la géopolitique est-elle l`avenir de la géographie

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la géopolitique est-elle l`avenir de la géographie
Eléments de corrigé du sujet : la géopolitique est-elle l’avenir de la géographie ?
Dans l’introduction il faut partir du terme central du sujet : l’avenir de la géographie. Comme souvent le jury attend bien sur que vous sachiez
définir la géopolitique et ses enjeux épistémologiques ce qui est la moindre des choses quand la géographie des conflits est au programme, mais
surtout que vous l’inscriviez dans une bonne perception de ce qu’est la géographie aujourd’hui et de ses tendances. Une récitation d’un cours
(même bien connu) sur la géopolitique serait donc sanctionnée comme hors sujet. L’amorce peut partir de la relative rareté et de l’apparition
récente du terme dans les textes des programmes du secondaire : absents des programmes du collège et du lycée des années 90 et 2000, il
apparaît dans les programmes de cinquième (2008) et de Seconde (2010) à propos de l’étude de « l’enjeu énergétique », et, entre parenthèse dans
la présentation des programmes de première et de terminale à propos de la mondialisation. Dans le premier thème du programme de terminale L
et ES qui sera mis en œuvre à la rentrée 2012 la dimension géopolitique est clairement affichée. On le voit c’est à travers les approches nouvelles
(programmes centrés sur le Développement durable, programme centrés sur la mondialisation, retour d’un thème renouvelé sur la géographie et
la cartographie) que le terme de géopolitique fait son entrée dans les programmes scolaires. De ce point de vue on pourrait donc considérer que
la géopolitique, quoiqu’encore en quantité homéopathique et une tendance nouvelle dans les programmes de secondaire, surtout du lycée, donc
une tendance d’avenir. Cette tendance à l’émergence de la géopolitique dans les programmes scolaires est-elle révélatrice d’un tendance lourde de
la géographie ? La géopolitique est-elle l’avenir de la géographie ? Une telle question aurait été inconcevable il y a cinquante ans lorsque la
géopolitique était déconsidérée du fait de son association avec le nazisme. Ce qui nous conduit à affirmer dans la première partie de l’exposé que
la réponse à la question est non ! La géopolitique c’est le passé de la géographie. Nous examinerons ensuite de quelle façon, une géopolitique
renouvelée depuis les années 80 et ouverte aux autres secteurs de la géographie tend en effet à s’imposer comme une composante de la
géographie d’aujourd’hui et, sans doute, de demain.
I.
Non, la géopolitique est plutôt le passé de la géographie.
Il est possible de montrer tout d’abord un peu d’érudition de l’histoire de la géographie pour développer cette thèse. Utilisons ici l’article très
simple et clair de Dominique Badariotti dans le dictionnaire de géographie en ligne Hypergéo « Le terme « géopolitique » est apparu au début d'un
20ème siècle (Kjellen, 1905) tourmenté par des conflits d'une ampleur inégalée, mais aussi touché par la généralisation de la forme démocratique et marqué par la mise en
place d'un nouvel équilibre politique et économique mondial. Son apparition au lexique des géographes suit de peu celle du terme « géographie politique » (Ratzel 1897), et
précède celui de « géographie électorale » (Siegfried, 1913). … A son origine, la géopolitique désignait plus étroitement l'étude de l'Etat en tant qu'organisme vivant
disposant d'un corps spatial et soumis à des cycles de vie (naissance - maturité - déclin) déterminant ses variations frontalières. Cette approche originale des Etats a été
initiée par l'Allemand Friedrich Ratzel (1844-1904), universellement considéré comme le père spirituel de la géopolitique. Quant au mot « Geopolitik », il a été proposé
pour la première fois par le juriste Suédois Rudolf Kjellen (1864-1922), qui a poursuivi et développé la réflexion de Ratzel sur les Etats en tant qu'organismes.
