Dans le miroir de l`autre

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Dans le miroir de l`autre
Anthony Beauchet – www.anthonybeauchet.com
Dans le miroir de l’autre | 2001 | DEA d’anthropologie | Aix-Marseille 1
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Dans le miroir de l’autre | 2001 | DEA d’anthropologie | Aix-Marseille 1
PREAMBULE
Vendredi 8 décembre, treize heures… Je pousse la porte d’un petit salon de coiffure situé à Aix-enProvence. De l’extérieur, on le remarque à peine, situé à l’angle d’une rue, juste à coté d’un garage
de réparation pour voitures. L’endroit semble oublié et pourtant, c’est bien ici que j’ai pris rendezvous la veille pour redonner à ma tête un air plus soigné. A l’intérieur, il n’y a pas d’autres clients que
moi et à peine entré, on est déjà à mes petits soins : le temps d’enfiler une blouse et me voilà assis,
une odeur de shampooing emplissant mes narines et de douces mains féminines s’occupant de mes
cheveux… Que la vie me semble bien agréable ainsi ! Puis l’on me confie à un autre coiffeur qui
attend avec impatience que je lui livre mes envies capillaires du moment. N’étant pas très original, je
lui expose ma coupe habituelle et très vite, les ciseaux de l’homme se mettent à tailler de toute part
dans ma chevelure encore humide.
En attendant le résultat, la conversation débute avec l’équipe du salon qui assiste au spectacle de
ma métamorphose. Nous parlons surtout de moi : les études, les recherches actuelles, les passions
musicales ; j’en arrive même à parler de mes expériences sous ecstasy lors de ma dernière
observation participante en rave party… Et tout cela avec une familiarité et une simplicité qui
dépassent ma propre volonté. Je me sens si bien ici, trop bien peut être ! Le coiffeur me présente
déjà son miroir sous tous les angles pour connaître mon avis sur son travail : tout est parfait, je n’ai
rien à redire si ce n’est que je suis entièrement satisfait du résultat. Le temps de payer ma coupe,
rendre un sourire à cette équipe fort sympathique et lancer des « au revoir » digne d’un champion
olympique, me voilà de nouveau à l’extérieur du salon de coiffure, prêt à affronter la vie quotidienne
avec ma nouvelle tête.
Pourquoi commencer cette étude avec une histoire aussi narcissique et égocentrique ? Tout
simplement parce qu’il est des sujets d’étude qui naissent des événements rencontrés dans notre
vie de tous les jours. En rentrant dans ce salon de coiffure pour la première fois, j’en suis ressorti
radieux, avec l’impression d’y avoir laissé un peu de moi. De nature relativement timide dans la vie
de tous les jours, je me suis surpris à raconter des brides de mon intimité à de parfaits inconnus, et
ce sans gêne aucune. Il est des comportements aussi bizarres que celui-ci qui font poser des
questions et qui demandent à être analysés dans le détail pour en révéler la face cachée. C’est ainsi
que tout a commencé pour moi…
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INTRODUCTION
Lorsque j’ai choisi d’étudier les comportements apparents dans un salon de coiffure, je me suis tourné du
coté de l’interactionnisme pour considérer l’établissement au même titre qu’une scène de théâtre. Ce
modèle théorique, largement développé par Erving Goffman, permet d’encrer les observations et les
analyses de l’ethnologue dans le cadre de la représentation dramatique. Mais avant d’aller plus loin, il
importe d’utiliser quelques notions d’Erving Goffman en les appliquant au cas qui nous intéresse.
Le « décor » est « la toile de fond et [les] accessoires des actes humains qui se déroulent à cet endroit »1.
Le décor représente ainsi le salon de coiffure en lui-même avec tous les instruments nécessaires à la
coupe des cheveux. Le lieu est fixe ce qui permet aux coiffeurs de l’agencer à leur manière, contrairement
au client qui vient dans un endroit qui ne lui appartient pas. Il est déjà important de noter que le décor
est la propriété du personnel qui y travaille.
Le « rôle » est un « modèle d’action préétablie que l’on développe durant une représentation et que l’on
peut utiliser en d’autres occasions »2. En ce qui concerne le salon de coiffure, nous sommes en présence
de deux acteurs (coiffeur et client) qui ont chacun un rôle déterminé. Le coiffeur est avant tout un
commerçant qui utilise un décor pour exercer sa profession et gagner de l’argent ; c’est aussi un artisan
expriment son savoir-faire au travers du cheveu. Le client, quant à lui, a aussi un rôle précis : il joue son
propre rôle en soumettant au coiffeur ses envies, ses coups de folies, ses habitudes de coupe. On peut
déjà remarquer ici que le coiffeur joue un double rôle alors que le client n’en joue qu’un seul.
Etre coiffeur dans un salon, c’est faire partie d’une équipe, autrement dit d’un « ensemble de personnes
coopérant à la mise en scène d’une routine particulière »3. Le client qui vient se faire une nouvelle tête
est souvent pris en charge par plusieurs coiffeurs, l’un s’occupant du shampooing et un autre de la coupe
par exemple. Dans la relation face à face, le client est en position d’infériorité numérique puisque même
si une seule personne s’occupe de lui, celle-ci est toujours soutenue par les membres de son équipe : en
cas de défaillance, un autre coiffeur est à même de prendre la relève avec le client. Il faut rappeler ici que
l’équipe de coiffeurs a le contrôle du décor ce qui lui permet d’agir de manière calculée pour déterminer
l’information que le client peut recevoir.
Enfin, l’interaction face à face, qui débute avec l’arrivée du client et qui prend fin à sa sortie du salon de
coiffure (entrée et sortie de scène pour garder la métaphore théâtrale), donne lieu à une représentation
du coiffeur et de son équipe. Par « représentation », il faut comprendre la « totalité de l’activité d’une
personne donnée, dans une occasion donnée, pour influencer d’une certaine façon un des autres
participants »4. Cette dernière semble relativement différente suivant s’il s’agit d’un nouveau client ou
d’un habitué : dans le premier cas, la représentation apparaît comme beaucoup plus improvisée alors que
dans le deuxième cas, elle paraît plus convenue. Ce qu’il faut retenir de la représentation du coiffeur,
c’est que ses actes doivent donner une expression de lui-même pour que le client puisse en retirer une
certaine impression.
Dans cette optique, il m’a paru intéressant de soulever les questions suivantes : le salon de coiffure et le
rituel de la coupe permettent-ils au coiffeur d’assurer la satisfaction de son travail par le client ? Le
coiffeur est-il davantage en position de dominant et le client en position de dominé ? Chacun des acteurs
porte-t-il un masque dans l’interaction face à face ? Afin d’éclairer cette problématique, je décrirai les
différentes aires du salon de coiffure en insistant sur les faits et gestes du coiffeur et du client durant
l’interaction. Cela permettra de comprendre dans un deuxième temps, à l’aide de la notion de « masque
», que coiffeur et client perçoivent le salon de coiffure de manière relativement différente.
1 GOFFMAN E., La Mise en scène de la vie quotidienne (La Présentation de soi »), Paris, Les Editions de Minuit, 1973, p.29.
