les-cabanes-de-locean-chapitre-4

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Chapitre 4
Je cours sur la plage, le long du Bassin, lorsque j’aperçois Samuel attablé à la
terrasse de « l’Escale ». Je peux difficilement passer à côté de lui, en faisant
semblant de ne pas l’avoir vu. Hier soir déjà, j’ai préféré rester chez moi, alors
que je les entendais manger et chahuter dans le jardin. Salomé et Benoît ont un
sixième sens pour sentir les moments où il ne faut pas venir me déranger.
Je monte les quelques marches qui me séparent du front de mer et m’arrête à
sa hauteur.
- Tiens, bonjour Mathilde ! dit-il en levant les yeux de son journal.
Je me sens rouge, gauche, en sueur et mal fagotée. Pas confortable comme
sensation face à ce mec qui semble toujours beau, frais, souriant et dispo.
- Bonjour, répondis-je, gênée.
- Est-ce que tu veux boire un café ? me demande-t-il.
- Je ne bois pas de café !
Sous son regard scrutateur, je me fige et un silence s’installe. Pas motivée à
endurer une nouvelle fois l’embarras que j’ai pu ressentir hier lors de notre
rencontre, je m’assieds en face de lui et tente de me détendre.
- Je n’ai pas pris d’argent avec moi, est-ce que tu m’offrirais un de leurs
remarquables jus-maison ?
- Très, volontiers.
Il se lève.
- Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
- Un mélange « carotte, orange, gingembre », volontiers.
Lorsqu’il est de retour, je le remercie et prends avec délectation quelques
gorgées de ce délicieux concentré d’énergie. Cette pause au bord de l’eau n’est
finalement pas une si mauvaise idée.
- Est-ce que tu sais que tu te trouves dans « Le » resto branché du
Ferret ? Pour savourer une ambiance matinale sur le Bassin, il n’y a pas
mieux !
- Je t’avouerais qu’on m’a un peu aidé. Salomé m’a recommandé ce
restaurant hier soir. Pour une fois que je suis levé à cette heure, je ne
pouvais pas louper ça !
Devant mon regard étonné, il murmure, la mine faussement contrite :
- Oui, je ne suis vraiment pas du matin !
- Si tu es levé à cette heure, ce n’est pas à cause des jumeaux, j’espère ?
Salomé leur apprend à respecter les espaces de chacun, maiiis ce n’est
pas encore gagné !
- Non, aucun problème avec eux. Je devais m’entretenir avec un ami qui
habite Bali. Avec le décalage horaire, c’était plus pratique qu’on s’appelle
tôt ce matin. C’est un des intervenants du reportage que je suis en train
de tourner…
En entendant ces mots, tout mon corps se tend et je suis à deux doigts de me
lever. Perspicace, Samuel me lance :
- Ce serait dommage, tu n’as pas fini ton jus !
Il se penche alors vers moi et plonge son regard azur dans le mien.
-
Mathilde, au fond de toi, je suis sûre que tu sais que jamais je ne te
forcerai à quoi que ce soit.
Face à mon mutisme, il hausse les épaules avant de continuer :
- Je ne sais pas pourquoi tout cela te fait réagir si fortement, mais
j’aimerais que tu saches que lorsque Laurence m’a parlé de ce qu’elle a
vécu en soin avec toi, j’ai perçu une dimension de lecture qui m’a
« vraiment » interpellé. Ma demande est donc simple : dans un premier
temps, pouvoir discuter tranquillement de tout cela avec toi. Et dans un
deuxième temps, pourquoi pas… faire un ou deux entretiens filmés afin
de voir comment la mayonnaise pourrait prendre.
Ne sachant pas quoi lui répondre, je plaisante :
- Si tu faisais une émission culinaire, je serais sûrement plus à l’aise !
- Tu cuisines bien ?
J’éclate de rire.
- Comme une patate !
Il me sourit.
- Est-ce que tu veux un deuxième jus ?
Je m’avance vers lui.
- Je le vois ton stratagème ! Tu manages ton monde avec gentillesse et
légèreté… mais au final, avec ton charisme et ta persévérance, je suis
sûre que tu arrives « toujours » à tes fins ?
