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MELODY GRACE
UNLIMITED
Traduit de l’anglais
par Camille S.
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CHAPITRE 1
Dex
Quelques mois plus tôt...
Je fais les cent pas dans la contre-allée, une cigarette éteinte entre
les doigts. J’ai dû arrêter de fumer une bonne cinquantaine de
fois pour toujours y revenir, en fin de compte.
Les vieilles manies ont la vie dure.
J’inspire, expire, il faut que je me calme. C’est juste une fête en
petit comité, deux cents personnes grand maximum. J’ai rempli
des stades entiers à une époque, joué devant des milliers de fans
surexcités sans le moindre trac. Merde, j’ai même chanté aux
Grammy complètement soûl. Mon seul souvenir de cette soirée,
ce sont ces trois danseuses blondes que j’ai ramenées à l’hôtel
pour finir la nuit en beauté, après le concert.
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Alors ça, c’est un détail.
Sauf que je ne me suis pas produit devant un public depuis ce
fameux soir, à Londres, il y a un peu plus d’un an. Une nuit que
je préfèrerais rayer de ma mémoire, mais qui ne cesse de me
hanter jour après jour, nuit après nuit. Après ça, je me suis fait
une promesse : la musique et moi, terminé. Le label m’a imploré,
menacé de procès. J’avais un contrat, je n’avais pas le droit de
me barrer au beau milieu d’une tournée mondiale alors que toutes
les salles affichaient complet. Rien à foutre. Ni une ni deux, j’ai
plaqué le groupe et je me suis tiré. J’ai quitté L.A., acheté une
baraque sur une plage paumée, loin des clubs et des paparazzi,
j’ai éteint mon téléphone, pour la première fois depuis le début
de cette folie. Bien décidé à commencer une nouvelle vie, en
retrait de toute cette hystérie qui était devenu mon quotidien dans
ce putain de monde.
Jusqu’à ce que le manque vienne me travailler. Mon opium, ma
drogue à moi.
La musique.
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La fièvre de la scène. Le pouvoir des projecteurs. Il n’y a pas
mieux comme came, je suis bien placé pour le savoir. J’ai passé
toute l’année à essayer désespérément de la remplacer, sans
succès.
Les vieilles manies ont la vie dure.
Je la sentais, l’envie qui revenait, me démangeait. Ça n’a pas
échappé à mon ancien manager. Il appelait de plus en plus
souvent, à n’importe quelle heure, pour me proposer de nouvelles
scènes, une tournée, un album chez un producteur indépendant.
Si je n’avais pas envie d’un grand label, alors on ferait autrement
cette fois-ci. À ma façon, selon mes règles.
Il ne comprend pas la véritable raison qui me retient de renouer
avec cette vie-là.
La porte de derrière du restaurant s’ouvre. Un type passe la
tête. Garrett, c’est son nom. Le barman de ce bistrot de
Beachwood.
– Hé, Dex ! m’interpelle Garrett. On est prêt dans dix
minutes, d’accord ?
– OK, super, je réponds, stressé.
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Il hésite.
– Tu sais, j’apprécie ton geste, vraiment.
– Pas de souci, je marmonne avec un haussement d’épaules. Je
te dois bien ça, mec.
Garrett hoche la tête. « Bien. C’est quand tu veux… »
La porte se referme. Je balance ma cigarette éteinte, l’écrase
d’un coup de talon. Je ne vais pas me défiler maintenant. J’ai
accepté de jouer pour l’ouverture de ce resto, histoire de me faire
pardonner pour les avoir plantés, au printemps.
T’en meurs d’envie, non ? De sentir les projecteurs sur toi.
Alors il est où le problème ?
Le problème, je le sais, c’est qu'un seul concert ne me suffira
pas. Toute ma vie n’a été qu’une succession d’excès en tout
genre. Trop d’alcool, trop de filles, trop de putain de regrets. J’ai
réussi à m’extraire de ce panier de crabes déjà une fois, mais je
ne suis pas dupe, je suis sur le point de replonger.
C’est tout toi, ça. Un pas en avant, deux en arrière.
La porte s’ouvre à nouveau, m’arrachant à mes pensées. Je lève
les yeux juste à temps pour apercevoir une femme se précipiter
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dehors, le visage baigné de larmes. Elle ne me voit pas, dans
l’ombre, et je la regarde s’appuyer au mur, à faire de son mieux
pour se ressaisir.
Elle est trop jolie pour pleurer, ça c’est sûr. Cheveux roux
coiffés en un petit chignon, trop strict ; une robe noire toute
simple qui lui descend un peu trop bas sur les jambes, un
décolleté un peu trop sage à mon goût. N’empêche, il y a quelque
chose d’innocent dans son expression qui me touche, un
désespoir dans le regard, un sentiment vrai, le plus authentique
que j’aie pu voir depuis bien des années.
