Lire la suite de l`article des Echos du 04/01/11

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Tous droits réservés - Les Echos 201114/1/2011P.26High-tech
Condé Nast : « Réussir un magazine,
c’est une alchimie difficile à trouver »
& Médias
E
diteur de « Vogue », de « GQ »
ou encore de « Vanity Fair », le
groupe américain Condé Nast
est l’un des principaux éditeurs
mondiaux de magazines. Le PDG
de sa filiale française, Xavier
Romatet, détaille sa stratégie en
France.
2010 a encore été une année
très dure pour la presse écrite.
Comment l’avez-vous vécue
chez Condé Nast France ?
Mieux que 2009, qui avait été une
année encore plus dure. L’an dernier, notre chiffre d’affaires a progressé de 13 % à près de 80 mill i o n s d’e u ro s : n o s re c e t t e s
publicitaires ont crû de 14 % et celles provenant de la diffusion de
8 %. Mieux, le bénéfice d’exploitation a été multiplié par 2,5. Pour
mémoire, en 2009, notre chiffre
d’affaires avait chuté de 14 %. La
publicité avait, elle, plongé de
18 %. Mais nous étions restés profitables grâce aux mesures d’économies prises quand il le fallait, et
à la réduction de nos effectifs de
7 % , ave c u n e q u i n z a i n e d e
départs sur un total de 200 personnes en France. Aujourd’hui, nous
sommes en bien meilleure position même si nous n’avons pas
encore retrouvé les niveaux de
publicité d’avant la crise.
DENIS/REA
Comment expliquez-vous
cette bonne résistance alors que
d’autres familles de presse
ont continué à souffrir ?
Condé Nast a la chance d’être positionné sur un segment magazine
haut de gamme. « Vogue », « Glamour », « GQ », « AD »…, tous nos
titres ont des marques fortes et
clairement identifiées par les
annonceurs du luxe, de la beauté,
ou de l’horlogerie haut de gamme
qui ont recommencé à investir en
France, même si la croissance est
en Asie. Car dans les secteurs de la
mode et du luxe, c’est toujours
Paris qui donne le « la ». Et Condé
Nast bénéficie de sa forte présence
internationale : c’est le groupe qui
a le plus de titres déclinés à l’international, alors que Lagardère, par
exemple, ne peut s’appuyer réellement que sur « Elle ».
Lagardère, justement, vient
d’entrer en négociations
exclusives avec Hearst
pour la vente des éditions
internationales de « Elle »
et de ses autres magazines.
Condé Nast était-il candidat ?
Nous avons regardé le dossier
mais Condé Nast a pour politique
de se développer plutôt par lancements et créations que par acquisitions. En outre, le prix évoqué
nous semblait assez élevé. Aux
Etats-Unis, les synergies entre
« Elle » et « Vogue » ou « Vanity
INTERVIEW
XAVIER ROMATET
PDG DE CONDÉ NAST
FRANCE
« Grâce aux réseaux sociaux, qui génèrent 14 %
du trafic de nos sites Internet, nous avons réduit
d’un tiers la facture liée au référencement. »
Fair » étaient difficiles à trouver et
un rachat aurait été difficile à gérer.
La réussite d’un magazine, la création d’une marque mondiale, c’est
une alchimie fragile, très difficile à
trouver qui repose sur un bon
positionnement, une culture de
groupe et surtout des hommes,
des personnalités très fortes
c o m m e A n n a Wi n t o u r c h e z
« Vogue » ou Chris Anderson chez
« Wired » ! Au final, une intégration, c’est risqué et nous ne voulions pas prendre ce risque. Pour
nous, détenir des marques de
presse mondiales constitue un réel
atout vis-à-vis des grands annonceurs du luxe dans un contexte de
mondialisation. De ce point de
vue, la stratégie de Lagardère me
paraît surprenante.
Comment travaillez-vous avec
votre actionnaire américain ?
J’ai un rapport direct avec lui. Nous
sommes un groupe familial et non
coté. Chez Condé Nast, il y a un
esprit, une culture et un positionnement des titres très fort qui
s’imposent d’eux-mêmes. Mon job
est avant tout de développer les
marques du groupe. Nous travaillons avec les meilleurs talents
créatifs pour faire de beaux magazines, avec une démarche de
start-up. Quand je vois Jonathan
Newhouse, le patron de Condé
Nast International, nous passons
90 % du temps à parler des gens et
des magazines, pas à faire du
reporting financier. Chez nous, la
vérité est dans le produit.
