L`Année psychologique La simultanéité des actes

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La simultanéité des actes psychiques : apports du
protocole PRP
François Maquestiaux
L’Année psychologique / Volume 112 / Issue 04 / October 2012, pp 631 - 662
DOI: 10.4074/S0003503312004058, Published online: 29 October 2012
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François Maquestiaux (2012). La simultanéité des actes psychiques : apports du
protocole PRP. L’Année psychologique, 112, pp 631-662 doi:10.4074/
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La simultanéité des actes psychiques :
apports du protocole PRP
François Maquestiaux
Université Paris-Sud et MSHE Ledoux
RÉSUMÉ
En 1887, Frédéric Paulhan a été le premier à poser de manière scientifique
la question de la simultanéité de deux pensées. Cette revue critique montre
comment, en plus d’un siècle, les recherches sur cette question se sont
affinées et comment le protocole de la période réfractaire psychologique
(PRP) est devenu un véritable « microscope » permettant de disséquer la
nature des mécanismes de l’attention. Cet outil de recherche rigoureux a
d’abord permis de découvrir un phénomène psychologique omniprésent
et remarquablement robuste – l’effet PRP – imputable à un goulet
d’étranglement imposant le traitement sériel de deux pensées. Plus tard,
il a conduit à la découverte de conditions dans lesquelles le traitement
mental peut être automatisé, permettant la simultanéité de deux pensées.
Le protocole PRP a aussi une large portée puisqu’il permet de tester
l’automaticité des opérations cognitives dans différents domaines de la
psychologie (par ex., émotion, lecture, contrôle moteur, expertise).
The simultaneity of mental acts: Contributions from PRP procedure
ABSTRACT
In 1887, Frédéric Paulhan was the first to scientifically address the question of the
simultaneity of two thoughts. This critical review shows how, over more than a
century, research on this question has been refined and how the psychological refractory
period (PRP) procedure became a genuine “microscope” into the nature of attentional
mechanisms. First, this rigorous research tool led to the discovery of an omnipresent
and remarkably robust psychological phenomenon – the PRP effect – attributable to a
bottleneck imposing the serial processing of two distinct thoughts. Later, it led to the
discovery of conditions in which mental processing can be automatized, enabling the
simultaneity of two thoughts. The PRP procedure has also a wide reach because it allows
to test automaticity of cognitive operations in different domains of psychology (e.g.,
emotion, reading, motor control, expertise).
Correspondance : UFR STAPS, Université Paris-Sud, UR CIAMS, 91405 Orsay Cedex. E-mail : françois.
[email protected]
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François Maquestiaux
En 1887 est publié dans la Revue scientifique un article du philosophe
Frédéric Paulhan intitulé « La simultanéité des actes psychiques ». La
contribution majeure de cet article sur la question de la « simultanée
réelle des faits de conscience » (p. 684, Paulhan, 1887) – discutée (comme
l’indique l’auteur) entre Herbert Spencer, Théodule Ribot et Wilhelm
Wundt (pour davantage d’informations sur les pères fondateurs de la
psychologie scientifique, voir Nicolas, 2001) – est de l’avoir installée dans
le domaine de la psychologie scientifique naissante : « J’ai donc essayé
de réaliser en moi la simultanéité des systèmes psychiques en action, et
j’ai fait un certain nombre d’expériences – cinquante environ – dont je
vais exposer les résultats » (p. 685). Par exemple, Paulhan rapporte avoir
« multiplié 45 924 par 835, en récitant des vers de Leconte de Lisle »
(Paulhan, 1887, p. 686). Sur la base des résultats de telles expériences
introspectives de double tâche, il déduit ceci : « On sera porté à admettre,
je crois, que la simultanéité des opérations psychiques est une règle
qui n’a peut-être pas d’exceptions ou qui n’en a que de très rares »
(p. 689).
Si cette conclusion est aujourd’hui contestable, la question soulevée par
Paulhan (1887) a eu le mérite de susciter plus d’un siècle de recherche.
L’histoire de la psychologie sur l’attention témoigne de nombreux travaux
sur la question de la nature des mécanismes cognitifs à l’œuvre dans des
situations de double tâche où l’être humain est contraint de penser à plus
d’une chose à la fois. L’objectif général de cet article est de faire une synthèse
critique de ces recherches. La première partie de notre revue se propose
de retracer les progrès méthodologiques marquants, depuis les premières
expériences de double tâche de Paulhan (1887) jusqu’aux expériences
utilisant le protocole de la période réfractaire psychologique (PRP). La
deuxième partie présente le protocole PRP, véritable outil permettant de
disséquer la nature des processus mentaux à l’œuvre en situation de double
tâche et qui est à l’étude des mécanismes de l’attention ce qu’a été le
microscope à l’étude des cellules en biologie. La troisième partie de l’article
s’attache à décrire le phénomène psychologique puissant et robuste révélé
par les études utilisant le protocole PRP – l’effet PRP (PRP effect) – ainsi
qu’à présenter en détail les principaux modèles théoriques proposés pour
rendre compte de la limitation centrale – un goulet d’étranglement de
l’attention centrale imposant de traiter en série deux pensées distinctes –
responsable de l’effet PRP. La quatrième et dernière partie de l’article décrit
les rares études PRP qui sont parvenues à observer la simultanéité de deux
pensées distinctes grâce à l’automatisation du traitement de l’une de ces
pensées.
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Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
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1. HISTORIQUE DES PROCÉDURES
DE DOUBLE TÂCHE
Les toutes premières procédures expérimentales de double tâche ont
certainement été mises au point par Frédéric Paulhan (1887). Au cours du
XXe siècle, l’évolution des procédures de double tâche, dont l’une des plus
achevées est le protocole PRP, a accru la fiabilité des mesures et donc la
compréhension des processus mentaux sous-jacents.
1.1. Procédure de double tâche et introspection
La procédure de double tâche créée par Paulhan (1887) consiste à réaliser
deux tâches distinctes, comme écrire un poème tout en récitant un autre
poème, dans deux conditions expérimentales : en même temps (condition
de double tâche) et séparément (condition de simple tâche). L’analyse des
résultats porte essentiellement sur la différence, entre ces deux conditions,
du temps nécessaire à l’accomplissement de chaque tâche. Les résultats
montrent que la réalisation de chaque tâche prend plus de temps en
condition de double tâche qu’en condition de simple tâche. Ils indiquent
également que le temps total nécessaire à la réalisation des deux tâches en
condition de double tâche est inférieur à la somme des temps nécessaires
à la réalisation des deux tâches en condition de simple tâche. Paulhan
interprète ce gain de temps comme attestant de la simultanéité des actes
psychiques. Paulhan invoque aussi dans son article certaines difficultés
méthodologiques : « le retard [observé en condition de double tâche] me
paraît en grande partie dû au trouble, aux hésitations1 et aussi à la difficulté
d’observer ce qui se passe en moi » (p. 687). Il présente notamment la
difficulté à effectuer une analyse introspective des mécanismes mentaux à
l’œuvre comme étant un argument supplémentaire en faveur de l’hypothèse
des actes psychiques simultanés. Cette conclusion est toutefois discutable en
raison de l’absence de contrôle expérimental dont il dispose sur ses propres
états mentaux. Les problèmes méthodologiques de l’introspection sont
également présents dans des études ultérieures consistant à lire de courtes
histoires tout en écrivant des mots sous la dictée (Downey & Anderson,
1915 ; Solomons & Stein, 1896).
« hésitations », Frédéric Paulhan fait allusion à sa tendance au bégaiement qui le conduisit à
renoncer à une carrière universitaire, comme le mentionne sa petite-fille, Claire Paulhan, en préface à La vie est
pleine de choses redoutables, recueil de textes autobiographiques de Jean Paulhan, écrivain, critique et éditeur, fils
du philosophe.
1 Peut-être que par
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1.2. Faire deux tâches complexes en même temps
La question de la simultanéité des actes psychiques connaît de nouvelles
avancées dans le courant des années 1970 grâce à une série d’études
expérimentales ayant abandonné l’introspection au profit de données issues
de mesures strictement comportementales (par ex., Allport, Antonis, &
Reynolds, 1972 ; Shaffer, 1975 ; Spelke, Hirst, & Neisser, 1976). Dans
l’une de ces études, Spelke, et al. (1976) ont évalué la capacité de deux
étudiants à apprendre à lire des histoires (dont la longueur varie de 700
à 5 000 mots) tout en écrivant des mots dictés par l’expérimentateur (une
vingtaine de mots par liste). Les deux étudiants ont participé à 85 sessions
expérimentales d’une heure chacune. Le premier résultat est qu’avec la
pratique, ils réussissent à faire deux tâches complexes – lire un texte et
écrire sous la dictée – aussi rapidement en condition de double tâche qu’en
condition de simple tâche. Ce résultat est présenté comme démontrant
que, chez des individus devenus experts dans un domaine, la capacité
attentionnelle n’est plus un facteur limitant du niveau de performance. Le
second résultat est qu’avec la pratique, les participants ont développé la
capacité à comprendre le sens des histoires, à découvrir les relations entre les
mots dictés et à les catégoriser selon leur signification, aussi efficacement en
condition de double tâche qu’en condition de simple tâche. D’après Spelke
et al., les deux étudiants sont devenus capables d’extraire simultanément
la signification véhiculée par deux sources d’informations distinctes (des
mots écrits et des mots lus), fournissant ainsi la preuve d’une division de
l’attention.