Il se marre.
- Pas toujours non, mais c’est vrai que je m’offre au moins le mérite
d’essayer !
Résignée, je m’affale contre le dossier de ma chaise.
- Ok, va pour un deuxième jus.
Il pose une main sur la mienne.
- Merci Mathilde.
Alors qu’il revient, chargé de deux verres et de deux croissants, je constate que
mes idées sont maintenant plus claires.
- Je veux bien te parler de ce que je vis en soin, mais par contre, sache
que je ne suis « absolument » pas ouverte à ton idée de prises de vues !
- Pas de problème, c’est toi qui décides.
Moi qui décide ? Il faut le dire vite ! Difficile de lui refuser quoi que ce soit à ce
beau brun. Je triture mon croissant et commence par plaisanter afin de gagner
un peu de temps :
- J’ai bien fait de venir te débusquer dans ce lieu public, comme ça, je suis
certaine que tu ne planques pas d’enregistreur.
Il soulève un sourcil et me considère d'un air impassible.
- C’est vraiment toute la confiance que tu as en moi ?
Sans lui répondre, je prends une inspiration avant de me lancer:
- Il y a deux ans, juste en fin d’une interminable saison de massages avec
Salomé, j’ai reçu des informations très précises sur les blocages du
patient avec lequel je travaillais. Suite à ces visions, mes mains se sont
mises à bouger toutes seules sans que je ne puisse les retenir. C’était
comme une sorte de danse, fluide et précise tout en même temps. Je
t’avouerais que cet événement m’a passablement déstabilisée. Même si
la personne a été très touchée par ce soin, j’ai eu l’impression de perdre
la maîtrise de ce qui se passait. Je me suis même demandée si ce n’était
pas un signe de surmenage… Je ne suis pas une « bosseuse-née » et
ces périodes de travail intense peuvent être assez éprouvantes pour moi.
Alors que Samuel me dévisage silencieusement, je fais une pause. Son écoute
est agréable, intense et sincère, sans pour autant être insistante ou
envahissante.
- L’année dernière, cette même « fluidité » est revenue très souvent lors
des soins. Les patients étaient contents, je ne me suis donc pas trop
posée de questions. En fin de saison, une femme a soudainement été
prise d’une forte agitation. Alors qu’elle pleurait et vivait des émotions
difficiles, des images me revenaient inlassablement dans la tête. Voyant
qu’elle n’arrivait pas à sortir de cet état d’angoisse dans lequel elle était,
j’ai fini par exprimer ce que je voyais. Elle a alors réussi rapidement à se
calmer. À la fin du soin, elle m’a demandé si j’avais des dons de voyance
ou quelque chose comme ça, car cette histoire n’était connue que d’ellemême. Sa question m’a... hum…contrariée. La médiumnité ou la
voyance ne me dérangent pas dans l’absolu, mais je ne sais pas… ce ne
sont pas des dispositions qui m’intéressent particulièrement ! J’ai une
fois de plus laissé tout cela de côté et j’ai alors profité de ma période de
repos, sans trop y penser.
Alors qu’une sensation de mal-être monte en moi, je me masse la paume des
mains pour tenter de me calmer.
- Et ce que tu voudrais qu’on marche un peu ? me demande gentiment
Samuel.
J’acquiesce. Je termine rapidement mon jus avant de me lever. Une fois sortis
du restaurant, Samuel décadenasse son vélo, enfin… le vélo de Jean-Louis
avant de me rejoindre sur le front de mer.
- Est-ce que tu préfères qu’on poursuive cette discussion à un autre
moment ?
Pensive, je contemple le ballet des goélands au-dessus du Bassin quelques
instants. Si je m’arrêtais maintenant, je n’aurais sûrement pas le courage de
reprendre.
- Au point où on en est… continuons !
Alors qu’il pose sur moi un regard calme et attentif, je reprends :
- Ces perceptions extra-sensorielles ont pris de l’ampleur au fil des mois.
Cet espace vaste et lumineux qui me donne accès à toutes ces
informations se manifeste maintenant dès que je commence à toucher la
personne avec qui je travaille. En début de saison, je me laissais traverser
par tout cela sans en parler aux patients, mais depuis un mois, ces
visions… « s’imposent » !