Ultérieurement, ce terme si sonore a rapidement conquis le monde universitaire germanique avant de s'imposer aux autres chercheurs, dont les francophones à la suite de la
publication de l'ouvrage de Jacques Ancel (1879-1943) intitulé « Géopolitique » en 1936. L'histoire de la géopolitique ne serait cependant pas complète si on n'évoquait
aussi les heures sombres de cette approche entre les deux guerres mondiales. En effet, à partir de 1922 le général Karl Haushofer (1869-1946) reprend ce terme dans la
revue Zeitschrift für Geopolitik, et étend le champ de ses applications en s'adressant à un vaste public et en traitant les multiples aspects de la vie moderne (vie politique,
économique, usage militaire de la propagande). Cette revue devint le phare de la vision géopolitique allemande, vision imprégnée de l'idée de la spoliation de l'Allemagne, de
la défense de la germanité et de la nécessité pour un peuple de contrôler un espace vital dimensionné à sa mesure. Ainsi la géopolitique a indirectement permis à Haushofer
de fonder ou de justifier les conditions concrètes de l'expansionnisme allemand.
Ce dernier épisode explique la quasi-disparition de ce mot après la guerre, du fait du discrédit très important qui fut jeté sur cette notion. Certes, les réflexions «
géopolitiques » ont continué à exister et à progresser dans un contexte international tendu marqué par la guerre froide et les diverses théories spatiales qui l'ont accompagnée
(théorie des dominos, ...), mais le terme lui même avait été trop connoté idéologiquement pour qu'il puisse encore être utilisé en toute neutralité ».
L’exposé ne doit pas développer la totalité de ces informations. Il faut plutôt expliquer en quoi, la géopolitique ainsi conçue correspond à une
géographie obsolète. La dimension idéologique de la géopolitique est en contradiction avec la nécessaire distance scientifique. Lorsque la
géographie traite des politiques de développement dans le Tiers-Monde dans les années 70 (Lacoste) et de l’influence des superpuissances de la
guerre froide, c’est encore en prenant parti. C’est au nom d’une géographie scientifique qu’en 1980, Roger Brunet dénonce le « retour de la
géopolitique » «On le sent à maints indices, la vieille et honteuse "géopolitik" sort des coulisses, le mot même n'est plus tout à fait tabou ; il réapparaît ça et là.
Recrépie, fardée, parée, l'ailleule brèche-dent est poussée en avant... Miasmes de l'obscurantisme.» (Brunet, in Raffestin,1980). L’effondrement des idéologies de
la guerre froide a contribué à rendre ces prises de positions vaines et datées, obscurantiste. Des arguments plus spécifiquement géographiques
doivent également être avancés. Le premier tient au caractère « déterministe » de la géopolitique classique qui reposait sur les théories de Ratzel
selon lesquelles chaque peuple serait adapté à un territoire selon une conception darwiniste de l’humanité qui n’a plus aucune pertinence
aujourd’hui que les notions de peuple et de territoire ont été revisitée par l’ethnologie, l’histoire (CF P. Geary) et les géographes : la notion de
territoire comme « espace approprié » donne le premier rôle aux constructions culturelles et sociales et non aux données de la nature ou de
peuples préexistant à leur inscription dans l’espace.
Second argument : avant le renouvellement apporté par Lacoste, la géopolitique classique était une approche largement mono-scalaire. Elle se
consacrait l’étude des tensions et affrontements entre Etats, à la question des frontières considérées du point de vue des rapports de force
stratégiques (militaire et diplomatiques) entre Etats et ne considérait comme acteurs spatiaux que les gouvernements. Troisième argument : la
géopolitique considérait les territoires comme des enjeux dans les conflits, des terrains de bataille en termes de conquête, d’occupation, de
délimitation (cf doc 1) ce qui en faisait le terrain d’étude privilégié des sciences politique et de l’histoire au moment où la géographie cherche
plutôt à se rapprocher d’autres sciences sociales (économie, sociologie, ethnologie, ethnographie). Idéologique, mono scalaire, étroitement liées
aux sciences politiques, voire à l’histoire, autant d’handicaps qui font de la géopolitique ainsi conçue une approche dépréciée par la géographie.