En accord avec un constat de Paulhan (1887) selon lequel l’attention
oscillerait entre deux tâches, Spelke et al. (1976) reconnaissent à demi-mot
que, même s’ils favorisent une interprétation de leurs résultats en termes
de simultanéité des actes psychiques, leur méthodologie et en particulier la
nature complexe des deux tâches ne permettent pas de rejeter l’hypothèse
selon laquelle les deux étudiants auraient appris à alterner très rapidement
l’allocation de l’attention d’une tâche à l’autre (voir aussi Hirst, Spelke,
Reaves, Caharack, & Neisser, 1980), rendant indétectable le coût de
l’alternance.
Dans une étude révélant que des dactylographes experts parviennent
à taper un texte et à réciter des comptines en même temps et
sans interférence observable, Shaffer (1975) fait écho à l’hypothèse de
l’alternance attentionnelle. Pashler (1998) explique en quoi cette hypothèse
est compatible avec la capacité des experts à réaliser en même temps et sans
interférence deux flux distincts de réponses. Il propose ainsi que si la durée
du traitement central d’une tâche est inférieure ou égale à la moitié de la
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Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
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durée de l’exécution motrice et si les codes de réponses – préalablement
stockés en mémoire à court terme – sont émis au moment opportun, alors
deux flux distincts de réponses peuvent être produits en même temps,
quand bien même les opérations centrales des deux tâches sont effectuées
en alternance.
1.3. La « phase réfractaire » :
études de l’animal à l’homme
L’histoire de la recherche sur la simultanéité des actes psychiques atteste
d’un abandon progressif des procédures complexes de double tâche au
profit de procédures grandement simplifiées. L’une de ces procédures est
le protocole de la période réfractaire psychologique (PRP), dont on doit
la première observation chez l’homme à Charles Witt Telford dans une
étude publiée en 1931. L’objectif de cette étude est de découvrir si le
phénomène de la phase réfractaire2 , mis en évidence pour la première
fois en 1876 par le physiologiste Etienne-Jules Marey chez l’animal3 , existe
dans le domaine des réponses volontaires chez l’homme. Pour atteindre
son objectif, Telford demande à 29 étudiants en psychologie d’effectuer 100
essais consistant à réaliser deux détections auditives successives (c’est-à-dire
réagir à l’apparition d’un son bref en appuyant sur une touche). Il manipule
la durée séparant les deux sons au moyen de quatre durées (c’est-à-dire,
500, 1 000, 2 000 et 4 000 ms) choisies aléatoirement d’un essai à l’autre. Il
observe que la durée de 500 ms constitue la condition la moins favorable :
le temps de réaction (TR) est plus long de 81 ms à l’intervalle de 500 ms
comparativement au TR moyen aux trois intervalles les plus longs (335 ms
vs 254 ms). D’après Telford, cet allongement du TR valide l’hypothèse de
l’existence d’une période de relative inexcitabilité – une phase réfractaire –
entre deux réactions successives.
L’effet de la période réfractaire observé par Telford (1937) a ensuite
été confirmé par Vince (1948) dans des expériences visant à comprendre
2 En physiologie, toute phase d’excitabilité d’un système (obtenue suite à une stimulation) est suivie d’une phase
d’inexcitabilité, appelée phase réfractaire (ou période réfractaire). Cette phase réfractaire comprend deux phases
d’inexcitabilité : une inexcitabilité absolue suivie d’une inexcitabilité relative. Durant la phase réfractaire absolue,
le système est inexcitable, quelle que soit l’intensité du stimulus. Durant la phase réfractaire relative, le système
est potentiellement excitable, sous réserve que l’intensité du stimulus soit élevée.
3 Marey (1876) observe que la stimulation artificielle du cœur de la grenouille provoque une excitation de moindre
ampleur durant la systole (phase de contraction du cœur) que durant la diastole (phase de dilatation du cœur).
Marey appelle « phase réfractaire » cette période de relative inexcitabilité. Broca et Richet (1897) observent
également une phase réfractaire chez le chien, d’environ 100 ms, entre deux contractions musculaires successives
faisant suite à des stimulations du cortex moteur. L’existence de la phase réfractaire a également été constatée sur
des mouvements de type réflexes comme le sursaut (déclenché par un bruit) chez le cochon de Guinée (Dodge &
Louttit, 1929) ou la déglutition chez le chat (Zwaardemaker, 1904).
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les mécanismes mentaux en jeu dans des tâches continues d’ajustement
(par ex., suivre une cible se déplaçant). Spécifiquement, l’objectif de
Vince est de déterminer si les ajustements successifs en réaction à des
perturbations soudaines sont contrôlés en continu ou, au contraire, de
façon intermittente en raison d’une phase réfractaire située entre deux
réactions successives. La tâche expérimentale consiste, à chaque fois qu’un
stylet s’écarte du tracé produit par un kymographe, à le repositionner sur
le tracé au moyen d’une manivelle. Vince a utilisé dix durées possibles
entre le premier changement et le second changement : 50, 100, 200, 300,
400, 500, 600, 700, 1 200, et 1 600 ms. À la différence de Telford, les
durées les plus courtes, de 50 à 400 ms, correspondent à des situations
où le second changement survient pendant la réaction d’ajustement au
premier changement. Dans ces conditions, les résultats de Vince indiquent
que le TR au second stimulus est plus long de 250 ms en condition de
durée courte (50 ms), comparativement à la condition de durée longue
(1 600 ms). Ce résultat est en accord avec l’hypothèse de la présence d’une
période réfractaire psychologique, c’est-à-dire d’un contrôle intermittent
de l’opérateur (voir aussi Craik, 1948 ; Fraisse, 1957 ; pour des études sur
les effets de l’expertise en dactylographie et en télégraphie, voir Vince, 1949 ;
pour les premières revues sur la question, voir Bertelson, 1966, ou Smith,
1967).
Telford (1931) et Vince (1948) ont mis au point des procédures
de double tâche dont deux caractéristiques – la réalisation de deux
tâches discrètes au cours du même essai, la manipulation de la durée
séparant deux stimulus – se retrouvent dans la procédure moderne
d’étude des mécanismes de l’attention – le protocole PRP – qui a permis
d’isoler un phénomène psychologique omniprésent et robuste appelé
l’effet PRP.
2. L’EFFET PRP
Nous présenterons d’abord le protocole PRP puis décrirons l’effet PRP et
ses principales caractéristiques.
2.1. Le protocole PRP
Le protocole PRP est un protocole consistant à faire deux tâches distinctes
au cours du même essai. La Figure 1 schématise un tel essai de double
tâche. La première caractéristique du protocole PRP est l’emploi de deux
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tâches discrètes de TR. Ces tâches sont élémentaires : chaque tâche
nécessite, à l’apparition d’un stimulus S présenté nettement (par ex., un
son, une lettre), d’exécuter une réponse motrice discrète R (par ex., dire
un monosyllabe, appuyer sur une touche). Pour étudier la question de la
simultanéité des actes psychiques, la tâche de TR de choix est appropriée
puisqu’elle implique très vraisemblablement la mise en jeu d’une opération
mentale centrale (un acte psychique) consistant à décider de ce que l’on doit
faire du stimulus (par ex., sélection de la réponse appropriée). Autrement
dit, la tâche de TR de choix nécessite le traitement d’un stade central,
localisé entre les stades périphériques avec en amont le stade précentral (par
ex., identification du stimulus) et en aval le stade postcentral (par ex., la
génération de la commande motrice).
TR1
Tâche 1
S1
R1
TR2
Tâche 2
SOA
S2
R2
Temps
Figure 1. Schéma du protocole de la période réfractaire psychologique consistant à
effectuer deux tâches de temps de réaction (TR). Chaque tâche appelle, à l’apparition
d’un stimulus S, une réponse R. La durée séparant l’apparition des deux stimulus,
appelée SOA, est manipulée par l’expérimentateur et varie d’un essai à l’autre. La
variable dépendante principale est le TR ; la variable dépendante secondaire est le
pourcentage d’erreurs.
Figure 1. The psychological refractory period paradigm consists in carrying out two
choice reaction time (TR) tasks. Each task calls, once occurs a stimulus S, for a response
R. Time duration separating the onsets of the two stimulus, called Stimulus Onset
Asynchrony (SOA), is manipulated and varies from one trial to another. The primary
dependent variable is TR; the secondary dependent variable is the percentage of errors.