- Elles s’imposent ? répète-t-il, étonné.
- Oui, ces informations coupent purement et simplement la progression du
soin tant que je ne les ai pas exprimées à voix haute !
Je secoue la tête et soupire.
- C’est … c’est ce qui s’est passé avec Laurence.
- Je comprends que tu te sentes démunie face à ces nouvelles aptitudes,
mais te rends-tu compte de l’importance des messages que tu as la
possibilité de transmettre ? Pour Laurence, par exemple, ce soin a été un
puissant détonateur. Ce n’est pas rien ce genre d’accompagnement !
Je m'immobilise brusquement.
- Arrête Samuel. Je … je ne peux pas entendre ça !
- Pourquoi, Mathilde ? me demande-t-il doucement.
- J’ai l’impression d’être…
Je laisse ma phrase en suspens. Samuel me dévisage quelques instants avant
d’aller déposer son vélo contre un arbre.
- Explique-moi, murmure-t-il en revenant vers moi.
- « Qui suis-je » pour me permettre de poser des mots si précis sur la vie
d’autrui alors que ma vie personnelle s’apparente à un immense gouffre
? Et si ce n’était que mon imagination ou plutôt ma « folie » qui
s’exprimait ? Comment est-ce que je peux être sûre que tout cela est
vrai… ?
- Tu ne peux effectivement « jamais » être sûre de rien. Le doute est une
des difficultés inhérentes à ce genre de disposition. Mais les retours de
tes patients sont là pour apaiser ton mental et t’aider à prendre confiance
en ces aptitudes.
Le corps en tension, je shoote dans un caillou.
- Si tu le dis… !
- Pourquoi est-ce que tu perçois ces capacités comme un problème plutôt
que comme un don ?
- Je n’en sais rien… Tout ce que je sais, c’est que je n’en veux pas de ces
visions.
Devant mon air buté, Samuel rit doucement.
- Et ne pourrais-tu pas « composer » avec ?
- Ma pratique me convient parfaitement telle qu’elle est !
Entêtée, je détourne la tête. Samuel s’approche de moi et me passe une main
sous le menton pour que je le regarde.
- C’est quoi le vrai problème, Mathilde ?
- Je…
- Explique-moi.
- Je n’en peux plus de « composer » avec les caprices de l’existence !
- Comment cela ?
- J’ai l’impression de ne rien décider et de ne rien maîtriser. Je me sens…
je me sens comme un simple jouet entre les mains du destin !
Des larmes coulent le long de mes joues.
- Ces histoires de lecture d’âme, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le
vase… je n’en peux plus d’être ballotée dans tous les sens par
l’existence !
Samuel me prend doucement dans ses bras.
- Mathilde, tu ne peux pas arrêter les vagues, mais tu peux apprendre à les
surfer… !
En entendant la douceur et la confiance qui se dégage de ces mots, mes
dernières résistances lâchent. Je pose ma tête sur son torse et me serre contre
lui.
Une fois de retour chez moi, je constate que la matinée est déjà bien avancée. Il
faudrait que j’apprenne à me méfier de ces footings matinaux mais cette
rencontre avec Samuel a été riche et porteuse. Je ris doucement. Rien de tel
qu’une bonne psychanalyse de bord de Bassin pour bien commencer la
journée.
Avant de filer sous la douche, je prends mon téléphone portable sur la table
basse et le mets à charger. En découvrant les cinq appels en absence de JeanLouis, je réalise que nous sommes mardi, jour de notre traditionnel Skype-thécafé-blabla ! La culpabilité me saute à la gorge… je l’ai complètement oublié!
Même en pleine saison, je décale mes rendez-vous pour pouvoir vivre ces doux
moments de partage avec lui. Je cours à mon bureau, allume mon MacBook et
active rapidement mon compte skype.
- Alors Pâquerette… tu t’es cassé une jambe dans les escaliers ou tu m’as
oublié ? attaque Jean-Louis dès que la connexion est établie.
- Il n’y a pas d’escaliers aux Cabanes, je te rappelle !
- Et tu te permets « en plus » de faire ta maline ?
- Moi aussi, je t’aime, mon Jean-Lou !
