Le déménagement pharaonique du centre hospitalier Sud francilien

Transcription

Le déménagement pharaonique du centre hospitalier Sud francilien
I N F O R M AT I O N S
PROFESSIONNELLES
Une quarantaine de services transférés en deux mois
Le déménagement pharaonique
du centre hospitalier Sud francilien
Une kyrielle
de dysfonctionnements
Le comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail (CHSCT) de l’hôpital Sud
francilien réalise des visites de site chaque
jeudi pour traquer d’éventuels problèmes.
Eiffage a corrigé les 8 000 malfaçons recensées l’an passé, mais d’importants dysfonctionnements persistent, selon le secrétaire
du CHSCT, Franck Banizette (SUD santé). Ces
dysfonctionnements sont facteurs de surcoûts et peuvent menacer la qualité des
soins, affirme le syndicaliste. Exemples :
« Il y a des angles morts dans les chambres
d’isolement en psychiatrie. Il faudrait trois
bunkers en radiothérapie, il n’y en a que
deux : le service n’ouvrira jamais. La plupart
des appareils d’imagerie ne sont pas arrivés : aux urgences, il a fallu amener une radio portable sur roulettes. Il n’y a plus d’argent pour acheter un mammographe numérique [coût : 130 000 euros, NDLR], on va
en louer un. L’achat de l’automate permettant la dispensation journalière et automatique des médicaments a été annulé. Les
infirmières font elles-mêmes la distribution :
c’est chronophage et source d’erreur. Nous
avons des doutes sur les fluides médicaux
(des prises murales fuient) et sur la sécurité
incendie. » Des espaces inutilisés alourdissent le loyer : 12 des 20 blocs ne tournent
pas faute de personnel. Les mille mètres
carrés qui devaient abriter l’hôpital prison,
transféré ailleurs, ne servent à rien. Catherine Fayet (SUD) dénonce pour sa part une
gestion des équipes par le stress. SUD a demandé une expertise pour maltraitance
dans différents services.
750 angioplasties coronaires réalisées en 2011 (+30 %)
Manque de fonctionnalité. Le déménagement de la cardiologie, énergivore, s’est
passé sans encombre : il s’est écoulé moins
de 24 heures entre le dernier infarctus pris en
charge à Corbeil, et le premier traité au
CHSF. À la veille d’une visite de conformité,
le Dr Goube se montre serein : « Il y a eu
quelques problèmes informatiques, mais
nous travaillons en sécurité. »
À la tête du service de rééducation, le Dr Philippe Dupont n’affiche pas le même sourire.
Pendant un an et demi, ses remarques sur le
manque de fonctionnalité de ses futurs locaux sont restées lettre morte. À quinze jours
du déménagement, il a menacé de ne pas
bouger. « Et là, raconte-t-il, tout est devenu
modifiable. » Eiffage a mené des travaux en
urgence. Les barres d’appui dans les couloirs
seront installées plus tard, mais au moins
l’unité est-elle aux normes. À quelques détails près : dans la salle de balnéothérapie, le
couloir de marche flambant neuf a subi des
aménagements, mais aucun patient ne l’a
testé, car le pH de l’eau du bassin n’est pas
conforme.
Première arrivée, la psychiatrie a pris ses
quartiers dans le nouvel hôpital le 23 janvier.
Panne d’électricité ce soir-là : dîner à la bou-
gie, 18 degrés au thermomètre. Le chef du
pôle tait l’anecdote et préfère insister sur la
qualité hôtelière des nouvelles chambres.
« Avant, expose le Dr Michel Fouillet, les
unités étaient clairsemées en ville, les locaux étaient dégradés. À présent, la psychiatrie est enfin considérée, et des projets
vont voir le jour, comme la sismothérapie. »
Tous les praticiens du CHSF ne partagent
pas l’enthousiasme du Dr Fouillet. Sous couvert d’anonymat, certains s’inquiètent pour la
qualité des soins. La légionelle était présente
dans les canalisations jusqu’à l’arrivée de
l’eau chaude, en novembre. Ce généraliste
installé à Évry a eu vent de la rumeur. Ayant
en tête le spectre de l’HEGP, il préfère jouer
la prudence. « Pour le moment, dit-il,
j’adresse un peu plus mes patients vers les
cliniques. J’attends de voir comment tourne
le nouvel hôpital. »
Au sein même du CHSF, des médecins redoutent une dégradation de la qualité des
soins. Le Dr Alexis Mosca le dit ouvertement.
