L`Année psychologique La simultanéité des actes
Transcription
L`Année psychologique La simultanéité des actes
L’Année psychologique http://www.necplus.eu/APY Additional services for L’Année psychologique: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here La simultanéité des actes psychiques : apports du protocole PRP François Maquestiaux L’Année psychologique / Volume 112 / Issue 04 / October 2012, pp 631 - 662 DOI: 10.4074/S0003503312004058, Published online: 29 October 2012 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0003503312004058 How to cite this article: François Maquestiaux (2012). La simultanéité des actes psychiques : apports du protocole PRP. L’Année psychologique, 112, pp 631-662 doi:10.4074/ S0003503312004058 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/APY, IP address: 78.47.27.170 on 22 Feb 2017 La simultanéité des actes psychiques : apports du protocole PRP François Maquestiaux Université Paris-Sud et MSHE Ledoux RÉSUMÉ En 1887, Frédéric Paulhan a été le premier à poser de manière scientifique la question de la simultanéité de deux pensées. Cette revue critique montre comment, en plus d’un siècle, les recherches sur cette question se sont affinées et comment le protocole de la période réfractaire psychologique (PRP) est devenu un véritable « microscope » permettant de disséquer la nature des mécanismes de l’attention. Cet outil de recherche rigoureux a d’abord permis de découvrir un phénomène psychologique omniprésent et remarquablement robuste – l’effet PRP – imputable à un goulet d’étranglement imposant le traitement sériel de deux pensées. Plus tard, il a conduit à la découverte de conditions dans lesquelles le traitement mental peut être automatisé, permettant la simultanéité de deux pensées. Le protocole PRP a aussi une large portée puisqu’il permet de tester l’automaticité des opérations cognitives dans différents domaines de la psychologie (par ex., émotion, lecture, contrôle moteur, expertise). The simultaneity of mental acts: Contributions from PRP procedure ABSTRACT In 1887, Frédéric Paulhan was the first to scientifically address the question of the simultaneity of two thoughts. This critical review shows how, over more than a century, research on this question has been refined and how the psychological refractory period (PRP) procedure became a genuine “microscope” into the nature of attentional mechanisms. First, this rigorous research tool led to the discovery of an omnipresent and remarkably robust psychological phenomenon – the PRP effect – attributable to a bottleneck imposing the serial processing of two distinct thoughts. Later, it led to the discovery of conditions in which mental processing can be automatized, enabling the simultaneity of two thoughts. The PRP procedure has also a wide reach because it allows to test automaticity of cognitive operations in different domains of psychology (e.g., emotion, reading, motor control, expertise). Correspondance : UFR STAPS, Université Paris-Sud, UR CIAMS, 91405 Orsay Cedex. E-mail : françois. [email protected] L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 632 François Maquestiaux En 1887 est publié dans la Revue scientifique un article du philosophe Frédéric Paulhan intitulé « La simultanéité des actes psychiques ». La contribution majeure de cet article sur la question de la « simultanée réelle des faits de conscience » (p. 684, Paulhan, 1887) – discutée (comme l’indique l’auteur) entre Herbert Spencer, Théodule Ribot et Wilhelm Wundt (pour davantage d’informations sur les pères fondateurs de la psychologie scientifique, voir Nicolas, 2001) – est de l’avoir installée dans le domaine de la psychologie scientifique naissante : « J’ai donc essayé de réaliser en moi la simultanéité des systèmes psychiques en action, et j’ai fait un certain nombre d’expériences – cinquante environ – dont je vais exposer les résultats » (p. 685). Par exemple, Paulhan rapporte avoir « multiplié 45 924 par 835, en récitant des vers de Leconte de Lisle » (Paulhan, 1887, p. 686). Sur la base des résultats de telles expériences introspectives de double tâche, il déduit ceci : « On sera porté à admettre, je crois, que la simultanéité des opérations psychiques est une règle qui n’a peut-être pas d’exceptions ou qui n’en a que de très rares » (p. 689). Si cette conclusion est aujourd’hui contestable, la question soulevée par Paulhan (1887) a eu le mérite de susciter plus d’un siècle de recherche. L’histoire de la psychologie sur l’attention témoigne de nombreux travaux sur la question de la nature des mécanismes cognitifs à l’œuvre dans des situations de double tâche où l’être humain est contraint de penser à plus d’une chose à la fois. L’objectif général de cet article est de faire une synthèse critique de ces recherches. La première partie de notre revue se propose de retracer les progrès méthodologiques marquants, depuis les premières expériences de double tâche de Paulhan (1887) jusqu’aux expériences utilisant le protocole de la période réfractaire psychologique (PRP). La deuxième partie présente le protocole PRP, véritable outil permettant de disséquer la nature des processus mentaux à l’œuvre en situation de double tâche et qui est à l’étude des mécanismes de l’attention ce qu’a été le microscope à l’étude des cellules en biologie. La troisième partie de l’article s’attache à décrire le phénomène psychologique puissant et robuste révélé par les études utilisant le protocole PRP – l’effet PRP (PRP effect) – ainsi qu’à présenter en détail les principaux modèles théoriques proposés pour rendre compte de la limitation centrale – un goulet d’étranglement de l’attention centrale imposant de traiter en série deux pensées distinctes – responsable de l’effet PRP. La quatrième et dernière partie de l’article décrit les rares études PRP qui sont parvenues à observer la simultanéité de deux pensées distinctes grâce à l’automatisation du traitement de l’une de ces pensées. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 633 1. HISTORIQUE DES PROCÉDURES DE DOUBLE TÂCHE Les toutes premières procédures expérimentales de double tâche ont certainement été mises au point par Frédéric Paulhan (1887). Au cours du XXe siècle, l’évolution des procédures de double tâche, dont l’une des plus achevées est le protocole PRP, a accru la fiabilité des mesures et donc la compréhension des processus mentaux sous-jacents. 1.1. Procédure de double tâche et introspection La procédure de double tâche créée par Paulhan (1887) consiste à réaliser deux tâches distinctes, comme écrire un poème tout en récitant un autre poème, dans deux conditions expérimentales : en même temps (condition de double tâche) et séparément (condition de simple tâche). L’analyse des résultats porte essentiellement sur la différence, entre ces deux conditions, du temps nécessaire à l’accomplissement de chaque tâche. Les résultats montrent que la réalisation de chaque tâche prend plus de temps en condition de double tâche qu’en condition de simple tâche. Ils indiquent également que le temps total nécessaire à la réalisation des deux tâches en condition de double tâche est inférieur à la somme des temps nécessaires à la réalisation des deux tâches en condition de simple tâche. Paulhan interprète ce gain de temps comme attestant de la simultanéité des actes psychiques. Paulhan invoque aussi dans son article certaines difficultés méthodologiques : « le retard [observé en condition de double tâche] me paraît en grande partie dû au trouble, aux hésitations1 et aussi à la difficulté d’observer ce qui se passe en moi » (p. 687). Il présente notamment la difficulté à effectuer une analyse introspective des mécanismes mentaux à l’œuvre comme étant un argument supplémentaire en faveur de l’hypothèse des actes psychiques simultanés. Cette conclusion est toutefois discutable en raison de l’absence de contrôle expérimental dont il dispose sur ses propres états mentaux. Les problèmes méthodologiques de l’introspection sont également présents dans des études ultérieures consistant à lire de courtes histoires tout en écrivant des mots sous la dictée (Downey & Anderson, 1915 ; Solomons & Stein, 1896). « hésitations », Frédéric Paulhan fait allusion à sa tendance au bégaiement qui le conduisit à renoncer à une carrière universitaire, comme le mentionne sa petite-fille, Claire Paulhan, en préface à La vie est pleine de choses redoutables, recueil de textes autobiographiques de Jean Paulhan, écrivain, critique et éditeur, fils du philosophe. 1 Peut-être que par L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 634 François Maquestiaux 1.2. Faire deux tâches complexes en même temps La question de la simultanéité des actes psychiques connaît de nouvelles avancées dans le courant des années 1970 grâce à une série d’études expérimentales ayant abandonné l’introspection au profit de données issues de mesures strictement comportementales (par ex., Allport, Antonis, & Reynolds, 1972 ; Shaffer, 1975 ; Spelke, Hirst, & Neisser, 1976). Dans l’une de ces études, Spelke, et al. (1976) ont évalué la capacité de deux étudiants à apprendre à lire des histoires (dont la longueur varie de 700 à 5 000 mots) tout en écrivant des mots dictés par l’expérimentateur (une vingtaine de mots par liste). Les deux étudiants ont participé à 85 sessions expérimentales d’une heure chacune. Le premier résultat est qu’avec la pratique, ils réussissent à faire deux tâches complexes – lire un texte et écrire sous la dictée – aussi rapidement en condition de double tâche qu’en condition de simple tâche. Ce résultat est présenté comme démontrant que, chez des individus devenus experts dans un domaine, la capacité attentionnelle n’est plus un facteur limitant du niveau de performance. Le second résultat est qu’avec la pratique, les participants ont développé la capacité à comprendre le sens des histoires, à découvrir les relations entre les mots dictés et à les catégoriser selon leur signification, aussi efficacement en condition de double tâche qu’en condition de simple tâche. D’après Spelke et al., les deux étudiants sont devenus capables d’extraire simultanément la signification véhiculée par deux sources d’informations distinctes (des mots écrits et des mots lus), fournissant ainsi la preuve d’une division de l’attention. En accord avec un constat de Paulhan (1887) selon lequel l’attention oscillerait entre deux tâches, Spelke et al. (1976) reconnaissent à demi-mot que, même s’ils favorisent une interprétation de leurs résultats en termes de simultanéité des actes psychiques, leur méthodologie et en particulier la nature complexe des deux tâches ne permettent pas de rejeter l’hypothèse selon laquelle les deux étudiants auraient appris à alterner très rapidement l’allocation de l’attention d’une tâche à l’autre (voir aussi Hirst, Spelke, Reaves, Caharack, & Neisser, 1980), rendant indétectable le coût de l’alternance. Dans une étude révélant que des dactylographes experts parviennent à taper un texte et à réciter des comptines en même temps et sans interférence observable, Shaffer (1975) fait écho à l’hypothèse de l’alternance attentionnelle. Pashler (1998) explique en quoi cette hypothèse est compatible avec la capacité des experts à réaliser en même temps et sans interférence deux flux distincts de réponses. Il propose ainsi que si la durée du traitement central d’une tâche est inférieure ou égale à la moitié de la L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 635 durée de l’exécution motrice et si les codes de réponses – préalablement stockés en mémoire à court terme – sont émis au moment opportun, alors deux flux distincts de réponses peuvent être produits en même temps, quand bien même les opérations centrales des deux tâches sont effectuées en alternance. 