Chapitre 19
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Chapitre 19
Réflexion – tome 1 Tome 1 EPICE Résumé : Un adage dit que s’il y a plusieurs façons de faire une chose, dont l’une d’elles conduit au désastre, il se trouvera forcément quelqu’un, quelque part, pour utiliser cette méthode.1 Ce « quelqu’un », c’était Neil. Terrifié à l’idée de faire un coming out dans son nouveau lycée, Neil Archer Murphy est prêt à recourir à un stratagème extrême : se faire passer pour une fille. Il ignore alors que son travestissement le mènera aux devants d’ennuis abracadabrantesques, menaçant de plonger le monde dans le chaos. Constance City est une ville imaginaire du Nebraska, créée pour les besoins de cette histoire. Ceci est une œuvre de fiction. Les personnages, lieux et évènements décrits dans ce récit proviennent de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toute ressemblance avec des personnes, des lieux ou des évènements existant ou ayant existé est entièrement fortuite. 1 Tiré d’un des énoncés de la loi de Murphy. 1 Réflexion – tome 1 2 Réflexion – tome 1 *19* La pièce dans la pénombre lui était totalement inconnue. Neil se rassit brusquement dans ce qu’il identifia comme un lit d’hôpital. Son assise tangua. S’autodiagnostiquant des vertiges, il porta une main à sa tête, dans le vain espoir de calmer les ardeurs du marteau-piqueur qui y avait élu domicile. Le martèlement était légèrement étouffé, comme ouaté. Il avait déjà ressenti cette désagréable sensation lorsqu’il s’était réveillé trois mois plus tôt, les deux jambes dans le plâtre. Son sang devait être gorgé d’antidouleurs morphiniques. Ces médocs lui plongeaient le cerveau dans le coton. Il n’avait pu les ingérer en étant inconscient. On les lui avait donc injectés. Une petite douleur au creux du coude droit lui indiqua le point d’entrée de l’aiguille. On aurait tout aussi pu le droguer avec on ne sait quel psychotrope… Avant de paniquer, Jason lui recommanda de faire un check-up corporel. Excepté ses chaussures, il nota qu’il avait toujours ses vêtements en bon état. « Check ». Par contre, il fallait compter du tissu surnuméraire. Pas « check ». Un épais bandage lui ceignait la tête, un sparadrap lui tiraillait la joue droite, des pansements-sutures lui striaient la peau de quelques phalanges, et enfin un strap couleur chair lui gainait le coude gauche. On l’avait pas mal amoché. Paradoxalement, il ait le sentiment de s’en être bien tiré. Mais son hésitation entre « ç’aurait pu être pire » et « il avait connu pire » reflétait parfaitement le désastre de son existence. Où se trouvait-il ? Sur sa gauche, une porte s’entrebâillait sur une salle de bain. Intégrée à la chambre, les murs de la petite pièce l’empêchaient de voir l’entrée principale. L’odeur des antiseptiques le disputait avec celles du savon et des fleurs en pot, encadrant une grande baie vitrée à sa droite. Une télé fixée au mur, près du plafond, surplombait une commode en bois verni. À en juger par leur faible contraste avec le papier peint, le meuble comme le cadre de l’écran plat devaient être blancs. L’endroit était à la fois médical et convivial. Une sorte de chambre d’amis pour malade, mariage qui mit Neil un peu mal à l’aise. Les rideaux étaient tirés, mais il savait que la nuit était tombée. Quelle heure était-il ? Sa mère avait-elle essayé de le joindre ? Pourquoi était-ce seulement maintenant que son portable se rappelait à son bon vouloir ?! Il aurait dû s’en servir comme d’un leurre, en menaçant d’appeler la police, pour dissuader ses agresseurs. C’était l’histoire de sa vie. Les idées qui pouvaient le sortir de la mouise, survenaient toujours après que le pire soit passé ! Dans son cas, le « pire » était un vaste concept allant d’un zéro pointé en maths à une tentative de viol… Penser à « viol » dans la chambre d’un inconnu n’était pas pour le rassurer. Il devait partir de cet endroit. Il trouva son portable, ses clés, et son portefeuille sur la table de chevet. La première chose qui lui sauta aux yeux fut qu’on avait mis son téléphone sur silencieux. Il réactiva la sonnerie, notant au passage qu’il n’y avait aucun appel de sa mère. 3 Réflexion – tome 1 D’abord rassuré que la police maternelle ne lui soit pas encore tombée dessus, il finit par ressentir une pointe de déception. Il était 20 heures passées de la demie. Elle aurait dû appeler, sachant qu’il ne lui avait pas parlé de son programme de la journée. Il n’avait pas été prévu qu’il rentre tard. Il aurait pu être aux urgences, ou croupir dans un caniveau, qu’elle ne s’en inquièterait même pas ! Sully avait l’habitude d’horaires peu orthodoxes. Ce n’était pas une excuse pour négliger