J’ai besoin de me changer les idées, et le destin vient me servir
cette nana sur un plateau.
Je sors de l’ombre. « Tu m’as l’air d’avoir besoin d’une
clope », dis-je, avec une voix cool.
Elle sursaute. « Tu m’as fait peur ! », s’exclame-t-elle en se
dépêchant d’essuyer ses larmes. Elle me dévisage et j’attends cet
éclair dans ses yeux, le moment où les pièces du puzzle se
mettent en place, le moment où elle va me reconnaître. Alors,
comme toutes les autres nanas, elle me sourira, sourire racoleur,
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prête à passer une nuit avec la célèbre rock star puis, au petit
matin, elle racontera tout à ses copines – et aux tabloïds.
Mais son expression reste la même, éteinte. Elle secoue la tête,
une mèche de cheveux glisse sur sa joue.
– Non merci, chuchote-t-elle, polie. Je ne fume pas.
– Moi non plus, dis-je avec un sourire de travers. On le sait
bien, ce genre de trucs vous tue à petit feu.
Elle fronce les sourcils, perplexe. « Dans ce cas, pourquoi le
faire ? »
– Pourquoi faisons-nous ce qui nous fait du mal ? je réplique,
me prenant au jeu. Peut-être parce que, quelque part, on ne peut
pas s’empêcher de sentir ce que ça fait, de vivre dangereusement.
– Parle pour toi, soupire-t-elle. Moi, j'aime me sentir en
sécurité. Ce qui est prévisible. Pas compliqué.
Que je sois maudit si ces paroles ne ressemblent pas à une
invitation. Je m’approche d’elle.
– Dommage, je murmure en écartant une mèche sur sa joue. Je
parie que le danger te va très bien...
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Face à l'audace de mon geste, elle reste bouche bée. On se fixe
un moment, puis je vois les émotions qui se bousculent sur son
visage, un vrai livre ouvert. La surprise, le trouble, les joues qui
s’empourprent, révélant son désir. Elle respire un peu plus fort,
sa poitrine s'immobilise derrière le carcan de soie noire, et, oui,
en un éclair, j’ai envie d’elle. D’embrasser ces lèvres roses,
parfaites, qui semblent ne demander que ça.
– Que fais-tu ? chuchote-t-elle, mais elle ne bouge pas. Ses
yeux restent rivés aux miens. Des yeux mordorés, pailletés de
noisette. Je sens la chaleur de son souffle. Mon pouce s’égare sur
ses lèvres, douces et pulpeuses.
– A ton avis ? je la provoque, amusé par sa naïveté. Elle a une
vingtaine d’années, elle est adulte, mais à sa façon de me
regarder, comme un lapin pris dans les phares d’une bagnole, je
comprends qu’elle n’a pas l’habitude d’être abordée ainsi. Après
des années de groupies désabusées prêtes à tirer un coup avec la
moitié de mes équipes uniquement pour avoir accès aux
coulisses, c’est rafraîchissant, nouveau pour moi, au point que ça
m’excite plus encore.
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– Je… Je ne te connais pas… Elle me dévisage, cligne des
yeux, et je peux voir les rouages de son cerveau qui tournent à
toute vitesse pour tenter de donner un peu de sens à tout ça.
– C’est quand la dernière fois que tu as fait quelque chose de
complètement fou ? je lui demande, sans détacher mes yeux des
siens. Je fais descendre ma main sur sa gorge et la sens tressaillir
à mon contact.
Une ombre passe sur son visage. « Je ne fais jamais rien de
fou » chuchote-t-elle.
Ça, on verra. Déjà, je le sais, une fille comme elle, c'est de la
dynamite au lit. Innocence et sensualité, un cocktail détonnant.
Toutes ces choses que je pourrais lui apprendre... Les
gémissements qui s'échapperaient de cette bouche de rêve...
– Tu devrais essayer, je réponds, provocateur, en effleurant sa
peau, le long de son décolleté. Je ne le répéterai à personne,
promis.
L'espace d'une poignée de secondes, elle reste immobile, noyée
dans mon regard. Je vois bien le désir qui la tourmente, contre
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lequel elle se bat. Puis elle baisse les yeux, rougissante. « Tu ne
me connais pas. Ce n'est... Je ne suis pas ce genre de fille. »
J'en reste scotché. Ne vient-elle pas de m'envoyer promener ?
– Désolée... Puis elle m'esquive et se dirige vers la porte par
laquelle elle est apparue, laissant dans son sillage quelques
effluves d'un parfum floral qui me pénètre et m'enivre comme
une drogue, un shoot de douceur.
