Minéraux et minéralogie en France au XXIème siècle

Transcription

Minéraux et minéralogie en France au XXIème siècle
Minéraux et minéralogie au XXIème siècle en France
Frédéric Delporte
Préambule
Les collections de minéraux ont existé en dehors toute approche scientifique, et
peuvent exister pour elles-mêmes, pour le plaisir qu’elles procurent à constituer ou
contempler. La minéralogie est la science qui étudie les minéraux. Développer une
collection de spécimens ne signifie pas forcément pratiquer la minéralogie.
Un peu d’histoire
Depuis des temps immémoriaux, des collections de minéraux furent constituées par
l’Homme. A la Renaissance, au XVIème siècle, l’important besoin de métaux et
matières premières entraîna la constitution de collections pour servir à
l’enseignement des exploitants miniers. Mais en parallèle, des collections se
constituaient pour le simple plaisir qu’elles procuraient.
Dans la deuxième moitié du XVIIIème, cette dualité perdura : développement de
collections constituées pour elles-mêmes, de collections d’étude, notamment pour les
exploitants miniers, et fait nouveau, de collections pour la recherche scientifique.
A titre d’illustration, la loi des indices rationnels ou des troncatures simples fut définie
par l'
Abbé Haüy en 1774. Par observation du phénomène de clivage de la calcite, il a
déterminé la notion de « molécules intégrantes », c'
est-à-dire les parallélépipèdes
identiques constituant les cristaux, et suite à cela, il a été déduit que chaque face
d'
un cristal peut être repérée dans l'
espace par des nombres entiers.
Au siècle suivant, en 1896, Becquerel découvrit la radioactivité par accident alors
qu'
il faisait des recherches sur la fluorescence des sels d'
uranium au Museum à
Paris. En 1898, la découverte du polonium et du radium par les Curie est faite à partir
de pechblende de Jachymov (Joachimsthal) en Tchéquie.
Les collections d’étude et de recherche sont de moyennes, voire de médiocres
qualités. Par exemple, si la collection Haüy est historiquement forte intéressante, peu
d’objets, eu égard aux critères actuels, peuvent être considérés comme bons, et
donc présentables en exposition.
De la collection
La collection de spécimens minéralogiques, et les collections qui découlent de cette
pratique sont très diverses de par les multiples causes qui ont amené la constitution
de celles-ci.
Les collections pratiquées dans un but ludique, pour le plaisir que leur constitution
procure, seront orientées vers des objets rares, spectaculaires, ou esthétiques.
Suivant l’époque, l’approche de la collection évolue. En ce début de XXIème siècle
par exemple, la rareté stricto sensus n’est pas particulièrement recherchée et les
collections dites systématiques ont pratiquement disparu.
« L’Histoire Naturelle minéralogique » est particulièrement vivante, elle consiste à
réunir un ensemble particulièrement représentatif d’un site, d’un secteur
géographique ou d’une région, ou encore d’une espèce minéralogique donnée. Ce
type de collection se concrétise par la réunion d’objets dit « macro » (taille > à 3 cm
carrés, les « spécimens de cabinet » faisant une à deux « mains »), ou « thumbnail »
(environ 2,5 cm de coté) ou encore « micro » (petits spécimens présentant des
cristaux visibles avec une loupe binoculaire).
Dans les années 1970 est née aux USA la forme actuelle « classique » de la
collection de minéraux. Il est recherché des objets aussi parfaits que possible, avec
de bons volumes, de belles couleurs, et donc une esthétique certaine. Ce type de
collection se compare à la collection d‘œuvres d’art.
La communauté minéralogique
Si dans les années 1970 et 1980 de très nombreuses associations furent crées par
les collecteurs et collectionneurs de minéraux, la crise du tissu associatifs et plus
particulièrement du bénévolat dans les années 1990 et 2000 transforme les
pratiques de la communauté. On estime qu’il existe actuellement 300 à 400
associations et plusieurs fédérations de personnes s’intéressant notamment aux
minéraux.
L’avènement d’Internet a permis des échanges faciles et peu coûteux par courriel ou
messagerie instantanée, et la création de très nombreux sites, blogs et forums.
La communauté est particulièrement dynamique, remarquons par exemple les
50.000 visites mensuelles du portail associatif Géopolis (www.geopolis-fr.com), ou
les 400.000 visites mensuelles de Géoforum (www.geoforum.fr), le forum des
Sciences de la Terre. Citons également le site de l’Association Française de
Microminéralogie (AFM).
Un marché très actif se développe à travers le monde, s’exprimant sous la forme de
ventes de gré à gré ou de bourses aux minéraux. Certaines sont devenues des
carrefours incontournables, telle celle de St Marie-aux-Mines en Alsace (fin juin tous
les ans), qui réunie plus de 25.000 personnes sur quatre jours. De multiples sites de
vente en ligne sont également apparus. Il existe en France un syndicat des
négociants de minéraux depuis quelques années.