La deuxième caractéristique est l’utilisation de deux stimulus qui
empruntent des canaux sensoriels différents (par ex., un stimulus sonore
et un stimulus visuel) et de deux réponses qui empruntent des canaux
de sorties motrices différents (par ex., une réponse vocale et une réponse
manuelle). Cette caractéristique permet de réduire les conflits perceptifs
et moteurs. Ainsi, le choix de deux tâches empruntant des systèmes
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périphériques (d’entrée et de sortie) distincts circonscrit l’interférence
au niveau central du traitement de l’information, entre la perception
et la programmation de l’acte moteur. Dans ce protocole, le stade
central du traitement de l’information de chaque tâche de TR de choix
correspond à une forme de pensée (dont le niveau de conscience est
vraisemblablement plus élevé comparativement au niveau de conscience
des stades périphériques) que l’on peut apparenter à ce que Paulhan (1887)
désigne par acte psychique.
La troisième caractéristique est la manipulation de la durée séparant
l’apparition du premier stimulus de l’apparition du second stimulus,
c’est-à-dire la manipulation de l’ampleur de la superposition temporelle
entre les deux tâches. Cette durée, appelée intervalle inter-stimulus,
est désignée par l’acronyme SOA (stimulus onset asynchrony). Dans les
expériences PRP, plusieurs SOA sont utilisés (par ex., 15, 65, 150, 250, 550,
et 1 000 ms). Ils varient aléatoirement d’un essai à l’autre au sein du même
bloc d’essai. Lorsque le SOA est court (par ex., 15 ms), la superposition
temporelle entre les traitements des deux tâches est importante. Lorsque le
SOA est plus long (par ex., 1 000 ms), la superposition temporelle entre les
traitements des deux tâches est faible, voire inexistante (R1 est émise avant
l’apparition de S2). La comparaison des TR mesurés en condition SOA
court et en condition SOA long (notamment sur la tâche 2, en raison de la
consigne comme expliqué dans le paragraphe suivant) permet de quantifier
l’interférence survenant entre les tâches.
La quatrième caractéristique concerne la consigne donnée aux
participants sur la façon de réaliser un essai de double tâche et qui
accentue la priorité donnée au traitement de la première tâche. Par
exemple : « Répondez le plus vite et le plus précisément possible aux
deux tâches tout en accentuant la vitesse de vos réponses à la tâche 1 »
(par ex., Maquestiaux, Lagüe-Beauvais, Ruthruff, Hartley, & Bherer, 2010).
L’objectif de cette consigne est de juguler l’interférence sur la tâche 1,
rendant ainsi l’interférence exclusivement visible sur la tâche 2. Ce contrôle
exercé sur le décours des traitements mentaux facilite l’évaluation des
prédictions émanant des modèles testés.
2.2. Définition et caractéristiques de l’effet PRP
Les données de centaines d’expérimentations PRP ont montré que le TR
à la tâche 2 (TR2) est plus long d’environ 300 ms dans la condition
de SOA court comparativement à la condition de SOA long (pour une
revue des recherches menées entre 1959 et 1994, voir Pashler, 1994). La
Figure 2 est une représentation graphique de l’effet PRP correspondant à
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« l’allongement de TR2 » engendré par « le raccourcissement du SOA ».
Il est à noter que le TR à la tâche 1 (TR1) est relativement constant quel
que soit le SOA (en raison de la consigne accentuant la vitesse de réponse
à la tâche 1). L’effet PRP est un effet omniprésent : il a été observé dans
une grande variété d’expérimentations, avec des paires de tâches dont les
stimulus nécessitent l’utilisation de différents canaux d’entrées sensorielles
(par ex., une image pour la vision, un son pour l’audition, une vibration
pour le toucher), dont les réponses nécessitent l’utilisation de différents
effecteurs (par ex., appuyer sur une touche, dire un mot, déplacer le regard),
et avec différentes combinaisons de stimulus et de réponses pour les tâches
utilisées (pour une revue récente sur les combinaisons S-R, voir le chapitre
introductif de l’étude d’Hazeltine, Ruthruff, & Remington, 2006). L’effet
PRP n’étant donc pas lié à l’utilisation de tel ou tel canal sensoriel, il serait
donc bien un phénomène général.
TR2 (millisecondes)
800
700
600
500
400
0
200
400
600
800
1000
SOA (millisecondes)
Figure 2. L’effet de la période réfractaire psychologique. Le temps de réaction à la tâche
2 (TR2 en anglais) est d’autant plus long que l’intervalle inter-stimulus (SOA) est court.
Une réduction de x ms de la durée des SOA les plus courts provoque un allongement de
x ms de TR2, résultant en une pente dont le coefficient est d’environ -1.
Figure 2. The psychological refractory period effect. Task-2 reaction time (TR2) is much
longer for shorter than longer SOAs. A reduction of the shortest SOAs by x ms provokes
a lengthening of TR2 by x ms, leading to a slope approaching -1.
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L’effet PRP est un effet robuste : différentes études ont observé
la présence d’un effet PRP persistant chez des individus au terme
d’une pratique intensive de laboratoire (répartie sur plusieurs sessions
expérimentales) ou chez des individus présentant un niveau d’expertise
relativement important sur l’une des tâches expérimentales. Ainsi, Van
Selst, Ruthruff, et Johnston (1999) ont observé un effet PRP résiduel
d’environ 40 ms au terme d’une pratique intensive représentant plusieurs
milliers de répétitions (réparties sur 36 sessions expérimentales) d’une
double tâche consistant à répondre vocalement à un stimulus sonore
(tâche 1) et à répondre manuellement à un stimulus visuel (tâche 2). Dans
une étude sur simulateur de conduite automobile, Levy, Pashler, et Boer
(2006) ont observé un effet PRP malgré l’expertise des participants en
conduite (permis de conduire obtenus depuis 52,5 mois en moyenne).
Dans cette étude, les participants doivent effectuer quasi-simultanément
une tâche élémentaire auditive-vocale (tâche 1 : réagir à l’apparition d’un
son en disant « un » et à l’apparition de deux sons en disant « deux ») et une
tâche de freinage d’urgence (tâche 2 : réagir à l’allumage des feux stop du
véhicule situé en avant en appuyant sur la pédale de frein). Les résultats
obtenus montrent un allongement de 150 ms du TR de freinage (TR2)
dans la condition où le stimulus sonore précède brièvement l’allumage
des feux stop (condition SOA court) comparativement à la condition où
le stimulus sonore apparaît bien avant l’allumage des feux stop (condition
SOA long, la réponse vocale R1 est émise avant l’allumage des feux stop S2).
Manifestement, l’effet PRP est un phénomène robuste dans la mesure où il
persiste malgré une pratique considérable ou une expérience relativement
importante sur l’une des tâches.
3. LES MODÈLES THÉORIQUES DE L’EFFET PRP
À ce jour, il existe deux modèles principaux de l’effet PRP : le modèle
du goulet d’étranglement central d’origine structurale (Pashler, 1994) et le
modèle de contrôle exécutif adaptatif d’origine stratégique (par ex., Meyer
& Kieras, 1997b). Ces modèles s’accordent sur la position de la limitation
cognitive, située au niveau central du traitement de l’information, mais
divergent à propos de sa nature (limitation structurale vs limitation
stratégique).
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3.1. Modèle du goulet d’étranglement central
3.1.1. Description du modèle
Sur la base des études de la phase réfractaire chez l’homme (Telford,
1931 ; Vince, 1949), Welford (1952) a émis l’hypothèse selon laquelle l’effet
PRP a pour origine la présence d’une limitation de l’attention centrale
empêchant l’exécution de plus d’une opération centrale de traitement à
la fois. Dans la lignée de cette hypothèse, Harold Pashler a proposé un
modèle qui décrit de manière précise l’incapacité du système attentionnel
à effectuer deux opérations centrales en même temps (Pashler, 1984, 1994 ;
Pashler & Johnston, 1989). La Figure 3 illustre ce modèle, connu sous
l’appellation de modèle du goulet d’étranglement central (central bottleneck
model). Le postulat de ce modèle est que les stades centraux des deux
tâches nécessitent l’accès à un mécanisme attentionnel dont la capacité est
limitée à la prise en charge d’une seule opération centrale à la fois (canal
unique ; single-channel). Un prérequis au modèle est de considérer que
les différents événements mentaux situés entre le stimulus et la réponse
surviennent en série : le stade précentral A, le stade central B, et le stade
postcentral C (s’il est possible de décomposer davantage chacun des trois
stades, il n’est pas nécessaire de le faire en vue de présenter le modèle du
goulet d’étranglement central). Un présupposé du modèle est que le stade
précentral (par ex., identification du stimulus) et le stade postcentral (par
ex., exécution de la réponse) de l’une des tâches peuvent être effectués en
parallèle de n’importe quel stade de l’autre tâche (seuls les stades centraux
ne peuvent se chevaucher).
Lorsque le SOA est court, le traitement central de la tâche 1 provoque
une mise en attente du traitement central de la tâche 2, résultant en une
interruption du traitement de la tâche 2. Ce délai d’attente, imputable à
la présence du goulet d’étranglement central, est représenté par la ligne
pointillée horizontale dans la Figure 3. Lorsque le SOA est long, le traitement central de la tâche 1 n’a alors aucune influence sur le traitement de la
tâche 2 qui se déroule sans interruption : le traitement central de la tâche 1
est complété avant que le traitement central de la tâche 2 ne soit requis.
