Table ronde « Les projets en coopération

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Table ronde « Les projets en coopération
Table ronde
« Les projets en coopération »
Animée par Sophie Bougaret, Consultant, MANAGEOS, Présidente de la Commission
Projets Pharmaceutiques de l'Afitep.
Participants :
Michel Arnaud, Directeur des systèmes orbitaux, Cnes,
Vincent Poinsignon, Chef de projet Mars Express, Astrium,
Günther Lachner, Chef de projet, Siemens,
Francis Druilhe, Chef de projet, Airbus.
Qu'est-ce que la coopération dans un projet ?
M. Arnaud : Pour moi c’est mutualiser des moyens de toutes natures (humains, techniques,
financiers...) dans un objectif commun.
Les activités spatiales sont particulièrement adaptées à la coopération :
- les thématiques ne sont pas nationales, mais à l'échelon d'un continent, voire du monde ou
même de l'espace ;
- les structures ne sont pas davantage nationales : un satellite météorologique observe la totalité
de la terre, un satellite de télécommunication couvre 1/3 de la surface terrestre.
Chez Astrium, les projets spatiaux se déroulent toujours dans un contexte international. Ainsi
Mars Express est réalisé pour l'Agence Spatiale Européenne qui regroupe une douzaine de pays
et fait également intervenir les Etats-Unis. Ce type de projet implique la constitution d'équipes
multinationales jusqu'à l'intégration finale du produit. On fait pour cela appel à des entreprises
réparties dans toute l'Europe. Ce n'est pas toujours facile de travailler avec d'autres nationalités,
mais on essaie de surmonter les problèmes et ces programmes se sont en général bien passés.
G. Lachner - La meilleure image, c'est de dire que deux pays et deux cultures sont comme deux
courbes de Gauss qui se chevauchent. Certains Allemands sont plus français que les Français et
vice-versa. Il ne faut donc pas avoir de préjugés.
S. Bougaret : Faut-il de préférence sélectionner des personnes qui se trouvent à l'intersection des
deux courbes ou peut-on travailler avec les autres ?
G.Lachner : L'important, c'est l'ouverture d'esprit, que l'on puisse admettre les différences, ne
pas chercher à les combattre.
Francis Druilhe : La coopération, c'est le fait de travailler ensemble. Pour réaliser un projet, on
réunit des hommes, des sociétés différentes et on les fait travailler ensemble. On peut utiliser le
terme générique d'entreprise élargie. Les formes contractuelles sont tellement multiples qu'on en
oublie la dimension humaine qui reste essentielle.
Au début, le Gie Airbus Industrie a été la structure commune de coopération de quatre industries
européennes. A la fin des années 80 on y a associé des "risk sharing partners" qui prennent la
responsabilité d'une réalisation sur toute la durée du programme.
Nous avons d'autres formes de coopération, parmi lesquelles la sous-traitance. Les formes sont
très diverses, mais ce sont toujours des hommes qui travaillent ensemble : il faut faire passer
l'esprit d'entreprise et le produit avant le contrat.
S. Bougaret : Dans l'industrie pharmaceutique, on coopère aussi, mais les industries qui
coopèrent sont fortement concurrentes.
On y rencontre :
- des coopérations de type horizontal : co-développement pour des licences,
- des coopérations verticales : partenariat, une sous partie du projet étant confiée à une autre
société.
Autant de projets, autant de formes de coopération différentes, autant de visions, mais aussi
autant d'enjeux.
Quels sont les enjeux de la coopération dans vos projets ?
M. Arnaud : Les intérêts sont multiples.
L'apport financier tout d'abord, la synergie et
l’enrichissement des compétences ensuite, et enfin l'efficacité des systèmes.
Quelles précautions faut-il prendre ? Il faut bien définir l'étendue de la coopération de chacun et
les retours attendus.