le rythme de vie de son fils. Certes, il était quasiment adulte, et n’avait pas besoin que maman soit sur son dos. Mais c’était parfois dans ces petits gestes – un coup de fil chiant, un texto relou –, que l’on reconnaissait qu’un parent se souciait de son enfant. Elle avait probablement dû s’endormir plus tôt. Soit de fatigue, soit en prévision d’une autre journée de garde. S’en tenant à ces excuses, il entreprit de quitter le lit en prenant soin de ne pas trop faire grincer le matelas anti-escarre, qu’il reconnut à sa texture. Quelqu’un avait longuement été hospitalisé dans cette chambre. Il entendit sans la voir la porte d’entrée s’ouvrir. Ses sens engourdis par les antalgiques, il avait manqué de vigilance. Trop tard pour faire semblant de dormir. Pour une fois, Neil décida d’affronter le problème. Le problème marchait sur la pointe des pieds, précaution inutile puisqu’il était réveillé. Face à la silhouette de grande stature, Neil pensa à Aedan, bien que son nez ait déjà déterminé l’identité du visiteur. Que foutait Derreck Freeman en ce lieu ?! Au passage, il ignorait avoir mémorisé son odeur ! C’était presque déplacé de sa part. Où avait-il atterri, à la fin ?! Il chercha à tâtons l’interrupteur de la lampe de chevet, mais l’autre le prit de vitesse en allumant le plafonnier. L’agression lumineuse le fit grimacer. À sa grande surprise, ce ne fut pas le garçon auquel il s’attendait. L’homme avait une gueule familière, mais il ne le connaissait ni d’Ève, ni d’Adam. Ce « Derreck-là » était vieux de plusieurs décennies – la quarantaine, sans doute –, et doté d’une musculature encore plus imposante. Si le lycéen sortait du moule de la NBA, ce type s’était tapé celui de la WWE2. Mais le plus fascinant restait sa chevelure. Une véritable crinière de boucles sombres tirant sur l’auburn lui donnait un panache que Neil ne put que qualifier de régalien. Freeman père – présuma-t-il –, arborait un look aussi décontracté que pouvaient l’être un T-shirt sans manche en coton et un Levis brut noir. L’homme lui sourit. Cela conféra à son visage dur un charme qui en appela à la fois aux rougeurs et aux craintes de Neil. Il se trouvait seul dans une chambre avec un adulte bodybuilder inconnu, dans un lieu tout aussi inconnu. — Tu es réveillée ? C’était le genre de questions très spirituelles pour lesquelles il ne se donnait jamais la peine de répondre. À moins que ce ne soit qu’une stupide façon d’amorcer la conversation. 2 NBA : National Basketball Association. Principale ligue de basket-ball nord-américaine. WWE : World Wrestling Entertainment. Entreprise spécialisée principalement dans le catch américain. 4 Réflexion – tome 1 — Où… suis-je ? Était-ce Derreck+25-ans qui avait pris soin de lui ? Shawn était la dernière personne qu’il avait vue, ainsi que le flic Thérianthrope, Chuck. En s’évanouissant, il avait loupé un épisode, sans la garantie qu’on le spoile à ce sujet. Il lui vint soudain la pensée angoissante que son secret avait été découvert. Son portefeuille ne contenait rien de compromettant, mais c’était son propre corps, le traitre. Quelqu’un avait bien dû le porter pour le mettre dans ce lit. Quel examen lui avait-on fait subir alors qu’il était inconscient ? Il tira la couverture sur sa poitrine, et sa propre attitude le désola. Autant clairement passer aux aveux. Il mit enfin le doigt sur ce qui l’avait poussé à confondre son visiteur avec Derreck : l’odeur de son espèce métamorphe. À présent, Neil était convaincu de pouvoir reconnaître un individu de la même « famille changeuse » que Derreck. Mais contrairement au garçon, il sourdait de cet homme une impression de puissance qui le poussait à se faire petit. Tout petit. Tant que cet individu ne franchirait pas une certaine distance, il garderait un relatif contrôle sur sa phobie des adultes mâles. — Tu es au Refuge. — Ça ne me dit toujours pas où c’est, marmonna-t-il. — Ce n’est pas en restant dans ta chambre que tu le sauras, sourit Derreck-plusâgé. Le Refuge se trouve sur mon domaine. Dans ma propriété privée, reformula-t-il. — Et vous êtes ? — Je suis embêté par ta méfiance, rétorqua l’homme, ironique. — On m’a appris à me méfier des étrangers. Le sourire en coin de son interlocuteur le lui concéda. — Tu es dans la même classe que mon fils. Neil s’en était déjà douté. L’autre tablait sans doute sur la ressemblance avec son rejeton pour se passer des présentations. — Vous êtes monsieur Freeman, déduisit-il. — Je suis Shemar Freeman. Et tu es Neil Murphy. Neil le dévisagea avec encore plus de méfiance. C’était lui, où ce type le jaugeait du regard ? Comme s’il attendait quelque chose de sa part, ou plutôt que quelque chose se