L’équation PRP, qui exprime l’effet PRP en termes de durée des stades
de traitement sous-jacents aux tâches 1 et 2 (voir Ruthruff, Johnston, & Van
Selst, 2001), est la suivante :
Effet PRP = 1A + 1B − 2A − SOAcourt
(Equation 1)
Étant donné que TR1 = 1A + 1B + 1C, il en résulte que 1A + 1B = TR1
– 1C. En remplaçant 1A + 1B par TR1 – 1C dans l’Équation 1, on obtient
l’équation suivante :
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
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François Maquestiaux
Effet PRP = TR1 − 1C − 2A − SOAcourt
(Equation 2)
Cette dernière équation montre que la durée de TR1 influence la taille de
l’effet PRP : plus TR1 sera long, plus l’effet PRP sera élevé.
Condition SOA court
S1
Tâche 1
R1
1B
1B
1A
1C
S2
Tâche 2
R2
1B
2B
2A
SOA court
2C
Condition SOA long
S1
Tâche 1
1A
R1
1B
1B
1C
S2
Tâche 2
SOA long
2A
R2
1B
2B
2C
Figure 3. Modèle du goulet d’étranglement central. Chaque tâche est décomposée
arbitrairement en trois stades de traitement successifs : un stade précentral A, un stade
central B, et un stade postcentral C. Il est fait l’hypothèse que les stades A et C d’une
tâche peuvent opérer en parallèle de n’importe quel stade de l’autre tâche. Dans la
condition SOA court, le traitement du stade 1B provoque une mise en attente de
l’initiation du stade 2B, résultant en une période d’attente appelée le délai du goulet
d’étranglement (représentée par la ligne pointillée horizontale). Dans la condition SOA
long, le traitement de la tâche 2 se déroule sans discontinuation, en raison de l’absence
de superposition temporelle entre les stades 1B et 2B.
Figure 3. Central bottleneck model. Each task is divided into three distinct processing
stages: the precentral stage A, the central stage B, and the postcentral stage C. The A and
B stages of one task are assumed to operate in parallel with all stages of the other task. At
short SOAs, the processing of Task-1 central stage postpones the processing of Task-2
central stage, resulting in a waiting period called the bottleneck delay (represented
by the horizontal dashed line). At long SOAs, Task-2 processing does not need to be
interrupted, due to the absence of temporal overlap in the demand for the Task-1 and
Task-2 central stages.
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
643
3.1.2. Prédictions
Du modèle de Pashler découlent plusieurs prédictions, les plus importantes
étant les prédictions du report et d’absorption. D’après la prédiction
du report, l’allongement de la durée du stade précentral et/ou du stade
central de la tâche 1 (1A et/ou 1B) provoque un report supplémentaire
de la mise en place du stade central de la tâche 2 (2B) en condition
SOA court, résultant ainsi en un allongement de TR2 en condition SOA
court. En revanche, l’allongement de la durée du stade 1A et/ou du stade
1B n’influence pas TR2 en condition SOA long (le stade 1B se termine
avant que le stade 2B ne débute). En d’autres termes, toute manipulation
expérimentale augmentant la difficulté perceptive et/ou décisionnelle de la
tâche 1 provoquera un allongement de TR2 en condition de SOA court mais
n’aura pas d’effet sur TR2 en condition de SOA long. Notons également que
d’après la prédiction du report, un allongement de x ms de TR1 provoque
un allongement de x ms de TR2 en condition SOA court, résultant en un
report de 100 % des effets de la difficulté de la tâche 1 sur le traitement de
la tâche 2 en condition SOA court.
D’après la prédiction d’absorption, l’allongement de la durée du stade
précentral de la tâche 2 (2A) sera « absorbé » dans le délai du goulet
d’étranglement central (sous réserve que cet allongement soit inférieur à
la durée du délai), n’influençant donc pas TR2 en condition SOA court. En
revanche, cet allongement produira un allongement de TR2 en condition
SOA long. En d’autres termes, l’effet de la manipulation de la difficulté perceptive de la tâche 2 influencera TR2 seulement en condition de SOA long.
En complément de ces deux prédictions, l’hypothèse de la nature
structurale du goulet d’étranglement central prédit la persistance de la limitation centrale malgré une quantité de pratique considérable en condition
de double tâche ou en condition de simple tâche. Par quantité de pratique,
nous entendons l’accumulation d’un nombre très important d’essais effectués par des participants, en vue d’automatiser le traitement de la tâche.
3.1.3. Arguments empiriques
De nombreuses études ont validé la prédiction du report (Karlin &
Kestenbaum, 1968 ; Maquestiaux, Hartley, & Bertsch, 2004 ; Smith, 1969,
Van Selst, Ruthruff, & Johnston, 1999) et la prédiction d’absorption (De
Jong, 1993 ; Maquestiaux et al., 2004 ; Pashler, 1984 ; Pashler & Johnston,
1989 ; Van Selst et al., 1999). Par exemple, pour tester la prédiction
du report, nous (Maquestiaux et al., 2004) avons manipulé la difficulté
perceptivo-décisionnelle de la tâche 1 : pour cette tâche auditive-vocale
consistant à identifier un son parmi quatre sons possibles (dire « haut »
pour les sons de 2 000 et 1 800 Hz, dire « bas » pour les sons de 400 et
200 Hz), le TR est plus long lorsque le stimulus est de hauteur intermédiaire
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
644
François Maquestiaux
Stimulus Onset Asynchrony (ms)
1 000
800
900
400
600
700
400
400
600
500
600
200
300
800
0
100
800
1 000
1 000
800
900
1 000
600
700
1 200
400
1 200
500
1 400
200
300
1 400
0
100
TR2 (ms)
(1 800 ou 400 Hz) que lorsqu’il est de hauteur extrême (2 000 ou 200 Hz).
Pour tester la prédiction d’absorption, nous avons manipulé la difficulté
perceptive de la tâche 2 : pour cette tâche visuo-manuelle consistant à identifier un caractère alphanumérique parmi huit caractères possibles (quatre
lettres, quatre chiffres), le TR est légèrement plus long quand les caractères
sont présentés en gris clair sur fond blanc (condition de contraste faible)
que lorsqu’ils sont présentés en noir sur fond blanc (condition de contraste
élevé). Conformément à la prédiction du report (voir Figure 4, panel de
gauche), nous avons observé que l’augmentation de la difficulté perceptive
de la tâche 1 produit un allongement de TR2 en condition de SOA court
(taille de l’effet = 148 ms) mais n’a aucun effet sur TR2 en condition de SOA
long (taille de l’effet = 8 ms). Conformément à la prédiction d’absorption
(voir Figure 4, panel de droite), nous avons observé que l’augmentation
de la difficulté perceptive de la tâche 2 n’a pas d’effet significatif sur TR2
en condition de SOA court (taille de l’effet = 14 ms) mais provoque un
allongement de TR2 en condition de SOA long (taille de l’effet = 53 ms).
Stimulus Onset Asynchrony (ms)
Figure 4. Temps de réaction à la tâche 2 visuo-manuelle (Task 2 RT) en fonction du
SOA. Le panel de gauche montre l’effet de la difficulté perceptivo-décisionnelle de la
tâche 1 (carrés blancs : sons extrêmes faciles ; carrés noirs : sons intermédiaires difficiles)
sur le temps de réaction à la tâche 2. Le panel de droite montre l’effet de la difficulté
perceptive de la tâche 2 (carrés noirs : contraste élevé ; carrés blancs : contraste faible)
sur le temps de réaction à la tâche 2. Adapté de Maquestiaux, Hartley, & Bertsch (2004).
Figure 4. Visuo-manual Task-2 reaction times as a function of Task-1—Task-2 stimulus
onset asynchrony. Left panel shows the effect of manipulating the duration of Task-1
precentral and/or central stage (filled symbols: easy tone; unfilled symbols: hard tone)
on Task-2 reaction times. Right panel shows the effect of manipulating the duration of
Task-2 precentral stage (filled symbols: high contrast; unfilled symbols: low contrast) on
Task-2 reaction times. Adapted from Maquestiaux, Hartley, & Bertsch (2004).
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
645
Différentes études se sont intéressées aux effets de la pratique sur
la performance PRP. Les premières études ont observé une réduction
modeste de la taille de l’effet PRP, vraisemblablement en raison de conflits
imputables à l’exécution de deux réponses motrices similaires (Bertelson
& Tisseyre, 1969 ; Borger, 1963 ; Karlin & Kestenbaum, 1968). En effet,
dans ces études, chacune des deux tâches appelle une réponse manuelle.
Or, différentes recherches ont suggéré que le contrôle indépendant de deux
mains est difficile, voire impossible (De Jong, 1993 ; Keele, 1973 ; Meyer &
Kieras, 1997b ; voir aussi Swinnen & Wenderoth, 2004). Par exemple, De
Jong propose que l’exécution de deux réponses manuelles crée la mise en
place d’un second goulet d’étranglement localisé au niveau de la génération
de la réponse (traitement sériel des stades postcentraux 1C et 2C).
