(200-09-009223-162-Jug _Version finale modifiée le 8 juillet 20)

Transcription

(200-09-009223-162-Jug _Version finale modifiée le 8 juillet 20)
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
N° :
200-09-009223-162
(160-17-000053-146)
DATE :
Le 8 juillet 2016
CORAM : LES HONORABLES NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.
MANON SAVARD, J.C.A.
JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.
DOMINIQUE MARTINEAU
REQUÉRANT- Demandeur
c.
ÉDITH OUELLET
PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
INTIMÉES - Défenderesses
ARRÊT
[1]
La principale question que pose la demande de permission d’appeler du
requérant, déférée à la Cour par l’un de ses juges1, peut être circonscrite ainsi : quel est
le point de départ du délai d’appel d’un jugement autre que celui rendu à l’audience
selon l’article 360 du Code de procédure civile2, en vigueur depuis le 1er janvier 2016?
[2]
Selon le requérant, la jurisprudence élaborée sous l’ancien Code de procédure
3
civile continue de s’appliquer, de sorte que le point de départ du délai d’appel
demeurerait la date de la prise de connaissance du jugement. La procureure générale
du Québec soutient plutôt que le délai doit dorénavant être calculé à compter de la date
que porte l’avis de jugement, qui correspond, de façon générale, à celle inscrite au
1
2
3
Martineau c. Ouellet et al., 2016 QCCA 459 (j.a).
RLRQ, c. C-25.01 [« C.p.c. »].
RLRQ, c. C-25 [« a.C.p.c. », pour ancien Code de procédure civile].
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plumitif de la cour compétente4. L’intimée Ouellet (« l’intimée ») souscrit à ce dernier
point de vue.
[3]
Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que, selon l’article 360 C.p.c., la
date que porte l’avis de jugement constitue le point de départ du délai d’appel. En
l’occurrence, la demande pour permission d’appeler du requérant ayant été déposée
hors délai, le requérant est autorisé à la présenter en vertu de l’article 363 C.p.c.
Celle-ci doit par ailleurs être rejetée puisqu’elle ne soulève aucune question d’intérêt
devant être soumise à la Cour, au sens de l’alinéa 3 de l’article 30 C.p.c.
Le contexte
[4]
Le litige entre les parties découle de leur relation affective qui, bien que de courte
durée, s’est avérée tumultueuse. L’intimée dénonce aux autorités policières le
harcèlement et les menaces dont elle se dit victime de la part du requérant. De son
côté, ce dernier lui réclame le remboursement de prêts qu’il lui aurait consentis, ainsi
que le paiement des loyers durant leur cohabitation. Il reproche aussi aux policiers qui
sont intervenus à la suite des plaintes de l’intimée d’avoir abusé de leurs pouvoirs
d’enquête dans le dessein de lui nuire et de porter atteinte à sa réputation.
[5]
Le 27 novembre 2014, le requérant, sans l’assistance d’un avocat, institue une
demande introductive d’instance contre l’intimée, la Sûreté du Québec, sept de ses
policiers et la procureure générale. Après avoir été avisé par cette dernière que « son
recours ne respecte pas certaines des règles fondamentales de procédure civile au
Québec, relativement à l’introduction d’un recours judiciaire » et avoir été convoqué par
le tribunal à une conférence de gestion, le requérant dépose, le 1er octobre 2015, une
demande introductive d’instance modifiée. Son acte de procédure comporte plus de 150
paragraphes reproduits sur 57 pages, rédigés sans logique ni structure, auquel sont
jointes plus de 100 pièces totalisant près de 300 pages. Il recherche des conclusions de
nature criminelle contre l’intimée – demandant qu’elle soit déclarée coupable de
harcèlement et d’intimidation à son égard – et, à l’égard de tous les défendeurs, des
dommages et intérêts de plus de 180 000 $.
[6]
Par jugement portant la date du 18 janvier 2016, la Cour supérieure, district
d’Alma (l’honorable Jacques G. Bouchard), accueille les demandes en rejet de l’intimée
et de la procureure générale en vertu de l’article 54 a.C.p.c. et rejette le recours
entrepris5.
4
5
Registre de la Cour supérieure tenu en vertu de l’article 7 du Règlement de la Cour supérieure du
Québec en matière civile, ((2016) G.O. II, 2763 ou celui de la Cour du Québec tenu conformément à
l’article 6 du Règlement de la Cour du Québec (RLRQ, c. C-25.01, r. 9).
Martineau c. Ouellet, 2016 QCCS 1113.
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[7]
Le jugement est inscrit le 20 janvier 2016 au plumitif de la Cour supérieure.