Les urgences pédiatriques qu’il dirige emménageront dans 15 jours dans un espace « non
adapté », sans biberonnerie, ni chambre
mère-enfant, avec une salle d’attente exiguë
au possible, et surtout, moins de lits. « On
va devoir renvoyer chez eux des enfants limites », s’inquiète le pédiatre. « Prendre une
garde en sachant qu’il n’existe aucune place
d’hospitalisation, c’est démotivant, dit-il.
L’équipe alterne entre la résignation et le
désespoir. Nous sommes très loin des conditions d’accueil d’un hôpital moderne. »
> DELPHINE CHARDON
Le PPP, objet de toutes les critiques
Le bail emphytéotique qu’a signé Xavier
Bertrand en 2006 lie le CHSF à Héveil,
filiale d’Eiffage, pour une durée de
trente ans. Il se trouve peu de
médecins, au sein de l’hôpital, pour
défendre ce partenariat public-privé
(PPP).
LE LOYER à verser à Eiffage, 42 millions
d’euros par an, est source de stress. « L’hôpital peut dégager 10 millions. Xavier Bertrand nous a promis 20 millions d’aides
par an. Où trouver les millions manquants ? En mettant les infirmières sur le
trottoir ? », s’inquiète ce praticien. « La
conséquence du PPP, renchérit le Dr Alexis
Mosca, pédiatre, c’est qu’on ne peut pas embaucher, alors qu’on manque d’infirmières. » Pour les uns, le PPP conduira à des
lourdeurs : « On ne pourra plus planter un
clou sans l’accord d’Eiffage. » D’autres redoutent un assèchement des investissements : « On devait renouveler les moteurs
en orthopédie, or on doit garder les vieux »,
déplore le Dr Henri Lelièvre, chirurgien. Le
pire, pour le Dr Mosca, serait le tri des activités rentables : « L’ouverture d’un pôle pour
adolescents répond à un vrai besoin, mais
une anorexique qu’on va garder six mois
avec une sonde ne rapportera pas en T2A »
Surdimensionné. Le directeur de l’établissement reconnaît que l’activité du CHSF est
un très gros enjeu. Sa priorité : reprendre la
main en chirurgie, et développer l’activité de
« +10 % entre juin 2012 et juin 2013 ». Les
hôpitaux voisins de Melun et de Fontainebleau y laisseront-ils des plumes ? « C’est
bien possible, répond Jean-Patrick Lajonchère, mais l’enjeu pour le CHSF est de ne
plus être sous perfusion. » Son prédécesseur, Alain Verret, a jeté l’éponge en septembre, considérant que les dés étaient pipés. Jean-Patrick Lajonchère assure l’intérim le temps du déménagement. Des pistes
se dessinent avec l’aide du cabinet Capgemini pour récupérer du cash. « À ce jour,
l’hôpital est surdimensionné », observe
Jean-Patrick Lajonchère. La sous-location
de 200 lits inoccupés à d’autres hôpitaux
est envisagée. Parallèlement, l’établissement
tente de renégocier à la baisse son loyer.
Une redéfinition du périmètre du PPP paraît plus probable que la résiliation du bail,
une solution trop coûteuse pour l’État.
Le secret qui entoure ces discussions à fort
enjeu, associé au silence de la classe politique, agace les médecins du CHSF. « Il fallait ouvrir l’hôpital pour faire plaisir à
Nicolas Sarkozy, fustige ce praticien. Xavier Bertrand a signé le PPP, il est responsable de la situation. L’un et l’autre ne souhaitent surtout pas de vague autour du
CHSF avant les élections. On se sent abandonné. » François Hollande, en meeting hier
à Évry, a visité le plateau de Saclay. Pas le
CHSF. « Manuel Valls [le maire d’Évry] est
monté au créneau en septembre pour demander la sortie du PPP. Aujourd’hui, il est
directeur de campagne, et il ne dit plus
rien », déplore un autre PH.