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GOFFMAN E. [1973], opus cité, p. 23.
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GOFFMAN E. [1973], opus cité, p. 81.
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GOFFMAN E. [1973], opus cité, p. 23.
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DESCRIPTION ETHNOGRAPHIQUE
Le salon de coiffure ayant servi à mes observations est fonctionnel depuis plus d’un siècle. Les
propriétaires se sont succédés et aujourd’hui, c’est un couple qui tient la boutique. Ils dirigent une
équipe de coiffeurs qui compte quatre membres (un homme et trois femmes), eux compris. L’espace
est soigneusement divisé en aire et se présente schématiquement comme suit.
Lorsqu’un client entre dans le salon pour se faire couper les cheveux, il va dès lors participer et
franchir chaque aire du décor avant de ressortir : c’est ce que j’appelle ici le « rituel de la coupe ».
Chacun de ces petits espaces à une fonction bien précise et ainsi, les comportements qui s’y
manifestent donnent une impression particulière à toute personne extérieure à la représentation.
C’est en tant qu’observateur que je décris dans les lignes qui suivent ce rituel de la coupe en prenant
en compte tant les faits et gestes du coiffeur que ceux du client.
L’AIRE D’ATTENTE
L’arrivée d’une personne dans le salon de coiffure est toujours un événement important puisque dès
lors, l’équipe prend le temps de s’arrêter dans son travail pour saluer poliment le nouveau venu.
L’un des membres se détache un instant de son activité pour se poster face à son client, prendre sa
veste et le mettre à l’aise. S’il s’agit d’un habitué, le coiffeur n’indique plus la démarche à suivre car il
sait d’avance que l’habitude a déjà conditionné la personne : il n’est pas rare de voir un client poser
lui-même sa veste ou la donner à l’un des membres et de s’asseoir de sans gêne sur une chaise. La
conversation est lancée avec beaucoup plus de facilité tant par le coiffeur que son client puisque
chacun en a déjà appris de l’autre dans les représentations précédentes. Une certaine familiarité
s’installe faite de rires, de blagues en tout genre et de moqueries sympathiques. Néanmoins, il ne
faut pas négliger la part de nouveaux clients qui ont une réaction tout à fait différente. Hormis le fait
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de rappeler au coiffeur leur heure de rendez-vous, ces personnes semblent préférer le silence à la
conversation : la familiarité n’étant pas encore instaurée, le replis sur soi s’impose de fait.
A l’arrivée, deux cas de figure peuvent se présenter. Dans un premier temps, si l’un des coiffeurs n’a
personne à charge, il s’occupe immédiatement de son client en le faisant passer au shampooing. S’il
y a du monde, le coiffeur ne peut s’occuper de son client et il lui indique dès lors la « salle d’attente
» ainsi que les revues qui sont à sa disposition. Le genre de magasines proposés au public est un
signe révélateur concernant la population ciblée par un salon de coiffure. Dans le cas présent, la
clientèle n’est pas spécifique car la presse s’adresse à la fois aux femmes (mode, beauté, vie privée
des stars), aux hommes (véhicules motorisés, pêche, chasse) et à la jeunesse (musique, presse
adolescente). Il y a également des magazines de charme qui révèlent combien le salon de coiffure, à
travers le travail du cheveu, est déjà une porte ouvrant sur l’intimité de la personne.
Dans la salle d’attente, le client a une vue panoramique du décor : il peut poser son regard sur le
travail du coiffeur (en voyant sous un angle différent que lorsqu’il se fait coiffer), il peut observer les
réactions des clients par jeu de miroirs : en sommes, il devient spectateur du spectacle qui va bientôt
lui être donné. Comme le regard, l’ouïe est aussi un sens largement en activité. : les conversations
environnantes suscitent l’attention du client et une musique jouée en fond permet de donner au
cadre une ambiance chaleureuse. Les odeurs sont également présentes puisque la salle d’attente se
situe juste à coté des bacs d’où émanent les senteurs du shampooing et les produits servant à la
coloration ; il y a aussi le parfum des laques et du gel qui se mêle avec celui des coiffeurs euxmêmes. Le salon de coiffure met les sens du client en exergue (même le goût peut être suscité,
notamment en période de Noël où le client peut se voir offrir une papillote durant son attente) à
l’exception du toucher qui reste la propriété du coiffeur.
L’aire d’attente signale l’entrée en scène du client tout en lui conférant un rôle secondaire : c’est
l’image du public sur scène qui est ainsi révélée. L’attente laisse le nouveau venu seul avec luimême, avec sa manière de voir les choses, d’observer le cadre et de prendre ses marques. L’habitué
échange davantage avec l’équipe et signale dès son entrée dans le salon sa participation à la
représentation. Néanmoins, il faut remarquer ici que même si une interaction a déjà pris forme, le
coiffeur n’est pas tellement présent lorsque son client est en attente. Il peut parler à tout le monde
mais se doit de ne pas négliger la personne qu’il est en train de coiffer : la conversation avec les
nouveaux arrivants est souvent coupée pour revenir au niveau du client prise à charge.
L’AIRE DE SHAMPOOING
L’attente du client prend fin à partir du moment où le coiffeur se présente à lui pour le prier de
passer au bac à shampooing. Dès lors, il enfile une blouse que l’on prend soin de lui attacher dans le
dos. Une fois cette tâche accomplie, la personne peut s’asseoir sur le fauteuil et attend plus ou
moins patiemment que le coiffeur lui mette une serviette autour du cou et lui place la tête entre les
tenailles du bac. Jusque là, le client en attente était livré à lui-même et pouvait exprimer son stress
de la journée sans pour autant pouvoir s’en libérer. Il semble que le shampooing soit un remède de
relaxation pour le client. Une fois la tête mise en arrière, les yeux se ferment parfois ou du moins
témoignent-ils d’une envie de se laisser aller entre les mains du coiffeur. Les fauteuils sont
confortables, souvent molletonnés, et la position couchée du client apparaît alors comme propice à
la détente.
De son coté, le coiffeur met en action la douchette et règle la température de l’eau d’abord en
fonction de sa propre sensibilité puis en fonction des préférences du client. Les cheveux sont
mouillés puis lorsque l’eau se coupe, le coiffeur applique le shampooing sur la tête du client en
prenant soin de ne pas mettre de la mousse partout sur le visage. Les mains de l’artisan épousent
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parfaitement la tête et les doigts s’agitent avec délicatesse, à la manière d’un masseur exprimant
son art au travers du toucher. Alors que le regard du client se perd dans les dédales du plafond ou
dans ceux de son for intérieur, le coiffeur, tout en exécutant son travail, a le loisir de regarder son «
patient » pour voir combien l’effet relaxant porte ses fruits. A partir de là, on a un peu l’image d’une
mère (ou d’un père) qui caresse les cheveux dans son enfant pour le plonger au pays des songes.