L’avis de jugement est également inscrit à la même date. Le greffe notifie cet avis,
auquel est joint le jugement, au requérant qui en prend connaissance le 29 janvier
suivant.
[8]
Le 26 février 2016, le requérant, maintenant représenté par avocat, dépose une
déclaration d’appel du jugement de première instance, à laquelle est jointe une
demande de permission d’appeler conformément au paragraphe 3 de l’alinéa 2 de
l’article 30 C.p.c. La procureure générale et l’intimée soutiennent que cette demande,
en plus d’être tardive puisque déposée plus de 30 jours après la date de l’avis de
jugement (20 janvier 2016), ne soulève aucune question qui justifierait d’accorder la
permission recherchée.
L’analyse
[9]
La demande du requérant soulève deux questions : d’une part, le point de départ
du délai d’appel d’un jugement autre que celui rendu à l’audience et, d’autre part,
l’opportunité ou non d’accorder la permission d’appeler recherchée.
a) Le point de départ du délai d’appel
[10]
L’article 360 C.p.c. pose que :
360. La partie qui entend porter un
jugement en appel est tenue de
déposer sa déclaration d'appel avec,
s'il y a lieu, sa demande de
permission d'appeler, dans les 30
jours de la date de l'avis du jugement
ou de la date du jugement si celui-ci a
été rendu à l'audience.
360. A party intending to appeal a
judgment is required to file a notice of
appeal within 30 days after the date of
the notice of judgment or after the
date of the judgment if it was rendered
at the hearing. If leave to appeal is
required, the notice of appeal must be
filed together with an application for
leave to appeal.
Le dépôt et la signification d'un appel
incident ont lieu dans les 10 jours de
la signification de la déclaration
d'appel ou de la date que porte le
jugement autorisant l'appel.
A notice of incidental appeal must be
filed and served within 10 days after
service of the notice of appeal or after
the date of the judgment granting
leave to appeal
[Soulignement ajouté]
[11] Le délai d’appel est réduit à 5 ou 10 jours, eu égard à certains jugements
(article 361 C.p.c.).
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[12] Sous l’ancien Code de procédure civile, l’article 494 prévoyait que la requête
pour permission d’appeler, lorsque requise, devait être signifiée à la partie adverse et
produite au greffe de la Cour « […] dans les 30 jours de la date du jugement / […] within
30 days of the date of the judgment »6. Il en était de même de l’inscription en appel,
l’article 495 a.C.p.c. prévoyant qu’elle devait être signifiée et déposée dans le délai
prévu par l’article 494.
[13] Le libellé retenu par le législateur à l’article 360 C.p.c. distingue donc dorénavant
le point de départ du délai d’appel selon que le jugement est rendu à l’audience ou,
pour l’essentiel, après délibéré. Dans le premier cas, le point de départ demeure la date
où il est prononcé -- « date du jugement / date of the judgment » --, alors que dans le
second cas, il consiste en « la date de l’avis de jugement / date of the notice of
judgment ». L’article 494 a.C.p.c. ne comportait pas expressément une telle distinction.
[14] L’avis de jugement auquel réfère l’article 360 C.p.c. est celui dont traite
l’article 335 C.p.c. :
335. Dès l’inscription du jugement,
autre que celui rendu à l’audience en
présence des parties, un avis est
notifié à celles-ci et à leur avocat. Le
jugement peut être notifié par un
moyen technologique aux parties et
aux avocats ayant fourni les
coordonnées requises.
335. On entry in the court registers of
a judgment other than a judgment
rendered in open court in the
presence of the parties, a notice is
notified to the parties and their
lawyers. The judgment may be
notified by technological means to the
parties and lawyers who have
provided the necessary contact
information.
Le greffier peut, sur demande et
contre paiement des frais, délivrer
copies certifiées conformes du
jugement.
The court clerk may issue certified
copies of a judgment on request and
for a fee.
[Soulignement ajouté]
[15] Cet avis, propre à un « jugement, autre que celui rendu à l’audience en présence
des parties »7, est distinct du jugement lui-même et vise à informer les parties que
6
7
Le délai d’appel était de 10 jours en ce qui avait trait à la requête pour permission d’appeler d’un
jugement se prononçant sur une requête en annulation d’une saisie avant jugement.
L’article 334 C.p.c. énonce que le jugement rendu à l’audience « est constaté par l’inscription de la
décision et de ses principaux considérants au procès-verbal attesté par celui qui l’a rendu ».
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celui-ci a été rendu. Bien que la disposition ne le précise pas, l’avis est inscrit au
plumitif, tout comme le jugement8.