Pourtant les atlas géopolitiques (le dessous des cartes) et les émissions télévisées qui se réclament de la géopolitique ne sont jamais aussi bien
vendus que depuis la chute de l’URSS. Le déficit d’explication de celle-ci qui a contribué au renouveau des sciences politiques a également
engagé les géographes vers une recherche de l’interprétation spatiale de ce bouleversement du monde. Ce n’est là qu’un des éléments à prendre
en compte dans la seconde partie de l’exposé.
II.
Mais si ! la géopolitique a un avenir dans la géographie
On peut revenir rapidement sur l’histoire de la géopolitique en France en évoquant le retour en grâce du terme sous l’impulsion d’Yves Lacoste
(Hérodote en 1976) dont l’équipe affirme l’orientation par ce que Béatrice Giblin nomme « le changement essentiel de l'orientation d’Hérodote
qui s'est inscrit en toutes lettres sur la couverture du vingt-huitième numéro, publié au premier trimestre 1983, avec la modification du sous-titre:
«idéologies, géographies, stratégies» remplacé par «revue de géographie et de géopolitique». Au-delà de la réhabilitation du terme, quel est ce
changement essentiel ? L’essentiel est une question d’échelle. Lacoste démontre tout d’abord l’efficacité du changement d’échelle pour la
compréhension de phénomène complexes comme leq conflit israélo palestinien à propos qu’il prend comme exemple lorsqu’il propose
d’engager un raisonnement multiscalaire (cf les diatopes réactualisés par B Giblin dans un récent dossier de la documentation photographique).
Ce changement d’échelle induit une prise en compte d’acteurs diversifiés (citer le doc 1). Le changement d’échelle induit du coup un changement
des problématiques. Le document 2 montre comment des conflits locaux peuvent être envisagés sous l’angle géopolitique. Il s’agit d’un
glissement du sens du terme géopolitique qui considère comme conflictuelles d’autres situations que les conflits armés. Du coup les Etats-Majors
et les Etats ne sont plus les acteurs principaux et les questions d’aménagement sont perçues comme des qusetions géopolitiques. C'est la
définition de la géopolitique qui s’élargit ainsi pour devenir une science qui traite des relations entre pouvoir et territoire à toutes les échelles, ou
l’étude porte sur des affrontements réels, potentiels, voire virtuels. En France, le document 2 le montre, ces conflits se sont d’ailleurs développé
dans le cadre d’une part de la décentralisation du politique mais aussi dans celui de la mondialisation. Ce n’est donc pas seulement un
changement d’échelle au sens de choix d’un ordre de grandeur différent mais une prise en compte du caractère multiscalaire des conflits spatiaux
chaque niveau scalaire engageant des jeux d’acteurs différents.
Cet élargissement de la notion de géopolitique contribue, dans le cas évoqué par le document 2 à intégrer une approche géopolitique à des
domaines de la géographie qui en était auparavant éloignés : la géographie de l’aménagement du territoire, la géographie économique, la
géographie sociale, la géographie politique (on devra expliquer que, même si leurs champs et leurs méthodes tendent à se rapprocher, ce n’était à
l’origine pas du tout la même chose que la géopolitique : différence d’échelle et différence de relation à l’espace, la géographie politique étudie la
façon dont les opinions, les votes, les adhésions politiques se répartissent dans l’espace d’une société, la géopolitique étudie les effets sur les
territoires des conflits et décisions politiques, on pourra même constater qu’elle sont nées à quelques années d’intervalles ) et même la
géographie physique : en particulier dans le domaine de la géographie climatique et de la géographie des risques (Patrick Pigeon, Géographie critique
des risques, Economica, 2005) où la composante géopolitique devient essentielle pour observer les différences d’un lieu à l’autre (Martine Tabeau
et Alexandre Kislov, le changement climatique, Eurcasia, 2011). Dans un mouvement inverse les approches d’autres branches de la géographie
viennent enrichir la réflexion géopolitique : c’est par exemple le cas de l’étude des frontières enrichie par Michel Foucher d’une approche par les
représentations, de celle de la mondialisation et des grandes métropoles (étudiées par exemple par Gilles Antier : Les stratégies des grandes
métropoles. Enjeux, pouvoirs et aménagement Paris, Armand Colin, 2005). Le document 3 montre aussi comment une approche géopolitique
s’insinue dans les contenus des manuels scolaires dans qu’elle soit explicitement convoquées par les programmes, les questions de l’intégration
de la Grèce dans l’Europe, des représentations des limites, des conflits de frontière, des pouvoirs dans le développement d’un pays européen qui
relèvent d’une géopolitique au sens large. C’est aussi avec ce document 3 que l’on peut constater qu’en intégrant la question du pouvoir, des
conflits, des inégalités, la dimension culturelle de la géographie échappe aux déterminismes (comme celui d’Huntington « le choc des
civilisations ») et s’ouvre à des approches non culturalistes (cf le corrigé sur ce sujet).