La conversation n’est pas une priorité de cette aire, un peu comme s’il était déplacé de parler en
pareil instant de relaxation. Néanmoins, elle survient de temps à autre mais reste toujours dans le
cadre de la détente. Les clients expriment souvent combien le shampooing leur est agréable en
s’adressant directement au coiffeur. Si une discussion apparaît au niveau du cheveu, elle se réfère au
domaine du soin : en effet, c’est souvent l’occasion pour le coiffeur de constater un cheveu abîmé
ou « malade » et de conseiller un shampooing ou une crème efficace contre le problème
(shampooing antipelliculaire, pour cheveux gras ou secs par exemple). Ce moment permet aussi au
coiffeur d’en apprendre davantage sur la personne au travers du cheveu (style de coupe, dernière
coupe, qualité du cheveu) : pour autant, le temps ne semble pas encore venu de parler de la coupe
en elle-même.
L’aire de shampooing est donc un moment important dans le rituel de la coupe : il permet au client
de se relaxer et au coiffeur de s’informer au travers du cheveu. Le coiffeur commence ici réellement
sa représentation, d’une manière douce et sans bousculer le client dans une conversation sur ses
cheveux : privilégier la relaxation et les conseils de soin amène le client à se laisser aller, parfois en
fermant les yeux, sans se soucier de confier sa tête à un parfait inconnu.
L’AIRE DE COUPE
L’aire de coupe apparaît comme le lieu le plus important du rituel au sens où depuis l’arrivée du
client, c’est la première fois que celui-ci se retrouve non seulement face à lui-même mais aussi face
au regard du coiffeur dans le miroir. Après le shampooing, le client est amené à aller s’asseoir sur un
fauteuil rappelant un peu ceux que l’on trouve dans le bureau d’un directeur d’entreprise. Après que
les cheveux soient coiffés en arrière et que le mille coupes soit placé autour du cou, le coiffeur lance
la conversation par une question du genre : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? ». Cette simple
interrogation suffit à plonger le client et l’artisan dans un temps de négociation poussé. C’est le
moment même où les deux acteurs sur scène doivent trouver un consensus capillaire au travers du
dialogue.
Plusieurs cas de figure peuvent se présenter. Le client sait d’avance ce qu’il veut et il explique avec
précision ses envies et la manière dont il veut que le cheveu soit coupé : ce genre de client reste
relativement rare car l’idée de coupe est généralement discutée. C’est le deuxième cas de figure
possible : le client soumet une idée au coiffeur en lui demandant son avis. Enfin, il arrive que les
clients s’en remettent entièrement au coiffeur quant à la coupe : dans ce cas-là, l’artisan pose
beaucoup de questions pour cerner son client et lui proposer une coupe qui aille avec ses envies.
Dans tous les cas, c’est le coiffeur qui a le dernier mot : il récapitule toujours l’idée de coupe, un peu
comme par prudence, avant de commencer son travail. Il conclut donc un accord entre les deux
parties, mettant fin par la même occasion au temps de négociation.
Durant la coupe, le coiffeur ne lève pratiquement plus les yeux de la tête de son client : il focalise sur
son travail en ayant toujours soin d’avoir ses ciseaux et un peigne à la main. Chaque coiffeur a ses
propres instruments de travail. La coupe suit une évolution quasi à l’identique pour toute personne :
peigner, couper la longueur, dégager les oreilles et raser l’arrière. Pour les femmes, il y a souvent
une manipulation préalable à la coupe : coloration, passage au climason (pour décolorer) ou au
casque (pour friser), application de bigoudis… Le coiffeur n’est jamais face à son client : soit il pivote
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tout autour de lui, soit il lui demande des mouvements de têtes particuliers (monter, baisser,
pencher sur le coté), ou soit il manipule le fauteuil du client (rehausser, tourner). La coupe s’achève
avec le séchage et la coiffe du client : souvent, le coiffeur propose du gel ou de la laque pour faire
tenir la coiffure. Le dernier geste du coiffeur consiste à montrer la coupe à son client à l’aide d’un
petit miroir qui permet d’avoir une vue panoramique du travail.
Le client, quant à lui, n’est pas occupé à quelque chose : il devient une sorte d’objet pour le coiffeur
par le biais de ses cheveux. Ainsi, et notamment lorsqu’il s’agit d’un nouveau venu dans le salon, le
regard du « coiffé » divague en tout sens par jeu de miroirs sans jamais fixer sa propre image. Plus la
coupe avance, plus le regard sur soi s’intensifie, au point qu’un sourire commence à prendre forme
sur le visage du client au moment du séchage. Alors que le coiffeur n’a d’yeux que pour son travail, il
semble que le client refuse de regarder fixement le travail et donne simplement des petits coups
d’oeil de temps en temps : on a l’impression qu’en regardant de manière saccadée l’évolution de la
coupe, le client se rend mieux compte de son avancée. Ce sentiment et d’autant plus flagrant à la fin
de la coupe ou le client commence à se regarder en tout sens, penchant la tête ou touchant même
ses cheveux lorsque le coiffeur s’absente quelques instants. Lorsque le miroir est présenté pour voir
la coupe sous tous les angles, le client s’amuse à tourner la tête en tout sens pour mieux en
apprécier le résultat.
Durant la coupe, on pourrait s’attendre à ce que la discussion tourne autour du cheveu : il en est
tout autrement. Entre le temps de négociation et le résultat final, la discussion tourne
essentiellement autour des passions et de l’intimité du client (famille, amour, travail). Le cheveu
semble oublié, un peu comme s’il paraissait déplacé d’en parler à ce moment-là. Il est important de
remarquer que le coiffeur ne s’aventure jamais dans une discussion précise et que c’est le plus
souvent le client qui se confie de lui-même au coiffeur et à son équipe. La discussion sur le cheveu
réapparaît au moment du séchage puisque se pose la question de la manière de se coiffer pour le
client. Il arrive parfois que le coiffeur donne le peigne au client pour qu’il mette ses cheveux comme
bon lui plaise.
L’AIRE DE PAIEMENT
Lorsque la coupe et le séchage sont terminés, le coiffeur prend soin de toujours « nettoyer » son
client à l’aide d’un blaireau. Une fois les mille coupes et la blouse ôtés, le client sait qu’il peut se
lever de lui-même et passer à la caisse. A coté de celle-ci, il y a les différents produits de soin ou de
coiffure en vente. Lorsque le client a payé, il est important de remarquer que sa veste lui est souvent
redonnée par un autre membre de l’équipe : l’impression de groupe est ici fortement exprimée. En
général, le client est beaucoup plus relâché et la conversation à bon train : la familiarité du nouveau
venu semble s’être installée dans le rituel de la coupe. Les « au revoir » sont donc beaucoup plus
chaleureux, parfois accompagnés d’une pointe d’humour. Quoiqu’il en soit, le client repart en
général avec le sourire.
Une fois la porte franchie, le coiffeur qui vient de faire la coupe retourne sur le lieu de son activité
pour enlever toute trace du client précédent : il utilise le séchoir pour mettre à terre les cheveux
présents sur la banque et sur le fauteuil. Tout de suite après, un coup de balai est passé et les
cheveux sont jetés à la poubelle ; s’il y a du monde, c’est souvent un autre membre de l’équipe qui
se charge du balayage alors que le coiffeur accueille un nouveau client. Toutes ces opérations
d’hygiène et de propreté se font très vite de façon à répondre le plus rapidement possible à la
clientèle.