L’existence de cette communauté entraîne la publication de nombreux ouvrages, par
exemple, citons Les mines et minéraux des Pyrénées-Orientales et des Corbières
édité par l'
Association Française de Microminéralogie (AFM), Le grand livre des
minéraux d'Alsace de Jean-Luc Hohl, L’Uranium du Morvan et du Forez de PierreChristian Guiollard, La Mine de fluorine de Valzergues d’Etienne Guillou-Gotkovsky,
Les Gisements fluorés de Marsanges-Barlet près Langeac de Christian Vialaron,
Mine, mineurs et minéralogie au Silberthal de l’association minéralogique
"POTASSE", le Guide des minéraux et roches de Haute-Loire rédigé par le CPIE du
Velay, etc.
La communauté bénéficie de deux revues, Le Règne Minéral et Minéraux et
Fossiles, vendues sur abonnement. Ces revues publient également des hors-séries
thématiques.
La collecte
Si elle était pratiquée notamment en groupe à travers des associations dans les
années 1970 et 1980, elle tend à se réaliser actuellement plus sous la forme de
sorties en petit comité d’amis.
Les découvertes sont au rendez-vous, de nombreuses découvertes majeures, voire
exceptionnelles, ont été réalisées ces dernières années en France.
Les lieux où la collecte est possible se raréfient pour de multiples causes :
urbanisation du pays, disparition des exploitations minières, disparition de sites
miniers anciens par « réhabilitation » de l’Etat, disparition des petites carrières au
profit de grosses exploitations, arrivé des néo-ruraux dans les campagnes, acceptant
parfois mal la pratique, de même que certains courants écologistes, etc.
Les musées
A la suite de l’engouement pour la collecte et la collection de minéraux des années
1970 / 1980, de nombreux musées se sont créés. Et notamment quelques musées
privés « régionaux ». Ces musées ont pour vocation de présenter les minéraux d’un
secteur ou d’une région plus ou moins vaste. Citons le musée des minéraux de la
faune et des minéraux de Bourg d’Oisans (Isère), le musée des minéraux de
Chamonix (Haute-Savoie), le musée d’Eymoutiers (Haute-Vienne), le musée de
minéralogie et de pétrographie d'
Ambazac (Haute-Vienne), le musée de la ferme de
l’Orne (Loire Atlantique), ou encore le musée de géologie et de minéralogie d’Oignies
(Nord), etc.
A contrario, les grandes collections publiques périclitent à de rares exceptions près,
voire elles sont abandonnées ou fermées. Si la collection minéralogique de
l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI) vit une dynamique vertueuse, la collection
minéralogique du Museum à Paris est quasi à l’abandon, malgré le remarquable
travail des quelques personnes qui peuvent y intervenir. La collection de l’ancien
musée Guimet à Lyon va être stockée en réserve. De l’ancienne collection visible par
le public, seule une trentaine d’objets serait présentés au musée des Confluences.
De nombreuses institutions publiques se transforment en « trou noir », les objets ne
sont plus visibles par le public, ni même accessibles sur sollicitation, et ce pour de
multiples raisons (lieu de stockage peu accessible, ne pouvant recevoir du public,
absence de personnel pour encadrer les visiteurs, inventaire inexistant, etc).
La minéralogie
Au XVIIIème et XIX ème siècle, la Science avait besoin des « objets ». L’étude des
spécimens minéralogiques dans les collections était source de découvertes et donc
de progrès pour la Science, parfois fort important.
Cependant, au cours du XXème siècle, la Science a eu de moins en moins besoin
des objets et donc des collections, tout au moins de celles qui regroupaient des
objets d’un certain volume et par la même susceptibles d’être montrés au public. La
plupart des espèces minérales existant en cristaux dépassant le millimètre avaient
été découvertes et étudiées, et si une trentaine de nouvelles espèces minérales est
encore découverte chaque année dans le monde, celles-ci si ne sont généralement
pas visibles à l’œil. De plus, de par l’avancement de la chimie, beaucoup d’espèces
sont connues et étudiées en laboratoire avant d’être découvertes dans la Nature,
découverte qui seule permet de créer une espèce minérale.
Certains considèrent la minéralogie comme une science morte.
Des collections de minéraux, pour quoi faire ?
Elles permettent au public de découvrir les productions de la Nature. C’est une
approche naturaliste qui n’a pour vocation que de permettre à ceux qui le souhaitent
de découvrir et connaître un type de production de la Nature pour un site, un secteur
ou région donné.
Les « objets » sont tout simplement intéressants par eux mêmes, « l’Histoire
Naturelle minéralogique » se suffit à elle même et n’a pas besoin de motifs extérieurs
pour exister.
Les collections permettent au public de contempler de beaux objets, qui pour
beaucoup n’ont rien à envier à ceux présentés dans les musées d’art. Tout en
pensant avec Aristote que « le commencement de toutes les sciences, c'
est
l'
étonnement de ce que les choses sont ce qu'
elles sont » (extrait de la
Métaphysique).