mouvement - Halle Saint Pierre
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MAI/JUIN 13 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 1940 N° de page : 60-63 6 RUE DESARGUES 75011 PARIS - 01 43 14 73 70 Page 1/4 Joe Coleman A l'écart du bon goût L'Américain Joe Coleman est l'un des plus grands portraitistes de notre temps. Line sélection de ses peintures à l'audace transgressive est présentée à la Halle Saint-Pierre, à Paris, dans le cadre de l'exposition HE Y! Modem Art & Pop Culture, Port. II. Peintre, performeur, musicien, acteur et collectionneur de curiosités, Joe Coleman est une personnalité atypique en diable. Ne en 1955 dans le Connecticut, il s'installe a New York en 1975 et monte un groupe de counfrypunk, The Steel lips. Maîs c'est la peinture qui le fera sortir de l'anonymat. Ses tableaux à l'acrylique sont peuples d'outsiders, de psychopathes et d'avatars de lui-même II s'acharne a mettre en majesté les pires aspects de la condition humaine violence, démence, schizophrenie, souffrance et mort II compte Johnny Depp, Leonardo DiCaprio, Iggy Pop et Jim Jarmusch parmi ses collectionneurs. La scene se passe sous le i égard de quèlques grands noms du septième art, parmi lesquels OrsonWelles, Sergio Leone James Cagney, Samuel Fuller, Buster Keaton, Klaus Kmski en conquistador d'Aguirre, Robert Mitchum en prêtre de La Nuit du chaleur SAINT-PIERRE 4878516300503/GNN/OTO/2 Ont également ete conviées, des personnalités plus underground - Lee Marvin, Asia Argento - et des figures de series B Barbara Siecle (avec son visage perfore du Masque du démon), I acromegalique Rondo Hatton, la gogo danseuse Jura Satana immortalisée par Russ Meyer dans Foster, Pussycat1 KûVKiW et Joan Colhns qui, selon sa propre formule, a ete « decouverte a dix-sept ans star a vingt ans mise au rancart a vingt cinq » Sans oublier des vedettes du show business comme Bolly Parton - fille de ferme devenue la « Queen of Country Music » en mariant paillettes et bottes de foin - ou Bob Barker, animateur pendant trente-cinq ans de The Price ls Right, version américaine du/uste Prix Cette galerie de portraits réunit aussi les protagonistes de tragédies nationales Timothy McVeigh (vétéran de l'armée américaine responsable de l'attentat d'Oklahoma City en 1995 qui a fait 168 morts), Jeffrey Dahmei (surnomme « le Cannibale de Milwaukee »), David Koresh (gourou de la secte des davidiens qui périt en 1993 avec 82 de ses ûdeles dans l'incendie de leur ranch a Waco, Texas) II y a aussi O J Simpson, Charles Manson et Hitler (que l'on ne presente plus) Tiens, George W Bush les bras en croix i Le quarante-troisième president des Etats-Unis dAmerique semble sortir du turban de Ben Laden qui pose au premier plan en esquissant un sourire Cette assemblee hétéroclite encadre une vision allégorique des evenements du ll septembre deux avions en feu sortent des yeux géants des tours jumelles du World Trade Center Des corps humains tombent des buildings Dans leur chute ils se métamorphosent en personnages de dessins animes qui, a leur tour, deviennent des acteurs de films pornographiques puis les gamins de la serie Les Petites Canailles, lesquels conduisent au paradis JonBenet Ramsey (fillette retrouvée assassinée dans une cave). Cette scene fantasmagorique et la constellation de personnages qui l'entoure sont les créations d'une divi- Eléments de recherche : LA HALLE SAINT-PIERRE : centre culturel au pied de la Butte de Montmartre, à Paris 18ème, toutes citations MAI/JUIN 13 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 1940 N° de page : 60-63 6 RUE DESARGUES 75011 PARIS - 01 43 14 73 70 Page 2/4 l'univers de l'artiste. « La télévision f ait partie de ma vie. C'est pour moi une inépuisable source d'inspiration qui mêle propagande, drogue, sexe, éducation, manipulation. Autant d'éléments qui conditionnent ma façon de penser. Je suis fasciné aussi bien par les vieux films en noir et blanc que par les pornos qui passent à la télé. Le petit écran