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INTERPRETATION
Il est une maxime disant « les impressions sont trompeuses » : il me semble que dans le cas du salon
de coiffure, il en est ainsi. Pour rendre compte de ce fait, je me suis référé à la notion de « masque »
qui permet de mettre en avant l’idée du jeu théâtral et de l’effacement de la personne derrière le
jeu de l’acteur. Pour le coiffeur, le masque est porté du début à la fin de son travail, autrement dit
tout au long de la journée : c’est dire que lorsque le client rentre dans un salon, il a déjà affaire à un
coiffeur qui joue son personnage à la perfection. D’ailleurs, à y regarder de plus prêt, le coiffeur est à
la fois artiste et commerçant mais il ne montre jamais sa véritable personne. Quant au client,
l’entrée et la sortie du salon de coiffure sont les moments privilégiés pour le voir prendre un masque
ou bien l’ôter.
Comme le dit Erving Goffman, « par l’intermédiaire de la discipline sociale (…) on peut maintenir en
place, du dedans, le masque d’une attitude »5. Le coiffeur comme le client se cachent donc derrière
un masque pour ne pas montrer leurs intérêts et leurs sentiments profonds. C’est ici, au sein de
l’interaction sociale, que le jeu des apparences prend tout son sens. Pour tenter de comprendre la
face cachée de chacun, il m’a fallu interpréter les impressions observées dans le salon de coiffure en
les confrontant avec le discours des acteurs : l’apparence et le discours sont tous deux porteurs
d’information dépassant le geste et la parole en eux-mêmes. Dès lors, il faut s’intéresser à trois
temps de l’interaction : avant le face à face, c’est la confection du masque ; pendant, c’est sa mise
en application ; après, c’est la crédibilité du masque qui est en jeu.
Dans le cas du coiffeur, il ne fait pas de doute qu’il porte un masque puisqu’il a deux rôles à assumer,
celui du commerçant se devant d’être le moins apparent possible pour le client. Ainsi, le salon de
coiffure, bien plus qu’un lieu de travail, devient une scène de spectacle où le coiffeur s’apparente au
prestidigitateur qui manipule ses impressions et ses effets de coupe. Concernant le client, le port du
masque semble moins évident puisqu’il joue son propre rôle ; pourtant, en focalisant mes
observations sur les nouveaux clients, je me suis rendu compte qu’ils donnent l’impression d’être en
pleine confiance tout en ayant un regard angoissé et juge de la coupe. C’est cette attitude qui m’a
fait penser que pour eux, le salon se présente comme un tribunal où s’engage le procès du cheveu :
l’angoisse de l’inculpé et le verdict du juge se confondent en une seule personne, celle du client.
LE COIFFEUR OU L’ART DE « MANIPULER »
Considérer le salon de coiffure comme une scène de spectacle, c’est considérer le rituel de la coupe
comme un tour de magie bien répété où la moindre faille a valeur de discrimination. Ainsi, le client
devient l’objet de ce tour : sa présence sur scène confirme la confiance du coiffeur dans l’exercice de
son métier et le bien-fondé de son tour de coupe. De ce point de vue, le nouveau client et l’habitué
sont mis au même niveau parce qu’un même tour de magie fonctionne de manière similaire sur les
deux personnes. Les cheveux repoussant avec le temps, le coiffeur ne cesse d’exprimer son art à
travers une multiplicité de variantes possibles (couleurs, coupes, coiffures) ce qui fait que le public
ne connais jamais vraiment un tour en son entier : le client, comme le public du magicien, ne sait pas
reproduire avec exactitude l’effet produit par le coiffeur en raison de son rôle passif dans
la représentation. Le coiffeur devient donc un manipulateur au sens où il se donne en spectacle sans
dévoiler les secrets de l’effet qu’il produit sur son public.
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GOFFMAN E. [1973], opus cité, p. 60.
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Avant le face à face : la phase d’apprentissage du tour
Avant de pouvoir exercer un tour de coupe parfait, le coiffeur se doit de maîtriser les facettes de son
métier au travers d’un double savoir : celui du cheveu en général et celui de la personnalité de son
client. Si l’une de ces informations vient à manquer dans son apprentissage, l’artisan est condamné à
ne jamais obtenir l’entière satisfaction de son client.
Le cheveu est au centre de l’activité du coiffeur : il importe alors qu’il en connaisse les moindres
détails de sa structure, sa nature et sa qualité. Comme le rappelle Béatrice, « c’est le cheveu qui
draine un petit peu tout. S’ils veulent des brosses et qu’ils ont un cheveu frisé… ». C’est lors de
l’interaction face à face avec le client que le savoir doit permettre au professionnel d’avoir réponse à
tout et de conseiller avec aisance ; tel un magicien qui exécute un tour sans préparation lorsqu’on le
lui demande, le coiffeur répond aux interrogations de son client et assoit ainsi sa crédibilité.
Néanmoins, chaque tour de coupe a ses limites que le coiffeur se doit de rappeler : c’est en
manipulant le cheveu et en testant sa réaction que l’artisan va orienter son tour pour qu’il concorde
le plus fidèlement au désir du client. L’univers des possibles de la coupe permet donc au coiffeur de
confiner son travail dans les frontières du cheveu. Ce dernier est un moyen d’information primordial
qui permet à l’expert capillaire de connaître le temps qui s’est écoulé depuis la dernière coupe ou
encore la longueur habituelle de la coupe.
Mais le cheveu n’est pas un indice suffisant à la bonne exécution d’un tour. En effet, la coiffure allant
de paire avec l’apparence, il est indispensable pour le coiffeur d’en savoir un peu plus quant à la
personnalité de l’individu qui se présente à lui. Dans cette optique, une coupe peut dépendre de
l’état d’esprit du client (pour un client négatif, le coiffeur tente de lui « recoiffer le moral »), de son
visage (une brosse pour un visage allongé ne fait qu’accentuer le phénomène) ou encore de sa
profession (une coupe courte pour les militaires et les gendarmes). Le tour reste donc conditionné
suivant chaque personne et le coiffeur se doit en permanence de faire le bon choix parmi les tours
qu’il a dans son sac.
Pendant le face à face : des gestes et discussions illusoires
La participation au tour de magie pour le client ne commence qu’à l’aire de shampooing : en enfilant
une blouse, il marque son passage entre la réalité de ce qu’il percevait jusque là et l’illusion à
laquelle il va participer passivement. Le client étant une personne anonyme du public, il importe de
le mettre en condition avant d’exercer le tour sur celui-ci. Pour ce faire, le shampooing devient non
plus une activité nécessaire à la propreté du cheveu mais une séance de massage à part entière. Lors
de mes observations, cette idée s’est confirmée avec l’humour d’une cliente qui demandait au
coiffeur s’il n’était pas en train de lui faire un lavage de cerveau. Le shampooing devient donc un
temps de détente et de relaxation dont les coiffeurs connaissent les vertus ; Muriel décrit ainsi ce
moment : « Y en a beaucoup que ça énerve de venir chez le coiffeur (pour eux c’est du temps perdu)
et une fois qu’ils sont sur le fauteuil et qu’on entame à peine le shampooing, ils se détendent ». Le
coiffeur devient donc le « manipulateur d’esprit », celui qui contrôle l’effet du massage en gardant
un oeil sur le client pris entre les tenailles du bac.