[16] Selon l’article 335 C.p.c., tant l’avis de jugement que le jugement sont notifiés
aux parties et à leur avocat par le greffe du tribunal concerné. Il précise que l’avis de
jugement est notifié « dès l’inscription du jugement, autre que celui rendu à l’audience
en présence des parties / on entry in the court registers of a judgment other than a
judgment rendered in open court in the presence of the parties » (soulignement ajouté).
Il est cependant silencieux quant au moment de la notification du jugement lui-même,
précisant simplement que celle-ci peut se faire par « un moyen technologique aux
parties et avocats ayant fourni les coordonnées requises / by technological means to
the parties and lawyers who have provided the necessary contact information ».
[17] On pourrait penser que la notification de l’avis de jugement et celle du jugement
devraient se faire au même moment. Un avis de jugement, sans le jugement, a une
utilité limitée9 pour les parties, surtout aux fins d’étudier l’opportunité de porter en appel
le jugement rendu.
[18] On constate cependant que tel n’est pas toujours le cas. Dans certains districts
judiciaires, la notification de l’avis de jugement et du jugement se fait par la poste, dans
un même envoi. Dans d’autres districts, elle est effectuée de façon distincte, à des
dates différentes, la notification de l’avis précédant celle du jugement10. Le mode de
notification peut être le même (par la poste pour l’essentiel) ou encore différent (par
exemple, par envoi postal pour l’avis de jugement et par moyen technologique pour le
jugement). Par contre, dans tous les cas, il subsiste de fait un délai, plus ou moins long
selon les districts judiciaires entre, d’une part, l’inscription au plumitif du jugement et de
l’avis de jugement et, d’autre part, leur notification respective, si ce n’est qu’en raison du
temps requis pour produire l’avis (sous format papier), faire les copies requises de l’avis
8
9
10
La question se pose aux termes de l’article 334 C.p.c. quant à savoir quelle est la date d’un jugement
rendu après délibéré : s’agit-il de la date inscrite sur celui-ci et qui correspond habituellement à la
date de sa signature par le juge? Ou s’agit-il de la date de son inscription au plumitif de la cour
compétente? Ou encore, s’agit-il de la date de son envoi aux parties? Voir à ce sujet Norsah c.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2016 QCCA 700 (j.a), demande
pour permission d’appeler déférée à une formation de la Cour. Compte tenu du libellé de
l’article 360 C.p.c., il n’est pas nécessaire ici de se prononcer sur cette question.
Ainsi avisées, les parties peuvent cependant faire les démarches nécessaires pour obtenir auprès du
greffe des copies certifiées conformes du jugement (alinéa 2 de l’article 335 C.p.c.). Elles sont
également informées du délai dont elles disposent pour récupérer les documents déposés au dossier
(article 108 C.p.c.).
Il existerait même des situations où le jugement ne serait pas transmis aux parties par le greffe.
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et du jugement, procéder administrativement à une telle notification et acheminer le tout
aux parties selon le mode de notification retenu11.
[19] Une pratique s’est également développée au sein des tribunaux suivant laquelle
le juge transmet lui-même, généralement par courriel, aux personnes ayant comparu
devant lui (avocats ou parties non représentées) une copie de son jugement, avant
même que celui-ci soit inscrit au plumitif et que l’avis de jugement soit émis. Cet envoi,
non systématique, est par ailleurs volontaire et n’est assujetti à aucune politique ou
directive interne. Cette pratique ne peut cependant tenir lieu des modalités prescrites
par le C.p.c.
[20] On doit présumer que le législateur connaît les façons de faire au sein des divers
greffes judiciaires et conclure qu’en utilisant une terminologie différente – la date de
l’avis de jugement par opposition à celle du jugement – il désire apporter un
changement à la situation prévalant sous l’ancien Code de procédure civile. Il identifie
un point de départ différent pour le jugement autre que celui rendu à l’audience12 afin
qu’il soit dorénavant « la date de l’avis de jugement ».
[21] Ceci étant, demeure la question suivante : la date de l’avis de jugement est-elle
la date que porte l’avis de jugement, qui correspond, de façon générale, à la date où il
est inscrit au plumitif de la cour compétente, ou la date de la réception de cet avis (prise
de connaissance) ou, encore, la date de l’expédition de cet avis13?
[22] Sur cette question, les commentaires de la ministre ne sont guère utiles aux fins
de connaître l’intention du législateur, comme leur lecture permet de le constater14.