1.3. La « phase réfractaire » : études de l’animal à l’homme L’histoire de la recherche sur la simultanéité des actes psychiques atteste d’un abandon progressif des procédures complexes de double tâche au profit de procédures grandement simplifiées. L’une de ces procédures est le protocole de la période réfractaire psychologique (PRP), dont on doit la première observation chez l’homme à Charles Witt Telford dans une étude publiée en 1931. L’objectif de cette étude est de découvrir si le phénomène de la phase réfractaire2 , mis en évidence pour la première fois en 1876 par le physiologiste Etienne-Jules Marey chez l’animal3 , existe dans le domaine des réponses volontaires chez l’homme. Pour atteindre son objectif, Telford demande à 29 étudiants en psychologie d’effectuer 100 essais consistant à réaliser deux détections auditives successives (c’est-à-dire réagir à l’apparition d’un son bref en appuyant sur une touche). Il manipule la durée séparant les deux sons au moyen de quatre durées (c’est-à-dire, 500, 1 000, 2 000 et 4 000 ms) choisies aléatoirement d’un essai à l’autre. Il observe que la durée de 500 ms constitue la condition la moins favorable : le temps de réaction (TR) est plus long de 81 ms à l’intervalle de 500 ms comparativement au TR moyen aux trois intervalles les plus longs (335 ms vs 254 ms). D’après Telford, cet allongement du TR valide l’hypothèse de l’existence d’une période de relative inexcitabilité – une phase réfractaire – entre deux réactions successives. L’effet de la période réfractaire observé par Telford (1937) a ensuite été confirmé par Vince (1948) dans des expériences visant à comprendre 2 En physiologie, toute phase d’excitabilité d’un système (obtenue suite à une stimulation) est suivie d’une phase d’inexcitabilité, appelée phase réfractaire (ou période réfractaire). Cette phase réfractaire comprend deux phases d’inexcitabilité : une inexcitabilité absolue suivie d’une inexcitabilité relative. Durant la phase réfractaire absolue, le système est inexcitable, quelle que soit l’intensité du stimulus. Durant la phase réfractaire relative, le système est potentiellement excitable, sous réserve que l’intensité du stimulus soit élevée. 3 Marey (1876) observe que la stimulation artificielle du cœur de la grenouille provoque une excitation de moindre ampleur durant la systole (phase de contraction du cœur) que durant la diastole (phase de dilatation du cœur). Marey appelle « phase réfractaire » cette période de relative inexcitabilité. Broca et Richet (1897) observent également une phase réfractaire chez le chien, d’environ 100 ms, entre deux contractions musculaires successives faisant suite à des stimulations du cortex moteur. L’existence de la phase réfractaire a également été constatée sur des mouvements de type réflexes comme le sursaut (déclenché par un bruit) chez le cochon de Guinée (Dodge & Louttit, 1929) ou la déglutition chez le chat (Zwaardemaker, 1904). L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 636 François Maquestiaux les mécanismes mentaux en jeu dans des tâches continues d’ajustement (par ex., suivre une cible se déplaçant). Spécifiquement, l’objectif de Vince est de déterminer si les ajustements successifs en réaction à des perturbations soudaines sont contrôlés en continu ou, au contraire, de façon intermittente en raison d’une phase réfractaire située entre deux réactions successives. La tâche expérimentale consiste, à chaque fois qu’un stylet s’écarte du tracé produit par un kymographe, à le repositionner sur le tracé au moyen d’une manivelle. Vince a utilisé dix durées possibles entre le premier changement et le second changement : 50, 100, 200, 300, 400, 500, 600, 700, 1 200, et 1 600 ms. À la différence de Telford, les durées les plus courtes, de 50 à 400 ms, correspondent à des situations où le second changement survient pendant la réaction d’ajustement au premier changement. Dans ces conditions, les résultats de Vince indiquent que le TR au second stimulus est plus long de 250 ms en condition de durée courte (50 ms), comparativement à la condition de durée longue (1 600 ms). Ce résultat est en accord avec l’hypothèse de la présence d’une période réfractaire psychologique, c’est-à-dire d’un contrôle intermittent de l’opérateur (voir aussi Craik, 1948 ; Fraisse, 1957 ; pour des études sur les effets de l’expertise en dactylographie et en télégraphie, voir Vince, 1949 ; pour les premières revues sur la question, voir Bertelson, 1966, ou Smith, 1967). Telford (1931) et Vince (1948) ont mis au point des procédures de double tâche dont deux caractéristiques – la réalisation de deux tâches discrètes au cours du même essai, la manipulation de la durée séparant deux stimulus – se retrouvent dans la procédure moderne d’étude des mécanismes de l’attention – le protocole PRP – qui a permis d’isoler un phénomène psychologique omniprésent et robuste appelé l’effet PRP. 2. L’EFFET PRP Nous présenterons d’abord le protocole PRP puis décrirons l’effet PRP et ses principales caractéristiques. 2.1. Le protocole PRP Le protocole PRP est un protocole consistant à faire deux tâches distinctes au cours du même essai. La Figure 1 schématise un tel essai de double tâche. La première caractéristique du protocole PRP est l’emploi de deux L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 637 tâches discrètes de TR. Ces tâches sont élémentaires : chaque tâche nécessite, à l’apparition d’un stimulus S présenté nettement (par ex., un son, une lettre), d’exécuter une réponse motrice discrète R (par ex., dire un monosyllabe, appuyer sur une touche). Pour étudier la question de la simultanéité des actes psychiques, la tâche de TR de choix est appropriée puisqu’elle implique très vraisemblablement la mise en jeu d’une opération mentale centrale (un acte psychique) consistant à décider de ce que l’on doit faire du stimulus (par ex., sélection de la réponse appropriée). Autrement dit, la tâche de TR de choix nécessite le traitement d’un stade central, localisé entre les stades périphériques avec en amont le stade précentral (par ex., identification du stimulus) et en aval le stade postcentral (par ex., la génération de la commande motrice). TR1 Tâche 1 S1 R1 TR2 Tâche 2 SOA S2 R2 Temps Figure 1. Schéma du protocole de la période réfractaire psychologique consistant à effectuer deux tâches de temps de réaction (TR). Chaque tâche appelle, à l’apparition d’un stimulus S, une réponse R. La durée séparant l’apparition des deux stimulus, appelée SOA, est manipulée par l’expérimentateur et varie d’un essai à l’autre. La variable dépendante principale est le TR ; la variable dépendante secondaire est le pourcentage d’erreurs. Figure 1. The psychological refractory period paradigm consists in carrying out two choice reaction time (TR) tasks. Each task calls, once occurs a stimulus S, for a response R. Time duration separating the onsets of the two stimulus, called Stimulus Onset Asynchrony (SOA), is manipulated and varies from one trial to another. The primary dependent variable is TR; the secondary dependent variable is the percentage of errors. La deuxième caractéristique est l’utilisation de deux stimulus qui empruntent des canaux sensoriels différents (par ex., un stimulus sonore et un stimulus visuel) et de deux réponses qui empruntent des canaux de sorties motrices différents (par ex., une réponse vocale et une réponse manuelle). Cette caractéristique permet de réduire les conflits perceptifs et moteurs. Ainsi, le choix de deux tâches empruntant des systèmes L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 638 François Maquestiaux périphériques (d’entrée et de sortie) distincts circonscrit l’interférence au niveau central du traitement de l’information, entre la perception et la programmation de l’acte moteur. Dans ce protocole, le stade central du traitement de l’information de chaque tâche de TR de choix correspond à une forme de pensée (dont le niveau de conscience est vraisemblablement plus élevé comparativement au niveau de conscience des stades périphériques) que l’on peut apparenter à ce que Paulhan (1887) désigne par acte psychique. La troisième caractéristique est la manipulation de la durée séparant l’apparition du premier stimulus de l’apparition du second stimulus, c’est-à-dire la manipulation de l’ampleur de la superposition temporelle entre les deux tâches. Cette durée, appelée intervalle inter-stimulus, est désignée par l’acronyme SOA (stimulus onset asynchrony). Dans les expériences PRP, plusieurs SOA sont utilisés (par ex., 15, 65, 150, 250, 550, et 1 000 ms). Ils varient aléatoirement d’un essai à l’autre au sein du même bloc d’essai. Lorsque le SOA est court (par ex., 15 ms), la superposition temporelle entre les traitements des deux tâches est importante. Lorsque le SOA est plus long (par ex., 1 000 ms), la superposition temporelle entre les traitements des deux tâches est faible, voire inexistante (R1 est émise avant l’apparition de S2). La comparaison des TR mesurés en condition SOA court et en condition SOA long (notamment sur la tâche 2, en raison de la consigne comme expliqué dans le paragraphe suivant) permet de quantifier l’interférence survenant entre les tâches. La quatrième caractéristique concerne la consigne donnée aux participants sur la façon de réaliser un essai de double tâche et qui accentue la priorité donnée au traitement de la première tâche. Par exemple : « Répondez le plus vite et le plus précisément possible aux deux tâches tout en accentuant la vitesse de vos réponses à la tâche 1 » (par ex., Maquestiaux, Lagüe-Beauvais, Ruthruff, Hartley, & Bherer, 2010). L’objectif de cette consigne est de juguler l’interférence sur la tâche 1, rendant ainsi l’interférence exclusivement visible sur la tâche 2. Ce contrôle exercé sur le décours des traitements mentaux facilite l’évaluation des prédictions émanant des modèles testés. 