En revanche, des études plus récentes ont observé des réductions
considérables de la taille de l’effet PRP lorsque deux réponses motrices
dissimilaires sont exécutées (Ruthruff, Johnston, & Van Selst, 2001, Van
Selst, Ruthruff, & Johnston, 1999). Ainsi, dans l’étude de Van Selst et al.
(1999) où la tâche 1 nécessite une réponse vocale à un stimulus sonore
et la tâche 2 nécessite une réponse manuelle à un stimulus visuel, l’effet
PRP, initialement de 353 ms en session 1 (mesuré sur la base de 400
répétitions), descend à 40 ms en session 36 (soit après une accumulation
de plus de 14 000 répétitions). En dépit de cette réduction considérable
de quasiment 90 % de la taille de l’effet PRP, plusieurs prédictions clés
du modèle du goulet d’étranglement central (notamment les prédictions
du report et d’absorption) ont été validées au terme de la pratique. Ces
résultats suggèrent la présence d’une limitation centrale persistante faisant
barrage à la réalisation indépendante de deux tâches hautement pratiquées
en condition de double tâche.
Une analyse qualitative de la performance des participants indique
néanmoins que chez l’un d’entre eux (appelé SW), aucun signe
d’interférence en double tâche n’est détectable au terme des 36 sessions
d’entraînement (absence d’effet PRP). Comme le soulignent Van Selst et
al. (1999), si ce résultat indique que la performance de SW n’est plus
contrainte par la présence d’une limitation centrale, il ne permet pas de
trancher entre deux hypothèses alternatives : celle du goulet d’étranglement
central éliminé et celle du goulet d’étranglement central latent. Selon
l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé (voir la Figure 5A),
les stades centraux des deux tâches sont effectués en parallèle suite à la
pratique. Selon l’hypothèse du goulet d’étranglement central latent (voir
la Figure 5B), les stades centraux des deux tâches ne sont jamais requis au
même moment, vraisemblablement en raison de la réduction considérable
de la durée des stades centraux.
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646
François Maquestiaux
B. Goulet d’étranglement
central latent
A. Goulet d’étranglement
central éliminé
R1
S1
Tâche 1
1A
S2
Tâche 2
R1
S1
Tâche 1
1C
1A
S2
R2
2A
SOA court
1C
R2
2A
Tâche 2
2C
SOA court
2C
C. Goulet d’étranglement
central latent au SOA négatif
R1
S1
Tâche 1
SOA court
1A
1C
S2
Tâche 2
R2
2A
2C
Figure 5. Modèles représentant différentes versions du traitement central de deux
tâches. (A) Modèle du goulet d’étranglement central éliminé : les stades centraux des
deux tâches (les rectangles gris) sont effectués en parallèle. (B) Modèle du goulet
d’étranglement central latent : pendant la durée du traitement du stade central de la
tâche 1, le stade central de la tâche 2 ne peut être mis en place. Néanmoins, le stade
central de la tâche 1 finit avant que le stade central de la tâche 2 ne soit prêt à être
mis en place, résultant en une absence de délai du goulet d’étranglement central. (C)
La présence du goulet d’étranglement central latent est mise en évidence au moyen de
l’utilisation d’un SOA suffisamment négatif. Adapté de Ruthruff, Johnston, Van Selst,
Whitsell, et Remington (2003).
Figure 5. Different models of the central processing of two tasks. (A) Model with
central-bottleneck bypassing: the central stages of two tasks (represented by gray
rectangles) operate in parallel. (B) Model with a latent central bottleneck: while Task-1
central stage is processed, Task-2 central stage is postponed. However, Task-1 central
stage finishes before Task-2 central stage is ready to be instantiated, resulting in an
absence of bottleneck delay. (C) Latent bottleneck revealed by using a sufficiently
negative stimulus onset asynchrony (SOA). Adapted from Ruthruff, Johnston, Van Selst,
Whitsell, and Remington (2003)
Afin de départager ces deux hypothèses (goulet d’étranglement central
éliminé vs latent), Ruthruff, Johnston, Van Selst, Whitsell, et Remington
(2003) ont mené une série d’expérimentations complémentaires auprès
du participant SW. Des résultats préliminaires ont permis de répliquer
l’absence d’effet PRP observée dans l’étude de Van Selst et al. (1999) chez
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Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
647
SW. Par ailleurs, les auteurs ont augmenté la probabilité de superposition
temporelle entre les stades centraux des deux tâches, en présentant plus
tôt le stimulus S2 (comme montré Figure 5C). Spécifiquement, ils ont
modifié les SOA utilisés par Van Selst et al. (-33, 17, 100, 200, 400, et
800 ms) en les raccourcissant (c’est-à-dire, soustraction de la valeur de
183 ms à chacun d’entre eux), résultant en un ensemble de SOA plus
courts (certains d’entre eux deviennent même négatifs). Chez SW, cette
manipulation expérimentale a provoqué la réapparition d’un effet PRP :
TR2 est supérieur de 30 ms au SOA le plus court comparativement au SOA
le plus long (pour une illustration, voir la Figure 5C), avec TR1 demeurant
constant quel que soit le SOA. Les auteurs ont alors conclu que l’absence
d’effet PRP observée chez SW est certainement davantage imputable à
l’absence de superposition temporelle entre les stades centraux des deux
tâches (c’est-à-dire, le goulet d’étranglement central est latent) qu’à une
élimination du goulet d’étranglement central. Ces résultats démontrent
que l’absence d’interférence entre deux tâches n’est pas un indicateur
nécessairement fiable et suffisant de l’élimination du goulet d’étranglement
central. Plus généralement, ces résultats incitent à tester l’hypothèse d’un
goulet d’étranglement central latent (voir aussi Lien, Ruthruff, & Johnston,
2006) avant de conclure sur la nature des traitements centraux sous-tendant
la réalisation simultanée de deux tâches.
3.2. Modèle de contrôle exécutif adaptif
3.2.1. Description du modèle
Meyer et Kieras (1997a, 1997b, 1999) ont proposé le modèle de contrôle
exécutif adaptatif (adaptative executive control models, au pluriel en anglais)
selon lequel le goulet d’étranglement central est flexible et reflète la mise en
place d’un choix d’ordre stratégique régi par les processus exécutifs. D’après
ce modèle présenté Figure 6, la présence de la limitation centrale provient de
l’adoption d’une stratégie de prudence (cautious task-coordination strategy)
consistant à paramétrer les processus exécutifs de sorte à mettre en attente
le stade central de la tâche 2 pendant la durée nécessaire à la complétion
du stade central de la tâche 1. Le corollaire de cette proposition est
l’adoption d’une stratégie audacieuse (daring task-coordination strategy)
consistant à paramétrer les processus exécutifs de façon à autoriser un
traitement parallèle des stades centraux. Ce modèle postule en l’existence
de plusieurs facteurs contribuant au choix de l’une ou l’autre de ces deux
stratégies : les demandes expérimentales (par ex., présentation successive
vs. présentation simultanée des deux stimulus), la consigne donnée aux
participants (par ex., accentuer la vitesse de réponse à la tâche 1 vs
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
648
François Maquestiaux
pondération des vitesses de réponse aux deux tâches), et la quantité de
pratique préalablement administrée aux tâches expérimentales (par ex.,
traitements cognitifs s’effectuant avec des efforts d’attention vs traitements
cognitifs automatiques).
Task 1 Processes
Task 1
Stimulus
Executive
Processes
Start
Task 1
Processes
Enable
Task
Processes
Task 2
Stimulus
Start
Task 2
Processes
Encode
Task 1
Stimulus
Sprecify
Task 2
Lockout
Point
Encode
Task 2
Stimulus
Select
Task 1
Response
Sprecify
Task 1
Unlocking
Event
Produce
Task 1
Movement
Wait for
Task 1
Completion
Select
Task 2
Response
Produce
Task 2
Movement
Task 1
Response
Unlock
Task 2
Task 2
Response
Task 2 Processes
Figure 6. Modèle de contrôle exécutif adaptatif. Les processus exécutifs (représentés
par la séquence centrale) gèrent la coordination du déroulement temporel des processus
compris entre le stimulus et la réponse (démarrage, encodage, sélection, production)
pour chacune des deux tâches. Les flèches provenant des centres exécutifs spécifient
différents événements influençant le déroulement temporel des tâches (blocage,
déblocage, attente, reprise du traitement . . .). Par exemple, le choix d’une stratégie
audacieuse consiste à autoriser le déroulement en parallèle des stades centraux des deux
tâches. Extrait et adapté de Schumacher et al. (1999).
Figure 6. Adaptative executive control models. The executive processes coordinate the
temporal sequence of the processes comprised between the stimulus onset and the
response onset for each of the two tasks. Arrows leading to and from various executive
processes specify where a Task-2 lockout point may be set, where a Task-1 unlocking
event may occur, where Task-1 processing is deemed to be completed, and where Task-2
processing should be resumed. Extracted and adapted from Schumacher et al. (1999).