produise. Il lui vint soudain à l’esprit que Shawn avait révélé à ce fameux Refuge sa singularité. Celle de déclencher à tout bout de champ les phases méta des Thérianthropes qui croisaient sa route. Génial ! Il allait être la nouvelle attraction du coin. Tout ce qu’il espérait éviter, en somme. Il flairait les emmerdes… Le pire était d’en avoir conscience et de se révéler incapable de les éviter. N’aurait-il donc jamais de répit ? Contre toute attente, rien ne se produisit. Le talisman qu’utilisait le père de Derreck devait être sacrément puissant. Pourtant Neil n’entendit aucun grésillement indiquant son activation. Apparemment, ça ne marchait pas avec ce type. Il n’avait aucun contrôle sur ce pouvoir, mais si ce dernier se payait en plus le luxe d’être capricieux, il n’était pas sorti de l’auberge… Il avait pourtant la certitude d’être en face d’un changeur. Mais en cet instant, celui-ci restait tout ce qu’il y avait de 5 Réflexion – tome 1 physiquement humain. Bien que quelque chose chez Shemar lui évoque le Grand Fauve ; le genre avec un « F » majuscule. Ce n’était pas tant sa masculinité animale, ni ses biceps et deltoïdes ultradéveloppés. C’était plus intrinsèque. Gêné par le silence entre eux, Neil tenta de détourner l’attention de sa personne. — C’est Shawn qui m’a emmené ici ? — C’est exact. C’est un des pensionnaires du Refuge. Il opina du chef, ne sachant que faire de cette information, ni si elle lui serait utile. — Je peux rentrer chez moi ? — De ça, je ne suis pas encore certain, rétorqua Shemar en se grattant la tête d’un air embêté. — C’est-à-dire ? — Il semble que tu n’appartiens à aucune faction. Je ne peux te laisser entrer puis sortir du territoire de la Harde Freeman, comme on entrerait puis sortirait d’un moulin. Neil se rebiffa. — J’ai jamais demandé à être ici, moi ! Et s’il exigeait de quitter cet endroit, le retiendrait-on contre son gré ? Il réprima un frisson d’angoisse, mais le battement à ses tempes lui parvenait désormais avec violence. Son cœur cognait trop fort dans sa poitrine, et servait à présent de métronome à son marteau-piqueur crânien. — Le fait est que tu y es, dit Shemar. Il n’y a plus qu’à en gérer les conséquences. De toute évidence, l’homme ne comptait pas changer d’avis. — Je comprends rien à ce que vous racontez, grommela Neil en se débarrassant de sa couverture. Il mit son portefeuille dans une poche arrière de son jean, et serra ses clés dans son poing non meurtri. Il fallait qu’il réfléchisse, mais ses maux de tête gagnaient en intensité. L’effet des antalgiques s’estompait, et son corps exigeait calme et repos. Où était Aedan ? Aedan l’aurait sorti de là. Il se sentit nul de se reposer sur l’Ombre, mais il n’avait pas la force de gérer une autre situation de crise après la journée riche en émotions qu’il avait vécue. Il n’aspirait qu’à rentrer chez lui. — Je veux pas causer de problèmes, plaida-t-il d’une voix qui sonna trop plaintive. Je veux juste rentrer chez moi. Ma mère s’inquiète, mentit-il, en espérant tout de même être dans le vrai. Ce serait vraiment triste s’il s’avérait qu’elle n’était pas le moins du monde inquiète. — Tu dormiras dans ton lit ce soir, assura Shemar, voyant grimper son agitation. Mais nous devons discuter de certaines choses avant. Tu as ma parole, ajouta-t-il lorsque Neil lui lança une œillade suspicieuse. Et pour cause, il y a une minute, Shemar ne pouvait garantir qu’il quitterait cet endroit. Voilà qu’il tenait le discours inverse. Parole donnée ou pas, Neil n’aimait pas que l’on souffle le chaud et le froid. Sa mésaventure avec Chelsea lui avait au moins appris cela. 6 Réflexion – tome 1 — Mon fils te raccompagnera en voiture s’il le faut, dit Shemar, dans l’espoir d’étouffer sa défiance. Sauf qu’en voiture, seul avec Derreck… ce n’était pas une bonne idée, de la perspective de Neil. Mais Shemar ne comprendrait pas pourquoi. Aussi fit-il oui de la tête, même si le choix ne lui était pas donné, au fond. Plus vite ils discuteraient – d’un sujet qui lui échappait complètement –, plus vite il serait libéré. — De quoi voulez-vous causer ? — Suis-moi, ordonna Shemar. Neil découvrit ses boots au pied du lit. Avec une impatience grandissante, Shemar attendit qu’il se chausse. Neil détacha son regard des chaussons en cuir de ce dernier et fit diligence. Celui-là était habitué à ce qu’on obéisse à ses directives à la seconde même. Un vrai chef de clan... de meute… non, de harde ! Révélation : les Freeman étaient des Thérianthropes lions. Wow ! « Meute » se rapportait aux canidés, alors que « harde » était attribuée à de multiples animaux grégaires, en particulier les lions, qui vivaient en groupes familiaux. Le souvenir