Le temps du shampooing laisse place au tour de magie dans toute sa splendeur. Ainsi l’exprime JeanLouis en affirmant qu’ « une fois que le shampooing est fait, on peut attaquer différentes choses » ;
de même pour Béatrice qui déclare qu’ « à partir du moment où il est assis, où on commence à
démêler les cheveux, qu’il est bien installé, bien relaxé : ça commence là ». A l’assise, le client passe
sa commande, un peu à la manière d’une personne dans le public qui lancerait un défi au
prestidigitateur : étant donné la multitude de coupes possible, le coiffeur apparaît comme un
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personnage doté d’une grande maîtrise, pour ne pas dire d’une grande dextérité. Une fois l’idée
lancée, le professionnel finit toujours par la discuter pour l’adapter à son jeu de scène et avoir le
dernier mot ; il possède un pouvoir de persuasion qui ne va pas sans rappeler les hypnotiseurs
ordonnant à une personne d’exécuter sous les yeux du public un exploit. Muriel nous montre ainsi
son pouvoir de contrôler les choix de ses clients en douceur : « Eventuellement, je traficote quelque
chose sans couper pour lui prouver par A + B que j’ai raison. Mais toujours avec diplomatie ».
Une fois la coupe lancée, le client est réduit à ses cheveux : il devient l’objet que le coiffeur manipule
durant son tour. De son coté, le client ne vit plus que dans l’illusion alimentée par les reflets du
miroir et les lumières du salon de coiffure. L’expert capillaire, en se plaçant derrière le « coiffé »,
entretien un mystère et un secret que le client ne peut pas voir : le coiffeur cache le truc de son tour
pour mieux en faire ressortir l’éclat. La progression du tour doit se faire lentement pour ne pas
choquer le client : une trop grande métamorphose d’un seul coup pourrait déstabiliser et empêcher
le coiffeur d’exécuter son travail de précision. L’artisan ménage ses effets et toutes ses actions ont
pour objectifs de lever le brouillard du tour en enlevant ses imperfections : c’est ici l’utilisation du
blaireau mais surtout du rasoir qui montre que le coiffeur est maître de son art (le rasoir rappelant
l’utilisation des couteaux dans les numéros de jongle). Le final du rituel de la coupe avec le miroir
permet au coiffeur de mettre en avant un résultat dénué de tout trucage : comment ne pas penser
ici au magicien qui exhibe sous tous les angles une boite avec une femme à l’intérieur transpercée
de part en part pas des sabres !
Au niveau de la conversation, on peut remarquer qu’elle ne commence pas véritablement avant
l’assise à l’aire de coupe : c’est dire que le dialogue est un moyen stratégique que le coiffeur se doit
d’utiliser avec réserve afin de ne pas menacer l’illusion qu’il va produire. Tenir son public, le
contrôler tout au long du tour est un enjeu majeur : la discussion tourne ainsi très peu autour du
cheveu, un peu comme si le fait d’en parler allait révéler les failles de la coupe. Les allusions souvent
faites aux vacances, à la famille, au travail sont autant de moyen pour le coiffeur de détourner
l’attention du client sur le travail qu’il est en train de faire, à la manière d’un tour de cartes qui
s’accompagne toujours d’une petite histoire pour assurer l’illusion finale. Voilà ce qu’en pense JeanLouis : « Tu te rends compte s’il fallait parler de cheveux toute la journée ? A la commande c’est déjà
pas mal ! Puis après y a des sujets de conversation qui mènent les gens sur des tas de choses. Tu leur
parles de voyage : des fois t’as fait des milliers de kilomètres en une demi-heure ! ». Lorsque le
cheveu devient un sujet de discussion, il porte sur des coupes ou des envies capillaires que le client
souhaite mettre en oeuvre à l’avenir : de la sorte, le coiffeur est libre de mieux préparer son tour
pour la prochaine fois et de garder le contrôle de l’illusion. Béatrice le montre bien ici : « Au niveau
du cheveu, on tient absolument à ce que le client nous dise exactement ce qu’il veut (…). A chaque
client, même un client qui est là depuis longtemps, on repose toujours la même question (…) : c’est
pas des choses faites machinalement ».
Après le face à face : la réputation du tour
Un tour de magie, aussi spectaculaire soit-il, ne doit jamais être une fin en soit : le prestidigitateur
doit à la fois s’assurer du retour de son public et en inciter un nouveau à faire irruption dans la salle
de spectacle lors des prochaines représentations.
Pour susciter le retour de sa clientèle, le coiffeur se doit d’être le plus convaincant possible lors de sa
première prestation en agissant à la manière d’un personnage qui réalise toujours des exploits.
Selon les propos de Muriel, il faut comprendre le rituel de la coupe comme un combat qui s’inscrit à
la fois dans un continuum du présent et de l’avenir : « C’est pas à la fin qu’on suscite son envie de
revenir, c’est pendant toute la période où il est là. On se donne à fond du début à la fin à chaque
fois. Un client n’est pas acquis… Moi y a des clients ça fait neuf ans et demi que je les coiffe, ça fait
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neuf ans et demi que je me bats pour les garder ». Dans l’interaction face à face, autrement dit dans
la production de l’illusion, le coiffeur doit veiller à ne pas négliger la personne de son client afin de
lui redonner un rôle actif dans son tour : ainsi, il arrive parfois que le coiffeur donne son peigne au
client pour qu’il se coiffe comme bon lui semble.
La prestation auprès d’un client, qu’il soit habitué ou non, est primordiale au sens où ce dernier va
participer à la réputation d’un tour de coupe. Le coiffeur n’est dès lors plus maître de son tour et il
doit s’en remettre au hasard et à la chance des effets qu’il a produit par le passé. Le bouche à oreille
participe pour une grande part à la popularité d’un expert du cheveu et c’est dans cette optique que
celui-ci se doit toujours de ne pas faire du rituel de la coupe un spectacle trop éblouissant : il est
judicieux par exemple pour le coiffeur de ne pas mettre trop d’effets lors de la coiffure afin que le
client, une fois chez lui, puisse partiellement s’en rapprocher sans jamais l’égaler. Le tour de magie,
une fois sorti de son antre, devient l’objet d’une critique plus ou moins sévère… Mais pour
comprendre cela, il faut dès à présent se pencher du coté du client et sa conception juridique du
salon de coiffure.
LE CLIENT OU LE PROCES DU JUGE INCULPE
Considérer le salon de coiffure sur le même plan qu’un tribunal, c’est considérer le rituel de la coupe
comme le procès intenté au cheveu. Le coiffeur devient l’avocat qui fait sa plaidoirie pour toutes les
personnes présentes au moment du rituel : le client dont il s’occupe (inculpé et juge), les clients en
attente ou engagé dans un autre procès (public), les membres de son équipe (public). Néanmoins,
même si le client est un juge, son verdict au résultat de la coupe reste en suspens au sens où celui-ci
va dépendre également des critiques faites par son entourage (jurés) : ainsi, le coiffeur s’adresse à
des jurés qui ne sont pas présents au moment du procès mais qui restent déterminent pour le
verdict final.