Celle-ci écrit en regard de l’article 360 C.p.c.15 :
11
12
13
14
15
À ce délai, on peut également ajouter le délai entre la date inscrite sur le jugement par le juge et la
date de son inscription au plumitif, dont la durée varie également selon les districts judiciaires. En
l’occurrence, la date inscrite sur le jugement est le 18 janvier 2016 alors que l’inscription au plumitif
porte la date du 20 janvier 2016.
Il est intéressant de noter le libellé différent utilisé par le législateur à l’article 360 C.p.c. et à
l’article 335 C.p.c. Dans le premier cas, on réfère à un « jugement rendu à l’audience », alors que
dans le second cas, on parle d’un jugement « rendu à l’audience en présence des parties ». Il n’est
pas nécessaire ici de déterminer la portée, le cas échéant, de cette nuance.
Dans Le Grand Collectif- Code de procédure civile, commentaires et annotations, (sous la direction
de Me Luc Chamberland, vol.1, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 1609), les auteurs André Rochon et
Juliette Vani soulignent que « la nuance importante » apportée par le législateur en choisissant les
termes « date de l’avis de jugement » devra faire l’objet d’une interprétation par la Cour d’appel. Ces
auteurs ne semblent pas déceler, dans ce changement, une intention claire du législateur.
Au contraire de ce qu’était la situation dans l’affaire Doré c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862,
p. 873.
Commentaires de la ministre de la Justice : Code de procédure civile chapitre C-25.01, Montréal,
SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, p. 286.
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PAGE : 7
Cet article reprend essentiellement le droit antérieur, qui prévoit qu’une partie qui
désire interjeter appel d’un jugement dispose d’un délai de 30 jours depuis le
jugement de première instance pour déposer sa déclaration d’appel et, le cas
échéant, sa demande de permission d’appeler. La notification de la déclaration
doit, comme le prévoit l’article 358, être faite dans le même délai. Le point de
départ pour calculer ce délai de 30 jours est soit la date même du jugement
rendu à l’audience, soit la date de l’avis de jugement prévu à l’article 335, et non
la date de la notification de cet avis.
[…]
[Soulignement ajouté]
[23] D’une part, la ministre indique que la nouvelle disposition « reprend
essentiellement le droit antérieur », qui prévoit « un délai de 30 jours depuis le jugement
de première instance […] ». Or, en vertu du droit antérieur, cette Cour avait fixé le point
de départ du délai d’appel « […] à la date à laquelle les parties prennent connaissance
du jugement ou sont présumées en avoir pris connaissance »16. La date du dépôt de la
minute du jugement au greffe de la cour compétente était retenue lorsque la date de la
connaissance du jugement la précédait17.
[24] D’autre part, la ministre, à la fin de son commentaire, précise que le point de
départ du délai d’appel consiste en « […] la date de l’avis de jugement prévu à
l’article 335, et non la date de la notification de cet avis ».
[25] Or, outre les situations où le juge transmet une copie de son jugement aux
parties avant son inscription au plumitif, ces deux propositions de la ministre ne peuvent
se concilier, comme le démontrent d’ailleurs les faits de l’espèce. La date de l’avis de
jugement – 20 janvier 2016 – est antérieure à la date de prise de connaissance de cet
avis ou encore du jugement – 29 janvier 2016. En retenant la date de l’avis de jugement
par opposition à celle de sa connaissance, comme semble le proposer la ministre in
fine, le justiciable bénéficierait d’un délai d’appel moindre que le délai de 30 jours
autrement voulu, ce qui se distinguerait du droit antérieur, tel qu’établi par la
jurisprudence.
16
17
Wang c. Huang, 2006 QCCA 1334 (j.a.), paragr. 4, que la Cour reprend avec approbation dans
Protection de la jeunesse – 09151, 2009 QCCA 748, paragr. 14. Voir également : Benisty c.
Kloda, 2015 QCCA 1851, paragr. 2; Daoust c. Filion, J.E. 95-2099 (C.A.), 1995 CanLII 4895 (QCCA);
Tambosso c. Montréal Briques et pierres inc., 2009 QCCA 581 (j.a.).
Richcraft Homes Ltd/Maisons Richcraft Ltée c. Gatineau (Ville de), 2008 QCCA 2024, paragr. 4;
Tsatas c. 2944715 Canada inc. (Thomas Grossiste en fruits et légumes), 2010 QCCA 1314,
paragr. 3.
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[26] Les débats devant la Commission permanente des institutions entourant
l’article 360 C.p.c. entretiennent la même ambiguïté18. On y précise par contre que la
date de l’avis de jugement constitue un élément objectif, une date aisément identifiable,
permettant d’éviter toute ambiguïté factuelle quant au point de départ du délai d’appel.