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
649
3.2.2. Prédiction
La prédiction clé, dérivée du modèle de contrôle exécutif adaptatif
(Meyer et Kieras, 1997a, 1997b, 1999), est qu’il est possible d’effectuer
simultanément deux tâches distinctes sans interférence observable. D’après
Meyer et Kieras (1999), cinq prérequis doivent être respectés pour
vérifier cette prédiction : 1. les participants sont encouragés à accorder
une priorité comparable aux deux tâches ; 2. les participants doivent
exécuter rapidement chaque tâche ; 3. il n’y a aucune contrainte portant
sur les relations temporelles ou l’ordre sériel des réponses ; 4. les
tâches empruntent des processeurs perceptifs et moteurs distincts ; et
5. les participants reçoivent suffisamment de pratique pour compiler
complètement les ensembles de règles de production nécessaires à la
réalisation de chaque tâche.
3.2.3. Arguments empiriques
Le respect de ces prérequis a effectivement permis d’observer la réalisation
simultanée de deux tâches discrètes sans interférence (Hazeltine, Teague,
& Ivry, 2002 ; Schumacher et al., 2001 ; pour un résultat opposé, voir
Tombu & Jolicoeur, 2004). Ainsi, Schumacher et al. (2001) ont développé
une procédure expérimentale utilisant une tâche auditive-vocale consistant
à réagir, à l’apparition d’un stimulus sonore, en donnant une réponse
vocale (dire « un » au son de 220 Hz, « deux » au son de 880 Hz et
dire « trois » au son de 3 520 Hz) et une tâche visuo-manuelle consistant
à réagir, en fonction de la zone où un cercle apparaît (à gauche, au
centre, ou à droite de l’écran), par une réponse manuelle spatialement
compatible. Par rapport à la procédure PRP, cette procédure expérimentale
présente les spécificités suivantes : des essais de simple tâche sont intercalés
entre les essais de double tâche de façon aléatoire au sein du même bloc
d’essais (« égalisant » la nature des états préparatoires entre essais de
double tâche et de simple tâche), les stimulus d’essais de double tâche sont
systématiquement présentés en même temps (SOA = 0 ms) et la consigne
donne une importance équivalente aux deux tâches. Suite à un nombre
relativement modeste de sessions d’entraînement (5 sessions représentant
un total d’environ 2 000 essais par tâche), les auteurs observent un coût
négligeable d’interférence (< 10 ms) sur la tâche auditive-vocale (TR de
456 ms en condition de double tâche et de 447 ms en condition de simple
tâche) et une absence de coût sur la tâche visuo-manuelle (TR de 283 ms
en condition de double tâche et de 282 ms en condition de tâche simple).
D’après Schumacher et al., cette absence d’interférence en double tâche
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
650
François Maquestiaux
valide l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central éliminé et constitue
une preuve solide en la faveur du modèle de contrôle exécutif adaptatif.
Néanmoins, une critique méthodologique émise à l’encontre de l’étude
de Schumacher et al. (2001) jette le doute sur l’interprétation proposée
en faveur du modèle de contrôle exécutif adaptatif : étant donné que
le TR sur chacune des deux tâches est très court (inférieur à 300 ms
pour la tâche visuo-manuelle), il est difficile d’écarter l’hypothèse d’un
goulet d’étranglement central latent. En effet, il est plausible qu’avec
des tâches effectuées très rapidement, les stades centraux ont une durée
brève et ne sont jamais (ou rarement) requis au même moment sur la
plupart des essais. Pour tester cette hypothèse, Hazeltine et al. (2002)
ont d’abord répliqué (avec succès) les résultats de l’étude de Schumacher
et al., puis ils ont mené une série d’expérimentations complémentaires
visant soit à augmenter la durée du stade précentral ou central de la tâche
visuo-manuelle (utilisation de stimulus visuels difficilement perceptibles
ou d’associations incompatibles entre le stimulus et la réponse) soit
à augmenter la probabilité de la superposition temporelle entre les
stades centraux des deux tâches (introduction de SOA de +/-50 ms,
difficilement perceptibles de la part des participants, et visant à modifier
l’alignement temporel des stades centraux). Les résultats de ces différentes
expérimentations confirment des effets négligeables d’interférence entre les
deux tâches, considérés par les auteurs comme difficilement compatibles
avec l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central latent. Mais en
effectuant une simulation informatique de leurs données, Hazeltine et al.
indiquent qu’avec des TR aussi courts sur chacune des deux tâches, il
est très difficile, voire impossible, de rejeter avec certitude l’hypothèse du
goulet d’étranglement latent. Cette conjecture est confirmée par Anderson,
Taatgen, et Byrne (2005), ces derniers étant parvenus à simuler avec succès
les résultats de Hazeltine et al. en utilisant un modèle incorporant un goulet
d’étranglement central.
D’après les modèles cognitifs, une limitation centrale du traitement
de l’information, située entre la perception et la commande motrice,
est à l’origine de l’effet PRP. Cette limitation semblerait structurale (elle
résiste à des milliers d’essais d’entraînement) et fonctionne comme un
goulet d’étranglement imposant de traiter en série deux pensées distinctes
relativement accessibles à la conscience (la décision de la réponse à
donner à un stimulus). Ce goulet d’étranglement de l’attention centrale
est incompatible avec l’idée d’une simultanéité possible de deux actes
psychiques (Paulhan, 1887).
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
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4. LA SIMULTANÉITÉ DES PENSÉES GRÂCE À
L’AUTOMATISATION DU TRAITEMENT DE L’UNE
D’ELLES
Quelques recherches récentes sont parvenues à identifier des conditions
expérimentales spécifiques favorisant un traitement parallèle des stades
centraux de deux tâches distinctes (élimination du goulet d’étranglement).
Spécifiquement, la simultanéité de ces deux actes psychiques a été rendue
possible grâce à l’automatisation du traitement du stade central de l’une
des deux tâches (traitement sans recours à l’attention centrale) via un
entraînement intensif de laboratoire.
4.1. L’étude princeps de Ruthruff, Van Selst, Johnston,
et Remington (2006)
Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) ont obtenu des résultats qui valident
l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé et donc l’idée d’une
simultanéité possible de deux actes psychiques distincts. La validité de ce
résultat est renforcée par son incompatibilité avec l’hypothèse alternative
d’un goulet d’étranglement central latent. Dans l’étude de Ruthruff, Van
Selst, et al., des participants ont d’abord effectué huit sessions consistant
en l’un des trois types d’entraînement suivants : un entraînement sur
la tâche 1, un entraînement sur la tâche 2, ou un entraînement sur la
double tâche. L’objectif de cette manipulation est de parvenir à automatiser
les stades centraux du traitement de l’information, c’est-à-dire à ce que
le traitement central d’une pensée soit exécuté sans effort d’attention
(traitement automatique). Ensuite, les participants ont effectué quatre
sessions test de double tâche. Dans l’expérience 1, la tâche 1 est une
tâche auditive-vocale de TR de choix (réagir à l’apparition d’un son en
donnant une réponse vocale) et la tâche 2 est une tâche visuo-manuelle
de TR de choix (réagir à l’apparition d’un caractère alphanumérique en
donnant une réponse manuelle). Les résultats de cette expérience valident
l’hypothèse de la présence d’un goulet d’étranglement central (dont la
durée diminue au fur et à mesure que la pratique sur la tâche 1 augmente,
en accord avec les équations de l’effet PRP ; voir par exemple l’Équation
2) chez l’ensemble des participants. L’expérience 2 est une réplication de
l’expérience 1 mais en inversant l’ordre des tâches : la tâche auditive-vocale
devient la tâche 2 et la tâche visuo-manuelle devient la tâche 1. Les résultats
valident à nouveau l’hypothèse de la présence d’un goulet d’étranglement
central chez la majorité des participants (14 participants sur 18), sauf
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
652
François Maquestiaux
chez 4 d’entre eux. Chez ces quelques participants, plusieurs indicateurs
complémentaires démontrent que les stades centraux des deux tâches sont
traités en parallèle, en accord avec l’hypothèse du goulet d’étranglement
central éliminé (et donc en accord avec l’idée de la simultanéité possible de
deux pensées distinctes). Premièrement, ils inversent l’ordre des réponses
(émission de R2 suivie de l’émission de R1) au SOA le plus court de
façon fréquente (sur 66 % à 98 % des essais de double tâche). Selon le
modèle du goulet d’étranglement central, R1 est émis systématiquement
avant R2 au SOA le plus court car le stade 1B est effectué avant le stade
2B (voir Figure 3). Néanmoins, un ordre opposé des réponses aux SOA
courts (R2 suivie de R1) est possible dans le cas où le goulet d’étranglement
central est éliminé (voir Figure 5A), c’est-à-dire quand les stades centraux
sont effectués simultanément. Deuxièmement, l’ampleur des effets PRP
est « anormalement » modeste chez ces 4 participants (allant de 33 ms
à 67 ms) comparativement aux autres participants (allant de 125 ms à
505 ms). La présence d’effets PRP résiduels, malgré l’élimination du goulet
d’étranglement central, peut s’expliquer par la confusion survenant entre
les codes des deux tâches résidant simultanément en mémoire de travail
(voir Hazeltine, Ruthruff, & Remington, 2006 ; Ruthruff, Hazeltine, &
Remington, 2006). Troisièmement, l’hypothèse de la prédiction du report
– 100 % des effets de la manipulation de la difficulté de la tâche 1 sont
reportés sur le traitement de la tâche 2 au SOA le plus court – est invalidée
chez ces 4 participants : l’effet de la manipulation du degré de compatibilité
entre le stimulus et la réponse de la tâche 1 (62 ms) n’est reporté que
de seulement 21 % sur TR2 au SOA le plus court (13 ms). En revanche,
cette hypothèse diagnostique d’un goulet d’étranglement est validée chez
les 14 autres participants : il y a un report total (107 %) de l’effet de la
manipulation de la difficulté de la tâche 1 (102 ms) sur TR2 au SOA le plus
court (109 ms).
