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Pratique des soins K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 2/2015 Prise en charge de patients ayant vécu un accident handicapant Humilité et empathie au premier plan Dans le cadre de sa pratique professionnelle, tout soignant peut être appelé à accompagner des personnes handicapées suite à un accident ou une maladie. Cette prise en charge nécessite humilité et empathie, en plus des compétences spécifiques liées aux différents types de handicaps. Texte: Marianne Arellano, Liliana de Almeida Marques, Cedric Meylan / Photos: Martin Glauser Plus d’un million de personnes handicapées vivent aujourd’hui en Suisse. Avec une population aussi importante, tout soignant peut être amené à prendre en soin ces personnes. Dans notre travail de Bachelor[1] nous nous sommes intéressés au vécu des personnes qui se retrouvent handicapées suite à un accident, aux épreuves qu’elles doivent traverser et au rôle infirmier spécifique dans ces situations de soins. Dans cet article, nous allons mettre en perspective le rôle infirmier peu connu dans le domaine de la réadaptation. La réadaptation consiste à tout mettre en œuvre pour qu’une personne ayant un handicap soit capable de vivre au maximum de ses possibilités aux niveaux fonctionnel, social et de son développement personnel. Une recherche dans la littérature et une phase empirique lors de laquelle nous avons interviewé des patients et des soignants, nous ont permis d’analyser les discours et ressentis des différents acteurs en réadaptation. Le vécu du patient Le handicap n’est pas une notion claire et définie de la même manière pour tous. C’est un concept très subjectif. Alors que les patients définissent le handicap comme une impotence fonctionnelle qui les prive d’une certaine liberté et modifie leur image face à la société, les soignants sont beaucoup plus axés 61 Pratique des soins 62 K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 2/2015 La place de l’infirmière Pluridisciplinarité informelle Au début de notre travail, nous nous sommes longuement demandé si nous devions approfondir le rôle ou la place de l’infirmière. En effet, en réadaptation, il est rare d’entendre parler des infirmières et infirmiers. Ceux qui sont vraiment considérés comme «les héros» sont les physiothérapeutes et ergothérapeutes. Si le physiothérapeute est clairement plus reconnu dans les processus de réadaptation, c’est vraisemblablement parce qu’il s’occupe de rendre l’autonomie aux personnes handicapées, alors que l’infirmière rappelle souvent la notion de dépendance dans les soins prodigués. La majeure partie de la collaboration interdisciplinaire se fait de manière informelle. «Tous les soignants sont toujours en train de communiquer et ça n’apparaît nulle part: ce n’est pas une réunion, pas un compte rendu, il n’y a pas de PV mais ça se passe tout le temps.Il s’agit de la pluridisciplinarité» a relevé un des infirmiers interviewés. Deux types de rôle infirmier peuvent émerger selon la conception que les professionnels ont du travail en équipe pluridisciplinaire. La première conception du rôle infirmier place l’infirmière dans le rôle de pivot au sein de l’équipe tandis que la seconde conception est centrée sur le patient. Le rôle infirmier est donc celui d’un collaborateur de l’équipe de réadaptation si la conception du travail est réellement pluridisciplinaire. sur l’acceptation et l’adaptation qu’engendre le handicap. Dans notre travail, nous avons choisi comme définition de référence celle de Pro Infirmis (2013)[2] qui dit que le handicap est «la limitation de longue durée de la capacité de faire face aux activités de la vie quotidienne ou de participer à la vie sociale. Cette limitation est la conséquence d’une interaction entre une déficience (physique, mentale, sensorielle et/ ou psychique) et des facteurs environnementaux (famille, profession, écoles, bâtiments, moyens de transports, etc.)». Dans ce type de situation, le patient passe par tout un processus psychique qui l’amène jusqu’à l’acceptation. Celui-ci est divisé en plusieurs étapes décrites par Elisabeth Kübler-Ross (1989)[3]: le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Nous pouvons poser l’hypothèse que le processus de deuil est proportionnel à la gravité de la «L’infirmière en réadaptation doit avant tout savoir faire preuve d’humilité, elle doit connaître ses capacités et ses limites.» situation. En effet, les personnes que nous avons interviewées ont des séquelles qui n’ont pas complètement altéré leur autonomie et donc leur vie quotidienne. L’annonce: un moment décisif Une des étapes très importantes et décisives pour le patient est celui de l’annonce du handicap. En effet, c’est un moment très précis qui va déterminer la manière dont le patient va investir le processus de réadaptation. Dans son ouvrage «S’asseoir pour parler», Robert Buckman (2001)[4] précise que l’annonce doit être faite en deux temps qui sont le constat et la reformulation. La première partie est faite par le médecin tandis que la reformulation incombe souvent à l’infirmière. Il est conseillé lors de l’annonce d’émettre des réserves et de savoir dire «je ne sais pas». L’annonce du diagnostic peut donc être considérée comme un moment-clé du processus de réadaptation. Robert Buckman dit d’ailleurs que l’entretien de l’annonce du handicap est très important pour la suite de la prise en soin et l’évolution du patient. L’enseignement thérapeutique Un processus de réadaptation peut durer plus ou moins longtemps, cela peut varier entre plusieurs semaines et plusieurs mois. Ce temps peut paraître extrêmement long pour le patient. Il peut vivre des phases de découragement surtout au début du processus, où il ne voit que les pertes auxquelles il doit faire face. Par conséquent, le rôle infirmier va être de se projeter dans le futur pour le patient. En effet, il est conseillé à l’infirmière, selon les propos des