[27] Par contre, l’historique législatif de l’article 360 C.p.c. « fournit un indice plus clair
de l’intention législative […] »19. Afin d’alléger le texte, celui-ci est reproduit
intégralement en annexe.
[28] On constate que l’avant-projet de loi, déposé en 2011, prévoyait expressément,
à ce qui était alors l’article 357, que le délai d’appel devait se calculer « […] dans les 30
jours de la date du jugement rendu à l’audience ou de la réception de l’avis de
l’inscription du jugement qui lui a été notifié / within 30 days after the judgment is given
in open court or after a notice that the judgment has been entered in the court registers
is notified to the party » (soulignement ajouté)20. Ce libellé a été écarté dans le Projet de
loi 28, déposé en 2012, qui, à l’article 360, reprenait sur cette question le libellé de
l’article 494 a.C.p.c., c’est-à-dire « dans les 30 jours de la date du jugement / within 30
days of the judgment»)21. Finalement, celui-ci a de nouveau été amendé pour prévoir le
libellé actuel « dans les 30 jours de la date de l'avis du jugement ou de la date du
jugement si celui-ci a été rendu à l'audience / within 30 days after the date of the notice
of judgment or after the date of the judgment if it was rendered at the hearing ».
[29] En d’autres mots, en retenant le libellé actuel (date de l’avis de jugement), le
législateur s’écarte du droit antérieur tel qu’interprété par la jurisprudence et proposé
dans le Projet de loi 28, tout en refusant également de revenir à la proposition initiale
suivant laquelle le point de départ correspondait à la date de la réception de l’avis de
jugement.
[30] Lu de concert avec les commentaires in fine de la ministre et les débats
parlementaires, l’historique législatif atteste du bien-fondé de la thèse avancée par la
procureure générale. Ainsi, la Cour est d’avis qu’en vertu de l’article 360 C.p.c., le point
de départ du délai d’appel d’un jugement autre que celui rendu à l’audience correspond
18
19
20
21
e
ère
Assemblée nationale, Commission des institutions, Journal des débats, 40 lég., 1 sess., vol. 43,
o
n 92, 20 novembre 2013, 17 h 40. Le représentant du ministre indique vouloir retenir la date inscrite
au plumitif afin de se « coller à la pratique actuelle », alors que cette pratique rattachait plutôt le point
de départ à la date de connaissance du jugement lorsque celle-ci était postérieure à sa minute.
e
Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4 éd. Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, no 1594,
p. 507.
e
ième
Québec, Avant-projet de loi, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 39 lég., 2
sess.
2011, art. 357.
e
ère
Québec, Projet de loi no 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 40 lég., 1 sess.
2013, art. 360. La lecture des mémoires déposés lors de l’étude de l’avant-projet de loi et du Projet
de loi 28 ne permet pas d’identifier la motivation du législateur derrière un tel changement.
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à la date que porte l’avis de jugement22, et non à la date de sa connaissance ni à celle
de son envoi. Le législateur privilégie ainsi un point de départ du délai d’appel unique
pour toutes les parties d’un même dossier, peu importe leur nombre, et qui, au surplus,
fait abstraction de toutes ambiguïtés factuelles entourant l’identification de la date réelle
de connaissance de l’avis de jugement. Le calcul du délai d’appel, que ce soit aux fins
de l’émission d’un certificat de non-appel (article 3073 C.c.Q.) ou de l’exécution d’un
jugement, s’en trouve ainsi simplifié, à tout le moins en théorie.
[31] Ceci étant, il demeure qu’en s’écartant ainsi du droit antérieur, le législateur fait
un choix qui peut en étonner plusieurs, notamment à la lumière des principes déjà
énoncés par la Cour.
[32] Rappelons que, selon l’article 363 C.p.c., les délais d’appel sont de rigueur et
emportent déchéance du droit d’appel. En pareilles circonstances, la Cour
reconnaissait, sous l’égide de l’ancien Code de procédure civile, que les dispositions de
la loi doivent être interprétées de manière à protéger les droits des justiciables23. Dans
Protection de la jeunesse – 0915124, la Cour explique, en discutant de
l’article 494 a.C.p.c. :
[14] Or, la règle de procédure civile a été examinée à maintes reprises par la
Cour et la jurisprudence maintenant bien établie fixe le point de départ du délai
non pas à la date du jugement, mais au jour où les parties en prennent
connaissance : […]
[15] Cette interprétation est fondée sur l’importance du droit d’appel, un droit
substantiel et non une simple question de procédure, et sur l’importance
d’accorder pleinement à toute partie condamnée le plein délai de 30 jours voulu
par le législateur pour réfléchir et prendre sa décision.
