cette parenthèse, il a pu décrocher son treizième
trophée en Masters 1000. Tout semble
baigner à nouveau, même si les échéances prochaines vont peser lourd en
année (1987) à une semaine d’intervalle
(en mai) – n’étaient pas encore assez
mûrs, surtout l’Écossais, à maturation
plus lente que celle du Serbe. Et puis,
crac. Federer s’est emberlificoté les pieds
au moment même où Murray trouvait
les bons appuis. Cela s’est produit, en
dépit des apparences, en finale de l’US
Open 2008, lors de la dernière victoire
du Suisse en Grand Chelem, la première
finale du Britannique dans un tournoi
de cette catégorie. Depuis lors, c’est
«Rodgeur » qui pleure et Andy qui rit.
De se voir si beau dans un miroir où son
reflet occupe royalement la place de 1er
dauphin. Murray est le seul à avoir rem-
d’Australie pour ses deux leaders (Gilles
Simon et Jo-Wilfried Tsonga) ; deux titres dans la foulée pour le grand Jo (Johannesburg et Marseille) ; une intronisation dans le top 10 pour Gaël Monfils
(le 23 février), quelques jours avant une
finale sur terre battue à Acapulco ; et une
reprise porteuse d’espoirs pour le convalescent Richard Gasquet (deux demies à
Brisbane et Sydney, suivie d’une défaite
homérique contre Gonzalez à Melbourne).
La Coupe Davis a brutalement freiné
cet essor, né d’une grande année 2008
(deux Français qualifiés pour le Masters
– du jamais vu depuis décembre 1986).
Le seul à avoir gardé le cap est Tsonga :
surpuissant face à Stepanek en Coupe
Davis, quart de finaliste à Miami, il n’a
connu qu’un seul réel faux pas, à Indian
Wells (3e tour, contre Andreev). Les trois
autres ont en revanche déraillé ou fait
du surplace. Simon a perdu ses deux
simples face aux Tchèques avant de caler sur le versant US.
Monfils n’a pas joué à Ostrava, mais a
connu la même baisse de régime en Californie, puis en Floride. Quant à Gasquet, il a enchaîné sa défaite en double
avec Llodra par un échec au troisième
tour d’Indian Wells, puis un forfait à
Miami. L’épaule en vrac, il s’est mis en
mode « pause ». Il pourrait profiter de la
saison sur terre battue pour réamorcer
sa marche en avant au classement :
inexistant à la même époque l’an dernier, il n’a pratiquement aucun point
ATP à défendre jusqu’au début de la saison sur gazon.
QUE VA CHANGER
LA TERRE BATTUE ?
Voici pour l'instant l'homme fort de l'année en compagnie de Rafael
Nadal, Andy Murray est à créditer d'un mois américain exceptionnel.
FEDERER VA-T-IL DANS LE MUR ?
Un homme couvert de gloire qui ne
peut réfréner ses pleurs en public en
deux occasions (en mondiovision en finale à Melbourne et dans le confessionnal de la salle de presse à Miami) ne peut
pas être au sommet de sa forme. Évidemment, le Suisse, fébrile, va mal. Dans les
fins de tournoi, il termine ses matches
de manière totalement sidérante et n’a
plus seulement une bête noire (Nadal),
mais deux, voire trois.
L’ancien numéro 1 mondial n’a gagné
aucune de ses six dernières rencontres
face à ses compagnons du top 4 (Nadal,
Murray, Djokovic). Plus que ses défaites
– l’âge aidant, il était évident qu’il ne
pourrait plus exercer une domination
sans partage sur le circuit –, c’est la manière dont elles affectent le Suisse sur et
en dehors des courts qui interpelle.
Qu’est-ce qui cloche dans le monde jadis si policé du ténor bâlois aujourd’hui
briseur de raquette ? Manque de discernement sur l’objectif à suivre : quatorzième Grand Chelem à gagner ou reconquête de la place de numéro 1
suisse de Coupe Davis Severin Luthi, apparemment pas très interventionniste,
il devrait aussi remettre en cause sa manière de travailler. Un coach à plein
temps ? Tout le monde le pense très
fort...
NADAL VA-T-IL REDESCENDRE
SUR TERRE ?