Avec un regard tendre, il réplique :
- Juste pour ces quelques mots, je te pardonne de m’avoir fait
poireauter... !
Je lui envoie un baiser de la main.
- Désolée, vraiment ! La connexion est bonne. T’es où ? Dans un port ?
- Non, mais tu plaisantes ? Tu ne vas pas t’en tirer comme ça. Tu
commences par me dire où « tu » étais passée !
- Oui, papa !
- Si j’étais ton père, tu serais mieux dressée!
- Si t’avais des enfants, ils te danseraient sur le ventre !
- C’est pas faux !
On éclate de rire, complices.
- Bon, jeune fille, arrête de tourner autour du pot et dis-moi… Étais-tu par
hasard avec ton « Ami-Ricain » ?
Je ris. Je les aime, ses blagues à deux balles.
- Toi, tu as eu Salomé au téléphone !
- C’est sûr ! J’ai même ameuté tout le Bassin pour tenter de te retrouver.
- Je n’ai donc plus rien à te raconter !
- Soit dit en passant, notre douce Salomé ne savait pas où tu étais ce
matin.
- Tu ne vas pas me lâcher, hein ?
- Non.
- Oui, j’étais avec Samuel… t’es content ?
- Je suis surtout content d’entendre la tendresse que tu as dans la voix
quand tu prononces son nom.
Je prends un air renfrogné.
- Tranquille avec les suppositions hasardeuses !
- Taratata. T’a-t-il au moins déjà serrée dans ses bras ?
Rougissante, je détourne le regard.
- Alors là Pâquerette, « oui »… J’en fais des plans sur la comète !
- … si ça peut occuper tes nuits en mer !
- Il est beau gars ?
- Un peu jeune pour toi.
- C’est bien, comme ça, il est parfait « pour toi » !
- Bon, on passe en revue nos petites affaires où tu préfères continuer à
jacasser ?
- Ok, jeune fille, on passe aux choses sérieuses.
Jean-Louis met ses lunettes et sort un porte-document de la table à carte.
- Alors… côté paiements privés, rien à signaler. J’ai contrôlé la facture que
tu m’as scannée la semaine dernière, c’est tout bon… tu peux l’envoyer
directement chez Gonet, ils vont gérer. Sinon, il reste toujours en
suspens la question des travaux. Il faudrait vraiment que vous vous
occupiez de ça avant le printemps prochain. La cuisine commune est à
refaire, ça c’est sûr… mais pour le reste, c’est à vous de voir si vous
préférez agrandir vos salles de soins et liquider les chambres d’hôtes ou
si…
Je grimace.
- Comme je suis mal à l’aise avec ça, Jean-Louis !
- Arrête Mathilde, on en a discuté des millions de fois.
- Je ne peux quand même pas faire ma star et décider d’agrandir le
cabinet alors que les deux chambres d’hôtes sont les seuls revenus de
cet arrangement… « décadent ».
- Décadent ! répète Jean-Louis en riant. On dirait Mila qui utilise un mot
qu’elle ne comprend pas !
Je lève les yeux au ciel.
- Bref, tu vois ce que je veux dire…
- Mathilde, écoute-moi une bonne fois pour toutes… !
- … pour toute une semaine ?
- … pour toute ta vie, jeune fille ! Je n’ai pas d’enfant et vu mon âge et
mes préférences sexuelles je ne risque pas d’en avoir. Comme tu le sais,
les Lambert, Frank et toi, êtes d’ores et déjà sur mon testament, alors
faites comme chez vous et décidez ensemble des travaux qui sont à
entreprendre !
Émue, je murmure :
- Merci mon Jean-Louis. Je ne sais vraiment pas ce que je serais devenue
sans…
- Stop Pâquerette ! L’existence t’a malmenée mais tu es une battante et tu
mérites amplement ce qu’il t’arrive aujourd’hui !
Les larmes aux yeux, je lève un post-it où il est écrit en gros « I LOVE YOU
JEAN-LOU » ! Il me raconte encore quelques histoires iodées et je lui envoie un
baiser avant de me déconnecter.