Le procès dans le rituel de la coupe n’est autre que celui du cheveu puisque le client, dont la
personne et l’apparence sont menacées, s’en remet au coiffeur pour se défendre et retrouver une
image acceptable par la société. Ainsi, le client devient un inculpé au sens où sa présence dans un
salon de coiffure est déjà la manifestation d’un délit, autrement dit la manifestation d’un problème
capillaire faisant l’objet d’une stigmatisation par autrui : par exemple, les cheveux longs pour un
homme rappellent les « coupes » négligées et révolutionnaires des hippies alors que les cheveux
courts de la femme restent considérés comme une perte de sa féminité. La coupe fait appel aux
stéréotypes et il convient à un client d’y mettre en fin en se rendant chez un coiffeur.
Avant le face à face : le délit et le choix de l’avocat
A la base de tout procès, il y a un délit. Dans le cas du client qui souhaite se faire couper les cheveux,
le délit se traduit dans sa motivation pour aller chez le coiffeur. En effet, deux raisons invoquées
dans mes entretiens montrent que le cheveu, bien plus qu’un simple élément corporel, participe à
l’identité d’une personne. Ainsi, certains clients vont se faire coiffer dans un souci d’esthétique à
l’instar de Sylvie : « [J’y vais] quand j’en ai marre de ma tête, quand j’ai envie de changer de tête, de
refaire ma couleur ; ou les cheveux ont allongé et j’ai besoin d’une petite coupe pour me refaire une
beauté ». Dans cette optique, c’est l’adéquation entre un état d’esprit et une certaine idée de
l’apparence que le client met ici en avant.
Mais si les motivations pour se rendre chez l’expert capillaire apparaissent comme personnelles, il
faut toujours inscrire cette démarche dans une logique du bien paraître, autrement dit en incluant
autrui dans sa coupe. En effet, les cheveux sont à la fois un moyen de séduction (envers son
partenaire), de reconnaissance parmi les siens (crête colorée des punks) et de tenue professionnelle
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(« être propre sur soi »). Ainsi, se faire couper les cheveux devient une opération savamment
calculée et comme l’affirme Assina, se rendre dans un salon de coiffure relève davantage du besoin
que du plaisir : « Je réfléchis tout le temps avant d’aller chez le coiffeur ! Je vais jamais y aller comme
ça, pour le plaisir : j’ai toujours une bonne raison ! ».
Ce qu’il faut retenir du délit, c’est que tout changement au niveau de la chevelure (coupe, couleur)
est une menace directe à la personne. Certains clients ont des habitudes de coupe et de cette
manière, ils expriment l’adéquation trouvée entre eux et la société (ou groupe d’appartenance) ;
comme le montre Béatrice, « Y en a qui veulent pas changer pour les autres et pour eux ». A partir
du moment où le cheveu devient l’objet d’un décalage entre soi et les autres, le client inculpé se met
en procès de son plein gré en faisant appel à un avocat dont les capacités et le savoir capillaire vont
permettre de défendre son image.
Lorsque le délit menace la personne, le client part à la recherche d’un coiffeur digne de défendre son
apparence. Il est à noter ici que même si l’inculpé a un avocat attitré depuis des années, l’enjeu reste
inchangé car le travail du coiffeur est toujours soumis au jugement de son client. Le choix du coiffeur
est primordial car en entrant dans l’intimité de l’inculpé par le biais du cheveu, l’artisan doit être
digne de confiance et faire état du secret professionnel au risque de voir sa réputation sombrer.
Ainsi, l’inculpé a des critères de sélection avant de jeter son dévolu sur tel ou tel coiffeur. Pour
Sylvie, c’est le travail rapide et efficace qui importe : « y a des coiffeurs à qui je demande la même
chose qui me font ça en cinq heures et d’autres en deux heures ». Quant à Assina, l’avocat doit être
le spécialiste d’un type d’affaires bien précis : « Tous les coiffeurs ne savent pas manier tous les
types de cheveux. Je cherche à savoir s’il sait traiter les cheveux d’Afrique du Nord ».
Bien entendu, la réputation du coiffeur est grandement en jeu et le bouche à oreille, comme la
publicité, participent à son bon fonctionnement : faire parler de soi dans une presse grand public est
déjà un premier pas dans la réussite capillaire et la renommée artistique. Néanmoins, il faut rajouter
le prix comme critère de sélection de l’avocat : plus le coiffeur est érigé en star grâce à sa réputation,
plus ses prix sont excessifs. De la sorte, lorsqu’un nouveau cabinet ouvre et que le client l’aperçoit
lors d’une promenade, le prix conditionne son envie ou non de prendre rendez-vous. Quoiqu’il en
soit, le choix de l’avocat révèle un même objectif : défendre la personne du client dans le procès du
cheveu.
Pendant le face à face : quand l’inculpé et le juge ne font qu’un
Lorsque le client se rend au tribunal, il est automatiquement assigné d’un double rôle pouvant
paraître antagoniste alors qu’il est davantage complémentaire. Ainsi, l’angoisse de l’inculpé permet
au juge d’anticiper ses impressions alors que les observations du juge sont quant à elles génératrices
d’angoisse. C’est dire que les rôles joués par le client sont dépendants du comportement de l’avocat
: l’inculpé n’est pas sûr à cent pour cent de son coiffeur et du travail qu’il va mener ; le juge
recherche tous les indices prouvant la crédibilité de la plaidoirie qui se déroule sous ses yeux.
L’angoisse de l’inculpé se manifeste dès son arrivée dans le salon de coiffure. Pour un nouveau client
notamment, la peur reste présente car lors de cette première interaction, le client ne sait toujours
pas si l’avocat va être à la hauteur de sa réputation. Bien que l’artisan reste un professionnel du
cheveu qui se veut objectif, l’inculpé a toujours le sentiment que sa personne reste menacée devant
celui qui va la défendre. Assina parle ainsi de son entrée dans le tribunal : « Je suis pas à l’aise tout
de suite parce que j’ai l’impression qu’on me… Déjà j’ai une sale tête et comme le coiffeur c’est un
spécialiste, j’y vais avec les cheveux propres mais autrement j’ai une sale tête… J’vais tout de suite
penser que le coiffeur, un peu comme un psychologue quand il te juge sur le moindre mot que tu vas
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prononcer, il va dire : « Ah ! Elle, elle a les cheveux comme ça ! ». Comme c’est un expert, je le sens
bien comme ça ! ».
L’angoisse s’accentue d’autant plus pour un nouveau client qui peut constater par lui-même que les
autres clients de l’avocat bénéficient d’un traitement de faveur ou affichent des comportements de
familiarité. C’est dire que dans la conception d’un nouveau client, les habitués sont plus à même de
remporter la victoire dans leur procès capillaire car l’avocat les connaît déjà au plus profond de leur
intimité. Dans cette optique, le nouvel inculpé a tendance à rechercher la solitude plutôt que
l’échange avant le début du procès. C’est dans ces moments-là qu’il cherche à se rassurer en voyant
comment le coiffeur mène sa plaidoirie et si celle-ci amène la pleine satisfaction du client juge.