[Soulignement ajouté]
[33] On aurait pu penser qu’il devait en être de même en vertu du nouveau Code de
procédure civile où le droit d’appel, de même que le temps de réflexion, demeurent tout
aussi importants.
22
23
24
La question pourrait se poser de ce qu’il advient du point de départ du délai d’appel si le greffe, bien
que requis de le faire, n’émet pas l’avis de jugement prescrit par l’article 335 C.p.c. dans un dossier
donnant lieu à un jugement sujet à appel devant la Cour. Cette question n’étant pas soulevée dans le
présent pourvoi, il serait inopportun d’y répondre.
e
Denis FERLAND et Benoît EMERY, Précis de procédure civile du Québec, Éditions Yvon Blais, 5
édition, Montréal, vol. 2, 2015, no 2-180, p. 69.
Protection de la jeunesse – 09151, supra, note 16. Voir également N.A. crédits services inc. c.
153226 Canda Inc., [1988] R.D.J. 83 (C.A.), 1988 CanLII 485 (QC CA) (j.a.).
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[34] On aurait également pu croire que les parties devaient bénéficier « […] du
[même] plein délai de 30 jours voulu par le législateur […] »25, peu importe que le
jugement soit rendu à l’audience ou après délibéré. Or, vu le choix du législateur, tel ne
pourra en toutes circonstances être le cas si ce n’est qu’en raison du seul délai
administratif inhérent à l’émission de l’avis de jugement après son inscription et à sa
notification aux parties26. Le délai d’appel se trouve ainsi à courir avant même que les
parties soient informées que le jugement a été rendu. On peut donc s’interroger sur la
raison d’être d’un délai moindre que les 30 jours prévu par le législateur, qui sera
fonction, un, de la décision du juge de mettre le dossier en délibéré par opposition à sa
décision de le prononcer à l’audience et, deux, des procédures administratives au sein
du district judiciaire concerné.
[35] Finalement, l’existence du droit pour la partie lésée de demander la permission
d’appeler hors délai selon l’article 363 C.p.c., à laquelle le représentant du ministère
réfère lors des débats parlementaires pour répondre à la réalité d’un délai d’appel
potentiellement plus court, ne permet pas de pallier de façon équitable la différence de
traitement résultant du choix du législateur. Cette disposition, qui reprend pour
l’essentiel les critères jurisprudentiels développés sous l’article 523 a.C.p.c.27, impose
un fardeau additionnel à la partie qui doit établir non seulement son impossibilité d’agir,
ce qui ne devrait généralement pas constituer une difficulté, mais également que son
appel présente des chances raisonnables de succès. Il est d’ailleurs incongru de parler
d’une impossibilité d’agir en pareille circonstance alors que les parties n’ont même pas
encore été avisées que le jugement a été rendu. Imposer une telle étape additionnelle
cadre difficilement avec la disposition préliminaire du nouveau Code de procédure civile
qui édicte sa philosophie sous-jacente, notamment au second alinéa qui énonce :
[…] [Le Code] vise également à
assurer l'accessibilité, la qualité
et la célérité de la justice civile,
l'application
juste,
simple,
proportionnée et économique de
la procédure et l'exercice des
droits des parties dans un esprit
de coopération et d'équilibre,
ainsi que le respect des
personnes qui apportent leur
concours à la justice.
[…][This Code] is also designed
to ensure the accessibility,
quality and promptness of civil
justice,
the
fair,
simple,
proportionate and economical
application of procedural rules,
the exercise of the parties' rights
in a spirit of co-operation and
balance, and respect for those
involved in the administration of
justice.
[Soulignement ajouté]
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26
27
Protection de la jeunesse – 09151, supra, note 16, paragr. 15.
Telle n’est pas la situation lorsque le juge d’instance transmet aux parties une copie de son jugement
par courriel une fois ce dernier signé.
N.C. c. Institut universitaire de santé mentale, 2016 QCCA 368, paragr. 5.
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[36] Mais il demeure que le législateur s’est exprimé et qu’il lui était loisible de
s’écarter des principes énoncés par la Cour sous l’ancien Code de procédure civile. Il
ne revient pas aux tribunaux de légiférer à sa place. Le point de départ du délai d’appel
d’un jugement autre que celui rendu à l’audience correspond donc dorénavant à la date
que porte l’avis de jugement.