La démonstration de l’élimination du goulet d’étranglement central
dans l’expérience 2 de Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) est convaincante
car les résultats ne peuvent pas être expliqués en termes d’absence
de superposition temporelle entre les stades centraux des deux tâches
(invalidation de l’hypothèse du goulet d’étranglement central latent). En
effet, étant donné que pour la tâche 1 (non pratiquée durant la phase
d’entraînement), TR1 est long chez chacun de ces 4 participants (de 528 ms
à 629 ms), il est raisonnable de considérer que la durée du stade central de
la tâche 1 (stade 1B) soit longue elle aussi et que par conséquent, les stades
1B et 2B ont été requis au même moment sur au moins l’un voire plusieurs
des SOA utilisés (17, 67, 150, 250, 450, et 850 ms).
Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) proposent différents facteurs
susceptibles d’avoir contribué à l’élimination (inhabituelle) du
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
653
goulet d’étranglement central : la pratique considérable (4 480 essais
d’entraînement suivis de 2 240 essais test en double tâche), la minimisation
des conflits sensoriels d’entrée (utilisation d’un stimulus sonore et d’un
stimulus visuel) et de sortie motrice (utilisation d’une réponse vocale
et d’une réponse manuelle) et l’emploi de deux tâches utilisant des
associations S-R « favorables », comme réagir à un signal sonore en
donnant une réponse vocale (Ruthruff, Hazeltine, & Remington, 2006 ;
Stelzel, Schumacher, Schubert, & D’Esposito, 2006). Mais aucun de ces trois
facteurs, présents chez l’ensemble des participants des deux expériences, ne
permet d’expliquer l’élimination du goulet d’étranglement central.
Ruthruff, Van Selst, et al. (2006) identifient a posteriori l’ordre des
tâches expérimentales comme facteur explicatif de l’élimination du goulet
d’étranglement central : alors qu’aucun des 18 participants de l’expérience
1 (tâche 1 auditive et tâche 2 visuelle) n’a éliminé le goulet d’étranglement
central, 4 des 18 participants de l’expérience 2 (tâche 1 visuelle et tâche 2
auditive) y sont parvenus. Sur la base de ce constat, Ruthruff, Van Selst, et
al. proposent l’hypothèse d’un recrutement avide des ressources centrales
(the greedy resource recruitment hypothesis). Un premier prérequis à cette
hypothèse est que la tâche auditive (tâche de TR à 4 choix) est plus facile
à automatiser que la tâche visuelle (tâche de TR à 8 choix). Un second
prérequis est qu’une tâche dont le traitement central s’effectue de façon
automatique recrutera tout de même les ressources attentionnelles centrales
lorsque celles-ci sont disponibles (mode de recrutement avide), c’est-à-dire
lorsqu’elles ne sont pas utilisées par une autre tâche. Si un recrutement
automatique de l’attention centrale va à l’encontre de l’intuition, un tel
mode réflexe de recrutement de l’attention centrale présente l’avantage de
soulager le système de traitement de l’information du coût associé à une
évaluation systématique des besoins en attention d’une tâche.
L’hypothèse d’un recrutement avide de l’attention centrale permet de
formuler deux prédictions distinctes sur le mode d’allocation des ressources
attentionnelles dans une expérience PRP. La première prédiction est que
si la tâche 1 est suffisamment automatisée (si elle est potentiellement
réalisable sans effort d’attention), elle recrutera néanmoins l’attention
centrale si celle-ci est disponible, provoquant alors une interruption du
traitement d’une tâche 2 non automatique (présence d’un délai du goulet
d’étranglement central). La seconde prédiction est que si la tâche 1 n’est
pas automatisée (si sa réalisation nécessite le recrutement des ressources
centrales), le traitement d’une tâche 2 automatisée s’effectuera sans interruption étant donné que, par définition, une tâche automatique peut opérer
sans recourir à l’attention centrale. L’hypothèse d’un recrutement avide des
ressources attentionnelles centrales, formulée a posteriori par Ruthruff, Van
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
654
François Maquestiaux
Selst, et al. (2006), offre une explication parcimonieuse aux effets observés
de l’ordre des tâches sur la présence et l’absence du goulet d’étranglement
central.
4.2. La simultanéité des actes psychiques est un
phénomène véritable mais rare
Comme la validation de l’hypothèse d’un goulet d’étranglement central
éliminé repose sur un nombre réduit d’individus (4 participants sur 18),
une question demeure en suspens : l’élimination du goulet d’étranglement
central reflète-t-elle le recrutement (par chance) de quelques participants
exceptionnels ou, au contraire, représente-t-elle un phénomène véritable
et général ? Pour répondre à cette question, nous (Maquestiaux,
Lagüe-Beauvais, Ruthruff, & Bherer, 2008) avons modifié plusieurs aspects
de la procédure utilisée par Ruthruff, Van Selst, et al. (2006, Expérience
2). La première modification a consisté à ne retenir que la condition
d’entraînement uniquement sur la tâche 2 auditive-vocale, c’est-à-dire la
condition qui permet d’écarter l’hypothèse d’un goulet d’étranglement
central latent. En effet, cette condition, en produisant un TR1 long en
condition de double tâche (la tâche 1 est nouvelle pour les participants
comparativement à la tâche 2 sur laquelle ils ont été entraînés), est censée
engendrer un effet PRP important d’après l’hypothèse de la présence
du goulet d’étranglement central (voir l’Équation 2 de l’effet PRP). Une
deuxième modification a été d’augmenter les chances d’automatiser la tâche
2 (c’est-à-dire à ce qu’elle opère sans recruter l’attention centrale), d’une
part en réduisant le nombre de stimulus (les sons) de 4 à 2 et d’autre part
en augmentant le nombre d’essais d’entraînement (5 040 essais au lieu
de 4 480). Une troisième modification a consisté à augmenter la taille de
l’échantillon de participants s’entraînant exclusivement sur la tâche 2 (20
jeunes adultes au lieu de 6), de façon à établir la prévalence de l’élimination
du goulet d’étranglement central. L’analyse des résultats a révélé l’existence
de plusieurs indicateurs complémentaires en faveur de l’hypothèse du
goulet d’étranglement central éliminé chez la majorité des participants (17
sur 20 participants). Chez ces 17 participants, l’effet PRP moyen sur la
tâche 2 est de seulement 166 ms en dépit d’un long TR1 moyen de 641 ms
(ces participants sont représentés par des symboles noirs, voir la Figure 7),
l’inversion de l’ordre des réponses est très fréquent au SOA le plus court
(66,1 %) et le report de l’effet de la manipulation du degré de compatibilité
entre le stimulus et la réponse de la tâche 1 (173 ms) n’est pas total sur
TR2 aux SOA les plus courts (le pourcentage de report est de seulement
34,1 %). En outre, les résultats observés chez ces 17 participants ne sont
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Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
655
pas conciliables avec l’hypothèse d’une inversion de l’ordre des traitements
centraux (le stade 2B est effectué avant le stade 1B) : cette hypothèse, qui
prédit l’apparition d’un effet PRP sur la tâche 1 mais pas sur la tâche 2, est
invalidée par les données actuelles qui ne montrent aucun effet PRP sur la
tâche 1 (- 17 ms).
600
550
Effet PRP (msec)
500
450
400
350
300
250
200
150
100
50
0
-50
200
300
400
500
600
700
800
900
1 000
Temps de réaction à la tâche 1 (msec)
Figure 7. Effet de la période réfractaire psychologique (effet PRP) en fonction du temps
de réaction à la tâche 1 pour chaque participant de l’Expérience 1. Les symboles blancs
représentent les performances des 3 participants chez qui le goulet d’étranglement
central est présent ; les symboles noirs représentent les performances des 17 participants
chez qui le goulet d’étranglement central est éliminé. Parmi ces derniers, on distingue
deux sous-groupes de participants : ceux qui émettent les deux réponses motrices de
façon indépendante (carrés noirs) et ceux qui tendent à émettre conjointement les deux
réponses (triangles noirs). Adapté de Maquestiaux et al. (2008).
Figure 7. Psychological refractory period effect (Effet PRP) as a function of Task-1
reaction time (temps de réaction à la tâche 1) for each participant in Experiment 1.