2.2. Définition et caractéristiques de l’effet PRP Les données de centaines d’expérimentations PRP ont montré que le TR à la tâche 2 (TR2) est plus long d’environ 300 ms dans la condition de SOA court comparativement à la condition de SOA long (pour une revue des recherches menées entre 1959 et 1994, voir Pashler, 1994). La Figure 2 est une représentation graphique de l’effet PRP correspondant à L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 639 « l’allongement de TR2 » engendré par « le raccourcissement du SOA ». Il est à noter que le TR à la tâche 1 (TR1) est relativement constant quel que soit le SOA (en raison de la consigne accentuant la vitesse de réponse à la tâche 1). L’effet PRP est un effet omniprésent : il a été observé dans une grande variété d’expérimentations, avec des paires de tâches dont les stimulus nécessitent l’utilisation de différents canaux d’entrées sensorielles (par ex., une image pour la vision, un son pour l’audition, une vibration pour le toucher), dont les réponses nécessitent l’utilisation de différents effecteurs (par ex., appuyer sur une touche, dire un mot, déplacer le regard), et avec différentes combinaisons de stimulus et de réponses pour les tâches utilisées (pour une revue récente sur les combinaisons S-R, voir le chapitre introductif de l’étude d’Hazeltine, Ruthruff, & Remington, 2006). L’effet PRP n’étant donc pas lié à l’utilisation de tel ou tel canal sensoriel, il serait donc bien un phénomène général. TR2 (millisecondes) 800 700 600 500 400 0 200 400 600 800 1000 SOA (millisecondes) Figure 2. L’effet de la période réfractaire psychologique. Le temps de réaction à la tâche 2 (TR2 en anglais) est d’autant plus long que l’intervalle inter-stimulus (SOA) est court. Une réduction de x ms de la durée des SOA les plus courts provoque un allongement de x ms de TR2, résultant en une pente dont le coefficient est d’environ -1. Figure 2. The psychological refractory period effect. Task-2 reaction time (TR2) is much longer for shorter than longer SOAs. A reduction of the shortest SOAs by x ms provokes a lengthening of TR2 by x ms, leading to a slope approaching -1. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 640 François Maquestiaux L’effet PRP est un effet robuste : différentes études ont observé la présence d’un effet PRP persistant chez des individus au terme d’une pratique intensive de laboratoire (répartie sur plusieurs sessions expérimentales) ou chez des individus présentant un niveau d’expertise relativement important sur l’une des tâches expérimentales. Ainsi, Van Selst, Ruthruff, et Johnston (1999) ont observé un effet PRP résiduel d’environ 40 ms au terme d’une pratique intensive représentant plusieurs milliers de répétitions (réparties sur 36 sessions expérimentales) d’une double tâche consistant à répondre vocalement à un stimulus sonore (tâche 1) et à répondre manuellement à un stimulus visuel (tâche 2). Dans une étude sur simulateur de conduite automobile, Levy, Pashler, et Boer (2006) ont observé un effet PRP malgré l’expertise des participants en conduite (permis de conduire obtenus depuis 52,5 mois en moyenne). Dans cette étude, les participants doivent effectuer quasi-simultanément une tâche élémentaire auditive-vocale (tâche 1 : réagir à l’apparition d’un son en disant « un » et à l’apparition de deux sons en disant « deux ») et une tâche de freinage d’urgence (tâche 2 : réagir à l’allumage des feux stop du véhicule situé en avant en appuyant sur la pédale de frein). Les résultats obtenus montrent un allongement de 150 ms du TR de freinage (TR2) dans la condition où le stimulus sonore précède brièvement l’allumage des feux stop (condition SOA court) comparativement à la condition où le stimulus sonore apparaît bien avant l’allumage des feux stop (condition SOA long, la réponse vocale R1 est émise avant l’allumage des feux stop S2). Manifestement, l’effet PRP est un phénomène robuste dans la mesure où il persiste malgré une pratique considérable ou une expérience relativement importante sur l’une des tâches. 3. LES MODÈLES THÉORIQUES DE L’EFFET PRP À ce jour, il existe deux modèles principaux de l’effet PRP : le modèle du goulet d’étranglement central d’origine structurale (Pashler, 1994) et le modèle de contrôle exécutif adaptatif d’origine stratégique (par ex., Meyer & Kieras, 1997b). Ces modèles s’accordent sur la position de la limitation cognitive, située au niveau central du traitement de l’information, mais divergent à propos de sa nature (limitation structurale vs limitation stratégique). L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 641 3.1. Modèle du goulet d’étranglement central 3.1.1. Description du modèle Sur la base des études de la phase réfractaire chez l’homme (Telford, 1931 ; Vince, 1949), Welford (1952) a émis l’hypothèse selon laquelle l’effet PRP a pour origine la présence d’une limitation de l’attention centrale empêchant l’exécution de plus d’une opération centrale de traitement à la fois. Dans la lignée de cette hypothèse, Harold Pashler a proposé un modèle qui décrit de manière précise l’incapacité du système attentionnel à effectuer deux opérations centrales en même temps (Pashler, 1984, 1994 ; Pashler & Johnston, 1989). La Figure 3 illustre ce modèle, connu sous l’appellation de modèle du goulet d’étranglement central (central bottleneck model). Le postulat de ce modèle est que les stades centraux des deux tâches nécessitent l’accès à un mécanisme attentionnel dont la capacité est limitée à la prise en charge d’une seule opération centrale à la fois (canal unique ; single-channel). Un prérequis au modèle est de considérer que les différents événements mentaux situés entre le stimulus et la réponse surviennent en série : le stade précentral A, le stade central B, et le stade postcentral C (s’il est possible de décomposer davantage chacun des trois stades, il n’est pas nécessaire de le faire en vue de présenter le modèle du goulet d’étranglement central). Un présupposé du modèle est que le stade précentral (par ex., identification du stimulus) et le stade postcentral (par ex., exécution de la réponse) de l’une des tâches peuvent être effectués en parallèle de n’importe quel stade de l’autre tâche (seuls les stades centraux ne peuvent se chevaucher). Lorsque le SOA est court, le traitement central de la tâche 1 provoque une mise en attente du traitement central de la tâche 2, résultant en une interruption du traitement de la tâche 2. Ce délai d’attente, imputable à la présence du goulet d’étranglement central, est représenté par la ligne pointillée horizontale dans la Figure 3. Lorsque le SOA est long, le traitement central de la tâche 1 n’a alors aucune influence sur le traitement de la tâche 2 qui se déroule sans interruption : le traitement central de la tâche 1 est complété avant que le traitement central de la tâche 2 ne soit requis. L’équation PRP, qui exprime l’effet PRP en termes de durée des stades de traitement sous-jacents aux tâches 1 et 2 (voir Ruthruff, Johnston, & Van Selst, 2001), est la suivante : Effet PRP = 1A + 1B − 2A − SOAcourt (Equation 1) Étant donné que TR1 = 1A + 1B + 1C, il en résulte que 1A + 1B = TR1 – 1C. En remplaçant 1A + 1B par TR1 – 1C dans l’Équation 1, on obtient l’équation suivante : L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 642 François Maquestiaux Effet PRP = TR1 − 1C − 2A − SOAcourt (Equation 2) Cette dernière équation montre que la durée de TR1 influence la taille de l’effet PRP : plus TR1 sera long, plus l’effet PRP sera élevé. Condition SOA court S1 Tâche 1 R1 1B 1B 1A 1C S2 Tâche 2 R2 1B 2B 2A SOA court 2C Condition SOA long S1 Tâche 1 1A R1 1B 1B 1C S2 Tâche 2 SOA long 2A R2 1B 2B 2C Figure 3. Modèle du goulet d’étranglement central. Chaque tâche est décomposée arbitrairement en trois stades de traitement successifs : un stade précentral A, un stade central B, et un stade postcentral C. Il est fait l’hypothèse que les stades A et C d’une tâche peuvent opérer en parallèle de n’importe quel stade de l’autre tâche. Dans la condition SOA court, le traitement du stade 1B provoque une mise en attente de l’initiation du stade 2B, résultant en une période d’attente appelée le délai du goulet d’étranglement (représentée par la ligne pointillée horizontale). Dans la condition SOA long, le traitement de la tâche 2 se déroule sans discontinuation, en raison de l’absence de superposition temporelle entre les stades 1B et 2B. Figure 3. Central bottleneck model. Each task is divided into three distinct processing stages: the precentral stage A, the central stage B, and the postcentral stage C. The A and B stages of one task are assumed to operate in parallel with all stages of the other task. At short SOAs, the processing of Task-1 central stage postpones the processing of Task-2 central stage, resulting in a waiting period called the bottleneck delay (represented by the horizontal dashed line). At long SOAs, Task-2 processing does not need to be interrupted, due to the absence of temporal overlap in the demand for the Task-1 and Task-2 central stages. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 643 3.1.2. Prédictions Du modèle de Pashler découlent plusieurs prédictions, les plus importantes étant les prédictions du report et d’absorption. D’après la prédiction du report, l’allongement de la durée du stade précentral et/ou du stade central de la tâche 1 (1A et/ou 1B) provoque un report supplémentaire de la mise en place du stade central de la tâche 2 (2B) en condition SOA court, résultant ainsi en un allongement de TR2 en condition SOA court. En revanche, l’allongement de la durée du stade 1A et/ou du stade 1B n’influence pas TR2 en condition SOA long (le stade 1B se termine avant que le stade 2B ne débute). En d’autres termes, toute manipulation expérimentale augmentant la difficulté perceptive et/ou décisionnelle de la tâche 1 provoquera un allongement de TR2 en condition de SOA court mais n’aura pas d’effet sur TR2 en condition de SOA long. Notons également que d’après la prédiction du report, un allongement de x ms de TR1 provoque un allongement de x ms de TR2 en condition SOA court, résultant en un report de 100 % des effets de la difficulté de la tâche 1 sur le traitement de la tâche 2 en condition SOA court. D’après la prédiction d’absorption, l’allongement de la durée du stade précentral de la tâche 2 (2A) sera « absorbé » dans le délai du goulet d’étranglement central (sous réserve que cet allongement soit inférieur à la durée du délai), n’influençant donc pas TR2 en condition SOA court. En revanche, cet allongement produira un allongement de TR2 en condition SOA long. En d’autres termes, l’effet de la manipulation de la difficulté perceptive de la tâche 2 influencera TR2 seulement en condition de SOA long. En complément de ces deux prédictions, l’hypothèse de la nature structurale du goulet d’étranglement central prédit la persistance de la limitation centrale malgré une quantité de pratique considérable en condition de double tâche ou en condition de simple tâche. Par quantité de pratique, nous entendons l’accumulation d’un nombre très important d’essais effectués par des participants, en vue d’automatiser le traitement de la tâche. 3.1.3. Arguments empiriques De nombreuses études ont validé la prédiction du report (Karlin & Kestenbaum, 1968 ; Maquestiaux, Hartley, & Bertsch, 2004 ; Smith, 1969, Van Selst, Ruthruff, & Johnston, 1999) et la prédiction d’absorption (De Jong, 1993 ; Maquestiaux et al., 2004 ; Pashler, 1984 ; Pashler & Johnston, 1989 ; Van Selst et al., 1999). Par exemple, pour tester la prédiction du report, nous (Maquestiaux et al., 2004) avons manipulé la difficulté perceptivo-décisionnelle de la tâche 1 : pour cette tâche auditive-vocale consistant à identifier un son parmi quatre sons possibles (dire « haut » pour les sons de 2 000 et 1 800 Hz, dire « bas » pour les sons de 400 et 200 Hz), le TR est plus long lorsque le stimulus est de hauteur intermédiaire L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 644 François Maquestiaux Stimulus Onset Asynchrony (ms) 1 000 800 900 400 600 700 400 400 600 500 600 200 300 800 0 100 800 1 000 1 000 800 900 1 000 600 700 1 200 400 1 200 500 1 400 200 300 1 400 0 100 TR2 (ms) (1 800 ou 400 Hz) que lorsqu’il est de hauteur extrême (2 000 ou 200 Hz). Pour tester la prédiction d’absorption, nous avons manipulé la difficulté perceptive de la tâche 2 : pour cette tâche visuo-manuelle consistant à identifier un caractère alphanumérique parmi huit caractères possibles (quatre lettres, quatre chiffres), le TR est légèrement plus long quand les caractères sont présentés en gris clair sur fond blanc (condition de contraste faible) que lorsqu’ils sont présentés en noir sur fond blanc (condition de contraste élevé). Conformément à la prédiction du report (voir Figure 4, panel de gauche), nous avons observé que l’augmentation de la difficulté perceptive de la tâche 1 produit un allongement de TR2 en condition de SOA court (taille de l’effet = 148 ms) mais n’a aucun effet sur TR2 en condition de SOA long (taille de l’effet = 8 ms). Conformément à la prédiction d’absorption (voir Figure 4, panel de droite), nous avons observé que l’augmentation de la difficulté perceptive de la tâche 2 n’a pas d’effet significatif sur TR2 en condition de SOA court (taille de l’effet = 14 ms) mais provoque un allongement de TR2 en condition de SOA long (taille de l’effet = 53 ms). Stimulus Onset Asynchrony (ms) Figure 4. Temps de réaction à la tâche 2 visuo-manuelle (Task 2 RT) en fonction du SOA. Le panel de gauche montre l’effet de la difficulté perceptivo-décisionnelle de la tâche 1 (carrés blancs : sons extrêmes faciles ; carrés noirs : sons intermédiaires difficiles) sur le temps de réaction à la tâche 2. Le panel de droite montre l’effet de la difficulté perceptive de la tâche 2 (carrés noirs : contraste élevé ; carrés blancs : contraste faible) sur le temps de réaction à la tâche 2. Adapté de Maquestiaux, Hartley, & Bertsch (2004). Figure 4. Visuo-manual Task-2 reaction times as a function of Task-1—Task-2 stimulus onset asynchrony. Left panel shows the effect of manipulating the duration of Task-1 precentral and/or central stage (filled symbols: easy tone; unfilled symbols: hard tone) on Task-2 reaction times. Right panel shows the effect of manipulating the duration of Task-2 precentral stage (filled symbols: high contrast; unfilled symbols: low contrast) on Task-2 reaction times. Adapted from Maquestiaux, Hartley, & Bertsch (2004). L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 645 Différentes études se sont intéressées aux effets de la pratique sur la performance PRP. Les premières études ont observé une réduction modeste de la taille de l’effet PRP, vraisemblablement en raison de conflits imputables à l’exécution de deux réponses motrices similaires (Bertelson & Tisseyre, 1969 ; Borger, 1963 ; Karlin & Kestenbaum, 1968). En effet, dans ces études, chacune des deux tâches appelle une réponse manuelle. Or, différentes recherches ont suggéré que le contrôle indépendant de deux mains est difficile, voire impossible (De Jong, 1993 ; Keele, 1973 ; Meyer & Kieras, 1997b ; voir aussi Swinnen & Wenderoth, 2004). Par exemple, De Jong propose que l’exécution de deux réponses manuelles crée la mise en place d’un second goulet d’étranglement localisé au niveau de la génération de la réponse (traitement sériel des stades postcentraux 1C et 2C). En revanche, des études plus récentes ont observé des réductions considérables de la taille de l’effet PRP lorsque deux réponses motrices dissimilaires sont exécutées (Ruthruff, Johnston, & Van Selst, 2001, Van Selst, Ruthruff, & Johnston, 1999). Ainsi, dans l’étude de Van Selst et al. (1999) où la tâche 1 nécessite une réponse vocale à un stimulus sonore et la tâche 2 nécessite une réponse manuelle à un stimulus visuel, l’effet PRP, initialement de 353 ms en session 1 (mesuré sur la base de 400 répétitions), descend à 40 ms en session 36 (soit après une accumulation de plus de 14 000 répétitions). En dépit de cette réduction considérable de quasiment 90 % de la taille de l’effet PRP, plusieurs prédictions clés du modèle du goulet d’étranglement central (notamment les prédictions du report et d’absorption) ont été validées au terme de la pratique. Ces résultats suggèrent la présence d’une limitation centrale persistante faisant barrage à la réalisation indépendante de deux tâches hautement pratiquées en condition de double tâche. Une analyse qualitative de la performance des participants indique néanmoins que chez l’un d’entre eux (appelé SW), aucun signe d’interférence en double tâche n’est détectable au terme des 36 sessions d’entraînement (absence d’effet PRP). Comme le soulignent Van Selst et al. (1999), si ce résultat indique que la performance de SW n’est plus contrainte par la présence d’une limitation centrale, il ne permet pas de trancher entre deux hypothèses alternatives : celle du goulet d’étranglement central éliminé et celle du goulet d’étranglement central latent. Selon l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé (voir la Figure 5A), les stades centraux des deux tâches sont effectués en parallèle suite à la pratique. Selon l’hypothèse du goulet d’étranglement central latent (voir la Figure 5B), les stades centraux des deux tâches ne sont jamais requis au même moment, vraisemblablement en raison de la réduction considérable de la durée des stades centraux. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 646 François Maquestiaux B. Goulet d’étranglement central latent A. Goulet d’étranglement central éliminé R1 S1 Tâche 1 1A S2 Tâche 2 R1 S1 Tâche 1 1C 1A S2 R2 2A SOA court 1C R2 2A Tâche 2 2C SOA court 2C C. Goulet d’étranglement central latent au SOA négatif R1 S1 Tâche 1 SOA court 1A 1C S2 Tâche 2 R2 2A 2C Figure 5. Modèles représentant différentes versions du traitement central de deux tâches. (A) Modèle du goulet d’étranglement central éliminé : les stades centraux des deux tâches (les rectangles gris) sont effectués en parallèle. (B) Modèle du goulet d’étranglement central latent : pendant la durée du traitement du stade central de la tâche 1, le stade central de la tâche 2 ne peut être mis en place. Néanmoins, le stade central de la tâche 1 finit avant que le stade central de la tâche 2 ne soit prêt à être mis en place, résultant en une absence de délai du goulet d’étranglement central. (C) La présence du goulet d’étranglement central latent est mise en évidence au moyen de l’utilisation d’un SOA suffisamment négatif. Adapté de Ruthruff, Johnston, Van Selst, Whitsell, et Remington (2003). Figure 5. Different models of the central processing of two tasks. (A) Model with central-bottleneck bypassing: the central stages of two tasks (represented by gray rectangles) operate in parallel. (B) Model with a latent central bottleneck: while Task-1 central stage is processed, Task-2 central stage is postponed. However, Task-1 central stage finishes before Task-2 central stage is ready to be instantiated, resulting in an absence of bottleneck delay. (C) Latent bottleneck revealed by using a sufficiently negative stimulus onset asynchrony (SOA). Adapted from Ruthruff, Johnston, Van Selst, Whitsell, and Remington (2003) Afin de départager ces deux hypothèses (goulet d’étranglement central éliminé vs latent), Ruthruff, Johnston, Van Selst, Whitsell, et Remington (2003) ont mené une série d’expérimentations complémentaires auprès du participant SW. Des résultats préliminaires ont permis de répliquer l’absence d’effet PRP observée dans l’étude de Van Selst et al. (1999) chez L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 647 SW. Par ailleurs, les auteurs ont augmenté la probabilité de superposition temporelle entre les stades centraux des deux tâches, en présentant plus tôt le stimulus S2 (comme montré Figure 5C). Spécifiquement, ils ont modifié les SOA utilisés par Van Selst et al. (-33, 17, 100, 200, 400, et 800 ms) en les raccourcissant (c’est-à-dire, soustraction de la valeur de 183 ms à chacun d’entre eux), résultant en un ensemble de SOA plus courts (certains d’entre eux deviennent même négatifs). Chez SW, cette manipulation expérimentale a provoqué la réapparition d’un effet PRP : TR2 est supérieur de 30 ms au SOA le plus court comparativement au SOA le plus long (pour une illustration, voir la Figure 5C), avec TR1 demeurant constant quel que soit le SOA. Les auteurs ont alors conclu que l’absence d’effet PRP observée chez SW est certainement davantage imputable à l’absence de superposition temporelle entre les stades centraux des deux tâches (c’est-à-dire, le goulet d’étranglement central est latent) qu’à une élimination du goulet d’étranglement central. Ces résultats démontrent que l’absence d’interférence entre deux tâches n’est pas un indicateur nécessairement fiable et suffisant de l’élimination du goulet d’étranglement central. Plus généralement, ces résultats incitent à tester l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central latent (voir aussi Lien, Ruthruff, & Johnston, 2006) avant de conclure sur la nature des traitements centraux sous-tendant la réalisation simultanée de deux tâches. 