nous permet de vivre nos premiéres expériences de la violence, du sexe, de la politique, de la religion, de la morale, de la raison. C'est un organisme vivant. Quand vous le regardez, il regarde en vous et prend le pouvoir sur vos désirs. » nité du XXe siècle, que Joe Coleman vénère par-dessus tout : la télévision. Au centre de la composition qu'il a conçue pour lui rendre hommage, le peintre a représenté une mire à tête de chef indien surmontée d'une devise en forme de commandement suprême : « Avec amour, crainte et respect. A un Dieu tout-puissant. » Des écrans de télévision sont déclinés à plusieurs endroits de la peinture : « Hy en a douze, précise Coleman, pour évoquer les différentes heures de la journée quej 'm passées à regarder la télé. » II a personnalisé l'ensemble en incrustant une bande de tissu noir qui forme une sorte de bastingage à quèlques centimètres du bord de la toile. Il s'agit d'un morceau du smoking qu'il portait pour jouer le rôle d'un producteur de cinéma véreux dans ScarletDiva (2000), première réalisation sulfureuse d'Asia Argento. Plus qu'une peinture, son installation est un « autel dédié à ce Dieu des temps modernes », réalisé en remployant un antique ct imposant meuble télé auquel il a ajouté une SAINT-PIERRE 4878516300503/GNN/OTO/2 loupe, grosse comme un phare de voiture. «Je l'ai récupérée sur la télé de mon grand-père. A l'époque, les images que restituaient les téléviseurs étaient minuscules alors on les regardait à travers une loupe. » Fixé sur un bras articulé, II peint adnauseam des portraits de gangsters et de sériai killers. cet accessoire optique permet de scruter la profusion de détails que Joe Coleman a réalisée en utilisant lui-même dcs lunettes grossissantes de chirurgien. Sa machine de vision nous fait pénétrer dans la cosmogonie cathodique de As You Look into the Fye of the Cyclops, So the Eye of the Cyclops Looks into You (2003) et, plus généralement, dans Tourmentes et addictions Joe Coleman ne fait jamais dans la demimesure, qu'il s'agisse de regarder la télé, de prendre des drogues ou de représenter les excès de la nature humaine. « Peindre est un truc douloureux pour moi, un véritable combat. Ce n'est pas un hasard si dans le mot "painting" (peinture), Hy a "pain" (souffrance). » Ses œuvres sont des morceaux de bravoure qui portent les stigmates de son engagement obsessionnel. Depuis le début des années 1980, il peint ad nauseam des portraits de freaks, de gangsters, de sériai killers, de héros plus ou moins dégénérés de la pop culture en démultipliant de façon virtuose et virale des saynètes miniatures qui envahissent toute la surface de ses toiles. L'artiste a le vide en horreur. Au seuil de l'illisibilité, il manie l'infiniment petit et compose, centimètre carré par centimètre carré, d'énigmatiques tourbillons graphiques selon un phénomène d'engendrement successif. Ses peintures sont structurées en damier labyrinthique dont chaque case s'efforce de circonscrire ses tourmentes et ses addictions, comme pour mieux les domestiquer. Ses illustrations convoquent des bribes de livres, de films, de souvenirs télévisuels. Son portrait du chanteur de country Hank Williams (A Picture Fram Life's Other Stde [Hank Williams], 1998) agrège par exemple des textes de chansons et des lambeaux de partitions. Joe Coleman procède de manière documentée mais intuitive. Son pinceau se déplace de la périphérie de la toile vers son centre, sans esquisse préalable. Cette lente prolifération par contagion de motifs et associations d'idées produit une expérience narrative qui suppose un regard errant de scène en scène, dans toutes les directions. Autour de sa représentation d'une gamine infanticide (And a Chiid Shall Lead Them [Mary Bell], 2001) Eléments de recherche : LA HALLE SAINT-PIERRE : centre culturel au pied de la Butte de Montmartre, à Paris 18ème, toutes citations MAI/JUIN 13 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 1940 N° de page : 60-63 6 RUE DESARGUES 75011 