The points representing the 3 participants who have experienced a central bottleneck
are represented by unfilled symbols; the points representing the 17 participants who
have bypassed the central bottleneck are represented by filled symbols. Among these 17
bypassers, the participants suspected to have emitted both responses independently are
represented by filled squares and those suspected to have grouped their responses are
represented by filled triangles. Adapted from Maquestiaux et al. (2008).
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
656
François Maquestiaux
Comparativement aux nombreuses études attestant de la présence
d’une limitation centrale omniprésente et robuste (pour des revues :
Pashler, 1994 ; Lien, Ruthruff, & Johnston, 2006), les quelques arguments
empiriques validant l’hypothèse du goulet d’étranglement central éliminé
(Ruthruff, Van Selst, et al., 2006, suivis par Maquestiaux et al., 2008)
demeurent anecdotiques. À eux seuls, ces résultats ne valident pas le modèle
de contrôle exécutif adaptatif (par ex., Meyer et Kieras, 1997b). La pratique
intensive de laboratoire a certainement engendré des modifications
qualitatives du traitement central (en le rendant automatique, c’est-à-dire
en l’affranchissant du recours à des traitements cognitifs recrutant
l’attention centrale), autorisant un traitement parallèle des stades centraux
des deux tâches (donc la simultanéité de deux pensées distinctes). Mais
le fait que les participants soient parvenus à traiter simultanément les
stades centraux ne signifie pas qu’ils étaient en mesure de le faire avant la
pratique. Ruthruff, Johnston, et Remington (2009) illustrent ce point par
une analogie avec le saut à la perche : « No one would argue that the inability
of the average person to pole vault a 10-foot obstacle is a strategic choice,
even if they could learn to do so with considerable practice. » [Personne ne
va prétendre que l’incapacité de la plupart des gens à franchir la barre des
3 mètres au saut à la perche est un choix stratégique, même s’ils pourraient
apprendre à le faire avec un entraînement considérable] (p. 1370).
5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES
L’ambition de cet article était de faire une revue critique des recherches
menées depuis plus d’un siècle sur la question de la simultanéité des
actes psychiques, adressée dès 1887 par le philosophe Frédéric Paulhan.
L’examen de la littérature témoigne d’une sophistication considérable des
procédures de double tâche qui a conduit à mieux comprendre la nature
des mécanismes de l’attention à l’œuvre lorsque l’être humain est contraint
de penser à deux choses à la fois. Le développement du protocole PRP,
véritable « microscope » servant à disséquer les mécanismes de la pensée,
a permis des progrès considérables sur la question de la simultanéité des
actes psychiques. Ce protocole a notamment contribué à déceler l’existence
d’un phénomène psychologique omniprésent et robuste, appelé effet PRP.
L’effet PRP correspond à un allongement important de la réaction à un
second stimulus (environ 300 ms) lorsqu’un premier stimulus nécessitant
une réponse rapide le précède de peu (par ex., 15 ms), comparativement
à la condition où ce premier stimulus intervient plus en amont (par ex.,
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
657
1 000 ms). L’allongement observé du TR est, d’après les modèles cognitifs
actuels, imputable à la présence d’un goulet d’étranglement de l’attention
centrale (central bottleneck) : durant le traitement d’une forme de pensée
liée à une première action, le traitement de toute autre forme de pensée
liée à une seconde action est mis en attente (le traitement est sériel).
De nombreux arguments empiriques semblent favoriser l’hypothèse d’une
limitation centrale d’origine structurale inhérente à l’architecture cognitive.
D’autres propositions théoriques sont en accord avec la présence d’une
limitation centrale mais divergent à propos de la nature des mécanismes
responsables de l’effet PRP. Ainsi, en se basant sur les hypothèses que les
traitements sous-jacents à la réalisation de deux tâches sont effectués en
parallèle et que la capacité de traitement est limitée (Kahneman, 1973 ;
McLeod, 1977), Tombu et Jolicoeur (2003) ont proposé que l’effet PRP
est dû à une allocation en parallèle de ressources attentionnelles centrales
dont la quantité est limitée. Miller, Ulrich, et Rolke (2009) expliquent
l’effet PRP en proposant l’hypothèse d’une mise en place sérielle des stades
centraux comme étant la résultante d’un mode optimal de traitement de
l’information en situation de double tâche (suggérant ainsi que les stades
centraux peuvent potentiellement opérer en parallèle). Néanmoins, ces
deux propositions théoriques restent en attente d’arguments empiriques. À
l’exception de la proposition de Tombu et Jolicoeur, les principales explications théoriques de l’effet PRP suggèrent que Paulhan a conclu un peu trop
vite que la simultanéité des actes psychiques est un phénomène général.
Quelques études récentes (Ruthruff, Van Selst, et al., 2006 ; puis
Maquestiaux et al., 2008) ont démontré que la simultanéité de deux
actes psychiques est néanmoins possible grâce à la création de conditions
expérimentales très spécifiques – un entraînement intensif de laboratoire
consistant en la répétition sur plusieurs milliers d’essais d’une tâche
auditive-vocale de temps de réaction – qui ont conduit à l’automatisation
du traitement des opérations centrales d’une tâche (exécution du stade
central sans recours à l’attention). En effet, la convergence de différents
indicateurs comportementaux a permis de mettre en évidence que
lorsque le traitement central d’une tâche visuo-manuelle (nouvelle et
présentée comme tâche 1) est en cours, le traitement central de la tâche
auditive-vocale (hautement pratiquée et présentée en tâche 2) est effectué
simultanément. En d’autres termes, alors que le traitement de la première
tâche mobilise l’attention centrale, le traitement de la seconde tâche opère
sans y recourir (le traitement est automatique). Ces études, en créant les
conditions de l’automatisation du traitement de la pensée de la seconde
tâche, ont décelé un cas véritable de simultanéité de deux actes psychiques.
L’année psychologique/Topics in Cognitive Psychology, 2012, 112, 631-662
658
François Maquestiaux
Le protocole PRP ouvre le champ de la recherche visant à tester
l’hypothèse de l’automaticité des opérations cognitives dans d’autres
domaines de la psychologie. Ainsi, le protocole PRP a été récemment
utilisé pour examiner le coût en attention centrale des opérations mentales
sous-tendant la réalisation de tâches relevant des domaines de l’émotion, de
la lecture ou encore du contrôle moteur. Les données recueillies montrent
que lorsque l’attention centrale est mobilisée par une tâche élémentaire de
TR de choix, il y a une mise en attente des opérations mentales nécessaires
à la perception de l’émotion véhiculée par un visage (Tomasik, Ruthruff,
Allen, & Lien, 2009), à la décision lexicale (Ruthruff, Allen, Lien, & Grabbe,
2008), ou encore au contrôle d’un mouvement balistique de l’avant-bras
(Ulrich et al., 2006). Ces résultats suggèrent que les processus mentaux
nécessaires à la perception des émotions, à la lecture, ou au contrôle de
mouvements balistiques ne sont pas tous nécessairement automatiques. Des
recherches futures en psychologie visant à évaluer le concept d’automaticité
– envisagé au sens de traitement d’une opération cognitive particulière sans
aucun recours à l’attention centrale – pourraient utiliser le protocole PRP
comme outil d’investigation privilégié.
Si le philosophe Frédéric Paulhan avait disposé du protocole PRP pour
évaluer le coût en attention des opérations mentales à l’œuvre lorsqu’il
effectuait simultanément deux tâches complexes comme réciter un poème
tout en effectuant un calcul complexe, s’il avait eu connaissance de la
présence d’un goulet d’étranglement central survenant entre deux tâches
discrètes (dire un mot à l’apparition d’un son, appuyer sur un bouton
à l’apparition d’un signal visuel) effectuées en même temps, il aurait
peut-être conclu un peu moins vite en la faveur de la simultanéité des actes
psychiques. Au contraire, il aurait peut-être jugé comme étant prématurée
toute tentative de généralisation de tels résultats issus du laboratoire (la
difficulté à observer la simultanéité des actes psychiques) à l’ensemble des
conduites humaines. En effet, le degré acquis d’expertise sur une tâche dans
un cadre expérimental, aussi élevé soit-il (par ex., répétition d’une tâche sur
plusieurs milliers d’essais), reste dérisoire comparativement au degré acquis
d’expertise dans un domaine (pour une revue de la littérature sur ce qu’est
l’expertise, au travers du regard de Sherlock Holmes, héros des romans
de Conan Doyle, voir Didierjean & Gobet, 2008 ; pour une revue dans le
domaine des échecs, voir Didierjean, Ferrari, & Marmèche, 2004). Un test
potentiellement pertinent de la validité de l’hypothèse de l’automaticité des
opérations cognitives dans le domaine des conduites humaines pourrait
consister à apparier une tâche 1 nouvelle et une tâche 2 de type habileté
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Attention et protocole de la période réfractaire psychologique
659
experte comme percevoir une configuration aux échecs, jouer du piano,
tisser, dactylographier, tirer au ball-trap, conduire. . .
Reçu le 26 novembre 2010.
Révision acceptée le 4 novembre 2011.
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