3.2. Modèle de contrôle exécutif adaptif 3.2.1. Description du modèle Meyer et Kieras (1997a, 1997b, 1999) ont proposé le modèle de contrôle exécutif adaptatif (adaptative executive control models, au pluriel en anglais) selon lequel le goulet d’étranglement central est flexible et reflète la mise en place d’un choix d’ordre stratégique régi par les processus exécutifs. D’après ce modèle présenté Figure 6, la présence de la limitation centrale provient de l’adoption d’une stratégie de prudence (cautious task-coordination strategy) consistant à paramétrer les processus exécutifs de sorte à mettre en attente le stade central de la tâche 2 pendant la durée nécessaire à la complétion du stade central de la tâche 1. Le corollaire de cette proposition est l’adoption d’une stratégie audacieuse (daring task-coordination strategy) consistant à paramétrer les processus exécutifs de façon à autoriser un traitement parallèle des stades centraux. Ce modèle postule en l’existence de plusieurs facteurs contribuant au choix de l’une ou l’autre de ces deux stratégies : les demandes expérimentales (par ex., présentation successive vs. présentation simultanée des deux stimulus), la consigne donnée aux participants (par ex., accentuer la vitesse de réponse à la tâche 1 vs L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 648 François Maquestiaux pondération des vitesses de réponse aux deux tâches), et la quantité de pratique préalablement administrée aux tâches expérimentales (par ex., traitements cognitifs s’effectuant avec des efforts d’attention vs traitements cognitifs automatiques). Task 1 Processes Task 1 Stimulus Executive Processes Start Task 1 Processes Enable Task Processes Task 2 Stimulus Start Task 2 Processes Encode Task 1 Stimulus Sprecify Task 2 Lockout Point Encode Task 2 Stimulus Select Task 1 Response Sprecify Task 1 Unlocking Event Produce Task 1 Movement Wait for Task 1 Completion Select Task 2 Response Produce Task 2 Movement Task 1 Response Unlock Task 2 Task 2 Response Task 2 Processes Figure 6. Modèle de contrôle exécutif adaptatif. Les processus exécutifs (représentés par la séquence centrale) gèrent la coordination du déroulement temporel des processus compris entre le stimulus et la réponse (démarrage, encodage, sélection, production) pour chacune des deux tâches. Les flèches provenant des centres exécutifs spécifient différents événements influençant le déroulement temporel des tâches (blocage, déblocage, attente, reprise du traitement . . .). Par exemple, le choix d’une stratégie audacieuse consiste à autoriser le déroulement en parallèle des stades centraux des deux tâches. Extrait et adapté de Schumacher et al. (1999). Figure 6. Adaptative executive control models. The executive processes coordinate the temporal sequence of the processes comprised between the stimulus onset and the response onset for each of the two tasks. Arrows leading to and from various executive processes specify where a Task-2 lockout point may be set, where a Task-1 unlocking event may occur, where Task-1 processing is deemed to be completed, and where Task-2 processing should be resumed. Extracted and adapted from Schumacher et al. (1999). L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 649 3.2.2. Prédiction La prédiction clé, dérivée du modèle de contrôle exécutif adaptatif (Meyer et Kieras, 1997a, 1997b, 1999), est qu’il est possible d’effectuer simultanément deux tâches distinctes sans interférence observable. D’après Meyer et Kieras (1999), cinq prérequis doivent être respectés pour vérifier cette prédiction : 1. les participants sont encouragés à accorder une priorité comparable aux deux tâches ; 2. les participants doivent exécuter rapidement chaque tâche ; 3. il n’y a aucune contrainte portant sur les relations temporelles ou l’ordre sériel des réponses ; 4. les tâches empruntent des processeurs perceptifs et moteurs distincts ; et 5. les participants reçoivent suffisamment de pratique pour compiler complètement les ensembles de règles de production nécessaires à la réalisation de chaque tâche. 3.2.3. Arguments empiriques Le respect de ces prérequis a effectivement permis d’observer la réalisation simultanée de deux tâches discrètes sans interférence (Hazeltine, Teague, & Ivry, 2002 ; Schumacher et al., 2001 ; pour un résultat opposé, voir Tombu & Jolicoeur, 2004). Ainsi, Schumacher et al. (2001) ont développé une procédure expérimentale utilisant une tâche auditive-vocale consistant à réagir, à l’apparition d’un stimulus sonore, en donnant une réponse vocale (dire « un » au son de 220 Hz, « deux » au son de 880 Hz et dire « trois » au son de 3 520 Hz) et une tâche visuo-manuelle consistant à réagir, en fonction de la zone où un cercle apparaît (à gauche, au centre, ou à droite de l’écran), par une réponse manuelle spatialement compatible. Par rapport à la procédure PRP, cette procédure expérimentale présente les spécificités suivantes : des essais de simple tâche sont intercalés entre les essais de double tâche de façon aléatoire au sein du même bloc d’essais (« égalisant » la nature des états préparatoires entre essais de double tâche et de simple tâche), les stimulus d’essais de double tâche sont systématiquement présentés en même temps (SOA = 0 ms) et la consigne donne une importance équivalente aux deux tâches. Suite à un nombre relativement modeste de sessions d’entraînement (5 sessions représentant un total d’environ 2 000 essais par tâche), les auteurs observent un coût négligeable d’interférence (< 10 ms) sur la tâche auditive-vocale (TR de 456 ms en condition de double tâche et de 447 ms en condition de simple tâche) et une absence de coût sur la tâche visuo-manuelle (TR de 283 ms en condition de double tâche et de 282 ms en condition de tâche simple). D’après Schumacher et al., cette absence d’interférence en double tâche L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 650 François Maquestiaux valide l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central éliminé et constitue une preuve solide en la faveur du modèle de contrôle exécutif adaptatif. Néanmoins, une critique méthodologique émise à l’encontre de l’étude de Schumacher et al. (2001) jette le doute sur l’interprétation proposée en faveur du modèle de contrôle exécutif adaptatif : étant donné que le TR sur chacune des deux tâches est très court (inférieur à 300 ms pour la tâche visuo-manuelle), il est difficile d’écarter l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central latent. En effet, il est plausible qu’avec des tâches effectuées très rapidement, les stades centraux ont une durée brève et ne sont jamais (ou rarement) requis au même moment sur la plupart des essais. Pour tester cette hypothèse, Hazeltine et al. (2002) ont d’abord répliqué (avec succès) les résultats de l’étude de Schumacher et al., puis ils ont mené une série d’expérimentations complémentaires visant soit à augmenter la durée du stade précentral ou central de la tâche visuo-manuelle (utilisation de stimulus visuels difficilement perceptibles ou d’associations incompatibles entre le stimulus et la réponse) soit à augmenter la probabilité de la superposition temporelle entre les stades centraux des deux tâches (introduction de SOA de +/-50 ms, difficilement perceptibles de la part des participants, et visant à modifier l’alignement temporel des stades centraux). Les résultats de ces différentes expérimentations confirment des effets négligeables d’interférence entre les deux tâches, considérés par les auteurs comme difficilement compatibles avec l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central latent. Mais en effectuant une simulation informatique de leurs données, Hazeltine et al. indiquent qu’avec des TR aussi courts sur chacune des deux tâches, il est très difficile, voire impossible, de rejeter avec certitude l’hypothèse du goulet d’étranglement latent. Cette conjecture est confirmée par Anderson, Taatgen, et Byrne (2005), ces derniers étant parvenus à simuler avec succès les résultats de Hazeltine et al. en utilisant un modèle incorporant un goulet d’étranglement central. D’après les modèles cognitifs, une limitation centrale du traitement de l’information, située entre la perception et la commande motrice, est à l’origine de l’effet PRP. Cette limitation semblerait structurale (elle résiste à des milliers d’essais d’entraînement) et fonctionne comme un goulet d’étranglement imposant de traiter en série deux pensées distinctes relativement accessibles à la conscience (la décision de la réponse à donner à un stimulus). Ce goulet d’étranglement de l’attention centrale est incompatible avec l’idée d’une simultanéité possible de deux actes psychiques (Paulhan, 1887). L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 651 4. LA SIMULTANÉITÉ DES PENSÉES GRÂCE À L’AUTOMATISATION DU TRAITEMENT DE L’UNE D’ELLES Quelques recherches récentes sont parvenues à identifier des conditions expérimentales spécifiques favorisant un traitement parallèle des stades centraux de deux tâches distinctes (élimination du goulet d’étranglement). Spécifiquement, la simultanéité de ces deux actes psychiques a été rendue possible grâce à l’automatisation du traitement du stade central de l’une des deux tâches (traitement sans recours à l’attention centrale) via un entraînement intensif de laboratoire. 