PARIS - 01 43 14 73 70 Page 3/4 se déploie toute une généalogie d'enfants tueurs d enfants, de Jesse Pomeroy a Eric Harris et Dylan Klebold, les étudiants meur tners de Golumbine Inutile de chercher un sens de lecture dans ses relations intertextuelles les episodes dissémines se permettent toutes les transgressions et osent parfois ce qui apparaît a nos yeux comme de dérangeantes profanations Emancipées de la dictature du point de vue, les représentations figuratives de Joe Coleman refusent également la normalisation de la perspective qui creuse dans le tableau la dimension virtuelle de la profondeur Dans un espace aux confins du nulle part, les genres et les formes se répètent dans un jeu de perpétuelle metamoi phose ou toutes les extravagances sont possibles Cette technique n'est pas sans évoquer l'art des grotesques auquel Giorgio Vasan consacre deux chapitres dans le Proemio qui précède le récit des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes « Les grotesques sont une catégorie de peintures libres et cocasses inventées dans I Antiquité pour orner les surfaces murales ou seules des formes en suspension dans I air pouvaient trouver place Les artistes y représentaient des difformités monstrueuses nees du caprice de la nature ou de la fantaisie extravagante des artistes ils inventaient ces formes en dehors de toute regle suspendaient a un fil tres fin un poids qu'il ne pouvait supporter, transformaient les pattes d'un chevreuil en feuillages, lesjambes d un homme en pattes de grue et peignaient ainsi une foule d espiègleries et d'extravagances Celui qui avait I imagination la plus folle passait pour le plus doue » Les grotesques ont connu un regain d'intérêt au début du XVIe siecle, c'est-a dire a une epoque ou la Renaissance avait rigoureusement organise I espace de la représentation picturale Lointains descendants de l'Antiquité et des manuscrits médiévaux, les monstres de la marge s ingéniaient a renverser la toute puissance du point de vue central pour faire chavirer la mise en ordre du monde L'accent se déplaçait ainsi du centre vers la périphérie c'est dans les marges qu'il était permis a I artiste de donner toute la mesure de son genie et de faire preuve d'originalité Tapisserie mentale L'artiste prefere de Joe Coleman est Cru newald « Personne ne représente mieux les crucifixions que lui » Influencées autant par la peinture de la Renaissance et les enlu minures medievales que par les betes de foire de Ted Browning et les crime comics des annees 1950, ses œuvres ont souvent ete comparées a celles d'illustres maîtres comme Bosch, Bruegel ou Goya « Artiste! Rien que le mot me colle la chair de poule! » La grande rétrospective Jerome Bosch, organisée en 2001 par le musee Boijmans - Van Beumngen de Rotterdam, exposait The Man ofSorrows (1993) Cette peinture qui livre une interprétation personnelle de la vie de Jésus était présentée parmi d'autres contrepoints contemporains de Bill Viola, Salvador Dali, Pipilotti Rist ou encore William Kentridge En 2009 le Kunstmuseum de Stuttgart a presente son impressionnant WarTriptych (2003) dans une exposition intitulée Three The Tnptych in Modem Art qui réunissait des œuvres de Otto Dix Max Beckmann, Francis Bacon et Gerhard Richter Joe Coleman a également eu les honneurs SAINT-PIERRE 4878516300503/GNN/OTO/2 Eléments de recherche : LA HALLE SAINT-PIERRE : centre culturel au pied de la Butte de Montmartre, à Paris 18ème, toutes citations MAI/JUIN 13 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 1940 N° de page : 60-63 6 RUE DESARGUES 75011 PARIS - 01 43 14 73 70 Page 4/4 d'une exposition personnelle au Palais dè Tokyo a Paris en 2007 et la même annee au Kunst Werke (KW) a Berlin Internat Diggmg Malgre la reconnaissance dont il jouit dans le monde de l'art contemporain, il n'a jamais pu se resoudre a endosser le statut officiel d'artiste « Artiste ' Rien que le mot me colle la chair de poule ']e hais le mmimahsme Je déteste les néons des galeries d art