d’Aedan surnommant Derreck « Simba » venait de remonter à la surface. Alors il se pouvait qu’il soit carrément en présence de l’Alpha mâle : Mufasa en chair et en os… Oh putain ! Vu l’aura de dominant qui sourdait de l’homme – et au passage, sa crinière opulente –, cette idée n’avait rien d’incongru. — La Harde Freeman… vous êtes des métamorphes lions, osa-t-il, comme on l’entrainait dans un large couloir à la moquette bleu roi, aux murs décorés de grands tableaux épurés d’art contemporain. Il ignorait s’il courait un risque d’en parler à voix haute, ni si c’était impoli. Mais il ne discourait pas avec un humain, et l’autre non plus ne le prenait pas pour tel, alors… — Je ne suis pas un Métamorphe. Neil fronça les sourcils. Ça ne sentait ni le mensonge, ni le déni. Shemar était convaincu de ce qu’il avançait. Ça ne tenait pas debout ! — Vous êtes un Thérianthrope, de ça je suis certain. — En effet. Sur le papier, je suis le chef de la troupe de Constance-City. Dans les faits, mon territoire s’étend sur C-City, Bellevue et Omaha. Tous les Thérianthropes dans cette zone géographique me rendent des comptes. Et à C-City plus particulièrement, les autres races sont tenues de respecter une certaine transparence envers moi. Toi, tu es un point opaque sur le tableau. Il aurait dû s’en douter, grommela Neil. Mais ses préoccupations immédiates ne volaient pas aussi loin. — Vous êtes un Thérianthrope, mais vous n’êtes pas un métamorphe ? demandat-il. Il tenait à mettre cette absurdité au clair. Shemar le toisa d’une façon qui le mit mal à l’aise. — Se peut-il vraiment que tu ne saches rien ? marmonna l’homme en inclinant la tête, comme se parlant à lui-même. 7 Réflexion – tome 1 Neil eut une impression de déjà-vu. Ce scepticisme et cette incompréhension lui semblaient familiers. Une intuition le poussa à décortiquer plus profondément l’émotion qu’il décelait chez Shemar. Ce ne serait pas une mauvaise idée d’apprendre à se servir de toutes ses ressources – qu’elles le dépassent ou non – pour tirer avantage d’une situation. C’était établi, il avait le chic de s’attirer des ennuis. Un beau jour son manque de réactivité lui serait fatal. Il était temps qu’il cesse de culpabiliser après coup d’avoir été peu dégourdi. Au final, il ne pouvait compter que sur lui-même. Aedan l’avait sauvé d’une violente attaque de Phyllis à la balle de basket, et d’Apollon, mais ça n’avait été qu’un coup de chance. L’Ombre n’était pas un héros ; il n’était même pas son héros. Le Venator n’avait rien de superman, et lui ne serait jamais Loïs Lane. Aujourd’hui, il devait encore à un tiers d’avoir échappé à une bastonnade homophobe. Il lui fallait devenir quelqu’un de fiable, ne serait-ce que pour sa propre personne. Et cela commençait par faire confiance à son nez. Neil tenta d’ignorer son mal de tête, et se focalisa sur son étrange odorat. Celui-ci lui apprit que le doute de Shemar avait été induit. Ça ne venait pas seulement d’une remise en cause de ses croyances ou de ses convictions. C’était déstabilisant de réaliser qu’il pouvait décortiquer le ressenti d’une personne à ce point. Puis les paroles d’Aedan lui revinrent. Il « reflétait » les émotions d’autrui. Qu’en déduire ? Qu’avec un effort de concentration il saurait se mettre dans les « baskets émotives » de son interlocuteur ? Ce don était effarant, mais pourrait être fort utile s’il arrivait à en faire usage à bon escient. Il l’avait, il l’utiliserait. Point. Inutile de tergiverser sur le pourquoi. Le plus important était le comment. Pense, Neil ! Qu’est-ce qui te fait dire que son doute est « induit » ? Quelqu’un avait dû parler de lui à Shemar. On avait révélé au Thérianthrope qu’il était un parfait ignare de ce nouveau monde, mais ce dernier avait refusé de se laisser convaincre. Or tu viens de lui apporter une preuve de ton ignorance qu’il peine à accepter. Plausible. En suivant cette hypothèse de la Meute des Nœuds, qui aurait pu dépeindre un tel tableau de lui à Shemar ? Certainement pas Shawn, ce garçon ne le connaissait pas suffisamment pour émettre de telles allégations. Aedan… ou alors ses amis N’oktus, Waroc et Deneza ? Il devait sonder le terrain. — Juste pour que vous sachiez, je suis pas une Magnus. — Naturellement. Il en fut surpris. — On vous l’a dit ? — Tu n’en as pas l’odeur. La réponse elliptique de Shemar ne l’aidait pas. Il lui sembla que l’homme choisissait ses mots avec soin. Ça en disait long, bien qu’il ne soit pas plus avancé. À lui de tourner intelligemment ses interrogations. Il fit l’effort d’adopter un langage mature. 