Conclusion : la synthèse est évidement impossible entre les deux parties, il faut plutôt finir sur une pirouette qui n’est pas seulement une
formule : au bout du raisonnement on voit que si la géopolitique est devenu une composante incontournable de toute géographie, ce qui tendrait
à choisir de répondre oui, il faut peut être plutôt inverser la formule en considérant que c’est la géographie qui est l’avenir de la géopolitique !
Seconde partie : la politique de dissuasion de la France peut-elle être expliquée aux élèves ?
Drôle de question qui suppose que l’on pourrait répondre non. Le programme d’EC de troisième invite à expliquer ce qu’est le « Thème 2 - La
Défense et l’action internationale de la France ». Pourtant si l’on y regarde de plus prêt on constate que le terme « dissuasion nucléaire »
n’apparait pas : « - Les missions de la Défense nationale dans le contexte contemporain européen et mondial. - Les menaces et les risques
actuels. - La notion de défense globale et les engagements européens et internationaux de la France - La Journée d’Appel et de Préparation à la
Défense. ». Sans doute la question est elle incluse dans la « notion de défense globale » mais l’absence de référence explicite à l’arme nucléaire
interroge sur les non-dits des concepteurs du programme. La question est-elle trop complexe ? craint-on le risque de remise en cause du
consensus sur ce choix essentiel de la Nation depuis 1960 ? Tout se passe comme si le programme préférait évoquer la contribution citoyenne à
l’effort de défense par la JAPD, et expliquer les risques que la contribution des citoyens par l’impôt au financement de l’entretien de la force de
frappe. Rien cependant n’empêche les enseignants d’EC d’aborder la question en 3ème et en 1ère. Dans une seconde acception le problème
soulevé par le sujet peut être exprimé ainsi : la politique de dissuasion de la France est-elle explicable ? Peut-on la justifier dans le contexte
international d’aujourd’hui. C’est la question posée par le document qui affirme et argumente pour défendre l’idées que les évolutions probables
du monde justifient encore la politique de dissuasion mais que celle-ci n’est plus aussi pertinente pour une grande partie des conflits présents et à
venir. En ce sens expliquer c’est justifier et placer dans un ensemble de choix que le programme d’EC ne suffit pas à développer, les
programmes d’histoire de troisième et de plus encore première (guerre froide, nouvelles conflictualités) sont également de bons appuis pour ces
explications. Reste la troisième dimension du problème qui tient à la complexité de ces choix stratégiques pour des élèves de 3ème (il parait
difficile d’admettre qu’il faille attendre la fin de l’obligation scolaire pour expliquer ce choix essentiel de la Nation aux futurs et ses enjeux aux
futurs citoyens) : peut-on expliquer simplement une politique qui repose sur un pari ? Peut-on expliquer simplement une politique qui repose sur
un raisonnement dialectique ? Sans doute, si l’on a tout au long de la scolarité préparé les élèves à ce mode de raisonnement indispensable pour
apprendre l’histoire, la géographie et pour faire de l’éducation civique qui ne soit pas de l’endoctrinement.

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