[37] Par ailleurs, pour rendre le tout cohérent et pallier les difficultés potentielles
résultant du choix du législateur, il importe que les greffes soient en mesure de faire le
travail que celui-ci leur a confié et que les moyens nécessaires à cette fin soient mis à
leur disposition. Il ne revient pas aux juges d’assumer ce rôle en transmettant aux
parties une copie de leurs jugements dès leur signature, avant même que ceux-ci ne
soient inscrits au plumitif et que l’avis de jugement ne soit émis. La pratique est certes
commode, mais, comme l’indique le paragraphe [19], elle ne remplace pas les
formalités édictées par le C.p.c. et ne peut remédier aux insuffisances du système.
[38] En l’occurrence, à la lumière de cette analyse, la demande pour permission
d’appeler du requérant a été déposée à l’extérieur du délai de 30 jours et est donc
tardive. Pour pallier à ce défaut, à l’audience devant la Cour, le requérant demande la
permission d’appeler hors délai, en vertu de l’article 363 C.p.c. Dans les circonstances
du présent dossier, la Cour estime qu’il a établi avoir été dans l’impossibilité d’interjeter
appel à l’intérieur du délai prescrit par la loi et a fait preuve de diligence, comme le
reconnaissent d’ailleurs la procureure générale et l’intimée. Il ne reste donc qu’à
envisager la permission d’appeler recherchée.
b) Le bien-fondé de la demande pour permission d’appeler
[39] Selon le requérant, le juge de première instance aurait erré en rejetant son
recours. Tout en concédant le caractère informe de sa procédure, il plaide que le juge
aurait dû lui permettre d’amender sa procédure au lieu de procéder à son rejet puisque,
malgré sa rédaction inappropriée, il pouvait y déceler une cause d’action. Il invite la
Cour à accueillir la permission d’appeler recherchée afin qu’elle puisse se prononcer
sur la notion d’abus au sens de l’article 54 a.C.p.c. (art. 51 C.p.c.) dans un contexte où
celui-ci découle des lacunes rédactionnelles, de forme et de fond, de la procédure.
[40] Bien que, à première vue, la question telle que formulée par le requérant puisse
sembler intéressante, la permission d’appeler recherchée doit être refusée en ce qu’elle
ne satisfait pas les critères de l’alinéa 3 de l’article 30 C.p.c.
[41] Le juge de première instance qualifie l’acte de procédure du requérant
« [d’]incohérent, imprécis et exagérément long », qui « participe davantage du
commentaire partisan et tendancieux, au travers duquel les faits apparaissent
pêle-mêle et sans liens apparents avec les conclusions recherchées » (paragr. 8), dont
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certaines, au surplus, ne peuvent s’inscrire dans le cadre d’un recours civil. Somme
toute, le juge y voit là « un recours téméraire et démesuré auquel une saine
administration de la justice commande de mettre fin dès à présent, puisqu’aucun autre
remède ne serait approprié » (paragr. 10).
[42] Le requérant ne démontre pas, prima facie, le caractère déraisonnable de la
conclusion du juge et du remède choisi. Celui-ci avait été informé des importantes
lacunes de sa procédure dès le dépôt de sa demande en justice en novembre 2014. En
raison de celles-ci et des difficultés de gestion en résultant, les parties ont dû se
présenter à plusieurs reprises devant le tribunal sans que le dossier progresse. La
demande en justice amendée, en octobre 2015, présentait les mêmes lacunes de forme
et de fond, et même plus encore. Bien que les requêtes en rejet de la procureure
générale et de l’intimée identifiaient clairement ces lacunes, le requérant n’a pas
cherché à corriger sa procédure. Il ne revient pas au tribunal de rédiger la procédure
d’une partie, que celle-ci soit ou non assistée par un avocat.
[43]
Dans El-Hachem c. Décary28, la Cour écrit :
[10]
Déposer un acte de procédure devant un tribunal judiciaire est un geste
grave et empreint de solennité, qui engage l’intégrité de celui qui en prend
l’initiative. On ne peut tolérer qu’un tel geste soit fait à la légère, dans le but de
chercher à tâtons une quelconque cause d’action dont on ignore pour le moment
la raison d’être, mais qu’on s’emploiera à découvrir en alléguant divers torts
hypothétiques et en usant de la procédure à des fins purement exploratoires.
L’avocat qui verse un acte de procédure au dossier de la cour doit respecter
certaines règles de forme et de fond. Parmi ces règles se trouvent les articles 76
et 77 du Code de procédure civile, deux dispositions dont il convient de rappeler
à la fois l’importance et la portée dans le déroulement d’une procédure judiciaire.