4.1. L’étude princeps de Ruthruff, Van Selst, Johnston, et Remington (2006) Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) ont obtenu des résultats qui valident l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé et donc l’idée d’une simultanéité possible de deux actes psychiques distincts. La validité de ce résultat est renforcée par son incompatibilité avec l’hypothèse alternative d’un goulet d’étranglement central latent. Dans l’étude de Ruthruff, Van Selst, et al., des participants ont d’abord effectué huit sessions consistant en l’un des trois types d’entraînement suivants : un entraînement sur la tâche 1, un entraînement sur la tâche 2, ou un entraînement sur la double tâche. L’objectif de cette manipulation est de parvenir à automatiser les stades centraux du traitement de l’information, c’est-à-dire à ce que le traitement central d’une pensée soit exécuté sans effort d’attention (traitement automatique). Ensuite, les participants ont effectué quatre sessions test de double tâche. Dans l’expérience 1, la tâche 1 est une tâche auditive-vocale de TR de choix (réagir à l’apparition d’un son en donnant une réponse vocale) et la tâche 2 est une tâche visuo-manuelle de TR de choix (réagir à l’apparition d’un caractère alphanumérique en donnant une réponse manuelle). Les résultats de cette expérience valident l’hypothèse de la présence d’un goulet d’étranglement central (dont la durée diminue au fur et à mesure que la pratique sur la tâche 1 augmente, en accord avec les équations de l’effet PRP ; voir par exemple l’Équation 2) chez l’ensemble des participants. L’expérience 2 est une réplication de l’expérience 1 mais en inversant l’ordre des tâches : la tâche auditive-vocale devient la tâche 2 et la tâche visuo-manuelle devient la tâche 1. Les résultats valident à nouveau l’hypothèse de la présence d’un goulet d’étranglement central chez la majorité des participants (14 participants sur 18), sauf L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 652 François Maquestiaux chez 4 d’entre eux. Chez ces quelques participants, plusieurs indicateurs complémentaires démontrent que les stades centraux des deux tâches sont traités en parallèle, en accord avec l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé (et donc en accord avec l’idée de la simultanéité possible de deux pensées distinctes). Premièrement, ils inversent l’ordre des réponses (émission de R2 suivie de l’émission de R1) au SOA le plus court de façon fréquente (sur 66 % à 98 % des essais de double tâche). Selon le modèle du goulet d’étranglement central, R1 est émis systématiquement avant R2 au SOA le plus court car le stade 1B est effectué avant le stade 2B (voir Figure 3). Néanmoins, un ordre opposé des réponses aux SOA courts (R2 suivie de R1) est possible dans le cas où le goulet d’étranglement central est éliminé (voir Figure 5A), c’est-à-dire quand les stades centraux sont effectués simultanément. Deuxièmement, l’ampleur des effets PRP est « anormalement » modeste chez ces 4 participants (allant de 33 ms à 67 ms) comparativement aux autres participants (allant de 125 ms à 505 ms). La présence d’effets PRP résiduels, malgré l’élimination du goulet d’étranglement central, peut s’expliquer par la confusion survenant entre les codes des deux tâches résidant simultanément en mémoire de travail (voir Hazeltine, Ruthruff, & Remington, 2006 ; Ruthruff, Hazeltine, & Remington, 2006). Troisièmement, l’hypothèse de la prédiction du report – 100 % des effets de la manipulation de la difficulté de la tâche 1 sont reportés sur le traitement de la tâche 2 au SOA le plus court – est invalidée chez ces 4 participants : l’effet de la manipulation du degré de compatibilité entre le stimulus et la réponse de la tâche 1 (62 ms) n’est reporté que de seulement 21 % sur TR2 au SOA le plus court (13 ms). En revanche, cette hypothèse diagnostique d’un goulet d’étranglement est validée chez les 14 autres participants : il y a un report total (107 %) de l’effet de la manipulation de la difficulté de la tâche 1 (102 ms) sur TR2 au SOA le plus court (109 ms). La démonstration de l’élimination du goulet d’étranglement central dans l’expérience 2 de Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) est convaincante car les résultats ne peuvent pas être expliqués en termes d’absence de superposition temporelle entre les stades centraux des deux tâches (invalidation de l’hypothèse du goulet d’étranglement central latent). En effet, étant donné que pour la tâche 1 (non pratiquée durant la phase d’entraînement), TR1 est long chez chacun de ces 4 participants (de 528 ms à 629 ms), il est raisonnable de considérer que la durée du stade central de la tâche 1 (stade 1B) soit longue elle aussi et que par conséquent, les stades 1B et 2B ont été requis au même moment sur au moins l’un voire plusieurs des SOA utilisés (17, 67, 150, 250, 450, et 850 ms). Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) proposent différents facteurs susceptibles d’avoir contribué à l’élimination (inhabituelle) du L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 653 goulet d’étranglement central : la pratique considérable (4 480 essais d’entraînement suivis de 2 240 essais test en double tâche), la minimisation des conflits sensoriels d’entrée (utilisation d’un stimulus sonore et d’un stimulus visuel) et de sortie motrice (utilisation d’une réponse vocale et d’une réponse manuelle) et l’emploi de deux tâches utilisant des associations S-R « favorables », comme réagir à un signal sonore en donnant une réponse vocale (Ruthruff, Hazeltine, & Remington, 2006 ; Stelzel, Schumacher, Schubert, & D’Esposito, 2006). Mais aucun de ces trois facteurs, présents chez l’ensemble des participants des deux expériences, ne permet d’expliquer l’élimination du goulet d’étranglement central. Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) identifient a posteriori l’ordre des tâches expérimentales comme facteur explicatif de l’élimination du goulet d’étranglement central : alors qu’aucun des 18 participants de l’expérience 1 (tâche 1 auditive et tâche 2 visuelle) n’a éliminé le goulet d’étranglement central, 4 des 18 participants de l’expérience 2 (tâche 1 visuelle et tâche 2 auditive) y sont parvenus. Sur la base de ce constat, Ruthruff, Van Selst, et al. proposent l’hypothèse d’un recrutement avide des ressources centrales (the greedy resource recruitment hypothesis). Un premier prérequis à cette hypothèse est que la tâche auditive (tâche de TR à 4 choix) est plus facile à automatiser que la tâche visuelle (tâche de TR à 8 choix). Un second prérequis est qu’une tâche dont le traitement central s’effectue de façon automatique recrutera tout de même les ressources attentionnelles centrales lorsque celles-ci sont disponibles (mode de recrutement avide), c’est-à-dire lorsqu’elles ne sont pas utilisées par une autre tâche. Si un recrutement automatique de l’attention centrale va à l’encontre de l’intuition, un tel mode réflexe de recrutement de l’attention centrale présente l’avantage de soulager le système de traitement de l’information du coût associé à une évaluation systématique des besoins en attention d’une tâche. L’hypothèse d’un recrutement avide de l’attention centrale permet de formuler deux prédictions distinctes sur le mode d’allocation des ressources attentionnelles dans une expérience PRP. La première prédiction est que si la tâche 1 est suffisamment automatisée (si elle est potentiellement réalisable sans effort d’attention), elle recrutera néanmoins l’attention centrale si celle-ci est disponible, provoquant alors une interruption du traitement d’une tâche 2 non automatique (présence d’un délai du goulet d’étranglement central). La seconde prédiction est que si la tâche 1 n’est pas automatisée (si sa réalisation nécessite le recrutement des ressources centrales), le traitement d’une tâche 2 automatisée s’effectuera sans interruption étant donné que, par définition, une tâche automatique peut opérer sans recourir à l’attention centrale. L’hypothèse d’un recrutement avide des ressources attentionnelles centrales, formulée a posteriori par Ruthruff, Van L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 654 François Maquestiaux Selst, et al. (2006), offre une explication parcimonieuse aux effets observés de l’ordre des tâches sur la présence et l’absence du goulet d’étranglement central. 4.2. La simultanéité des actes psychiques est un phénomène véritable mais rare Comme la validation de l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central éliminé repose sur un nombre réduit d’individus (4 participants sur 18), une question demeure en suspens : l’élimination du goulet d’étranglement central reflète-t-elle le recrutement (par chance) de quelques participants exceptionnels ou, au contraire, représente-t-elle un phénomène véritable et général ? Pour répondre à cette question, nous (Maquestiaux, Lagüe-Beauvais, Ruthruff, & Bherer, 2008) avons modifié plusieurs aspects de la procédure utilisée par Ruthruff, Van Selst, et al. (2006, Expérience 2). La première modification a consisté à ne retenir que la condition d’entraînement uniquement sur la tâche 2 auditive-vocale, c’est-à-dire la condition qui permet d’écarter l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central latent. En effet, cette condition, en produisant un TR1 long en condition de double tâche (la tâche 1 est nouvelle pour les participants comparativement à la tâche 2 sur laquelle ils ont été entraînés), est censée engendrer un effet PRP important d’après l’hypothèse de la présence du goulet d’étranglement central (voir l’Équation 2 de l’effet PRP). Une deuxième modification a été d’augmenter les chances d’automatiser la tâche 2 (c’est-à-dire à ce qu’elle opère sans recruter l’attention centrale), d’une part en réduisant le nombre de stimulus (les sons) de 4 à 2 et d’autre part en augmentant le nombre d’essais d’entraînement (5 040 essais au lieu de 4 480). Une troisième modification a consisté à augmenter la taille de l’échantillon de participants s’entraînant exclusivement sur la tâche 2 (20 jeunes adultes au lieu de 6), de façon à établir la prévalence de l’élimination du goulet d’étranglement central. L’analyse des résultats a révélé l’existence de plusieurs indicateurs complémentaires en faveur de l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé chez la majorité des participants (17 sur 20 participants). Chez ces 17 participants, l’effet PRP moyen sur la tâche 2 est de seulement 166 ms en dépit d’un long TR1 moyen de 641 ms (ces participants sont représentés par des symboles noirs, voir la Figure 7), l’inversion de l’ordre des réponses est très fréquent au SOA le plus court (66,1 %) et le report de l’effet de la manipulation du degré de compatibilité entre le stimulus et la réponse de la tâche 1 (173 ms) n’est pas total sur TR2 aux SOA les plus courts (le pourcentage de report est de seulement 34,1 %). En outre, les résultats observés chez ces 17 participants ne sont L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 655 pas conciliables avec l’hypothèse d’une inversion de l’ordre des traitements centraux (le stade 2B est effectué avant le stade 1B) : cette hypothèse, qui prédit l’apparition d’un effet PRP sur la tâche 1 mais pas sur la tâche 2, est invalidée par les données actuelles qui ne montrent aucun effet PRP sur la tâche 1 (- 17 ms). 