Depuis deux ans, Astrium regroupe les activités spatiales en Allemagne, en France et en GrandeBretagne. Cela a créé des difficultés liées aux différences culturelles. Le fait que l'entreprise soit
multinationale n'empêche pas les intérêts nationaux. Les projets se font tous en coopération. Il
faut avant tout essayer de constituer des équipes capables de travailler ensemble avant de penser
aux aspects contractuels, créer un esprit d'équipe quelle que soit la nationalité, essayer de
partager les bénéfices, pas uniquement les risques, et surtout instaurer une mentalité de travail en
commun.
Cette ouverture est un enrichissement sur tous les plans : technique, humain, de compétences
managériales. Il y a toujours à apprendre chez nos collègues.
Günther Lachner : Siemens vidéo filiale produit des systèmes électroniques. La relation vers
l'extérieur est classiquement du type client/fournisseur. En interne, nous avons des installations
au niveau mondial et entretenons une coopération quotidienne Europe-USA-Asie.
On développe des systèmes et des produits de plus en plus complexes et le cycle de
développement s'est raccourci de 4 ans à 2,5 ans. Les relations triangulaires deviennent de plus
en plus courantes. Les constructeurs automobiles ne peuvent plus tout faire en interne : ils
confient à leurs sous-traitants une partie de leurs activités, dont la relation avec les fournisseurs.
Il faut donc imaginer de nouvelles façons de travailler. Le produit que nous livrons au
constructeur est de notre responsabilité. Il a fallu réfléchir sur les contrats et revoir le découpage
des responsabilités avec les prestataires.
Francis Druilhe : Airbus, c'est le regroupement de 4 nations. Dès le début il y a eu des débats
sur le lieu d'assemblage. L'équilibre industriel a joué jusqu'ici en faveur de Toulouse, mais une
coopération internationale ne peut s'inscrire dans la durée que si chacun y trouve son compte.
Le premier enjeu c'est la stratégie. Il n'y a pas de pérennité pour une entreprise mondiale si
l'entreprise n'est pas forte. L'union fait la force, le dicton reste vrai. Cette union est à la fois
financière, quantitative et qualitative : on tire l'excellence du meilleur de chacun. Sans
coopération, pas d'avenir à long terme.
Le deuxième enjeu c’est le marché. Pour gagner certains marchés, comme la Chine, il faut
envisager une coopération locale.
Cela pose quelques difficultés :
- Répartir les rôles ; quand une coopération devient complexe, avec des partenaires de différents
métiers sous des formes différentes, il faut que chacun sache ce qu'il a à faire et que les
responsabilités soient bien définies ;
- Agencer de façon pertinente des processus complexes et non répétitifs; par exemple, il n'y a pas
deux avions identiques, il faut donc assurer la définition de chacun de ces avions. Elle s'appuie
sur des outils et des processus. Or on s'adresse pour chaque installation à une vingtaine
d'entreprises qui ont chacune leurs outils. Il a fallu développer des processus centraux permettant
à des outils différents de travailler ensemble.
Pour l'A380, nous allons plus loin que jamais dans cette démarche.
Par exemple, les tuyauteries d'air conditionné sont fournies par cinq sociétés. On a pris l'initiative
de mettre autour de la table les concepteurs de toutes ces entreprises concurrentes : chacun
apporte son savoir-faire pour définir la meilleure solution possible pour l'avion. Cela ne s'était
jamais fait auparavant. Il faut savoir passer au-delà des barrières.
S.Bougaret : Dans la pharmacie les enjeux financiers sont énormes. Neuf projets sur dix
s'arrêtent en cours de route. Les difficultés sont liées à ce taux d'échec : il faut prévoir des
clauses de sortie dans tous les contrats. Ainsi, quand le projet s'arrête, la rupture n'engage pas la
coopération, elle n'engage que le projet.
Une deuxième difficulté est liée à l'appropriation affective des chercheurs sur leurs projets. Il ne
peut pas y avoir de projet réussi sans passion, et du fait, ils se disputent parfois la notion
d'invention.
