La transition énergétique pourra-t-elle devenir réalité des mesures

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La transition énergétique pourra-t-elle devenir réalité des mesures
dossier
La
transition énergétique
pourra-t-elle devenir réalité
autrement qu’en mettant en place
des
mesures coercitives ?
I
Par Michèle Debonneuil
Administrateur Insee
Membre du Conseil économique
pour le développement durable
Les « bouquets de
solutions » vont permettre
de mettre à la disposition
des consommateurs,
sur leurs lieux de vie,
des biens qu’ils avaient
l’habitude d’acheter. Ils vont
permettre de les assister
dans leur usage tout au long
de leur cycle de vie. Ils vont
aussi permettre d’assister
les personnes tout au long
de leur vie dans leur besoin
de formation, de prévention,
d’assistance. Ils vont
faire passer d’une société
de « l’avoir plus » à une
société de « l’être mieux »,
sans s’appuyer uniquement
sur la mise en place des
mesures coercitives.
l n’est pas question de remettre en
cause la nécessité de relever le défi du
développement durable. Mais face à l’échec
des politiques publiques qui tentent de
mettre en place des taxes ou des droits à
polluer incitant à réduire la consommation
d’énergie, on s’interroge ici sur la façon
d’aborder ce défi pour avoir les meilleures
chances de le relever. Se donner pour
objectifs ce qui est, en réalité, une contrainte
ne semble pas la meilleure façon d’atteindre
l’objectif fixé. Ce n’est pas parce qu’il est
absolument nécessaire de ne pas détruire
la planète que cela constitue un objectif
suffisant pour y parvenir.
Nous proposons d’inverser la perspective :
plutôt que de forcer l’orientation de la
consommation vers des éco-activités par
des hausses de prix relatifs en espérant en
retirer un peu de croissance et d’emplois,
ne peut-on pas miser sur la quatrième
révolution industrielle dans laquelle nous
entrons. Il se trouve qu’en satisfaisant les
besoins tout autrement, elle permet de les
satisfaire proprement.
Le passage de la troisième à la
quatrième révolution industrielle
Un grand nombre d’entrepreneurs inventent
tous les jours de nouveaux produits qui
apportent des « solutions » aux besoins des
consommateurs tels qu’ils sont désormais
connus grâce aux capteurs posés sur eux
et sur leur environnement.
Certaines de ces « solutions » consistent à
fournir aux consommateurs une information
obtenue en traitant la masse de données
collectées (vous trouverez la voiture ou le
vélo en auto-partage à telle adresse proche
de vous, votre machine à laver va tomber
en panne, vous mangez trop, vous ne faites
pas assez d’exercice, l’air que vous respirez
est pollué ou trop sec, votre transpiration
est trop acide, votre réfrigérateur va tom­
ber en panne…). D’autres consistent à
déclencher à distance le changement
d’état de toutes sortes d’objets (mise en
route ou arrêt du chauffage, fermeture
automatique des fenêtres…). Parmi ces
solutions, certaines prévoient d’envoyer
des personnes pour résoudre le problème
(dépannage d’un appareil électro-ménager
dont une panne future a été détectée par
un capteur, téléassistance des personnes
seules pour détecter d’éventuelles chutes
et envoyer le personnel adapté…) ou
pour aider les consommateurs à modifier
leurs comportements (accompagnement
quo­tidien pour une activité sportive par
exemple).
Ces solutions seront souvent offertes en
« bouquets » regroupant les « solutions »
cor­res­pondant à un groupe de besoins.
Ainsi, on pourra aller d’un point A à un point
B avec un des « bouquets de solutions » de
transport, qui enchaîneront sur un même
voyage des véhicules individuels partagés
et des transports collectifs. On pourra vivre
tout autrement chez soi en achetant des
« bouquets de solutions », qui mettront à
notre disposition à notre domicile tous les
appareils électroniques et électro-ména­
gers dont nous avons besoin, sans que
nous ayons besoin de les acheter ; on
nous avertira des pannes avant qu’elles
n’adviennent ; on réparera avec soin les
appareils, qui resteront la propriété des
entreprises qui seront en mesure de les
recycler puisqu’elles les récupèreront à la
fin de leur cycle de vie. On pourra confier
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dossier
La transition énergétique
à une entreprise le soin de s’occuper de
En achetant ces « bouquets de solu­tions »
A à Z de la mise aux normes écologiques
– on peut dire : en s’en « équipant » –
de notre logement. On pourra s’éduquer
les consom­mateurs vont faire croître un
tout autrement avec des Moocs (Massive
nouveau grand secteur « quaternaire »
open online course), et des professeurs
qui, comme le secteur secon­daire en son
répétiteurs en liaison étroite et continu avec
temps, tirera la croissance en prenant une
les parents et les élèves pour les assister
part crois­sante dans le Pib.