«Froid, moi ? Jamais !» Nadal, chaud
bouillant cet hiver, pourrait faire de la
pub pour Damart. Il connaît le meilleur
début d’année de sa carrière avec déjà
deux titres sur dur pour le premier trimestre. Son ratio victoires-défaites, 24/3
(battu à Doha par Monfils, par Murray
à Rotterdam, et Del Potro à Miami) est
éloquent. On l’attendait au tournant de
cette nouvelle saison d’après l’accession
au trône de numéro 1 et il répond présent. Il détient en ce moment trois titres
de tournoi du Grand Chelem sur trois
surfaces différentes, un exploit unique
dans toute l’histoire du tennis. Ce n’est
pas maintenant qu’il arrive dans son jardin – la terre battue – que le Majorquin
devrait ralentir son train d’enfer.
terme de points au classement (près de
la moitié de ses points jusqu’au lendemain de Wimbledon). Il est vrai que son
dauphin – Federer – a d’ores et déjà renoncé à ceux de sa finale de MonteCarlo l’an passé. Bonne nouvelle, pour
un Nadal qui devra bien un jour mettre
un terme à sa boulimie, même sur terre.
D’ailleurs il se murmure qu’il pourrait,
ô surprise, faire l’impasse sur le nouveau
Masters 1000 de Madrid. Un tournoi dur
(96 joueurs), de surcroît en légère altitude (700 mètres) et trop près de RolandGarros (6 jours). Comme quoi, même
pour l’homme toujours invaincu sur
terre battue en trois sets gagnants, le scénario n’est pas simple.
MURRAY EST-IL LE NOUVEAU
DAUPHIN ?
On imaginait voir durer la rivalité entre Federer et Nadal au moins aussi longtemps que celle qui unit Sampras et
Agassi pour toujours. Avec l’impression
que si Djokovic et Murray pouvaient
jouer les trouble-fêtes, les deux faux jumeaux du tennis – ils sont nés la même
porté trois titres en 2009. Auteur d’un
excellent premier trimestre, l’élève Murray ne s’est incliné que face à Nadal et
Verdasco. Depuis sa défaite contre Nadal en quarts de finale de Wimbledon,
il n’a perdu que sept matches ! Ses faceà-face avec les trois joueurs qui le précèdent – encore – au classement ATP sont
éloquents. Face à l’Espagnol, Murray a
remporté deux de leurs trois dernières
confrontations. Contre « Djoko », depuis sa défaite à Monte-Carlo en 2008,
il a enchaîné trois succès. Enfin, contre
Federer, sa domination est encore plus
éclatante. Depuis sa défaite en finale de
l’US Open 2008, Murray s’est imposé
quatre fois de rang...
LES « NOUVEAUX
MOUSQUETAIRES »
MARQUENT-ILS LE PAS ?
Oui, depuis cinq semaines. Plus précisément depuis le premier tour de Coupe
Davis, contre la République tchèque, à
Ostrava. Jusque-là, la nouvelle génération de Frenchies avait fait le boulot, et
plutôt bien : quarts de finale à l’Open
L’an dernier, la transition dur-terre
n’avait en aucun cas bouleversé la hiérarchie. Tous les cadors avaient répondu
présent, Nadal en tête qui remettra (sans
gros soucis) son titre en jeu de monstre
quasi-invincible, seulement terrassé par
une énorme ampoule à Rome face à Ferrero. Mais en 2008, à ce stade de l’année, Murray, 20e mondial, n’avait pas
encore atteint le sommet, et l’une des
questions passionnantes de ce trimestre
à venir le concerne : le Britannique, qui
n’a encore jamais atteint les quarts de
finale d’un tournoi sur terre battue,
pourra-t-il s’acclimater à cette surface
particulière ?
Lui qui a fait ses armes entre quinze et
dix-sept ans, à Barcelone, et dont l’obsession était de battre Nadal, pourra-t-il
exaucer ses rêves ? Si oui, l’Écossais de
nouveau cornaqué par l’Espagnol Alex
Corretja (finaliste de Roland-Garros en
1998 et 2001) aurait toutes les chances
de lorgner sur la deuxième place du classement.
Parmi les autres débats potentiels, on
s’interrogera aussi sur les facultés terriennes d’un Tsonga jamais vraiment testé
sur le tapis ocre depuis ses jeunes années, ou les capacités d’un Verdasco qui
n’a aucune raison apparente pour ne pas
étrenner là aussi son nouveau potentiel
physique au plus haut niveau.
Sans surprise, Andy Roddick, qui a décidé de convoler avec son élue au printemps, ne se mêlera pas à la lutte, limitant son programme au seul
Roland-Garros. Mais Monfils, demi-finaliste à Paris l’an passé, pourrait profiter de l’occasion pour s’installer confortablement dans le top 10.
Dossier réalisé par la rubrique tennis

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