L’avocat, bien qu’absent de l’aire d’attente, n’est pas indifférent à l’état de son client. Pour Muriel, «
Si on peut pas le prendre de suite, on lui dit : « Dans cinq minutes », on le rassure ».
Le temps du shampooing est ici à comprendre comme la préparation du procès par l’avocat. Il
essaye de mettre son client en confiance en évitent soigneusement de lui rappeler son délit. C’est
l’idée qu’exprime Sylvie en disant que « S’il me parle je réponds mais c’est vrai que tu savoures ce
moment ». Le shampooing laisse encore le client avec ses incertitudes mais finalement, ces
incertitudes sont plus rassurantes qu’une plaidoirie pouvant mener le procès à l’échec ! Lorsque la
plaidoirie est entamée (plaidoirie davantage tactile que verbale pour le coiffeur), l’artisan garde
toujours à l’esprit que le client doute encore de ses capacités. L’inculpé exprime cette crainte par
des questions sur la coupe qui est en train d’être faite : cela permet au client de savoir si l’avocat est
bien sûr du sens qu’il donne au procès. Le coiffeur se doit alors de montrer constamment que son
travail avance dans la bonne direction ; pour ce faire, il a recours à des arguments tels le maternage
(la tête du client est toujours contre sa poitrine durant le procès) ou l’humour à la manière de Muriel
: « de temps en temps, ça m’arrive de sortir une petite bêtise du style : « L’oreille, vous m’avez dit
qu’on la laissait ou qu’on la coupait ? ». Ca fait un p’tit peu rire, ça casse un peu… ».
Pour autant, le client est constamment dans l’incertitude au cours de la plaidoirie. Bien qu’il ait
annoncé son idée de coupe et qu’un consensus avec le coiffeur ait été établi, il n’est jamais sûr que
l’idée et le résultat vont parfaitement concorder. Pour Assina, « à partir du moment où le truc n’est
pas fini, on ne sait jamais ce que va donner cette coupe. Des fois t’as des coiffeurs tu leur dis : «
Coupez » et ils y vont pas molo. Toi tu voyais qu’un peu et lui hop [geste montrant l’excès du
coiffeur] ». Etant donné qu’une partie de la chevelure n’est pas visible par le client durant la coupe,
ce dernier ne sait jamais vraiment ce que l’avocat est en train de faire derrière son dos. L’angoisse
s’exprime alors au travers du regard de l’inculpé qui fixe le travail du coiffeur avec minutie. Sylvie
exprime ainsi son angoisse avec un nouvel avocat : « Je regarde tout ce qu’il coupe, des fois que oh
la la ! Si je voyais qu’il fait quelque chose que je ne veux pas, je suis prête à intervenir ». Ce qui est
exprimé ici ne va pas sans rappeler les objections qui font souvent irruption au cours d’un procès. Au
moment du séchage, l’angoisse semble s’être dissipée ; cela est dû au fait que le client va
abandonner pour un temps le rôle de l’inculpé pour recouvrir celui du juge.
Dire que le client est le juge de son propre procès, c’est considérer que l’inculpé, dans son angoisse,
en vient à juger son avocat pour essayer de trouver une faille chez lui. Le juge est donc présent avant
que le procès débute et dispose ainsi d’informations plus poussées quant à la plaidoirie que compte
mener le coiffeur. Avant le début du procès, le client scrute l’avocat de la défense en recherchant
dans ses comportements et ses mimiques des éléments contrecarrant son expression artistique.
Pour mener cette quête à bien, le juge ne doit pas se laisser impressionner par ce qu’il voit et doit
garder toutes ses capacités pour avoir une opinion juste du procès. Assina ne manque pas de me
raconter en quoi le port des lentilles de contact est capital durant la plaidoirie ; en effet, dans sa
volonté de persuader par ses arguments, le coiffeur demande aux clients portant des lunettes de les
ôter durant la coupe, ce qui bien sûr a pour effet d’empêcher le juge de se faire une idée de la
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tournure des événements. Etant présent aussi au moment du shampooing, le client est déjà capable
de se forger un avis quant à l’avocat. Ainsi Sylvie met en avant les maladresses du coiffeur, ce qui a
pour effet de faire se poser des questions à son sujet : « Si c’est un nouveau coiffeur, je vois aussi à
la façon si c’est quelqu’un d’assez doux ou non. J’ai vu des fois aller chez des coiffeurs et ils te lavent
les cheveux faut voir, attention ! ».
Durant le procès, le juge, grâce à ses observations antérieures, est plus à même de faire pression sur
l’avocat en lui posant des questions, comme le montre Assina : « Des fois ils demandent : « Ca va ?
C’est bien ce que vous voulez ? C’est sur la bonne voie ? ». Je pense qu’ils sentent que je les regarde
s’ils me posent ces questions ». Cette attitude ne va pas sans rappeler le juge d’un tribunal qui
demande souvent à l’avocat où il veut en venir. Le client, bien que se forgeant une idée sur la
tournure du procès, ne doit jamais le montrer à l’avance au coiffeur. C’est ainsi que pour Sylvie, le
regard du jugement se cache sous le masque de la sérénité : « je fais ça naturellement : je fais pas
une tête épouvantable, je reste agréable. J’ai une tête bien mais j’examine quand même ».
Lorsque la plaidoirie est terminée, le coiffeur sait que le client reste le seul juge de son travail ; c’est
ainsi que Jean-Louis me répond lorsque je lui demande ce qu’il pense de son travail une fois celui-ci
achevé : « Ce n’est pas à nous d’en penser, faut que ça lui plaise à lui ». Pour aller plus loin, on peut
dire que le juge suspens l’audience lorsqu’il donne ses premières impressions à l’avocat au moment
où, le travail terminé, ce dernier lui présente la glace sous tous les angles possibles. Cette idée est
renforcée par le fait que certains clients affirment que leur nouvelle coupe leur plaît alors qu’ils ne
reviennent jamais dans le salon de coiffure : à croire que quelque chose en dehors du tribunal
contribue à proclamer le verdict final en l’absence du coiffeur. Même après sa plaidoirie pour le
moins convainquante, l’avocat sait que le procès ne se gagne pas dans le tribunal et Muriel ne
manque pas de mettre en avant cette crainte : « Des fois y a des clients qui me disent : « Ouais, c’est
bon ! », alors je les charrie un peu p’tit peu en leur disant : « Ouais c’est bon ou c’est bien, c’est bon
ou… ? » ». Et Sylvie de renforcer cette crainte en agissant ainsi : « Même si la coupe me plaît pas, je
dirai toujours que c’est bien, pour son travail, s’il a fait ce que je voulais au départ ».
Au départ du client, le procès est donc suspendu pour se déplacer en dehors du tribunal. Cela se
comprend si l’on rappelle ici que les jurés ne son pas présents durant tout le procès intenté au
cheveu. Il paraît alors indispensable de passer par eux pour que le verdict final puisse tomber.