Épuisée par toutes ces émotions, j’éteins mon ordinateur et vais me pelotonner
dans mon canapé. Siddharchat me rejoint et se couche avec moi en
ronronnant.
Je sors mon linge de la machine à laver lorsque j’entends les jumeaux arriver
dans l’entrée.
- Salut les amis. Je suis dans la salle de bains !
Théo déboule en trombe.
- Mathilde, tu viens faire un plateau-télé avec nous ?
Mila entre à son tour et avec un regard brillant, elle me dit :
- Y’aura des chips !
Attendrie par ce bel enthousiasme, je m’exclame :
- Génial, j’adore manger des chips devant la télé !
Alors que je m’accroupis pour me mettre à leur hauteur, Théo saute dans mes
bras.
- Alors, tu dis oui ?
- Si on est beaucoup ça fait comme le cinéma, ajoute Mila en venant elle
aussi, se coller à moi.
Conquise par ces deux petits charmeurs, je m’exclame :
- Ok ! À nous le cinéma des Cabanes !
Salomé entre dans la salle de bains.
- T’inquiètes, on ne va pas regarder les Barbapapa !
Je lui souris avant de répliquer d’une toute petite voix :
- Ouf… parce que leurs histoires me font un peu peur !
- Sam nous propose de visionner un documentaire qu’un de ses amis a
produit l’année passée.
- Nous aussi, on pourra voir, dit fièrement Théo.
Salomé passe doucement la main dans les cheveux de son fils.
- Ce film est aussi pour les enfants. D’après ce que j’ai compris, c’est par
une succession d’images et de sons que le réalisateur met en avant la
beauté des liens qui nous relient à la Terre.
- Tout ça m’a l’air très sympathique…
- Papa, il a tout installé dans la « Salle des Arbres », me précise Mila en se
coiffant avec ma brosse à dents.
Alors que j’éclate de rire, Salomé lève les yeux au ciel avant de pousser sa
marmaille vers la porte.
- Je les douche et ensuite on lance le film … ça va pour toi ?
- Parfait !
Alors qu’ils s’éloignent, je sors de la salle de bains en courant.
- Rassure-moi, Salomé, il y aura autre chose que des chips ?
- T’inquiètes ma belle, tu me connais !
- Je savais que je pouvais compter sur toi, Barbamama !
Lorsque je sors de chez moi, je vois Samuel et Benoit qui boivent une bière,
assis sur la terrasse de la Salle des Arts. Après une courte hésitation, je traverse
le jardin et m’avance vers eux. Je n’ai pas recroisé Samuel depuis le moment où
je me suis effondrée dans ses bras, en milieu de matinée.
- Ciao Mathi, me lance Benoît en me voyant.
Samuel se lève pour m’accueillir. Avec son polo rouge de footballeur américain,
il est juste… à tomber ! Il s’avance vers moi et dépose un léger baiser sur ma
tempe.
- Bonsoir Mathilde.
Gênée par l’intimité de ce geste, je me recule vivement.
- Salut Sam…
Il lève un sourcil.
- Tiens, c’est la première fois que tu m’appelles « Sam » !
- Après l’épisode « Bassin » de ce matin, c’est un peu comme si on avait
gardé les vaches ensemble, non ?
Benoît nous regarde tour à tour, avant de nous lancer d’une voix bourrue :
- Non, mais aucun problème et si jamais je vous dérange, vous me le
dites !
Son intervention tombe à point nommé. Je m’extirpe avec plaisir de la Samsphère et m’exclame :
- Viens là, mon Ben d’amour que je te fasse un gros câlin !
Il rit avant de me serrer dans ses bras.
- Mais tu piques ! constatais-je en grimaçant.
- Oui, je sais… Mila et Salomé me l’on aussi fait remarquer. Mais bon,
c’est comme ça, ces poils font partie intégrante de mon look !
Je ricane.
- Ce look « négligé » te va à ravir !
- Ho, la vilaine ! Est-ce que tu veux une bière avant qu’on commence la
projection ?
- Volontiers…
Alors que Benoît part en direction de la cuisine, je fais quelques pas sur la
terrasse. Aucune envie de me retrouver une fois de plus, sous l’emprise
magnétique de ce « Mister Charming ».