8 Réflexion – tome 1 — Je n’ai pas l’impression que vous admettez la possibilité que je sois de race humaine. Et on ne peut pas la différencier des Magnus à l’odeur. Alors qu’est-ce qui vous rend si sûr de vous ? Il devait confirmer si oui ou non, Shawn l’avait aiguillé vers la race Z’alem noctus, ou plutôt « Z’alnus ». Shemar le toisa à nouveau, un brin perplexe. — Tu ne sais vraiment pas, hein ? — De quoi vous parlez ? soupira Neil, avec un début de lassitude. (Il en avait marre de patauger dans ce bassin de demi-mots et de non-dits.) — Les Magnus tiennent des races qui les ont engendrés, expliqua Shemar, pensif. Humains comme Elvus n’ont pas la capacité de s’approprier l’odeur d’autrui de manière aussi intime. Et à supposer qu’il s’agisse d’un sort Magnus, tu n’aurais pas pu le maintenir en état d’inconscience, parce qu’il se rapporte à ton corps. Ce phénomène est en revanche rencontré à des degrés différents chez toutes les autres races. Je sens une tierce personne sur toi. Très présente. Tellement présente qu’elle étouffe ton essence, termina-t-il avec une grimace qu’on aurait dit de dégoût si elle n’avait pas été aussi fugace. Aedan. Neil se garda de relever. Son instinct – pour une fois qu’il faisait acte de présence – l’incitait à la prudence. Sans doute parce qu’il ignorait quels étaient les rapports entre le Venator en chef et ce Thérianthrope Alpha. Il lui semblait sentir un soupçon d’aversion. Il pria qu’on n’ait pas découvert son shi’valem. Cette situation mettait en exergue l’ampleur de son imprudence. Il n’avait pas une once de contrôle sur la plus petite chose qui soit. Il ne l’avait jamais eu. Il se contentait de subir. Et ça devenait lassant. Il était temps de frapper du poing sur la table de sa chienne de destinée. On n’avait qu’une seule vie. Qu’attendait-il pour commencer à réellement la vivre, au lieu de simplement s’y raccrocher ? — Vous ne m’avez toujours pas dit pourquoi vous ne vous considérez pas comme un métamorphe. Shemar lui lança un regard agacé. Décidément, il n’était pas du genre à rendre des comptes. N’étant pas tenu de lui répondre, l’homme le fit tout de même. — Concrètement, je suis un métamorphe. Mais selon la nomenclature de l’OutreMonde, je n’appartiens pas aux Métamorphes. On parle de Métamorphe lorsque le Thérianthrope possède au minimum deux totems vivants. Neil fronça les sourcils. Totems vivants… drôle de formulation. Voulait-il dire « animaux totems » ? Ce devait être un jargon propre à cette communauté. Et ça le frappa enfin : il avait déjà vu un Métamorphe. — Chuck, murmura-t-il pour lui-même. C’était sans compter l’ouïe fine de son interlocuteur. — Comment le sais-tu ? Le ton fut accusateur, presque agressif. Effrayé, Neil rentra la tête dans les épaules. 9 Réflexion – tome 1 — S-sa forme méta exprimait des traits de canidé et de félin. Un guépard avec des oreilles de renard. Il ne s’expliquait pas comment il avait su identifier les totems vivants du flic avec certitude. Il s’agissait d’un renard blanc et du fauve le plus rapide au monde. Il en était absolument convaincu. — Comment est-ce possible ? grommela Shemar pour lui-même. Sa génitrice est en effet une renarde des neiges. Quant à son père, on suppose que c’était un Thérianthrope guépard… Neil fronça les sourcils. Devait-il comprendre que Chuck n’avait jamais connu son père ? La suite lui apprit qu’il n’était pas au bout de ses surprises. — Cependant, la phase méta chez ces individus ne peut être que l’expression de l’un ou de l’autre. Jamais les deux. — Je sais ce que j’ai vu. — Après un coup sur la tête, railla Shemar. Neil ravala un grognement, refusant d’accorder de l’importance à cet argument. Depuis sa mésaventure avec Aedan, il s’était juré de ne plus douter de ses yeux. Que Jason cesse de penser comme un humain n’impliquait pas qu’il se départisse de son côté cartésien. — Et comment j’aurais pu deviner ses totems vivants si je ne les avais pas vus ? Vous venez à l’instant de confirmer ce que j’ai dit. De toute façon, si vous voulez pas me croire, vous croirez Shawn. Il a vu la même chose que moi. Et le jeune homme n’aurait pas intérêt à mentir, il le sentirait. Soudain, Neil tilta. Le souvenir de la scène lui revenait avec force détails. Shawn et Chuck avaient été déstabilisés, non pas uniquement par leur transformation forcée, mais aussi à cause de l’aspect inhabituel de la forme méta du flic. En analysant la scène au calme, il était possible de tirer la conclusion que le visuel « hybride » du semi-garou était une première pour tous les deux. Et vu l’ampleur du chamboulement que vivait Chuck, il avait eu de véritables raisons de le prendre pour un Magnus-éveillé ! Il lui apparut enfin que Shemar n’ignorait rien de tout cela. Ce dernier avait forcément reçu un rapport complet. Il ne