Comment abordez-vous
la grande mutation numérique
de la presse ? Quelle est votre
stratégie sur l’iPad ?
Internet n’est pas au cœur de notre
stratégie. Notre principal actif, ce
sont les marques, et nous devons
multiplier les expériences de marques. Y compris sur les supports
numériques. Pour moi, l’iPad est
un prolongement naturel de nos
magazines, contrairement à Internet. Nous diffusons « Vogue »,
« Glamour », « GQ » sous forme de
beaux PDF, car la tablette d’Apple
est une excellente liseuse pour des
magazines de qualité, elle rend
hommage à la beauté des images.
Nous travaillons aussi à des applications iPad spécifiques, comportant 15 à 20 % de contenus dédiés :
nous l’avons fait en octobre pour
« Vogue », nous recommencerons
pour le numéro de mars, ou pour
« AD » en avril. Mais il n’y a pas
encore de modèle économique
sur les tablettes. Le nombre de lecteurs payants est encore insuffisant, y compris aux Etats-Unis.
L’iPad y génère chaque mois
28.000 à 32.000 ventes pour
« Wired », 13.000 à 15.000 pour
« GQ », environ 10.000 pour
« Vanity Fair » et 4.000 pour « Glamour ». En France, nous avons
vendu un peu plus de 5.000 exemplaires de « Vogue » en octobre sur
l’iPad : c’est insuffisant pour rentabiliser l’investissement. Nous
croyons aux tablettes, mais la rentabilité ne peut aujourd’hui venir
que de la pub : le marché est à ses
débuts, nous invitons nos annonceurs à y faire des expériences.
Qu’en est-il des autres supports
numériques ?
Nous investissons. Nous avons
deux applications pour « smartphones » (« Vogue » et « GQ ») et
allons en lancer six autres. Certaines seront gratuites, d’autres
payantes. Par exemple, celle (gratuite) de « GQ », qui donne un
conseil vestimentaire par jour, a
été téléchargée 70.000 fois depuis
son lancement il y a trois semaines, avec un temps moyen de 6
minutes par consultation. Mais les
annonceurs sont encore frileux sur
ce support. Nous avons aussi
investi dans les réseaux sociaux, en
demandant à tous de contribuer.
J’estime que 50 % des salariés de
« Vogue » alimentent aujourd’hui
notre fil twitter VogueParisLive.
Grâce à cela, nous sommes au
deuxième rang en France, toutes
activités confondues, avec plus de
500.000 « followers » (abonnés).
Notre page Facebook a de même
un fort succès. Les réseaux sociaux
génèrent aujourd’hui 14 % du trafic de nos sites Internet, ce qui
nous permet de réduire notre
dépendance à Google – et la facture liée au référencement, qui a
diminué d’un tiers. Nous allons
continuer, c’est fondamental pour
la création de trafic et c’est en outre
un outil de communication fabuleux. Cela dit, je continue de penser qu’il n’y a pas de modèle économique pour la presse magazine
sur Internet. Nous y allons avec
une prudence et un bon sens paysans. En revanche, je crois fondamentalement en notre capacité à
monétiser nos marques.
Où en êtes-vous sur ce point,
et quels sont vos objectifs ?
Nous allons poursuivre et étendre
nos initiatives, comme l’exposition
sur la décoration intérieure avec
« A D » , l a « Vo g u e Fa s h i o n
Night », etc. Ce type d’opération
représentera 5 % de notre chiffre
d’affaires en 2011, 10 % en 2012 et
15 % en 2013.
Comment voyez-vous 2011 ?
J’aborde l’année avec une grande
prudence. Après la forte croissance de nos recettes publicitaires
en 2010, je ne m’attends pas à une
nouvelle croissance à deux chiffres
cette année. Nous tablons plutôt
sur 3 %. Mais nous espérons que
nos recettes issues des supports
numériques augmenteront de
45 %. Et que les opérations hors
presse doubleront.
Alors, « Wired » ou « Vanity
Fair » ? Que pouvez-vous nous
dire sur votre lancement à venir
en France ?
Les deux sont dans les cartons.
Nous poussons l’un des deux,
mais je ne vous dirai pas lequel.
Nous ne le lancerons toutefois que
lorsque nous serons prêts, en tout
cas pas avant 2012. Rien ne nous
presse.
* Diffusion payée juillet 2009 - juin 2010. Source : OJD
PROPOS RECUEILLIS PAR
ANNE FEITZ
ET JEAN-CHRISTOPHE FÉRAUD