- Toi aussi, tu piques, Mathilde !
Je me retourne.
- Pardon ?
- Je les vois tes pics. Ils sont hérissés, là…
- Je…
Alors qu’une sonnerie de téléphone retentit, Sam plonge la main dans la poche
arrière de son short.
- Désolé, je dois prendre cet appel ! murmure-t-il, contrarié.
Il fait quelques pas de côté avant de répondre :
- Hi Sweetheart… no problem, you’re not bothering me… really? … You’re
awesome!
Je l’observe discrètement pendant qu’il téléphone. Il pousse machinalement une
pomme de pin avec son pied. Son ton est doux et sa voix est grave.
- Yes, tomorrow at one pm, that would be perfect… Thanks a lot
Barbara… yeah, have a good evening too!
Mila et Théo arrivent en courant sur la terrasse. Les cheveux encore humides de
la douche, ils sont à croquer avec leurs pyjamas colorés. Benoît les suit avec un
pack de bières. Alors que Sam remet son téléphone dans sa poche, je lui lance,
moqueuse :
- Il est tombé « à pic » cet appel de ton assistante !
Alors que le générique touche à sa fin, Benoît se lève.
- Merci Sam ! Très sympa, ce documentaire.
- C’était un plaisir !
- Bon les « Tom Pouce », c’est l’heure d’aller au lit. Faites une tournée de
bisous et hop au pieu !
Après des embrassades hautes en couleur, Benoît pousse gentiment Mila et
Théo vers la sortie.
- Hop au pieu… hop au pieu ! chante Mila, en sautillant.
- Je veux passer par le passage secret ! s’écrie Théo.
- Ok, passe par la chaufferie et on se rejoint à la salle de bains pour le
brossage des dents.
Alors que Théo se précipite vers la porte de communication, Benoît nous lance :
- Mathilde, Sam, je vous souhaite une belle fin de soirée.
Puis avec un regard tendre en direction de Salomé, il ajoute :
- À tout de suite, ma chérie !
- Votre petite famille est adorable ! murmure Sam, attendri.
Toujours affalée dans les coussins, Salomé lui fait un clin d’oeil.
- Merci ! C’est vrai que je ne saurais pas quoi ajouter à ma vie pour la
rendre plus belle. Et toi, est-ce que tu as des enfants ?
- Méfie-toi, Sam… elle commence comme ça et dans deux minutes, elle
aura réussi à te tirer les vers du nez !
Salomé rit avant de me balancer un coussin sur la tête.
- Je n’ai pas d’enfant, non, lui répond Sam. Je ne suis pas contre, mais la
vie ne m’en a encore pas donné l’occasion !
Connaissant l’insatiable curiosité de Salomé, je change de sujet.
- Merci Sam, j’ai vraiment aimé ce film.
- J’apprécie aussi beaucoup leur travail. Ce jeu entre les plans, la musique
et les différentes atmosphères est bien maîtrisé. Une telle temporisation
au niveau du scénario n’est pas évidente à mettre en place !
Salomé attrape un ou deux coussins et se réinstalle plus confortablement.
- Cette lenteur m’a d’abord surprise mais je ne me suis pas ennuyée… et
les enfants non plus, visiblement. Ils n’ont pas bougé d’une oreille !
Je m’étire doucement.
- J’ai aimé ce regard clair et authentique sur notre humanité, sans pour
autant nous culpabiliser.
Nous restons pensifs quelques instants.
- Je vais vous laisser, j’ai encore du travail ! dit Sam en se levant. Barbara
a réussi à me décrocher un rendez-vous avec Jack Mayfield. Il fait une
tournée de conférence en Europe et il sera demain sur Bordeaux.
Salomé le fixe, les yeux écarquillés.
- Tu vas rencontrer « Le » Jack Mayfield ?
Un sourire sur les lèvres, Sam acquiesce.
- Incroyable… J’adore ses livres ! dit Salomé.
- Oui, cet homme est passionnant. C’est une grande chance de pouvoir le
rencontrer.
Il ramène des coussins dans le coffre en bois près de l’entrée puis revient vers
nous et nous dépose un baiser sur le front.
- Belle nuit, les filles…
- Bonne nuit, Sam !

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