savait pas à quoi jouait le chef de harde, mais il ne se ferait pas avoir. — Tous les Thérianthropes de cette ville vous rendent des comptes ? demanda-til pour tâter le terrain. — C’est ce que j’ai dit. — Avez-vous eu le compte-rendu d’une caissière de chez NARS cosmetics ? Elle travaille à la galerie Emporio, sur l’avenue Efraïm. À cette heure, la femme devait déjà avoir débauché. Se souvenant que les commerces de l’avenue fermaient plus tard, il en fut moins assuré. Mais elle avait tout aussi pu envoyer un texto ou passer un appel. Le regard perçant de Shemar balaya ses incertitudes. L’homme savait. Il avait donc eut raison, mais ça ne l’empêcha pas de déglutir sous le poids des prunelles 10 Réflexion – tome 1 sombres du Thérianthrope. Pour toute réponse, il n’eut droit qu’à un silence lugubre. Qu’avait-il dit de travers pour susciter une telle méfiance ? Shemar n’arrivait pas à évaluer s’il représentait une menace, mais l’avait déjà étiqueté « complication ». Pas que ça change, tiens ! Il fut introduit dans un vaste salon. Les meubles de style renaissance apportaient un cachet authentique à la grande pièce, donnant à Neil l’impression d’être les sept erreurs dans un jeu « cherchez les sept erreurs ». Il n’était pas à sa place en ces lieux. Il était désormais établi que Derreck Freeman vivait dans un palace. Les élancements de ses méninges reléguèrent ces considérations au rang de détails. Il se massa une tempe en essayant de ne pas montrer à quel point il souffrait. Il était fatigué de renvoyer l’image d’une créature fragile et souffreteuse. Hélas, on ne voyait que cela de lui parce qu’il était bel et bien chétif, à la frontière du maladif pour un jeune homme de son âge. Il avait un pied dans la maigreur et l’autre dans la minceur. — C’est elle, fit une voix que Neil reconnut. La caissière. Elle était accoudée sur le manteau d’une gigantesque cheminée, et il se demanda pourquoi il ne l’avait pas sentie. Mais la pièce était saturée d’effluves, dominés par une note particulière qu’il identifia comme « l’odeur générique » des Thérianthropes. Celle qui, désormais, le ferait systématiquement déduire qu’un individu appartenait à cette race tierce. Avait-il atterri dans un traquenard ? Il s’attendait à présent à voir Chuck débarquer. Cette histoire allait se changer en procès. Un léger fracas se fit entendre. Le grabuge d’une dispute leur parvint. Un masque d’agacement durcit les traits de Shemar qui quitta la pièce en trombe. Neil tendit l’oreille. — T’essayes d’écouter aux portes ? renifla la femme d’un ton aussi railleur qu’incrédule. Vous autres, les zalnochas, êtes presque aussi sourds que les taupes sont aveugles. On dirait qu’on est venu te chercher, dit-elle avec un rictus dégouté. Pourquoi tant d’hostilité ? Il ne lui avait rien fait, qu’il sache ! Enfin, sauf l’avoir obligée, bien malgré lui, à entrer en phase méta sur un lieu public ; délit sanctionnable dans l’Outre-Monde. Ouais, ils n’allaient pas être copains. Dépité, Neil sentit une note plus subtile dans cette animosité. Ce qui émanait d’elle le mettait mal à l’aise. S’il devait imager cela, il dirait qu’elle éprouvait pour lui le même genre d’émotion que pour un rat de laboratoire. Ça n’avait rien à voir avec des sentiments que l’on ressentirait face à un être humain, ou un égal. Ce n’était même pas de l’intérêt. Un animal de compagnie aurait reçu plus de sympathie de la part de cette femme. Lui n’était rien qu’une créature bonne à servir de bibelot ou de cobaye. C’était vraiment perturbant… Il se raccrocha au sentiment de sécurité qui venait de le soulager de sa tension. Il le sentait à travers le bourdonnement sourd de son tatouage : son valem était proche. Et en colère. Très en colère. Heureusement, cette ire ne lui était pas destinée. L’engueulade devint plus distincte. N’en déplaise à Miss Ocelot, il entendait parfaitement ce qui se passait hors de la pièce. — Tu as ce qui m’appartient, Shemar. Rends-le-moi ! 11 Réflexion – tome 1 Neil se retint de grimacer. Aedan le prenait-il sérieusement pour un objet ? Ça n’en renforçait que plus son mal-être. — De quel droit te permets-tu de me donner des ordres sur mon territoire ? La voix de Shemar était d’une octave basse, mais exprimait un parfait cocktail d’indignation et de courroux. — J’ai eu une journée mouvementée. Ne m’oblige pas à… — À quoi ? Sont-ce des menaces que j’entends sous mon toit ?! Ce qui « t’appartient », c’est quoi ce délire, Venator ?! Tu te prends pour un Duveteux à présent ? Tu n’as aucun droit de propriété à faire valoir ici ! Et encore moins sur cette fille ! Voilà qui soulageait Neil de ses doutes. La supercherie sur son sexe n’avait pas été révélée. D’ailleurs