En un instant, ce qui avait commencé comme un jeu prend une
toute autre dimension.
Il me la faut, j'ai envie de la posséder, et la sensation me prend
par surprise. Je la veux, là, ici contre ce mur. Je veux la dévorer,
l'explorer, lui faire oublier la raison pour laquelle elle a surgi en
pleurs dans la nuit.
J'ai envie de son innocence, de sa retenue, rien qu'un moment.
– Attends, je lui ordonne, puis, sans lui laisser le temps de
protester, sans me laisser le temps de me raviser, je l'attire dans
mes bras et capture sa bouche pour un baiser brûlant, torride.
Ses lèvres s'entrouvrent dans un « oh » de surprise, mais je
n'hésite pas. Je l'embrasse avec plus de vigueur encore, écarte ses
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lèvres, tant j'ai envie de lui donner un avant-goût du plaisir qui
l'attend, avec ce besoin de l'attirer du côté obscur de l’existence.
Face à cette intrusion, son corps d'abord s'insurge puis, enfin, elle
capitule et fond. Presse ses lèvres contre les miennes, son corps
contre le mien.
Wow, elle est encore plus sensuelle que je ne l'imaginais. Une
chaleur brute, une euphorie subite m'envahit, déferle dans mes
veines dans un éclat aveuglant de désir.
Plus.
Je plonge ma langue plus loin en elle, la dévore, ivre de cette
bouche, de sa salive. Elle ronronne, gémit, et quelques pas
maladroits plus tard, nous nous cognons contre le mur, acculés.
Je sens chaque parcelle de son corps contre le mien, mais ça ne
me suffit pas. D’une main, je défais son chignon, libère ses
cheveux soyeux et me plaque contre elle qui se cambre et me
colle.
Il me la faut d’urgence, nue. Je veux son corps en sueur et
tremblant pour moi.
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Je m’arrache dans un râle à sa bouche, à bout de souffle, tire sa
tête en arrière et lèche sa gorge, savoure chaque grain de sa peau.
Elle frémit sous mes doigts, s’accroche à mon cou quand je
referme les mains sur son petit cul d’enfer et la soulève, enroule
ses jambes autour de ma taille. Je pèse de tout mon corps sur elle
contre ce mur, en bandant comme un fou. Elle émet une sorte de
feulement, s’arc-boute et, merde, je perds le contrôle. Je sombre
dans un abîme de désir, le monde s’estompe, fracassé, réduit en
cendres autour de nous alors qu’à nouveau je m’empare de sa
bouche et l’embrasse, l’embrasse comme si nous étions seuls au
monde.
– Mr Callahan ?
Un bruit. Mais qu’est-ce que j’en ai à foutre, avec le corps de
cette fille qui m’enveloppe, sa bouche si douce, si brûlante sous
la mienne.
– Hmm, Mr Callahan ?
J’entends la voix sans l’entendre vraiment, au bord de la
démence, mais soudain, la fille se crispe entre mes bras. Laisse
échapper un cri de surprise, puis se débat, me repousse.
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– Oh mon dieu ! Elle rabat en vitesse sa robe, regarde derrière
moi, l’air horrifié.
– Putain ! je marmonne, avant de me retourner furieux contre
l’auteur de cette interruption. C’est le plongeur du restaurant, un
gosse, il semble catastrophé.
– Tu veux quoi ? je demande, à bout de souffle.
– Je, euh, tout le monde vous attend… Il détourne les yeux,
rouge écarlate.
– Cinq minutes, je râle, avant de refaire face à la fille. Je tends
la main, mais elle m’esquive. Ses joues sont toutes roses, ses
pupilles dilatées, ses cheveux retombent sur ses épaules en
vagues tumultueuses.
Putain, jamais je n’ai vu une nana aussi sexy.
– Je n’en reviens pas d’avoir fait ça, chuchote-t-elle, comme
pour elle-même. Elle secoue la tête, pleine de hargne, puis me
tourne le dos et s’éloigne.
– Attends ! je l’appelle. Tu ne vas pas partir comme ça !
C’est pourtant ce qu’elle fait. Elle disparaît à l’intérieur, sans le
moindre regard en arrière.
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Je reste là dans la contre-allée plongée dans le noir, le cœur qui
bat à imploser, comme si je m’apprêtais à jouer au Madison
Square Garden devant vingt mille fans hystériques. Et là, je
comprends. Cette fille, c’est mon seul espoir.
Ma chance de salut, la seule chose qui m’empêchera de
retomber dans l’oubli.
Je lui emboîte le pas, pousse à mon tour cette porte, déterminé.
Je la veux. Elle sera à moi.
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