600 550 Effet PRP (msec) 500 450 400 350 300 250 200 150 100 50 0 -50 200 300 400 500 600 700 800 900 1 000 Temps de réaction à la tâche 1 (msec) Figure 7. Effet de la période réfractaire psychologique (effet PRP) en fonction du temps de réaction à la tâche 1 pour chaque participant de l’Expérience 1. Les symboles blancs représentent les performances des 3 participants chez qui le goulet d’étranglement central est présent ; les symboles noirs représentent les performances des 17 participants chez qui le goulet d’étranglement central est éliminé. Parmi ces derniers, on distingue deux sous-groupes de participants : ceux qui émettent les deux réponses motrices de façon indépendante (carrés noirs) et ceux qui tendent à émettre conjointement les deux réponses (triangles noirs). Adapté de Maquestiaux et al. (2008). Figure 7. Psychological refractory period effect (Effet PRP) as a function of Task-1 reaction time (temps de réaction à la tâche 1) for each participant in Experiment 1. The points representing the 3 participants who have experienced a central bottleneck are represented by unfilled symbols; the points representing the 17 participants who have bypassed the central bottleneck are represented by filled symbols. Among these 17 bypassers, the participants suspected to have emitted both responses independently are represented by filled squares and those suspected to have grouped their responses are represented by filled triangles. Adapted from Maquestiaux et al. (2008). L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 656 François Maquestiaux Comparativement aux nombreuses études attestant de la présence d’une limitation centrale omniprésente et robuste (pour des revues : Pashler, 1994 ; Lien, Ruthruff, & Johnston, 2006), les quelques arguments empiriques validant l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé (Ruthruff, Van Selst, et al., 2006, suivis par Maquestiaux et al., 2008) demeurent anecdotiques. À eux seuls, ces résultats ne valident pas le modèle de contrôle exécutif adaptatif (par ex., Meyer et Kieras, 1997b). La pratique intensive de laboratoire a certainement engendré des modifications qualitatives du traitement central (en le rendant automatique, c’est-à-dire en l’affranchissant du recours à des traitements cognitifs recrutant l’attention centrale), autorisant un traitement parallèle des stades centraux des deux tâches (donc la simultanéité de deux pensées distinctes). Mais le fait que les participants soient parvenus à traiter simultanément les stades centraux ne signifie pas qu’ils étaient en mesure de le faire avant la pratique. Ruthruff, Johnston, et Remington (2009) illustrent ce point par une analogie avec le saut à la perche : « No one would argue that the inability of the average person to pole vault a 10-foot obstacle is a strategic choice, even if they could learn to do so with considerable practice. » [Personne ne va prétendre que l’incapacité de la plupart des gens à franchir la barre des 3 mètres au saut à la perche est un choix stratégique, même s’ils pourraient apprendre à le faire avec un entraînement considérable] (p. 1370). 5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES L’ambition de cet article était de faire une revue critique des recherches menées depuis plus d’un siècle sur la question de la simultanéité des actes psychiques, adressée dès 1887 par le philosophe Frédéric Paulhan. L’examen de la littérature témoigne d’une sophistication considérable des procédures de double tâche qui a conduit à mieux comprendre la nature des mécanismes de l’attention à l’œuvre lorsque l’être humain est contraint de penser à deux choses à la fois. Le développement du protocole PRP, véritable « microscope » servant à disséquer les mécanismes de la pensée, a permis des progrès considérables sur la question de la simultanéité des actes psychiques. Ce protocole a notamment contribué à déceler l’existence d’un phénomène psychologique omniprésent et robuste, appelé effet PRP. L’effet PRP correspond à un allongement important de la réaction à un second stimulus (environ 300 ms) lorsqu’un premier stimulus nécessitant une réponse rapide le précède de peu (par ex., 15 ms), comparativement à la condition où ce premier stimulus intervient plus en amont (par ex., L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 657 1 000 ms). L’allongement observé du TR est, d’après les modèles cognitifs actuels, imputable à la présence d’un goulet d’étranglement de l’attention centrale (central bottleneck) : durant le traitement d’une forme de pensée liée à une première action, le traitement de toute autre forme de pensée liée à une seconde action est mis en attente (le traitement est sériel). De nombreux arguments empiriques semblent favoriser l’hypothèse d’une limitation centrale d’origine structurale inhérente à l’architecture cognitive. D’autres propositions théoriques sont en accord avec la présence d’une limitation centrale mais divergent à propos de la nature des mécanismes responsables de l’effet PRP. Ainsi, en se basant sur les hypothèses que les traitements sous-jacents à la réalisation de deux tâches sont effectués en parallèle et que la capacité de traitement est limitée (Kahneman, 1973 ; McLeod, 1977), Tombu et Jolicoeur (2003) ont proposé que l’effet PRP est dû à une allocation en parallèle de ressources attentionnelles centrales dont la quantité est limitée. Miller, Ulrich, et Rolke (2009) expliquent l’effet PRP en proposant l’hypothèse d’une mise en place sérielle des stades centraux comme étant la résultante d’un mode optimal de traitement de l’information en situation de double tâche (suggérant ainsi que les stades centraux peuvent potentiellement opérer en parallèle). Néanmoins, ces deux propositions théoriques restent en attente d’arguments empiriques. À l’exception de la proposition de Tombu et Jolicoeur, les principales explications théoriques de l’effet PRP suggèrent que Paulhan a conclu un peu trop vite que la simultanéité des actes psychiques est un phénomène général. Quelques études récentes (Ruthruff, Van Selst, et al., 2006 ; puis Maquestiaux et al., 2008) ont démontré que la simultanéité de deux actes psychiques est néanmoins possible grâce à la création de conditions expérimentales très spécifiques – un entraînement intensif de laboratoire consistant en la répétition sur plusieurs milliers d’essais d’une tâche auditive-vocale de temps de réaction – qui ont conduit à l’automatisation du traitement des opérations centrales d’une tâche (exécution du stade central sans recours à l’attention). En effet, la convergence de différents indicateurs comportementaux a permis de mettre en évidence que lorsque le traitement central d’une tâche visuo-manuelle (nouvelle et présentée comme tâche 1) est en cours, le traitement central de la tâche auditive-vocale (hautement pratiquée et présentée en tâche 2) est effectué simultanément. En d’autres termes, alors que le traitement de la première tâche mobilise l’attention centrale, le traitement de la seconde tâche opère sans y recourir (le traitement est automatique). Ces études, en créant les conditions de l’automatisation du traitement de la pensée de la seconde tâche, ont décelé un cas véritable de simultanéité de deux actes psychiques. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 658 François Maquestiaux Le protocole PRP ouvre le champ de la recherche visant à tester l’hypothèse de l’automaticité des opérations cognitives dans d’autres domaines de la psychologie. Ainsi, le protocole PRP a été récemment utilisé pour examiner le coût en attention centrale des opérations mentales sous-tendant la réalisation de tâches relevant des domaines de l’émotion, de la lecture ou encore du contrôle moteur. Les données recueillies montrent que lorsque l’attention centrale est mobilisée par une tâche élémentaire de TR de choix, il y a une mise en attente des opérations mentales nécessaires à la perception de l’émotion véhiculée par un visage (Tomasik, Ruthruff, Allen, & Lien, 2009), à la décision lexicale (Ruthruff, Allen, Lien, & Grabbe, 2008), ou encore au contrôle d’un mouvement balistique de l’avant-bras (Ulrich et al., 2006). Ces résultats suggèrent que les processus mentaux nécessaires à la perception des émotions, à la lecture, ou au contrôle de mouvements balistiques ne sont pas tous nécessairement automatiques. Des recherches futures en psychologie visant à évaluer le concept d’automaticité – envisagé au sens de traitement d’une opération cognitive particulière sans aucun recours à l’attention centrale – pourraient utiliser le protocole PRP comme outil d’investigation privilégié. Si le philosophe Frédéric Paulhan avait disposé du protocole PRP pour évaluer le coût en attention des opérations mentales à l’œuvre lorsqu’il effectuait simultanément deux tâches complexes comme réciter un poème tout en effectuant un calcul complexe, s’il avait eu connaissance de la présence d’un goulet d’étranglement central survenant entre deux tâches discrètes (dire un mot à l’apparition d’un son, appuyer sur un bouton à l’apparition d’un signal visuel) effectuées en même temps, il aurait peut-être conclu un peu moins vite en la faveur de la simultanéité des actes psychiques. Au contraire, il aurait peut-être jugé comme étant prématurée toute tentative de généralisation de tels résultats issus du laboratoire (la difficulté à observer la simultanéité des actes psychiques) à l’ensemble des conduites humaines. En effet, le degré acquis d’expertise sur une tâche dans un cadre expérimental, aussi élevé soit-il (par ex., répétition d’une tâche sur plusieurs milliers d’essais), reste dérisoire comparativement au degré acquis d’expertise dans un domaine (pour une revue de la littérature sur ce qu’est l’expertise, au travers du regard de Sherlock Holmes, héros des romans de Conan Doyle, voir Didierjean & Gobet, 2008 ; pour une revue dans le domaine des échecs, voir Didierjean, Ferrari, & Marmèche, 2004). Un test potentiellement pertinent de la validité de l’hypothèse de l’automaticité des opérations cognitives dans le domaine des conduites humaines pourrait consister à apparier une tâche 1 nouvelle et une tâche 2 de type habileté L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique 659 experte comme percevoir une configuration aux échecs, jouer du piano, tisser, dactylographier, tirer au ball-trap, conduire. . . Reçu le 26 novembre 2010. Révision acceptée le 4 novembre 2011. BIBLIOGRAPHIE Allport, D. A., Antonis, B., & Reynolds, P. (1972). On the division of attention: A disproof of the single channel hypothesis. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 24, 225-235. Anderson, J. R., Taatgen, N. A., & Byrne, M. D. (2005). Learning to achieve perfect timesharing: Architectural implications of Hazeltine, Teague, and Ivry (2002). Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 31, 749-761. Bertelson, P. (1966). Central intermittency twenty years later. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 28, 153-163. Bertelson, P., & Tisseyre, F. (1969). Refractory period of c-reactions. Journal of Experimental Psychology, 79, 122-128. Borger, R. (1963). The refractory period and serial choice reactions. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 15, 1-12. Broca, A., & Richet, C. (1897). Période réfractaire dans les centres nerveux. Comptes Rendus de l’Académie des Sciences, 124, 96-99. Craik, K. S. W. (1948). Theory of the human operator in control systems. II. Man as an element in a control system. British Journal of Psychology, 38, 142-149. De Jong, R. (1993). Multiple bottlenecks in overlapping task performance. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 19, 965-989. Didierjean, A., Ferrari, V., & Marmèche, E. (2004). L’expertise cognitive au jeu d’échecs : Quoi de neuf depuis de Groot (1946) ? L’Année Psychologique, 104, 771793. Didierjean, A., & Gobet, F. (2008). Sherlock Holmes—An expert’s view of expertise. British Journal of Psychology, 99, 109-125. Dodge, R., & Louttit, C. M. (1926). Modification of the pattern of the Guinea Pig’s reflex response to noise. Journal of Comparative Psychology, 6, 267-285. Downey, J. E., & Anderson, J. E. (1915). Automatic writing. American Journal of Psychology, 26, 161-195. Fraisse, P. (1957). La période réfractaire psychologique. L’Année Psychologique, 57, 315-328. Hazeltine, E., Ruthruff, E., & Remington, R. W. (2006). The role of input and output modality pairings in dual-task performance: Evidence for content-dependent central interference. Cognitive Psychology, 52, 291-345. Hazeltine, E., Teague, D., & Ivry, B. (2002). Simultaneous dual-task performance reveals parallel response selection after practice. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 28, 527-545. Hirst, W., Spelke, E. S., Reaves, C. C., Caharack, G., & Neisser, U. (1980). Dividing attention without alternation or automaticity. Journal of Experimental Psychology: General, 109, 98-117. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 660 Kahneman, D. (1973). Attention and effort. Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall. Karlin, L., & Kestenbaum, R. (1968). Effects of number of alternatives on the psychological refractory period. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 20, 167-178. Keele, S. (1973). Attention and human performance. Pacific Palisades, CA: Goodyear. Levy, J., Pashler, H., & Boer, E. (2006). Central interference in driving: Is there any stopping the psychological refractory period? Psychological Science, 17, 228-235. Lien, M.-C., Ruthruff, E., & Johnston, J. C. (2006). Attentional limitations in doing two things at once: The search for exceptions. Current Directions in Psychological Science, 15, 89-93. Maquestiaux, F., Hartley, A. A., & Bertsch, J. (2004). Can practice overcome age-related differences in the psychological refractory period effect? Psychology and Aging, 19, 649-667. Maquestiaux, F., Laguë-Beauvais, M., Ruthruff, E., & Bherer, L. (2008). Bypassing the central bottleneck after single-task practice in the psychological refractory period paradigm: Evidence for task automatization and greedy resource recruitment. Memory and Cognition, 36, 1262-1282. Maquestiaux, F., Laguë-Beauvais, M., Ruthruff, E., Hartley, A. A., & Bherer, L. (2010). Learning to bypass the central bottleneck: Declining automaticity with advancing age. Psychology and Aging, 25, 177-192. Marey, J. E. (1876). Des excitations artificielles du cœur. Travaux du Laboratoire de M. Marey, II, p. 63. McLeod, P. (1977). Parallel processing and the psychological refractory period. Acta Pscyhologica, 41, 381-391. Meyer, D. E., & Kieras, D. E. (1997a). A computational theory of executive cognitive processes and multiple-task performance: Part 1. Basic mechanisms. Psychological Review, 104, 3-65. François Maquestiaux Meyer, D. E., & Kieras, D. E. (1997b). A computational theory of executive cognitive processes and multiple-task performance: Part 2. Accounts of psychological refractory-period phenomena. Psychological Review, 104, 749-791. Meyer, D., & Kieras, D. (1999). Precis to a practical unified theory of cognition and action: Some lessons from EPIC computational models of human multiple-task performance. In D. Gopher & A. Koriat (Eds.), Attention and performance XVII: Cognitive regulation of performance: Interaction of theory and application (pp. 17-88). Cambridge, MA: MIT Press. Miller, J. O., Ulrich, R., & Rolke, B. (2009). On the optimality of serial and parallel processing in the psychological refractory period paradigm: Effects of the distribution of stimulus onset asynchronies. Cognitive Psychology, 58, 273-310. Nicolas, S. (2001). Histoire de la psychologie. Paris : Dunod. Pashler, H. (1984). Processing stages in overlapping tasks: Evidence for a central bottleneck. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 10, 358-377. Pashler, H. (1994). Dual-task interference in simple tasks: Data and theory. Psychological Bulletin, 116, 220-244. Pashler, H. (1998). The psychology of attention. Cambridge, MA: MIT Press. Pashler, H., & Johnston, J. C. (1989). Chronometric evidence for central postponement in temporally overlapping tasks. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 41A, 19-45. Paulhan, J. (1989). La vie est pleine de choses redoutables. Editions Claire, Paulhan. Paulhan, F. (1887). La simultanéité des actes psychiques. Revue Scientifique, 13, 684-689. Ruthruff, E., Allen, P. A., Lien, M. C., & Grabbe, J. (2008). Visual word recognition without central attention: Evidence for greater automaticity with greater reading L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 Attention et protocole de la période réfractaire psychologique ability. Psychonomic Bulletin and Review, 15, 337-343. Ruthruff, E., Hazeltine, E., & Remington, R. W. (2006). What causes residual dual-task interference after practice? Psychological Research, 70, 494-503. Ruthruff, E., Johnston, J. C., & Remington, R. W. (2009). How strategic is the central bottleneck: Can it be overcome by trying harder? Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 35, 1368-1384. Ruthruff, E., Johnston, J. C., & Van Selst, M. (2001). Why practice reduces dual-task interference. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 27, 3-21. Ruthruff, E., Johnston, J. C., Van Selst, M., Whitsell, S., & Remington, R. (2003). Vanishing dual-task interference after practice: Has the bottleneck been eliminated or is it merely latent? Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 29, 280-289. Ruthruff, E., Van Selst, M., Johnston, J. C., & Remington, R. W. (2006). How does practice reduce dual-task interference: Integration, automatization, or just stageshortening? Psychological Research, 70, 125-142. Schumacher, E. H., Lauber, E. J., Glass, J. M., Zurbriggen, E. L., Gmeindl, L., Kieras, D. E., & Meyer, D. E. (1999). Concurrent response-selection processes in dual-task performance: Evidence for adaptative executive control of task-scheduling. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 25, 791-814. Schumacher, E. H., Seymour, T. L., Glass, J. M., Fencsik, D. E., Lauber, E. J., Kieras, D. E., & Meyer, D. E. (2001). Virtually perfect time sharing in dual-task performance: Uncorking the central cognitive bottleneck. Psychological Science, 12, 101-108. Shaffer, L. H. (1975). Multiple attention in continuous verbal tasks. In P. Rabbitt & 661 S. Dornic (Eds.), Attention and Performance V. New York: Academic Press. Smith, M. C. (1967). Theories of the psychological refractory period. Psychological Bulletin, 67, 202-213. Smith, M. C. (1969). The effect of varying information on the psychological refractory period. Acta Psychologica, 30, 220-231. Solomons, L., & Stein, G. (1986). Normal motor automatism. Psychological Review, 3, 492-512. Spelke, E., Hirst, W., & Neisser, U. (1976). Skills of divided attention. Cognition, 4, 215-230. Stelzel, C., Schumacher, E. H., Schubert, E. H., & D’Esposito, M. (2006). The neural effect of stimulus-response modality compatibility on dual-task performance: an fMRI study. Psychological Research, 70, 514-525. Swinnen, P. S., & Wenderoth, N. (2004). Two hands, one brain: cognitive neuroscience of bimanual skill. Trends in Cognitive Sciences, 8, 18-25. Telford, C. W. (1931). The refractory phase of voluntary and associative responses. Journal of Experimental Psychology, 14, 1-36. Tomasik, D., Ruthruff, E., Allen, P. A., & Lien, M. C. (2009). Nonautomatic emotion perception in a dual-task situation. Psychonomic Bulletin and Review, 16, 282-288. Tombu, M., & Jolicoeur, P. (2003). A central capacity sharing model of dual-task performance. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 29, 3-18. Tombu, M., & Jolicoeur, P. (2004). Virtually no evidence for virtually perfect timesharing. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 30, 795-810. Ulrich, R., Fernández, S. R., Jentzsch, I., Rolke, B., Schröter, H., & Leuthold, H. (2006). Motor limitation in dual-task processing under ballistic movement conditions. Psychological Science, 17, 788-793. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662 662 Van Selst, M., Ruthruff, E., & Johnston, J. C. (1999). Can practice eliminate the psychological refractory period effect? Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 25, 1268-1283. Vince, M. A. (1948). The intermittency of control movements and the psychological refractory period. British Journal of Psychology, 38, 149-157. Vince, M. A. (1949). Rapid response sequences and the psychological refractory François Maquestiaux period. British Journal of Psychology, 40, 23-40. Welford, A. T. (1952). The “psychological refractory period” and the timing of high-speed performance: A review and a theory. British Journal of Psychology, 43, 2-19. Zwaardemaker, H. (1904). Sur une phase réfractaire du réflexe de déglutition. Archives Internationales de Physiologie, 1, 1-16. L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662