Shemar n’avait pas bronché lorsque la caissière l’avait désigné au féminin. Sa paranoïa avait dû prendre du galon pour ne l’avoir pas remarqué tout de suite. Il se souvenait néanmoins d’une hésitation chez Shawn, détail l’ayant amené à le soupçonner d’en savoir plus. C’était une fausse alerte, apparemment. Pour l’instant, la priorité allait à la situation actuelle qui sentait le roussi. Mais paradoxalement, ce fut le cœur en fête qu’il se précipita vers la porte. Aedan se trouvait juste derrière. En l’ouvrant, tout rentrerait dans l’ordre ! Il rejoindrait son valem, qui le ramènerait à la maison. Il avait quasiment oublié qu’il avait été en colère contre lui. Il était prêt à effacer l’ardoise de l’Ombre, du moment que celuici le sortait de cette galère. — Si je me souviens bien, on t’a pas ordonné de quitter cette pièce ! cracha la Thérianthrope, le freinant dans son élan. Elle commençait sérieusement à l’agacer. — Je suis sous les ordres de personne, grommela-t-il. Alors qu’il se saisissait de la poignée, la dispute de l’autre côté prit une tournure acétique. — Ne m’oblige pas à me montrer vil, Alpha, gronda Aedan. Un de tes protégés a mon talisman comme preuve de son délit. J’ose espérer que tu te rappelles encore la sanction d’une phase méta en présence de s’eyn. Je t’offre la possibilité d’acheter mon silence. Ne la gâche pas, glissa-t-il avec vice. Il se pouvait bien que le Venator ait le dessus dans cette joute, mais d’une manière plutôt infâme. S’eyn, voilà deux fois que Neil entendait ce mot. Il ne put s’y attarder, pris à la gorge par une bouffée de panique. La frayeur de la caissière impliquait certainement que la sanction qu’elle redoutait avait une proche parenté avec la cruauté. Il n’aurait pas dû compatir, vu son comportement désagréable à son égard, mais ce fut plus fort que lui. Elle n’était pas responsable de sa transformation. C’était nul de la part d’Aedan de la lui mettre sur le dos. D’autant plus qu’il savait les circonstances. Donc tu recevras la sanction à sa place ? Techniquement, c’est de ta faute, Neil ! La porte s’ouvrit brusquement, le détournant de ses terribles pensées. Il tomba nez à nez avec un Shemar fulminant. 12 Réflexion – tome 1 — Peut-on savoir quelles étaient tes intentions ? demanda l’Alpha, son regard de jais le clouant sur place. La peur de Neil grimpa en flèche. — Il n’a aucun compte à te rendre, Freeman. Nous partons, Neil ! ordonna Aedan dans le dos de Shemar. Ça empeste ici. Neil recula précipitamment, se sentant soudain acculé malgré le volume de la pièce. Il était d’accord, ça empestait le mâle dominant et une envie d’éviscération. Ces violentes émotions le catapultèrent dans un entrepôt délabré, sur la trajectoire d’une boule incendiaire. Il perdit de l’emprise sur ses tremblements, et s’agrippa à ses propres bras comme pour garder contenance. En vain. C’était panique à bord ! Les souvenirs de sa mort imminente avaient le chic de déclencher un syndrome d’angoisse. Et les envies de meurtres à peine contenues des deux hommes n’étaient pas pour l’aider. Sourds à ses sentiments, ils pénétrèrent dans le salon, laissant dans le couloir une agitation qui gagnait en ampleur. Du monde rappliquait. — Pas si vite ! asséna Shemar. Ce disant, il posa sa paluche sur l’épaule de Neil dont l’intention avait été de s’éloigner encore plus. Le geste avait été si vif qu’il ne l’avait pas vu venir. L’Alpha ne comptait pas le libérer de sitôt. Ce n’était plus seulement dans le but d’avoir des explications. Il voulait surtout faire chier le Venator. L’odeur de ses émotions ne laissait aucune place au doute. Génial ! Il était à présent le trophée d’un combat de coqs. La jauge de colère d’Aedan était dans le rouge. Toute cette violence qui ne demandait qu’à s’exprimer, en plus de la peur bleue de la caissière, c’était trop pour ses nerfs ! Neil ravala un gémissement et se mordit la lèvre au sang pour ne pas claquer des dents. — J’ai un rapport de ses propres aveux sur son implication dans le délit auquel tu fais allusion, Venator, dit Shemar. S’il y a un coupable ici, c’est elle. Il s’avère que c’est une récidiviste qui a visiblement décidé de s’en prendre aux miens ! Aedan ne l’écoutait pas. Son regard était rivé sur la main qui emprisonnait l’épaule du garçon, sauf que son cerveau ne recevait pas les bonnes informations. Ce type terrifiait Neil qui devenait livide à vue d’œil, mais lui ne voyait qu’un autre mâle dominant en train de toucher son valem. — Ôte tes pattes si tu ne veux pas que j’incendie cette demeure ! menaça-t-il d’une voix rauque. Shemar se retourna brusquement et le défia du regard. — Si tu cherches à déclencher une guerre, tu es volontiers invité à foutre le feu à ma baraque, chien du Centrium ! Je suis certain que tes maitres Elvus apprécieront cette prise d’initiative, ajouta-t-il, perfide. Une fraction de seconde plus tard, deux dagues de feu jaillissaient des poings d’Aedan. Dans un chuintement qu’on aurait dit métallique, Shemar sortit les griffes, littéralement. Ne mesurant pas moins de cinq centimètres, elles brillaient d’un éclat perlé presque nacré, aussi magnifiques qu’elles étaient létales. 