Après le face à face : le verdict du procès capillaire
A la sortie du tribunal, l’inculpé ne sait pas encore si son procès est gagné. C’est pourquoi son
comportement penche du coté de la re-vérification quant au travail effectué par le coiffeur ; il n’est
pas rare que les clients se regardent dans la rue à chaque fois qu’un miroir croise leur chemin : il
cherche à se rassurer avant d’affronter les critiques de l’extérieur. Bien que l’avocat ait tenté
d’obtenir une réponse de sa plaidoirie à l’intérieur du tribunal, le juge estime qu’il a besoin de temps
pour mettre un peu d’ordre dans cette affaire. Béatrice ne manque pas de le rappeler ici : « il a
changé de coiffure et je lui ai dit : « Le mardi, vous passez pour me dire ce qu’il en est, si c’est bien, si
c’est pas bien… Si on a pas fait d’erreurs… » ».
Pour que le procès soit mené à son terme, l’inculpé doit faire un passage obligé devant les jurés ;
autrement dit, il doit confronter sa coiffure à la critique de son entourage. Comme l’affirme JeanLouis, « C’est en partie gagné avec son entourage, son travail, sa famille suivant les commentaires.
Le problème quand quelqu’un change de coupe, y a des commentaires de tout le monde : ça fait
toujours moitié/moitié ». C’est à partir de ce moment-là que le rôle de l’inculpé et du client sont les
plus visibles puisqu’ils ne cessent d’alterner à l’intérieur du client. La réception de la critique amène
toujours le client à s’interroger sur sa coupe, à la re-vérifier dans le miroir pour en retirer un
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jugement définitif. Pour Assina : « En tout cas, les gens vont regarder ma coupe et ils vont me dire ce
qu’ils en pensent. Si y en a qui te font une critique négative, là je vais aller vérifier : c’est sûr, je vais
vérifier ce qu’il m’a fait. Je vais me reposer la question et : « Ouais, finalement… Attends… Comment
il m’a fait ça ? ». Et là je vais voir si je suis d’accord avec la personne ». Quant à Sylvie, elle raconte
comment sa coupe courte a été accueillie par son entourage : « Quand j’ai coupé les cheveux courts
y en a qui me disait : « Oh ! Je te préférais avec tes cheveux longs ! ». Ca de toute façon y en a
toujours qui vont te le dire ; mais en fin de compte, moi j’avais envie de changer, je m’accepte
comme je suis et je m’en fous de ce que les autres disent ! Généralement je m’en fiche sauf si c’est
quelque chose que je trouve fondé après ».
Le verdict final est prononcé en dehors du tribunal. L’avocat en sera informé suivant s’il revoit ou
non le client dans le salon de coiffure. Le retour d’un client montre que la confiance est déjà
beaucoup plus grande entre l’inculpé et l’avocat bien que le procès du cheveu reste toujours le
même : sauvegarder les apparences et la personne du stéréotype. Le coiffeur ne doit jamais tomber
dans la facilité et l’habitude lors de sa plaidoirie au risque de ne pas prendre en compte les
changements que le client veut apporter à sa personne : l’avocat doit inscrire sa défense dans une
dimension évolutive de la coupe et accepter les changements inattendus au risque de voir son
procès définitivement perdu.
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CONCLUSION
Le salon de coiffure et le rituel de la coupe permettent-ils au coiffeur d’assurer la satisfaction de son
travail par le client ? Lorsque l’on se place du coté des impressions, on remarque que dans la
majorité des cas, le client est satisfait de sa coupe. Ce dernier est arrivé au salon de coiffure avec
une idée plus ou moins précise et le résultat correspond bien à l’image que le client en avait. Du coté
du coiffeur, le rituel de la coupe semble logique au sens où il est avant tout un acte commerçant : la
seule différence, et pas des moindres, est que la marchandise se trouve être « humaine ». C’est pour
cela qu’il faut se tourner du coté de l’expression pour voir si la satisfaction du client est réelle ou
fictive. A partir de là, on comprend que du coté du client, étant juge de son procès, il doit prendre de
la distance pour réfléchir en dehors du tribunal car les jurés absents sont déterminants pour le
verdict final. Quant au coiffeur, même si son tour de coupe est parfait, il n’est jamais à l’abris de
l’extérieur puisqu’une partie du public à qui il s’adresse n’est pas présent au moment de la
représentation, d’où une menace à sa réputation. En somme, le salon de coiffure et le rituel de la
coupe permettent d’assurer la satisfaction du client sur un court terme : tout se joue finalement tant
en dehors du tribunal qu’en dehors de la salle de spectacle.
Le coiffeur est-il davantage en position de dominant et le client en position de dominé ? Du coté des
impressions, il est clair que le coiffeur est en parfaite position de dominant : il contrôle le décor, il
est actif tout au long du face à face avec le client, il le manipule comme un objet et il connaît le
cheveu sous un aspect différent que celui qui vient se faire coiffer : le cheveu est une source
d’information importante. Pourtant, du coté de l’expression, la domination n’est plus certaine. Alors
que le coiffeur dissimule son rôle de commerçant, le client dissimule quant à lui son rôle de juge. Ce
n’est qu’au moment du résultat que celui-ci éclate au grand jour et fait comprendre au coiffeur qu’il
ne maîtrise pas totalement toutes ses impressions. En fin de compte, l’image peut-être renversé au
sens ou si le client a besoin du coiffeur pour sauvegarder sa personne, le coiffeur à besoin d’un client
qui revienne passer commande dans son salon de coiffure. La concurrence étant rude, il importe
pour le coiffeur de ne pas réduire le client à une position de dominé au risque de le voir aller dans un
autre salon de coiffure. En somme, le coiffeur est en position de dominant durant l’interaction face à
face avec son client mais sorti de là, il reprend une position de dominé car il reste l’esclave d’une
clientèle fidèle.
Chacun des acteurs porte-t-il un masque dans l’interaction face à face ? Du coté de l’impression, on
aurait tendance à penser que personne ne porte de masque tant l’ambiance dans un salon de
coiffure est détendue et gaie. Pourtant, lorsqu’on regarde du coté de l’expression, il en va
autrement. Le coiffeur se doit d’assumer un double rôle (commerçant et artisan) mais ne doit
montrer au client que son visage d’artisan : derrière le masque de la bonne humeur se cache un
souci de professionnalisme et une logique de profit propre à tout commerçant. C’est pour cette
raison que le coiffeur, en devenant prestidigitateur, peut détourner le client de son objectif premier
et l’emmener dans un monde du familier et de l’intimité. Le client assume son propre rôle et c’est
parce que sa personne est entre les mains du coiffeur qu’il se doit d’apposer sur son visage le
masque de la sérénité. En étant client, chaque individu peut cacher son angoisse quant au coiffeur et
à son travail ainsi que ses jugements qu’il serait déplacé de montrer dès l’entrée sur scène. Le
coiffeur et le client portent donc bien un masque mais chacun dans une conception du salon de
coiffure qui se fait écho : le prestidigitateur sur la scène de spectacle dialogue avec l’inculpé et le
juge du tribunal au sein d’une même représentation.
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