professionnels interviewés, d’«être positive et optimiste», d’avoir «des capacités à se projeter et à projeter l’autre» et d’être «capable de tenir des objectifs». Car finalement, c’est ce qui fait avancer le patient. Lorsque des objectifs sont posés avec l’équipe pluridisciplinaire, le patient lui-même et sa famille, le soignant accompagne le patient afin de les atteindre le plus rapidement possible mais surtout de manière optimale: le patient doit apprendre à vivre avec son handicap et donc trouver des stratégies d’adaptation. L’équipe soignante est là pour faire l’enseignement de ces techniques: (enseignement thérapeutique). En effet, en phase aiguë, l’infirmière doit «faire pour», suppléer la personne dans ses activités de la vie quotidienne. Ensuite elle doit pouvoir évaluer ses capacités et ses ressources, démarrer l’enseignement pour finalement n’être là qu’en tant qu’accompagnant et «laisser faire» le patient. Le processus de résilience Dans notre travail, nous nous sommes interrogés sur la nature de la résilience: est-elle un processus ou pas? Serait-elle plutôt une aptitude propre à certaines personnes? Selon Cyrulnik (2012)[5] la ré- Les auteurs Marianne Arrellano, infirmière diplômée, actuellement en formation Bachelor of Science HES-SO en sage-femme à Lausanne. e-mail: [email protected] Liliana De Almeida Marques, infirmière diplômée pratiquant dans un service de gériatrie à l’Hôpital des Trois-Chêne à Genève e-mail: [email protected] Cédric Meylan, infirmier diplômé pratiquant dans le service de médecine à l’Hôpital de Nyon. e-mail: [email protected] Les auteurs ont obtenu le «Prix ASI Bachelor HEdS 2013», décerné le 19 novembre 2013. www.sbk-asi.ch >Handicap >Réadaptation >Rôle infirmier K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 2/2015 silience est un «processus biologique, psychoaffectif, social et culturel qui permet un nouveau développement après un traumatisme psychique». Alors comment nous, en tant que soignants, pouvons-nous aider les victimes à franchir les différentes étapes du processus de résilience? Boris Cyrulnik (2001) défend que le type de soutien social apporté à la victime joue un rôle dans sa résilience. Steven et Sybil Wolin (1993)[6] parlent aussi de l’importance de la relation et de la communication comme ingrédients indispensables de la résilience. L’individu a donc besoin de l’autre, les influences extérieures étant capitales au soutien du processus de résilience. De notre point de vue, l’infirmière joue un rôle primordial dans ce processus, entre autre à travers l’éducation thérapeutique et la relation de confiance et d’aide qu’elle crée avec le patient. De plus, le soignant, en favorisant l’autonomie du patient, permet à celui-ci de renforcer son estime de lui-même. La prise d’initiative est un facteur favorisant la résilience. Assurer un contexte favorable au processus de résilience des personnes ayant vécu un accident handicapant fait donc partie du rôle infirmier. «Mille et un détails» «Quelles sont les qualités nécessaires pour une infirmière en réadaptation?». La réponse la plus récurrente donnée par les infirmières interviewées a été l’humilité. L’humilité consiste à être honnête avec soi-même, conscient de ses capacités et de ses limites. L’infirmière détient un certain nombre de savoirs qu’elle met à disposition des personnes soignées: celles-ci en font usage ou pas. Le rôle du soignant est de chercher toutes les pistes possibles pour que le patient ait envie de progresser mais parfois il faut accepter que la personne n’en a pas envie pour diverses raisons qui lui sont propres. Ceci peut être vécu comme une frustration pour les soignants. L’empathie est un puissant moyen de communication et aussi une compétence psychologique dans le but de mieux comprendre l’autre. Finalement, être empathique, si on se base sur les ressentis des patients, c’est être attentif aux situations du quotidien qui ne sont pas forcément médicales. Cela demande de la part des soignants un positionnement clair et adapté, avec une posture humai- 63 Dans les discussions interdisciplinaires formelles ou informelles, le patient figure toujours au premier plan. ne constamment marquée par un transfert d’émotions. Si certaines situations paraissent anodines pour le soignant, elles peuvent avoir une grande importance pour le patient. Dans notre travail, il est ressorti qu’être attentif c’est aussi savoir se taire quand il faut se taire et surtout ne pas finir les phrases à la place des patients. Les infirmières travaillant en réadaptation développent des compétences faites de «mille et un détails». Les soins infirmiers dans ce domaine sont d’ordre éducatif, relationnel et préventif. L’infirmière y joue un rôle clef car c’est le seul soignant présent 24 heures sur 24. Bien que le rôle infirmier en réadaptation soit peu connu, voire invisible aux yeux de tous, nous avons, grâce à nos entretiens et nos lectures, pu mieux le cerner. Selon nous, le rôle propre de l’infirmier en réadaptation est de poser des objectifs avec le patient et de l’accompagner par un enseignement thérapeutique personnalisé dans son processus d’apprentissage et de changement de vie. Références: [1] Marianne Arellano, Liliana De Almeida Marques, Cedric Meylan: «Patients ayant vécu un accident handicapant: quel rôle infirmier?» [2] Pro Infirmis. (2013). La plus grande organisation spécialisée pour les personnes handicapées. Accès www.proinfirmis.ch/fr/pro-infirmis.html [3] Kübler-Ross E. (1989). Les derniers instants de la vie. Genève: Labor et Fides. [4] Buckman R. (2001). S’asseoir pour parler. Paris: Elsevier Masson. [5] Cyrulnik B. et Jorland G. (2012). Résilience, connaissances de base. Paris: O. Jacob. [6] Steve & Sybil Wolin (1993). The resilient self. «Les patients définissent le handicap comme une impotence fonctionnelle qui les prive de leur liberté, alors que les soignants sont axés sur l’acceptation et l’adaptation qu’engendre le handicap.»