13 Réflexion – tome 1 La chevelure humaine se changea en crinière léonine, dans une transition gracieuse d’effet spécial particulièrement réussi de cinéma. La présence de l’Alpha enfla, et occupa tout l’espace. Shemar avait grandi d’une tête, et avoisinait désormais les deux mètres. Sa stature imposante, ses longues canines, et le rugissement guttural qui s’échappa de sa gueule finirent de changer Neil en statue de pierre. Qu’en était-il de sa résolution à se montrer plus réactif ? Voilà que dès la première mise à l’épreuve, il se laissait paralyser par la peur. Pathétique ! Mais hey, il y a encore une semaine, ce qu’il avait sous les yeux ne se déroulait que dans les romans ! Depuis le couloir, un groupuscule de Thérianthropes grognait en serrant des poings et montrant des dents, menaçant ; tous à deux doigts d’entrer en phase méta. Aedan n’était clairement pas à son avantage, mais cela ne semblait guère le préoccuper. Quelqu’un joua des coudes pour atteindre la porte. Neil reconnut Derreck. Le garçon haussa les sourcils, l’air de se demander ce qu’il foutait à proximité d’un hommelion et d’un Ombre, tous deux en mode berserk. Question pertinente. Le bon sens vous insufflerait de prendre vos jambes à votre cou, mais Mr Absence – son instinct de survie démissionnaire – avait décidé de porter son nom avec panache. Neil avait les jambes sciées. — Circulez ! gronda Derreck. La plupart des témoins jugèrent judicieux de ne pas se le mettre à dos. Le couloir se clairsema lentement. Mais si Simba semblait jouir d’une certaine influence, d’irréductibles Thérianthropes résistaient encore et toujours à son autorité. Il toisa les récalcitrants d’un œil furibond. — Vous êtes des animaux ! murmura soudain une voix faible. Cela ne l’empêcha pas d’attirer l’attention de tous les acteurs de cette scène. Ces derniers se tournèrent d’un bloc vers Neil, qui manqua de se pisser dessus. Il se prit de plein fouet une salve de colère, presque de haine, et comprit sa bourde. Traiter des Thérianthropes d’animaux était la dernière chose à faire dans un de leurs repères. Sauf si on avait une envie suicidaire. Or il voulait vivre. Il le souhaitait de toute son âme. Si possible vivre en paix. Hélas, c’était demander plus qu’il n’en fallait à cette chienne de providence. Cependant, à cet instant, son vase débordait. Trop c’était trop ! — Mais regardez-vous ! Si faire partie de l’Outre-Monde signifie se laisser guider par des instincts aussi primitifs que barbares, je vous laisse avec votre médiocrité émotionnel ! Et vlan, dans les dents ! La colère de son auditoire se nappa d’un glaçage d’incrédulité. Neil ne sut si c’était à cause de l’audace de son discours, ou de son inconscience. Mais peu lui importait. Ça relevait de l’inconcevable qu’un freluquet de Z’alem noctus tienne de tels propos. Eh bien, ils n’avaient encore rien vu, le plus sidérant restait à venir ! — Pour ta gouverne, Aedan, je. Ne. T’appartiens. Pas ! articula-t-il d’un ton dur. Et vous (il se tourna vers Shemar), à moins de m’attacher, vous ne me retiendrez pas une minute de plus dans cette baraque qui pue la violence ! Il s’avère que j’en suis allergique. Alors excusez-moi de me casser d’ici, avant de chopper de l’urticaire ! 14 Réflexion – tome 1 Le public hoqueta. Shemar l’arrêta d’une main griffue, comme il tentait de le contourner. — Où comptes-tu… — Ne me touchez pas ! hurla Neil, au bord de l’hystérie. De reflexe il repoussa l’homme-lion qui se prit ses paumes dans l’abdomen. Shemar recula de plusieurs pas, et encaissa l’impact en serrant les dents, quasiment plié en position fœtale pour amoindrir la douleur. La seconde qui suivait, le Thérianthrope braquait sur Neil un regard fauve doré, lui promettant mille sévices. La tension alentour grimpa de dix crans. Les dagues de feu d’Aedan s’allongèrent davantage pour devenir des sabres. Neil dévisagea ses mains. Ces étrangères. Qu’avaient-elles fait à l’instant ? Si ce n’était pas le cas avant, il venait clairement de se changer en menace pour l’Alpha. Une menace à éradiquer sur le champ. Et le nouveau choix d’armes de l’Ombre attestait de ce fait. Il ne dormirait peut-être pas dans son lit ce soir, mais dans une tombe… *o*o* 15