> D. CH.
Des couloirs de 300 mètres de long
S. TOUBON/« LE QUOTIDIEN »
CHAQUE JOUR, un nouveau service emménage au Centre hospitalier Sud francilien
(CHSF). L’hôpital a des allures de ruche fiévreuse. Les déménageurs suent, le service
logistique est sur le pont. Dans les unités
déjà installées, le bruit des perceuses résonne encore. Les blouses blanches débusquent des problèmes, les bleus de travail
corrigent le tir.
Une urgence arrive en coronarographie. Un
double infarctus, l’homme a 40 ans. L’équipe
s’active. Un électricien entre dans la salle,
en ressort quelques minutes plus tard. Sûr
de son diagnostic : « Il va falloir bouger une
prise électrique car les médecins ont déplacé un équipement. » Quatre ans et demi
qu’il travaille ici, il a vu la première pierre.
Sa mission devrait être finie. Il fait du rab
pour traiter « les demandes des médecins
qui arrivent au compte-gouttes ».
Au fond du couloir, une brouette déborde
de parpaings. Une feuille A4 au mur : « Accès interdit, travaux IRM ». « Bientôt, s’enthousiasme le Dr Pascal Goube, nous aurons un plateau technique complet, et le
projet pour la prise en charge des AVC
pourra débuter. Le nouvel hôpital est une
étape majeure. » Si l’activité décolle, le
chef du service de cardiologie espère décrocher une autorisation pour la rythmologie lourde. « Et pourquoi ne pas imaginer le transfert d’un service de chirurgie cardiaque de l’AP-HP jusqu’ici, se
prend-il à rêver. Ça permettrait de financer l’hôpital. »
S. TOUBON/« LE QUOTIDIEN »
Du 23 janvier au 26 mars 2012, les
différents services du centre
hospitalier Sud francilien vont se
regrouper dans un bâtiment flambant
neuf, implanté à Corbeil-Essonnes.
« Le Quotidien » s’est plongé dans le
groupe hospitalier qui rayonne sur trois
départements — l’Essonne, la Seine-etMarne et le Val-de-Marne — et assure la
couverture de 600 000 habitants.
Il faut de bonnes Crocs pour tenir le rythme
4 - LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - N° 9088 - JEUDI 23 FÉVRIER 2012 - www.lequotidiendumedecin.fr
Le centre hospitalier Sud francilien est né en 1999 de la fusion des hôpitaux de Corbeil-Essonnes et d’Évry. Centre de référence pour 600 000 habitants, c’est le plus
gros hôpital public d’Île-de-France après l’AP-HP. Trois mille personnes y travaillent,
dont 400 médecins. La première pierre du nouveau site a été posée en 2007.
Collé au Génopole d’Évry, à deux pas de la banlieue chaude des Tarterêts, l’établissement en impose par son gigantisme : 110 000 m2 répartis sur six niveaux,
des couloirs de 300 mètres de long, un millier de lits et places. « Les premiers
jours, j’avais des ampoules aux pieds », livre cette soignante. La signalétique se résume pour l’instant à des feuilles A4 collées au mur. Pour ne pas s’égarer, ce praticien s’est dessiné un plan.
L’architecture étalée vise à stabiliser l’édifice bâti sur des marnes vertes. Il faut marcher dix minutes depuis certains services pour rejoindre le restaurant du personnel,
qui n’a que vingt minutes pour déjeuner. Imprévu, ce problème a trouvé sa solution : un service de plats à emporter ouvrira en mars (le choix du prestataire, « PPP »
oblige, revient à Eiffage). Le CHSF regroupe vingt salles de bloc, trois laboratoires,
trois salles d’imagerie, deux plateaux médico-techniques, un plateau de rééducation, un pôle de psychiatrie, des urgences, une maternité de niveau 3 (4 000 naissances attendues). Toutes les spécialités médicales y sont représentées.