Dans cet univers précédemment fragmenté, le management de projet a apporté une dimension
fédératrice essentielle, qui a permis la coopération.
Les équipes de projet sont-elles naturellement
adaptables à la coopération ou faut-il
apporter des techniques spécifiques?
V. Poinsignon : En Europe, on s'est posé la question sur les outils et les techniques. Les notions
ne sont pas les mêmes dans les différents pays européens. Il faut tenter de rapprocher les
méthodes. On y est arrivé, mais on rencontre encore des difficultés.
Les méthodes ont permis de monter des projets en coopération et les projets en coopération ont
amené à développer les méthodes.
G. Lachner : il y a un mot clé, le "simultaneous engineering". Chacun doit avoir conscience
qu'il fait partie d'un ensemble. Il faut un état d'esprit, admettre que chacun puisse avoir son
processus, mais aussi trouver les points communs pour définir un processus commun efficace et
qui ne soit pas trop lourd. Six mois après le lancement d'un nouveau projet, on organise un
événement hors site où chacun expose ses problèmes, on élabore des solutions et …on boit
ensemble de la bière et du vin pour que les gens se connaissent.
F. Druilhe : Airbus ACE (Airbus concurrent engineering), projet fédérateur, a permis de mettre
en place de nouveaux processus dans chacune des disciplines et de les optimiser. Cela signifie
travailler ensemble, de façon très concrète : on constitue des plateaux qui rassemblent bureau
d'études, fabrication, service après-vente...
Travailler ensemble dans une culture de management de projet ne signifie pas tout aligner
jusqu'à la dernière virgule. Cela signifie définir le dénominateur commun minimum et suffisant,
mais laisser à chacun l'autonomie et la souplesse de ses outils. C'est le management de la
flexibilité.
L'approche contractuelle dans la coopération ne suffit pas forcément : il faut arriver à
construire la confiance. Qu'est-ce qui est le plus important, la loyauté des équipes vis-à-vis du
projet, quitte à détruire la loyauté vis-à-vis de l'entreprise ou une vision commune à haut
niveau ?
F.Druilhe : Ce n'est pas antinomique. Si on s'allie à un projet, c'est qu'il est dans l'axe de la
stratégie de l'entreprise. Si le projet est un succès, l'entreprise réussit.
Toutes les formes de coopération démarrent par une phase commune. Rares sont les cas où il y a
conflit d'intérêt. Si ça se produit, on revient à la « case » contrat. Il faut aussi qu'il y ait respect
mutuel.
Le contrat doit avoir bien défini le partage des risques. La nécessaire confiance d'un projet en
coopération joue à tous les niveaux : crédibilité relationnelle, crédibilité technique et respect
mutuel.
G. Lachner : Il ne faut pas avoir le contrat en tête tous les jours. Il doit être ficelé au départ,
ensuite c'est un filet de sauvetage.
S. Bougaret : Dans le secteur pharmaceutique, les termes du contrat contiennent une répartition
des royalties. C’est une forme de quotas.
V. Poinsignon : Ceux qui apportent le financement gardent la propriété industrielle, tandis que
le droit d'usage est étendu.
Interventions de la salle :
F.Gouttebroze : Il faut faire attention à la compréhension de ce qu'est le project management.
Chez les anglo-saxons, c'est commercial, chez nous, le concept est un peu différent. A titre
d'exemple, on peut donner deux définitions du mot concept, suivant qu'on l'orthographie à la
française ou à l'allemande :
Concept : une grande idée très novatrice
Koncept : savoir ce qu'on veut faire et définir comment et qui le fait.
J.M. Doucet : Avec nos clients, nous travaillons en "concertance", c'est-à-dire de concert et en
alliance : nous passons des contrats d'alliance avec création de valeur partagée. Une clé de
répartition y est associée.
Synthèse réalisée par Béatrice Lamarthe