Téléchargez l`analyse - Orchestre Philharmonique de Strasbourg
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Vendredi 18 décembre 2015 20h Strasbourg, PMC Salle Érasme Mako Letonja direction Daniel Hope violon Josef Haydn (1732-1809) Symphonie n°66 en si bémol majeur Hob. I:66 Allegro con brio Adagio Menuet Finale Max Bruch (1838-1920) Concerto pour violon et orchestre n° 1 en sol mineur op. 26 Allegro moderato Adagio Allegro energico 23’ 24’ ► Josef Suk (1874-1935) Méditation sur le choral de Saint Wenceslas op. 35a Johannes Brahms (1833-1897) Variations sur un thème de Haydn op. 56a Variation I (Poco più animato) Variation II (Più vivace) Variation III (Con moto) Variation IV (Andante con moto) Variation V (Vivace) Variation VI (Vivace) Variation VII (Grazioso) Variation VIII (Presto non troppo) Finale (Andante) Franz Liszt (1811-1886) Les Préludes 8’ 18’ 15’ Cette soirée est dédiée à la mémoire de feu Walter Weller. Il aurait dû diriger ce concert et son décès attriste grandement l’OPS. Il était un grand violoniste et chef d’orchestre mais surtout un grand défenseur de la musique et de la culture, auxquelles il a dédié sa vie. Josef Haydn (1732-1809) Symphonie n°66 en si bémol majeur Hob. I:66 La date de la composition de cette symphonie est incertaine, mais il est fort probable qu’elle ait été créée en 1774/1775 dans le cadre des activités de Haydn auprès de son « patron », le prince Nicolas Esterhazy. Ce qui est certain c’est qu’elle a été éditée (avec les Symphonies n° 67 et 68) par Hummel en 1779. On sait donc qu’il s’agit d’une œuvre appartenant à la période la plus riche et variée de son service à la cour des Esterhazy. La symphonie est pétillante – avec un premier mouvement marqué Allegro con brio qui déborde d’esprit et vigueur. L’Adagio est très élégant et empreint aussi d’une humeur rustique. Le Menuet et le Finale sont un condensé de tout ce qu’on admire chez Haydn : une combinaison de virtuosité d’écriture et de simplicité d’expression pleine de joie et d’humanité. Max Bruch (1838-1920) Concerto pour violon et orchestre n°1 en sol mineur op.26 Le Concerto en sol mineur de Max Bruch demeure aujourd’hui encore l’œuvre la plus célèbre du musicien. La plupart de ses partitions importantes – trois opéras, trois symphonies, des œuvres chorales ainsi que de la musique de chambre – ne sont que rarement programmées. Par une ironie du sort, ce concerto si prisé des solistes ne fut guère lucratif pour le compositeur, qui accepta, en effet, un paiement unique pour ce travail, se privant des droits d’auteur considérables qui allaient en découler. Joseph Joachim (1831-1907) fut le dédicataire et le créateur de la partition en 1868 comme il le fut onze ans plus tard de l’unique Concerto pour violon de Brahms. Les deux partitions ont en point commun d’avoir été conçues pour et avec le soliste. En effet, Max Bruch ressentait la nécessité de cette aide précieuse, non seulement parce qu’il composait lentement (l’œuvre resta en chantier de 1864 à 1888), mais aussi parce qu’il lui fallait vaincre ses doutes : « J’ai réécrit mon Concerto en sol mineur au moins une demi-douzaine de fois ! » se plaignait-il amèrement. Enfin, durant sa longue vie, Bruch fut confronté à la puissance écrasante des esthétiques dominantes, aux révolutions sonores de Brahms, de Wagner et de Richard Strauss. Rappelons qu'il naquit l’année de la composition des Kreisleriana de Schumann et mourut l’année de la création du Bœuf sur le toit de Darius Milhaud ! L’Allegro moderato est presque à lui tout seul un poème symphonique. Il se suffit à lui-même, surgissant de l’obscurité. Son climat dramatique puis lyrique se déploie progressivement avec une foi inébranlable. Le mouvement est redouté par les solistes autant pour sa difficulté technique que pour sa justesse délicate. L’Adagio enchaîné se construit à partir d’un seul thème. Sa texture est assez moderne pour l’époque avec un climat statique qui sollicite en permanence le dialogue entre l’orchestre et le soliste. L’esprit est celui du recueillement et d’une entente presque chambriste. Le finale, Allegro energico, se situe en revanche dans la veine du Concerto en mi mineur de Mendelssohn. D’un tempérament fougueux, mais jamais appuyé, ce mouvement est porté par un lyrisme énergique. Josef Suk (1874-1935) Méditation sur le choral de Saint Wenceslas op. 35a On peut dire de Josef Suk qu’il appartenait à la deuxième génération des compositeurs nationalistes tchèques. La première – dont les représentants les plus célèbres étaient Smetana et Dvořák - avait développé une écriture imprégnée des mélodies et rythmes des pays bohème et morave, mais dans le cadre des formes et usages de la musique allemande de l’époque. Suk, violoniste renommé, et aussi gendre de Dvořák, avait un autre moyen d’intégrer ses racines dans sa musique. Comme ses contemporains Otokar Ostrčil et Leoš Janáček, il s’était nourri des influences de sa culture et cherchait un autre moyen de les exprimer. Une des ses œuvres les plus typiques est sa Méditation sur l’ancien choral bohémien de St Wenceslas. Certes, le thème qui est à l’origine de cette œuvre était connu de tous les Tchèques – une prière du XIIe siècle au saint patron de Bohème pour qu’il intercède pour sa patrie auprès de Dieu. Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que l’hymne avait une signification particulière pour les nationalistes tchèques au XIXe siècle. Mais Suk – comme Vaughan Williams dans sa célèbre Tallis Fantasia – n’a pas fait un simple arrangement. Il prend le thème comme point de départ, une référence pour le développement d’une structure musicale très méditative et d’une richesse et complexité dans lesquelles on peut reconnaitre l’époque de sa création – 1914. Johannes Brahms (1833-1897) Variations sur un thème de Haydn, op. 56a On connaît l’admiration de Brahms pour l’œuvre de Haydn qu’il connaissait mieux que personne à son époque. Ici on doit convenir pourtant que Brahms a été victime d’une imprécision de l’histoire. Le fameux Choral de Saint-Antoine qu’il choisit pour thème de ses Variations op.56 est bien le deuxième mouvement du Divertimento pour vents Hob.II 46 paru au catalogue de l’éditeur Breitkopf de 1782-1784. Mais on sait aujourd’hui que ce divertimento est apocryphe. Qu’importe ! Brahms savait bien que, de toute façon, Haydn (ou l’anonyme dissimulé sous son nom) était allé chercher ce thème beaucoup plus loin encore. Bon nombre de mélodies de chorals de Bach étaient, elles aussi, antérieures à Bach ! Dès ses premières œuvres, la variation est pour Brahms un domaine d’élection, qu’elle soit pour piano ou pour orchestre. Ici Brahms conçoit deux versions, l’une pour grand orchestre et l’autre pour deux pianos. Plus qu’un choral, le thème choisi (andante) fait penser à une marche, processionnelle peut-être. De structure harmonique très claire, il est en deux parties avec reprise et peut se fragmenter au gré du compositeur. C’est précisément dans cette fragmentation que commence l’exercice de la liberté brahmsienne : dès la première variation (poco piu animato), seules les trois dernières mesures sont utilisées, avec de caractéristiques superpositions de rythmes binaires et ternaires. La deuxième variation (piu vivace) passe déjà en mineur et se concentre sur les trois premières notes du thème. Il faut attendre la troisième (con moto) pour voir le thème utilisé en entier, en majeur, en de longs cheminements contrapuntiques. C’est plus l’esprit du thème que le thème lui-même qui guide la variation IV (andante con moto) revenue en mineur, à 3/8, opposant une mélodie noble et nostalgique à des traits ininterrompus de doubles croches. La variation V (vivace) crée parfois l’équivoque rythmique d’un 6/8 ressenti comme un 3/4. Elle conduit naturellement au ton héroïque de la sixième variation (vivace) dont l’audace se traduit par des emprunts à des tons éloignés. La variation VII est une délicate sicilienne (grazioso) où, comme dans les Variations Haendel pour piano, s’avoue la filiation avec le Bach des Variations Goldberg. Retour au mineur avec la dernière variation (presto non troppo) dont les longues lignes fantomatiques se superposent et jouent de leur renversement. L’œuvre s’achève dans la majesté d’une passacaille (andante). Celle-ci est fondée sur une basse de cinq mesures qui, sans être la basse même du thème initial, implique les harmonies de ses cinq premières mesures. Vaste architecture culminant avec le retour de thème “de Haydn” dans tout son éclat. Franz Liszt (1811-1886) Les Préludes Franz Liszt était un personnage contradictoire. Un Hongrois qui n’a jamais maitrisé la langue hongroise, un coureur de jupons qui est entré dans les ordres, un showman égocentrique mais qui a consenti d’énormes efforts pour aider d’autres artistes, et enfin et surtout un pianiste qui a déclenché une révolution dans la musique symphonique. C’était Liszt qui, avec Les Préludes en 1853, a présenté au monde « die Tondichtung », le poème symphonique. Bien que l’idée ait évolué vers une sorte de libre versification en musique sous l’égide des compositeurs de la fin du siècle, ses origines étaient caractérisées par un équilibre presque parfait. Dans sa forme, Les Préludes présente une symphonie en miniature dont le contenu thématique et le développement se nourrissent autant d’émotion que de philosophie. Bien que Liszt ait prétendu que son poème symphonique était inspiré d’un poème de Lamartine, la phrase d’exergue sur la page titre de la partition est de son cru (ou peut-être de la princesse Caroline Sayn-Wittgenstein) : «Notre vie est-elle autre chose qu'une série de préludes à ce chant inconnu dont la mort entonne la première et solennelle note ?». En effet, l’œuvre est construite sur une «série de préludes», des variations et développements d’un thème marquant – représentant pas moins que la vie ou l’âme humaine en soi – et qui culminent en un final parmi les plus palpitants du répertoire. Pour toute une génération, le plaisir de la qualité transcendante de cette musique a été gâché par l’usage que le régime nazi en faisait (générique d’émissions de radio). Aujourd’hui il est bien temps de redécouvrir toute la puissance évocatrice de cette œuvre profondément humaniste et humaine.