et les informer à distance. Tous les besoins
pourront ainsi être satisfaits tout autrement
La transition énergétique
avec des « bouquets de solutions ».
et la croissance durable par la
La deuxième révolution industrielle a corres­
quatrième révolution industrielle
pondu à l’apparition de nouveaux produits
Avec la quatrième révolution industrielle, la
– des biens – qui ont révolutionné les
création de valeur ne résidera plus seulement
modes de vie et rompu avec la première
dans la production et la vente de biens ; elle
révolution industrielle, qui
va se déplacer vers l’aval
avait simplement décuplé
et vers la satisfaction de
l’efficacité de l’agriculture
besoins moins matériels.
Il se trouve qu’en
et les ateliers artisanaux en
Les « bouquets de
satisfaisant les
les mécanisant. De même,
solutions » vont permettre
la quatrième révolution
de mettre à la disposition
besoins tout
industrielle correspond à
des consommateurs,
autrement, elle
l’apparition de nouveaux
sur leurs lieux de vie,
permet de les
produits – les « bouquets
des biens qu’ils avaient
satisfaire proprement l’habitude d’acheter. Ils
de solutions » – qui vont à
leur tour révolutionner les
vont permettre de les
modes de vie et rompre
assister dans leur usage
avec la troisième révo­lution industrielle
tout au long de leur cycle de vie. Ils vont
qui avait simplement décu­plé l’ef­fi­ca­cité
aussi permettre d’assister les personnes
de l’industrie en l’automatisant.
tout au long de leur vie dans leur besoin de
formation, de prévention, d’as­sistance. Ils
Les performances des biens se sont amé­
vont faire passer d’une société de « l’avoir
liorées pendant des décennies grâce aux
plus » à une société de « l’être mieux ».
pro­grès des machines qui constituaient les
Les solutions quaternaires devraient
chaînes de production pour les fabriquer.
per­met­tre d’entrer dans l’économie de fonc­
Il en sera de même des « bouquets de
tion­nalité et dans l’économie circu­laire. Les
solutions », qui verront leurs performances
changements de comportements ne seront
s’améliorer pendant des décennies grâce
pas imposés aux consommateurs et aux
aux innovations sur les logiciels qui en
entreprises au nom de la préservation de
sont les nouvelles chaînes de production.
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la planète. Ils seront endogènes au modèle
économique. Ainsi, les entreprises qui
mettront les biens à disposition voudront
le faire efficacement et de façon rentable ;
alors elles recycleront les biens parce
qu’elles en reste­ront propriétaires et les
récupèreront à la fin de leur cycle de vie ;
elles en prendront soin parce qu’elles
seront en charge de les remplacer s’ils
ne fonctionnent plus et les produiront de
manière à ce qu’ils durent davantage. Elles
réduiront leur diversité pour l’ajuster aux
capa­cités d’usage des consommateurs car
elles seront appelées pour les assister en cas
de difficultés dans leur usage. Surtout, elles
pour­raient exploiter un nouveau gisement de
valeur en aval de la production des biens au
lieu de s’acharner à créer des biens toujours
plus diversifiés dont les consommateurs
sont largement équipés.
On aurait enfin amorcé la transition éner­
gétique et écologique sans s’appuyer
uni­quement sur la mise en place des
mesures coercitives. Les politiques classi­
ques de l’économie verte pourront même
enfin être mises en place. En effet, dans
un contexte de croissance retrouvée et de
gains de pouvoir d’achat restaurés, les taxes
environnementales pèseront moins sur la
consommation. De plus, les hausses de prix
induites pourront non seulement détourner
des modes de consomma­tion polluants,
mais aussi les orienter vers des modes
de vie alternatifs moins polluants et éco­
nomes en matières premières qu’offriront
les « bouquets de solutions ».
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