et je ne peux vraiment pas m'identifier a ce fichu milieu » II est plus a son aise dans I atmosphère de chambre des merveilles de la petite salle que lui consa cre l'exposition collective HEY' Modem Art & Pop Culture, Part Ila. la Halle Saint Pierre, a Paris, second volet d une exposition qui réunit 300 oeuvres d'une soixantaine d'ar listes internationaux présentées par Anne & Julien, les commissaires et rédacteurs en chef de la revue REY' Outre son installa tion télévisuelle et matricielle, il presente un portrait autobiographique ou il pose en pied, devant ce qu'on pourrait appeler une tapisserie mentale dont l'iconographie cst a I image du chaos de sa psyche A Doorway to Joe (2010) fait virevolter ses vieux démons au milieu des êtres qui lui sont chers I Am Joe s Fear of Disease (2001) dissèque httera lement la bipolarite du personnage Les SAINT-PIERRE 4878516300503/GNN/OTO/2 autres portraits passent en revue quèlques heros de son pantheon personnel Portrait of Charles Manson (1988) American Venus [Jayne Mansfield] (1997) Tenebraefor Cesualdo (2004) Un temps assimilées a ce que les Anglo Saxons qualifient dv outsider art » (art hors norme ») les productions de Joe Coleman défient toute tentative de classification II cultive une forme d irréductibilité en se tenant a I écart des mouvements artisti ques des modes et des criteres du bon gout Sa vie et son œuvre unissent leurs efforts pour rester en marge du systeme II se plaît ainsi a exhiber les aspects dérangeants et macabres de son univers domestique dont la vitrine est son petit musee des horreurs baptise The Odditorium Dans son appartement de Brooklyn, il accumule des animaux empailles, des armes de toutes sortes, des moulages en cire de malformations congénitales, des tetes de momies, un mort ne sans cerveau conserve dans du formol, un bebe cyclopc, les mains d'un soldat japo nais Ce reliquaire gothique comporte également quèlques memorabilias ae sériai killers comme cette lettre manuscrite que le criminel mangeur d enfants, Albert Fish a envoyée a la mere de sa derniere victime pour lui raconter par le menu détail la façon dont il a fait mijoter sa fille Cet art de met tre en scene la part infâme de l'humanité Joe Coleman l'a également exerce a I occasion de performances fauteuses de trou bles Au cours des annees 1980 il a etabli le caractère infréquentable de son personnage en se transformant en Professer Mombooze-o, patronyme qui faisait allusion a sa mere « Mom » et a son pere alcoolique « Booze-o » A la mort de sa mere en 1989 il orchestre sur la scene de la Boston Film and Video Foundation une ultime performance en forme de cérémonie funéraire qui défraie alors la chronique artistique et judiciaire II fait exploser une ceinture de dynamite, arrache la tete de deux souris blanches baptisées « Mom » and « Bad » et met fm aux jours de son double le Professer Mombooze-o, en incendiant le theatre Les evenements marquants de sa vie sont consciencieusement ritualises et intègres a son corpus artistique En 2000, il a ainsi choisi lAmencan VisionaryArt Muséum de Baltimore pour célébrer son mariage avec Whitney Ward, photographe et reine de la scene fétichiste new-yorkaise Le couple a organise un grand charivari burlesque en customisant les lieux avec quèlques phénomènes choisis dans les collections de FOd ditonum et en recrutant un ventriloque un avaleur de sabre et des nains costumes pour conduire les operations Joe Coleman carnavalise le mariage et pervertit le musee lieu de sacralisation de l'art par excellence Ses excentricités artistiques renversent les valeurs et l'ordre etabli, dans une veine bouffonne qui fait preuve d'un sens avise du spectacle Joe Coleman s'impose comme le grand maitre du retour du refoule Stéphane Malfettes Hey ! Modem Art & Pap Culture, Part. II, par Anne & Ile bamt-Hierre, Par www.hallesaintpierre.org Eléments de recherche : LA HALLE SAINT-PIERRE : centre culturel au pied de la Butte de Montmartre, à Paris 18ème, toutes citations