[…]
[12]
Aussi y a-t-il lieu de sévir en présence d’un acte rédigé comme si
quelques vagues imprécations, à la fois vindicatives et inconsistances, suivies
d’une affirmation d’autosatisfaction sous la forme de conclusions grossièrement
outrancières, remplissaient ces exigences de fond et de forme. Ce genre de
procédé ne saurait justifier que l’on surcharge le système judiciaire et qu’on lui
impose de déployer encore plus de ressources pour tenter de tirer au clair ce
que la partie elle-même ou son avocat se montre incapable d’expliquer avec un
degré raisonnable d’intelligibilité. Donner le bénéfice du doute à cette même
partie, à la manière dont on « donne la chance au coureur », implique en fin de
compte que l’on tolère n’importe quoi de n’importe qui n’importe quand. Ce n’est
assurément pas ce que la justice exige de la part de l’institution judiciaire.
[Soulignement ajouté]
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El-Hachem c. Décary, 2012 QCCA 2071.
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[44] Dans ce contexte, la demande pour permission d’appeler ne soulève aucune
question qui doit être soumise à la Cour, au sens de l’article 30, alinéa 3 C.p.c.
[45] Enfin, vu la question d’interprétation soulevée par la demande pour permission
d’appeler déférée à une formation de la Cour, il n’y aura pas lieu d’attribuer de frais de
justice.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[46]
REJETTE la demande pour permission d’appeler;
[47]
REJETTE la demande verbale pour permission d’appeler hors délai;
[48]
Sans frais de justice.
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.
MANON SAVARD, J.C.A.
JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.
Me Pierre Daignault
Pour l’appelant
Édith Ouellet, intimée
Personnellement
Me Alex Pothier
Lavoie Rousseau
Pour l’intimée Procureure générale du Québec
Date d’audience : 2 mai 2016
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ANNEXE
Québec, Avant-projet de loi, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 39e lég.,
2ième sess. 2011, art. 357 :
357. La partie qui entend porter un
jugement en appel est tenue de
déposer sa déclaration d’appel avec,
s’il y a lieu, sa demande de
permission d’appeler, dans les 30
jours de la date du jugement rendu à
l’audience ou de la réception de l’avis
de l’inscription du jugement qui lui a
été notifié. Elle est également tenue
de la notifier dans ce même délai.
357. A party intending to appeal a
judgment must file a notice of appeal
and, if applicable, a request for leave
to appeal within 30 days after the
judgment is given in open court or
after a notice that the judgment has
been entered in the court registers is
notified to the party. The party must
also notify the notice of appeal within
the same time.
Dans le cas d’un appel incident, le
dépôt et la notification ont lieu dans
les 10 jours de la signification de la
déclaration d’appel ou de la date que
porte le jugement autorisant l’appel.
A notice of incidental appeal must be
filed and notified within 10 days after
service of the notice of appeal or after
the date of the judgment granting
leave to appeal.
[Soulignement ajouté]
Québec, Projet de loi no 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 40e lég.,
1ère sess. 2013, art. 360 :
360. La partie qui entend porter un
jugement en appel est tenue de
déposer sa déclaration d’appel avec,
s’il y a lieu, sa demande de
permission d’appeler, dans les 30
jours de la date du jugement.
360. A party intending to appeal a
judgment is required to file, within 30
days after the date of the judgment, a
notice of appeal together with an
application for leave to appeal, if
applicable.
Le dépôt et la signification d’un appel
incident ont lieu dans les 10 jours de
la signification de la déclaration
d’appel ou de la date que porte le
jugement autorisant l’appel.
A notice of incidental appeal must be
filed and served within 10 days after
service of the notice of appeal or after
the date of the judgment granting
leave to appeal.
[Soulignement ajouté]
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Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 360 :
360. La partie qui entend porter un
jugement en appel est tenue de
déposer sa déclaration d'appel avec,
s'il y a lieu, sa demande de
permission d'appeler, dans les 30
jours de la date de l'avis du jugement
ou de la date du jugement si celui-ci a
été rendu à l'audience.
360. A party intending to appeal a
judgment is required to file a notice of
appeal within 30 days after the date of
the notice of judgment or after the
date of the judgment if it was rendered
at the hearing. If leave to appeal is
required, the notice of appeal must be
filed together with an application for
leave to appeal.
Le dépôt et la signification d'un appel
incident ont lieu dans les 10 jours de
la signification de la déclaration
d'appel ou de la date que porte le
jugement autorisant l'appel.
A notice of incidental appeal must be
filed and served within 10 days after
service of the notice of appeal or after
the date of the judgment granting
leave to appeal
[Soulignement ajouté]